Petit village de bucherons [Libre]

Calla soupira profondément, ennuyée par les récents évènements. Elle avait quitté la route principale plusieurs heures auparavant pour s'enfoncer dans une forêt épaisse. Le chemin était si étroit qu'il n'y avait pas de place pour deux chevaux côte à côte. Par endroit, les branches basses l'obligeaient à se baisser et parfois même à descendre de cheval. Odin, lui, semblait ravi de pouvoir grignoter quelques branches tout en marchant. Le voir manger avec autant d'appétit lui rappelait que son propre estomac était vide. Le délicieux lapin mangé la veille semblait si loin...

La chaleur était étouffante, ou du moins elle l'était pour Calla qui était habituée à un climat plus rigoureux. Elle avait accroché son manteau en peau de lapin sur la selle d'Odin et avait délacé le haut de sa tunique. Chevaucher longtemps la fatiguait beaucoup, et le lourd fardeau qu'elle portait dans le ventre n'arrangeait pas les choses. Le tissu de sa tunique était tendu, et il lui en faudrait certainement une plus large d'ici à ce qu'elle atteigne sa destination.

Tout à coup Odin se figea, les oreilles dressées et les naseaux ouverts. Calla, dont la fatigue et la nausée mettaient de mauvaise humeur, ne fit pas preuve de sagesse et décida qu'il s'agissait d'un caprice de son étalon.

Avance !

Le cheval ne bougea pas d'un millimètre malgré le coup de talon. Il semblait même inquiet au point de vouloir faire demi-tour. Comprenant enfin que quelque chose ou quelqu'un lui faisait peur, Calla plissa les yeux dans l'espoir de découvrir ce que c'était. Par précaution, elle saisit son arbalète et y glissa un carreau, prête à tirer si nécessaire. Finalement, ses sens humains perçurent un faible son. Un animal ou un humain était en mouvement !

Ces paroles, et la vue de la jeune femme rassurèrent aussitôt Calla qui baissa son arbalète. Adressant un sourire à l'inconnue, elle répondit :

Je ne suis pas une voleuse, mais une voyageuse.

Son regard se posa sur les vêtements de la femme, son visage et en particulier ses oreilles légèrement pointues. Cela correspondait à la description que les étrangers de passage dans les îles Nordiques faisaient des elfes. Elle n'osa pas pas de questions, craignant que cela soit mal interprété.

Comme l'elfe semblait nerveuse et tenait toujours sa dague, Calla rangea son arme. Son cheval était à nouveau calme, ce qui indiquait qu'il n'y avait probablement personne d'autre caché dans les fourrés. De toute façon, en cas de problème elle pouvait compter sur Odin pour semer ses assaillants.

Est-ce que vous savez si Diantra est loin d'ici ? Ma carte n'est pas à jour je crois...

C'était un euphémisme. Sa carte était tellement lacunaire qu'elle indiquait seulement quelques villes importantes du Continent, quelques routes dont le tracé avait depuis longtemps été modifié, et ses îles natales n'y figuraient même pas. D'après ses propres calculs, Calla devait se trouver non loin de Diantra, mais l'absence de route compliquait les choses.

Calla descendit prudemment de cheval et tendit la carte à l'elfe. Réalisant qu'elle ne s'était toujours pas présentée, elle ajouta précipitamment qu'elle s'appelait Calla.

Le Duché de Langehack ? Près de Diantra ? Enfin une bonne nouvelle !

Calla replia sa carte désormais inutile, se promettant d'un acheter une nouvelle rapidement, tandis que Nandita se présentait. Une artisane ? Intéressant. Sans doute des instruments de musique ou des objets d'art.

Nandita lui expliqua ensuite que le chemin qu'elle suivait depuis deux jours deviendrait de plus en plus impraticable. Bien que petit, son cheval aurait bien du mal à suivre sa cavalière. Un nouveau détour supplémentaire s'imposait. Voila qui était ennuyeux, mais vu le temps qu'elle avait mis pour arriver jusque là, un jour de plus ou un jour de moins ne ferait pas de différence, si ce n'est que ses provisions commençaient à manquer.

Effectivement je pense qu'il vaut mieux trouver un autre chemin

Calla réfléchit ensuite à la proposition de Nandita. Elle était fatiguée, n'avait pas pris de bain depuis plusieurs jours et ses habits n'étaient plus très propres. Embarrassée, elle se résolu à se rendre dans ce petit village, au moins pour profiter d'une auberge.

Je vous suis, Nandita. Et si nous croisons des brigands, Odin est assez robuste pour nous porter les deux.

Calla fit faire demi-tour à son cheval et le trio prit la route du village.

Vous avez dit que vous étiez une artisane ? Quel genre d'objets travaillez-vous ? Des meubles ? Des instruments de musiques ?

Tout en marchant d'un bon pas (elle était impatiente de pouvoir se laver et manger dans une auberge), Calla écoutait avec intérêt. L'art l'intéressait beaucoup, mais elle n'était pas assez habile de ses mains. Bien sûr, elle pouvait tailler et graver, mais très grossièrement.

La création de médaillons l'intéressait tout particulièrement, car ils représentaient bien plus que de simples bijoux pour leur propriétaires. Transmis de génération en génération, ils étaient le symbole de la famille.

Calla n'avait qu'un seul bijou : un collier en perle ayant appartenu à sa mère. Il n'était pas tout à fait complet, car une partie avait servi à confectionner un bracelet que sa mère gardait toujours au poignet.

J'aimerais que vous me fassiez deux médaillons s'il vous plaît... si ça ne vous dérange pas bien sûr ! Deux médaillons qu'on puisse ouvrir pour y cacher une mèche de cheveux.

Calla fut très surprise de s'entendre dire ça. Elle, qui comptait faire adopter l'enfant qu'elle portait car elle craignait d'être rejetée par la communauté de ses îles natales ! Elle resta silencieuse plusieurs minutes, une main posée sur son ventre.

Je crois que c'est pour pouvoir le ou la retrouver un jour...

Ses yeux piquaient, mais elle respira profondément.

Ah ! Et combien coûteraient ces médaillons ?

Quelques pièces ? Calla se mordit la lèvre, pensive. C'était cher, mais si elle faisait une croix sur l'auberge, elle pourrait se le permettre... Elle soupira.

J'aimerais beaucoup faire graver ces médaillons, existe-t-il un bois moins cher ? Je sais que les bois de cerisier et de poirier sont aussi très élégants, de même que le bois de noyer. Quel bois ferait l'affaire pour un médaillon tout en étant meilleur marché ?

Elle était assez embarrassée de ne pas avoir assez d'argent, mais malheureusement elle n'avait pas eu l'occasion de trouver un emploi depuis son départ des îles Nordiques. Nandita lui demanda alors si Calla faisait faire ces bijoux pour un homme.

Non. Je... euh... je suis enceinte.

Elle désigna son ventre arrondi.

C'est pour mon futur enfant

Elles marchaient depuis maintenant une heure, quand le chemin commença à s'élargir.

Est-ce que nous arrivons ?

Nandita eut à peine le temps de répondre qu'un toit se dessina entre les arbres. Il ne leur restait que quelques centaines de mètres à parcourir avant d'atteindre les premières maisons du village. Cependant quelque chose d'anormal semblait se passer dans le village, car des voix furieuses se faisaient entendre. Depuis là où elles étaient, les voyageuses ne voyaient rien.

Calla échangea un regard avec Nandita, se demandant s'il était sûr de poursuivre leur route.

J'ai deux dagues et une arbalète. Nous ferions aussi peut être mieux de monter les deux sur Odin pour nous enfuir rapidement au cas où. Mais vous connaissez ce village mieux que moi, je vous laisse juger.