Le brandon turgescent de la guerre

Une fébrilité envahissante avait pris possession de Poëlh-Jacq depuis qu'une forte armée y avait élu domicile. La bourgade, bien que d'une affligeante médiocrité, avait un passé mirifique, lourd de symbolique. L'histoire avait laissé son empreinte en ses rues bourbeuses et sur ses remparts grisonnants. C'est ici que, vingt ans plus tôt, le seigneur François XVIII l'Affable avait pourfendu l'ost infâme du clan Porporie, offrant alors au baron une main-mise que jamais il n'avait osé espérer sur ses terres. Trêve de digressions.

En cette fin d'automne s'étaient assemblés dans le flamboyant diocèse quelques quatre régiments de campagne ; une hosanna féroce montait en Oësgardie, incarnée par ces farouches soldats aux cheveux sales et aux yeux sanglants. Ils avaient d'ailleurs adopté dans les frimas impitoyables du Barkos septentrional l'étrange habitude de sa tatouer un cabalistique acronyme sur le corps : LBS, ou Libera Bauduania Sacrum (littéralement : la Sainte Oësgardie Libre). Jambes, phalanges, deltoïdes et fronts, nulle parcelle de chair n'échappait à la beauté de ces trois lettres qui assurément inscriraient Poëhl-Jacq -plus que dans la légende- dans le Mythe !

Alors que tous vibraient d'une impatience difficilement contenue à l'idée d'occire le sodomite Serramirois, Baudoin vint les voir et tint à peu près ce discours : « Mes bons hommes d'armes, hommes d'acier, rempart de la civilisation contre la barbarie occidentale, l'heure pour vous est venue ! » les visages salis par plusieurs jours de rigueur s'illuminèrent, et c'est une foule inspirée d'une lueur nouvelle qui attendit la suite de l'époustouflant discours, porté avec brio par le roc charismatique qu'était leur seigneur et maître « Il y a de cela plus d'un siècle, le bon baron Siegfried perdit Oësgard et par là-même tous ses biens et son honneur. Lyon de Serramire lui demanda, dans le dessein de l'acheter -car il n'osait tuer un si formidable adversaire-, ce qu'on voulait qu'on lui rende pour qu'il retrouve sa dignité. Siegfried demanda une épée et un pal pour se venger » l'histoire ne disait pas s'il obtenu gain de cause, mais elle précise qu'il mourut sans doute d'une foudroyante dysentrie dans l'année. L'épisode embrasa Oësgard pendant une décennie au moins. « Et nous ! Nous avons l'épée et le pal ! Sus ! » l'époustouflante harangue était finie.

Les tambours de guerre firent rouler leur comminatoire grondement dans la plaine imbibée, les fifres stridulèrent sous le couvercle noir du ciel. Le pâle soleil sur l'armure de Baudoin sembla l'agiter d'éclairs furieux, prémices vigoureux d'une vengeance incessamment consommée. Les colonnes se formèrent, les chevaux furent sellés et montés par leurs lestes cavaliers, les bordels régimentaires apprêtés ; piques et arbalètes et sabres, et barbutes et brigandines se levèrent d'un même mouvement. Les hommes défirent le campement et, battant la campagne moite, ils parvinrent à Dormmel où ils embarquèrent -hommes et chevaux- sur de nombreuses galée réquisitionnées pour l'occasion.

Ils descendraient l'Ambrie puis la Sirilya. De là, ils longeraient la côte pour débarquer à Berdes. On disait que le baron borgne attendait impatiemment la venue de ce contingent, car il servirait un plan habilement pensé. Les oriflammes se déployèrent au vent mauvais d'Oësgardie, et la lente procession s'en alla, Baudoin à sa tête, pourfendre l'apostat, le sorcier et le sodomite. Et une clameur monta de la plus infrangible de ces embarcations, emplie des barbes sinistres des leümberjack « GLAIVES ET SANG » ; ils furent suivis de tous les autres qui scandaient « GLAIVES ET SANG » inlassablement.