[Arcani] La bonne parole n'a pas de frontières.

Tranquillin Chrysostôme, prêtre itinérant de son état n'avait pas coutume de prêcher dans le désert, et encore moins pour des âmes aussi indélicates que celles des purotins de tous bords qui hantaient les routes du doux royaume humain. Les plébéiens lui avaient toujours causé quelque tracas, ne serait-ce que par leur hygiène peu scrupuleuse et leur dentition pourrissante, mais il était séduisant de leur faire quelque aumône quand, parfois, leurs ribaudes d'aînées avaient la moralité chancelante. Le clerc se rendait donc au coeur des riantes contrées de l'est profond, en Ysari. Il se déplaçait à un train de sénateur, délicatement lové dans une cariole rembourrée par d'épais édredons de plumes dont il avait hérité l'usufruit à la mort de son ancien propriétaire (un obscur adepte, d'une sinistre secte qui fut pendu pour déviances sur témoignage de Chrysostôme).

Le cheval ahanait mais il n'était pas encore temps de prendre du repos. Tranquillin avait audience ce jour avec le couple barronial, les hierarches bénis de cette région oubliée des dieux. Le vieil homme soupira d'aise, une fois encore sa foi sauverait des âmes de la fange infernale à laquelle elles étaient promises par l'oubli des préceptes divins. Certes ce rendez-vous avait été fixé par ses soins sans consulter aucunement les autorités compétentes du lieu mais peu importait, là où la morale religieuse etait en péril, il accourait avec pour blason sa dévotion et pour prétexte le rétablissement de la justice sur terre.

Son socle de valeur ne saurait jamais vaciller tant qu'Arca veillerait sur lui et lui insufflerait sa divine bénédiction dans tous ses actes.

Enfin, au bout de moultes interminables heures de périple, le pèlerin arriva en vue des hautes demeures de la famille de hetalia qui semblaient fort amènes. Tranquillin tenta de faire ressurgir dans son esprit les contes d'odalisques qu'il avait ouï au sujet de ces contrées mais n'y parvint qu'à moitié, ce qui l'incommoda et le mit de méchante humeur. Il descendit de sa cariole le faciès ténébreux et se rendit aux portes de l'endroit où il serait reçu.

Chrysostôme se toisa l'un des gardes et le transperça du regard. Constatant que le reître avait déjà sans doute affronté adversaires plus coriace que lui, le prêtre abandonna ses désirs d'intimidation par la simple apposition d'un regard décidé.

" Seigneur gardien des nobles portes closes
Daignez que je les passe et que je glose
En compagnie de vos chatoyants seigneurs
l'excellence de leur bonté, m'est une gageure
Et je saurais me résoudre à les maudire
Si le séjour de ces lieux vous deviez m'interdire
Aussi, hâtez vous de me faire annoncer
Car je n'aurais de cesse de vous tancer

Le seigneur prêtre Chrysostôme
de sa présence vous fait l'honneur
chantre des amours et des fantômes
Prêtre d'arca, docte savant et fervent prieur."

Il avait chanté cet air comme il en avait l'usage; Un chant empreint d'une mélancolie sans âge, à faire frissonner le plus endurci des païens. Ne voyant aucune raison de ne pas le faire entrer et la matinée s'annonçant relativement calme, Tranquillin fut conduit par l'austère serviteur guerrier à la salle de reception du château. Après s'être fait annoncer, le vieux saule s'avança et courba légèrement l'échine devant les deux maîtres des lieux.

"Mes sincères hommages, doux seigneurs, c'est un privilège pour moi d'être reçu en votre divine présence. Je viens vous apporter la lumière de la foi, et vous prouver que vous suivez des voies par trop obscures... Vous le savez je crois?" Fit il, l'air sévère et fermé. Il n'avait rien d'un vieillard affable, vraiment rien et son ton était à la limite de l'insolance arrogante.

Chrysostôme se vit courtoisement convié à prendre ses aises dans la salle de réception... Mais il fut désobligé de constater que le maître des lieux, le légitime suzerain de ces terres, était absent. Ne demeurait là pour le recevoir qu'une infâme femelle, une créature veule et turpide qui ne méritait même pas qu'on lui adressât la parole tant il est vrai que ces espèces sont incapable de raisonnement, fut-il spécieux. une autre représentante de cette engeance impie faisait le pied de grue, attentive et zélée comme le sont les chien, habilement dressés par un maître de la baguette. Le prêtre dédaigna le fauteuil qui lui était offert, toisant Lucrèce d'un oeil féroce sous ses sourcils broussailleux.

Ne daignant point s'engager dans une hâtive réplique, le serviteur du divin extirpa un opuscule de sombre conception de sa besace. Il l'ouvrit au hasard, posa le doigt sur l'une des lignes de la page avec autant de reflexion et en lut le contenu d'une voix chantante et lugubre.

" Et il advint que dans sa divine complexion, Arca écarta les nuées afin que s'écroule l'injustice des amours et s'élève enfin l'ordre nouveau qui éclairera de sa pleine magnifiscence les coeurs les plus arides pour les millénairesà venir et jusqu'à la fin des temps."

Sa sinistre mélopée achevée, il transperça Lucrèce du regard et c'est alors qu'un projet sinistre s'enfanta dans son âme. En la détaillant du regard il avait compris ce qu'Arca voulait de lui en ce lieu païen et abandonné de la religion la plus élémentaire. Il redonnerait la foi juste à ce ramassis de mécréants mal pensants, piètres pratiquants. Après un nouveau silence Tranquillin Chrysostôme leva les bras et s'écria :

"Je suis le serviteur du divin Arca"

Il n'ajouta rien à ce titre qui devait aisément se suffire à lui même, il laissait à d'autres le soin de se trouver des hommages pompeux, des épithètes plus ronflants.

"Voyez le sinistre monde croupir en ces temps de douleurs
Abandonnez votre âme aux charitables parangons de vertus
Et de votre fond le plus sincère, vouez les méchants au malheur
Louez les justes et découvrez-vous des horizons perdus
Car en ces jours de desespoir, il n'est plus rien à attendre
Et la mort en ses divins apprêts prend les hommes à l'âge tendre
Cruautés et souffrance, voilà votre salut, écoutez mes paroles
Et pénétrez-vous de l'évidence que ma chanson n'est point faribole
Laissez moi ici, je vous suis tout servile malgré l'amère parabole"

Ce chant, plus torturé et violent que le précédent était en réalité une incantation magique que le prêtre était en train de réaliser sur Lucrèce à son insu. Il s'agissait de la "perte mentale", merveille de sort qui permet à un homme de faire perdre toute volonté à son vis à vis qui n'attend plus alors qu'un leader. Le vieillard comptait bien prendre un ascendant total sur cette fragile créature...