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Joy Lìvìan
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MessageSujet: [Cité]Fin.   [Cité]Fin. I_icon_minitimeMer 13 Juin 2012 - 22:19


    « C'est une bien belle fresque que vous avez là entamé, Messire d'Aürehun. »« Et encore, ma Dame ! Vous ne voyez là que le commencement ! L'esquisse ! L'oeuf du projet ! Ce n'est que l'éclosion, la naissance ... Il faudra du temps mais bientôt, et si les Dieux le veulent ... »La jeune femme observait les lèvres du peintre s'agiter sans même distinguer le flot continu de paroles qui animaient ces dernières. Le regard perdu dans l'immensité de la pierre, elle contemplait le plafond de l'édifice religieux, où s'activaient pléthore de petites mains artistiques payées au nom d'Arcam. Après sa rencontre avec le Gardien Elystrel, ses conseils avaient été mûrement médités, et bien qu'il lui en avait côité - non pas financièrement, mais psychologiquement -, Joy s'était ainsi fait violence en pénétrant pour la première fois dans le plus grand temple d'Arcam de la cité de l'Epine Dorée, découvrant de toute sa vie la hauteur et la splendeur de ces endroits où la vénération divine était une condition sine qua none pour pouvoir comprendre la subtilité mystique. De prime abord, la dame protectrice avait considéré tout cela d'un oeil le plus froid et le plus extérieur possible, songeant qu'ignorer les marques d'Arcam qui empreignaient le lieu la sauveraient de toute douleur. Mais il était bien difficile d'ignorer l'identité même d'un temple. Il était temps pour elle d'apporter son offrande à Lui, d'apaiser ses rancoeurs avec elle-même et de faire preuve de sagesse.L'idée lui était venue alors qu'elle avait voulu replonger dans ses pinceaux et dans ses toiles, persuadée d'y retrouver un sain refuge. Si l'inspiration n'avait pas été au rendez-vous pour tracer quelque ébauche, ses rêves avaient été hantés de couleurs, d'illusions, de sillons, de traces, d'arabesques et de reliefs romanesques. Dans les jours qui suivaient, elle s'attablait jour et nuit à retravailler, décortiquer ce que sa pensée lui soufflait dans le secret de ses rêves, redessinant ses souvenirs, interprétant, corrigeant là où les imprécisions s'effaçaient.On décida rapidement de confier le projet de rénovation des plafonds du Temple aux mains expertes de l'un des artistes les plus célèbres de la région, Ylewin d'Aürehun. Homme de science et d'arts, son talent s'était démontré par sa précision presque mathématique dans chacune de ses toiles. L'oeuvre bienfaitrice avait alors été chaleureusement accueillie, à la fois par Ylewin et par un peuple quelque peu préoccupé par l'état de sa dirigeante. Elle qui pendant quelques années s'était emmurée dans un silence maladif, avait laissé présager d'une mort certaine à laquelle elle avait échappé de justesse. Et si à ce jour, la douce enfant marchait toujours en compagnie de quelques hommes de main bienveillants et de guérisseurs, son regard avait retrouvé l'éclat d'une vivacité instable ; présente certes, mais instable.C'était sa première visite depuis que les travaux avaient été lancés, et Joy ne pouvait clairement pas être déçue : ce qui avait été entrepris ressemblait trait pour trait à ses propres croquis, fournis en tant que plans à suivre. Pour autant, si cette fidélité était de mise, voir son propre dessin en des dimensions disproportionnées l'effrayait presque. Elle retrouvait dans cette gigantesque fresque ses peines et ses travers, sans pour autant haïr ce qu'elle avait en face d'elle.La mine déconfite d'Aürehun, qui attendait depuis bientôt cinq minutes une réponse à sa question, fut rapidement remplacée par un sentiment de satisfaction lorsque Joy sortit de ses songes, le congratulant d'un doux sourire.« Il me tarde de voir la suite. Pensez-vous que cela sera fini d'ici la prochaine saison ? »Le printemps était tombé, annonçant un été prometteur, mais la dame protectrice semblait impatiente de contempler le résultat final.« Oh, vous savez, je ne puis être sûr ... Si les colorants ne viennent pas à manquer, et que la motivation de mes petites mains perdurent ... Mais il faut que cette fresque soit impeccable. Resplendissante, en tout point bien sûr, car je ne saurais me permettre de copier l'artiste avec de l'à-peu-près et du bâclé ! Arcam m'en tiendrait rigueur ! »Son rire teinta le temple d'une once de jovialité, jovialité que ne partagea pas véritablement Joy, dont le visage s'était effacé assez promptement.Coupant court à la conversation sous le regard perplexe mais néanmoins courtois du peintre, qui se demandait déjà quelle bourde avait-il pu effectuer, Joy Lìvìan quitta prestement l'enceinte du Temple d'Arcam, se jurant de ne pas y remettre les pieds.---Ca ne finirait jamais.Il avait menti.Des jours, des semaines à essayer de pardonner, à oublier, à tenter de vivre et d'absoudre sa haine pour un tel culte, un tel Dieu, une telle injustice, et tout ça pour quoi ? Pour que ça la reprenne ?Cette cure n'avait servi à rien. Ses efforts s'étaient retrouvés réduits à néant, en un instant, un seul, lorsque le feu l'avait repris à elle ce matin-même. Que cela ne fusse qu'une coïncidence ou qu'un jeu de l'esprit malsain, les douleurs la tenaillaient en cette nuit d'encre comme des poignards acérés, lui tailladant les reins, brûlant à vif ses chairs et lui envoyant comme une gifle violente son visage.Elle n'en pouvait plus, elle ne pouvait pas mener cette vie-là éternellement.Quand bien même cette fresque serait finie, quand bien même elle changerait sa propre personnalité, ses propres opinions, son existence entière, quand bien même toute cette mascarade à laquelle elle avait mis tant d'ardeur à croire et à participer prendrait fin, que resterait-il de sa personne ? L'espoir ne renaîtrait jamais, ni de la main d'Arcam, ni d'aucune autre entité. Elle avait perdu, beaucoup trop perdu, et si le jour elle arrivait encore à se persuader faussement de sa combativité, les nuits étaient autant de cauchemars d'une véracité cruelle. Déjà trop loin pour être sauvée, trop perdue pour être retrouvée.Quitte à être coupable, autant en mourir.Les larmes coulaient d'elle-même sur ses joues pâles, si pâles que les Lunes ne pouvaient que difficilement rivaliser avec une telle luminescence. Les yeux écarquillés, son dos s'était arqué alors que ses mains pétrissaient ses propres flancs, ses ongles crissant sur la nacre de sa peau pour que tout s'arrête, pour que la douleur cesse, pour que le pardon vienne enfin. En vain.Ses jambes tremblantes usèrent d'une force incommensurable pour la faire se redresser. A mi-chemin, l'elfe poussa un gémissement de douleur, persuadée qu'on venait de lui plaquer des tisons incandescents sur le corps. Vacillante, elle repoussa l'étreinte moite et infernale des draps qui l'enserraient, se tenant là, prête à chanceler au moindre faux-pas, son regard fiévreux cherchant quelque chose.Le grand vase floral trônait là, porcelaine intacte et délicate.Maladroite dans le geste et incapable d'endurer davantage, ses mains se saisirent de la jolie coupelle, et en firent glisser son contenu, déversant eau, fleurs et baies sur le sol. La main récolta quant à elle avec lenteur une des branches de la coupe, ornée de boutons noirs et de feuilles larges.Un premier geste fit sauter quelques unes de ces cerises au goût de sucre, qu'elle engloutit presque goulûment, les paupières fermées, la respiration calme, les joues humides. Ce fut bientôt la branche entière qui fut délestée de ses précieux fruits.On dit que la Belladone rend les femmes plus belles. Leur pupille se dilate, leur souffle s'accélère, et leur regard brille, charmant les hommes et les cieux.Doucement, tout doucement, le corps de Joy bascula en arrière, son souffle s'accélérant à nouveau ; haletante, le feu était monté jusqu'à ses joues : la mort avait donc bien un goût similaire à cette odieuse malédiction.  Ses mains se portèrent à sa gorge, qu'elle sentit sensiblement s'assécher. Les secondes lui parurent des minutes, les minutes des heures, et bientôt, alors que l'éclat noir de ses iris s'était réduit à un risible point noyé dans un bleu polaire, alors que son esprit baignait de lueurs angoissantes et projetait dans le néant de sa chambre d'effrayantes ombres et un concours d'hallucinations mystiques - Arcam peut-être jouait-il encore avec ses sens -, l'air vint à lui manquer. Sa poitrine se souleva une dernière fois, une seule et unique dernière fois. Et le noir complet envahit les yeux définitivement éteints de Joy Lìvìan.
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