| | Aiguayer pour s'éveiller [ Pv Jalaad ] | |
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Lœthwil
Ancien
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| Sujet: Aiguayer pour s'éveiller [ Pv Jalaad ] Lun 7 Déc 2015 - 19:18 | |
| An 922 du Xe cycle seconde ennéade de Karfias Tu rêves de faire mentir les reflets qui flottent à la surface de l’onde. Tu voudrais qu’une fois seulement, ton élément de prédilection t’ait dupé, trahi, éloigné de la dure vérité. Mais il n’en serait rien. Les flots te seront fidèles à travers les plus doux sourires tant que dans les larmes les plus glacées. Tes yeux se perdent sur une image qu’ils font mine de ne pas reconnaître, tes paupières claquent, espérant vainement que tes cils effacent les lignes qui se traçaient devant ton visage incrédule. Tes pupilles blondes fuient le miroir que les perles tombées de la canopée entraînent dans une danse hypnotique. Tes propres bras viennent péniblement se saisir l’un de l’autre, tes mains trainent sur ta peau halée à découvert, perturbées par les stries qu’elles y retrouvent. Tes épaules viennent abriter ton visage dans un long soupir. Ton torse n’est plus aussi simplement enlacé qu’autrefois. Ce que tu te refuses à voir, tu ne peux plus le nier lorsque tu le ressens. Les prémices de la guerre t’ont changé Estiam. C’est un fait avec lequel tu devras vivre le reste de ton éternité. Sans forcément chercher à faire ombre à Narcisse, grand mystificateur est celui qui dit qu’il ne se soucie pas de sa figure. Tout être vivant aime charmer. Tout être vivant trouve plaisir à sa propre élégance. Mais la tienne était perdue. Que ce physique en attraie d’autre ne t’importait pas le moins du monde puisque c’est à toi-même que tu ne plaisais plus. Depuis bien longtemps tu ne t’étais plus vu qu’au travers des yeux des autres. La voie du guerrier ne laissait pas le temps à d’inutiles contemplations. Deux siècles que ton corps t’étais devenu étranger, et les retrouvailles n’en étaient que plus pénibles. Tu te connaissais souple et élancé, d’une finesse digne des canons de ton peuple. Tu te connaissais svelte mais fort, peint aux traits fins… La voie que tu as emprunté aura trop surligné tes contours à ta convenance. Ta musculature est aujourd’hui plus volumineuse, plus grossière. Le large tombé d’épaule qui soulignait ta taille étroite s’était retourné contre toi en servant d’accroche à la majeure partie de la masse que tu as accumulé. Encore loin des proportions hors normes des mastodontes Drows, tu as cependant l’impression de plus ressembler à un Homme qu’à un Elfe. D’autres sylvains partagent ta nouvelle carrure, et parmi eux rares sont ceux que tu as trouvé dépourvus d’attrait. Eux savaient porter ce physique, eux avaient grandi avec, eux avaient appris à l’assumer. Pour la première fois confronté à ta propre nudité depuis presque deux siècles, tu ne faisais que te le découvrir. Et plus douloureux encore était de voir l’utilité que tu avais à l’entretenir. Contrairement à ce que l’on raconte, la masse ne fait en aucun cas obstacle à ton agilité, t’autorisant même des cascades plus poussées encore, et la puissance acquise te profite tant dans les travaux physiques purs que dans l’éprouvant exercice de ton art. La voie de l’acceptation est à la fois la plus logique et la plus ardue à emprunter… donne le temps au temps, et pour l’instant… autorise toi à oublier. Tu plonges, te laisses glisser entre deux eaux, jusqu’à atteindre le centre du bassin et d’émerger à nouveau, tes jambes battantes maintenant ton torse au-dessus de la surface. Déployer des efforts pour apprendre à apprécier ce que la promesse de guerre d’a forcé à acquérir, trouver refuge dans ce que tu fais de mieux, entrer en communion avec ton élément premier. Les flots se lèvent et prennent consistance, sculptant deux corps à la figure humanoïde, l’une à ta gauche, l’autre à ta droite, flottant timidement dans les airs à quelques centimètres de la surface. Tes nymphes jumelles soudainement comme prises de vie, se lancent ensembles dans une complexe danse. D’un instant à l’autre passant de l’unisson à l’harmonie, elles guident de leur pas traits et éclats de glace en de surnaturelles figures, à l’esthétisme ésotérique. Dansant au rythme des chants de l’Anaëh, elles mettent en images la symphonie. L’eau symbole de la vie. L’eau ta première. À travers elle tu bercerais ta souffrance jusqu'à l'endormir. À travers l'eau tout n'était qu'immense plaisir. - Info inutile:
Parce que je suis quand même pas allé le balader tout nu à travers tout l'Anaëh, les vêtements d'Estiam sont quelque part sur une branche bordant le bassin.
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| | | Jalaad Sil'Avryn
Elfe
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| Sujet: Re: Aiguayer pour s'éveiller [ Pv Jalaad ] Lun 7 Déc 2015 - 22:57 | |
| Dans le repli des eaux profondes, dans le chant et la sylve, un instant suspendu. Le lac avait été silencieux, la forêt avait chuchoté comme toujours ses douces et sombres mélodies, et Jalaad avait veillé, perchée dans son habit d’oiseau sur une branche basse qui égouttait sa rosée sur la surface de l’onde obscure. La lumière comme toujours était rare et la lumière n’en était que plus belle, plus subtile, plus tamisée, comme sublimée et distillée par sa traversée des feuillages épais pour n’arriver au sol que sous la forme d’une essence plus pure et plus douce que toute chose. Les rayons tombaient, poudreux, presque tangibles, comme des averses d’or suave.
Quelque chose vint. Quelqu’un. Jalaad l’avait senti avant de l’entendre, comme souvent quand elle veillait, ouverte à toutes les subtilités de la Symphonie et des murmures de la forêt. Elle ouvrit lentement ses yeux de corbeau pour observer celui qui s’en venait, et ce fut comme une clarté fugitive dans l’ombre des bois. Là, dans cette pénombre si feutrée, il se dessinait comme tout fait d’ambre, de cuivre, de la lumière jaune d’un soleil occulté derrière une étoffe couleur de rose. Jalaad ne dit rien, Jalaad ne bougea pas, elle se contenta d’observer, de regarder cette lueur faite elfe se pencher sur le miroir des eaux. La chose était belle, en vérité, et il eut fallu pire qu’un cœur de pierre pour ne pas voir l’étrangeté de cette apparition qui se glissait hors du couvert des arbres pour s’attarder sur la rive.
Les instants filèrent, fugaces, intangibles. On eut retenu son souffle devant cette apparition et le tableau que cela faisait, et ses actions n’avaient presque aucune importance, car tout simplement, il se contentait d’être, au bon moment, au bon endroit, glissant maintenant dans les replis de l’onde comme un éclat de lumière enchâssé dans un cristal brouillé.
De loin, Jalaad pouvait suivre du regard cette fleur de chair à fleur d’eau, qui s’en allait dans une circonvolution vague au gré des courants indistincts.
Cela était beau, oui, peut être à même d’adoucir l’humeur de l’obscure druidesse qui, dans un envol silencieux, vint se poser sur la grève. Sa haute silhouette s’éleva, toujours muette, toujours sans bruit. Un long déploiement de drapés et de plumes noires se laissa entrevoir près des arbres, là où les flots légers du lac venaient mourir sur les pierres. Pas un mot. Jalaad ignorait tout des tourmentes de l’esprit de ce frère de lumière qui lui faisait tant contraste et, tandis qu’elle laissait son manteau sur le bord, elle s’avançait lentement, comme une reine, pour aller à son tour vers l’eau glacée. Peu à peu les étoffes et les épingles se défirent et refluèrent, tombant en lourds replis pour ne laisser comme vêtement que la mante brouillée de sa chevelure.
Et là, dans le ventre du lac silencieux, dans les remous et les ondes qui troublaient le miroir, elle s’avança, lentement, glissant comme un serpent chair blême et de crin sombre. Qui pouvait savoir ce qui poussait la solitaire à hanter ainsi la compagnie d’un autre ? Peut-être la fascination. Il était tant son contraire, tant son opposé, qu’elle avait comme une curiosité sans âme qui l’emmenait vers lui : c’est ainsi parfois que l’on se frotte à ce que l’on ne peut comprendre, que l’on regarde et que l’on touche simplement pour s’assurer que cela est réel. Peut-être était-ce aussi pour mieux voir, mieux connaître à quel point ils pouvaient être dissemblables.
L’obscure entrait dans la vision, et alors, ce furent la lumière et les ténèbres qui se firent face. Lui, tissé de soie d’or, la peau toute pleine d’un éclat de cuivre incarnat, si plein d’une clarté qui ne semblait pas appartenir à la pleine pénombre subtile de ces bois. Elle, comme pure émanation de la rudesse des lointains frimas, infiniment plus âpre, infiniment plus sauvage, sculptée comme dans le bois blanc dont on fait les idoles, drapée de cette coiffe de cheveux broussailleux chargés de colifichets occultes. La Symphonie était peut-être la seule chose qui réunissait deux êtres aussi dissemblables. La Symphonie, oui, et le sang, peut-être, car qui d’autre qu’un des Éternels pouvait de la sorte se risquer dans le sein d’Anaëh ?
Elle ne dit rien. Ses yeux d’orage s’ouvraient grand dans son visage sévère, dévorants comme des gouffres qui cherchaient la réponse sans avoir même connu la question. Elle semblait flotter sans effort, alors qu’elle gardait les épaules hors de l’eau. L’un et l’autre, frappés au sceau de l’irréalité, comme façonnés de substances opposées. Que dire, de toute manière ? Que peuvent dirent les ténèbres à la lumière ? |
| | | Lœthwil
Ancien
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| Sujet: Re: Aiguayer pour s'éveiller [ Pv Jalaad ] Mar 8 Déc 2015 - 3:16 | |
| Il pleut des flocons dans la chaleur d’hiver. Tes enfants nés de l’éther prennent joie dans leur vie factice, à osciller entre l’air et le sein de leur mère. La grêle vient mourir dans une eau trop froide déjà pour s’en soucier. Les flux sifflent à ton pavillon un murmure que tu es le seul à entendre, une mélodie assez effrénée pour te distraire de tes tourments nouveaux. Lorsque l’art est à l’œuvre dans sa plus primale essence, le monde physique qu’il influe perd lentement de son sens, et alors ne comptent plus à l’oreille de qui en joue que les ressentis insufflés par les Arias des Dieux. Il n’est point de plus belle complainte devant l’esprit du mage Sylvain que celle que Liltalaima dédie à Elenmàr. Dans un rituel fruit de l’Union des puissants Ëalas, l’elfe dessine de cristal gelé la note climatique avant d’entamer une lente glissée vers le point d’orgue.
Les cristaux se brisent en un million d’étoiles, plongeant avec tes enfants derrière l’horizon aqueux. Tu suis en silence leur ombre à travers les profondeurs, laisses chuter dans les abysses la masse dont tu es si peu fier. Ainsi s’achève le spectacle qui t’autorisa à tomber dans l’oubli. Ainsi s’ouvre le destin vers l’âme d’une sœur dont tu sembles à peine partager le sang.
De l’œil innocent au plumage d’ébène s’élevait un manteau de ténèbres que la rive n’aura pas tardé à faire sien. Libérée de son voile d’obscurité s’avance une druidesse toujours empreinte d’une sombre aura. Elle glisse à travers les flots n’en ridant qu’à peine la surface, créature d’un autre monde à la recherche de réponses. Depuis ton abri des profondeurs tu défies les courants d’un regard inquisiteur. L’œil perçant du peuple sylvain est bien inutile une fois son cristallin noyé. Trompé par un milieu à la réflexion si particulière, le plus précis des oculaires terrestres ne peut que s’agenouiller.
Appelé par une dévorante appétence, tu rejoins à nouveau la surface, à temps pour intercepter la course des ombres. La voilà donc face à toi, ton antithèse. Celle que la différence seule attirerait vers toi. N’y a-t-il pas rien de plus naturel pour une Sélénite que de chercher à refléter les rayons d’un enfant d’Helios. N’est-ce pas le propre de la lumière que de chercher une ombre dans laquelle se perdre ? Tu laisses ton regard solaire se perdre dans l’abîme sans fond des pupilles de la druidesse, autorise entre vous un silence lourd d’interrogations partagées. Ton éternel rictus infantile vient s’opposer à la sévérité de son faciès et alors tu cherches. Tu cherches sans les trouver les mots qu’elle attend de te t’ouïr prononcer.
À la fois trop et pas assez. Vous aviez du haut de vos longues années d’existence maintes histoires à vous conter, mais le récit d’une vie de plus n’était pas ce que vous cherchiez. Il y avait quelque chose de plus profond dans l’attirance de deux êtres opposés. Il y avait cet unique lien qui transcendait vos disparités. Une sensibilité commune, plus aigüe encore que votre attrait pour les arcanes, plus pointue que votre oreille Symphonique.
Elle comme toi, pour différentes raisons, avez étés attirés à Maliën. L’élément du changement fut à tous les deux votre premier amant. L’une de tes mains vient rompre la surface, abritant en son creux l’image de perles d’eau formée de l’Inconstante grenouille. C’est dans le mutisme que certains messages prennent tout leur sens.
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| | | Jalaad Sil'Avryn
Elfe
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| Sujet: Re: Aiguayer pour s'éveiller [ Pv Jalaad ] Sam 12 Déc 2015 - 12:26 | |
| Et maintenant, quoi ? Quelle était le but, quel était le projet ?
Parvenue toute proche de cet opposé qui la fascinait tant, Jalaad sentit poindre un doute qui ne transparut aucunement sur son visage de marbre. Mais il n'était pas dans sa nature de reculer, quand les choses étaient commencées. Et maintenant qu'elle avait rompu son isolement, outrepassé de son propre chef l'infranchissable barrière qui la séparait du monde, elle ne pouvait plus se dérober. Le voulait-elle, en vérité ? La fascination se nourrissait de tant de choses : le moment, le lieu, l'instant. Il était entré dans son champ de vision à la seconde adéquate pour parfaire le tableau de ce lac tout cerné de bois enténébrés, et de par sa nature, il était le contrepoint parfait à l'obscurité dont elle-même se nourrissait et à l'atmosphère vespérale des bois tout autour. Le bon moment, au bon endroit. Qui il était, ce qu'il était n'avait pas d'importance.
Ses yeux sombres se faisaient dévorants.
Comme toujours lorsqu'on est face à la différence, les questions se posent. Est-il fait de la même substance ? Quelle est la couleur du sang qui file dans ses veines, et la chair serait-elle brûlée de son toucher solaire ? Quel est l'os, quel est le souffle ? Et l'on regarde, et l'on touche, et l'on goûte, parce que parfois il y a tant de dissemblances que l'on doute faire partie de la même lignée.
Pourtant il était frère, cet être qui lui faisait pendant en toutes choses. Pourtant il avait dans le regard cet éclat qui disait l'âge, l'errance, le savoir. Mais le doute était trop fort et de la main qu'il tendit, elle en effleura l'extrémité, dépliant des doigts noirs comme des serres, hors des remous. Même là, dans cet infime détail, la différence fracturait le réel. Des mains de guerrier, à peine usées cependant, longues, effilées et gracieuses, une, tendue en coupe où reposait un fragment de ciel qui se reflétait dans l'eau. Et puis la griffe, les ongles rompus, encrassés de terre, d'ocre, de sève et des encres dont elle se marquait la peau, toute balafrée, scarifiée, tatouée de motifs et des marques laissées par la sylve et les stigmates de la vie. Il n'y avait donc rien de semblable en eux ? Tout les séparait, et alors, Jalaad eut comme un rire, non pas le véritable son qui exprime la joie ou l'amusement, rien qu'un croassement de corneille qui éclata brièvement comme un feu noir dans le ventre des bois.
Un écho, bref, lui fut rendu. La parole était rare, malaisée, inutile. Elle n'aurait su quoi dire, même si elle l'avait voulu, et même son rire ne faisait pas voix humaine, rien qu'un son d'animal sauvage.
Dans ses yeux, dans le sourire à peine esquissé qui lui fendait les lèvres comme un couteau, c'était cela : le coeur sombre, noir, âpre et glacé de la forêt. Une antique déesse des pierres, des arbres, des racines, qui se mouvait dans son élément avec une facilité déconcertante. Il y avait en lui plus de lumière, plus de soleil, plus de chaleur qu'elle n'en verrait jamais.
Ses doigts se refermèrent, crochus, rêches comme une vieille corde, sur les siens. En éprouver la chaleur, la texture, la réalité ou l'irréalité. C'était idiot, bien sûr qu'il était, aussi réel que tout ce qui les entourait, mais il y avait encore un peu d'elle-même pour douter, et pour se demander quelle était la couleur de son sang. Sa poigne était forte, brutale sans volonté de nuire. Il y avait dans les yeux de la druidesse une cruauté innocente, comme si à force d'avoir trop couru la sylve, elle avait peu à peu perdu son humanité. |
| | | Lœthwil
Ancien
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| Sujet: Re: Aiguayer pour s'éveiller [ Pv Jalaad ] Sam 12 Déc 2015 - 21:31 | |
| Le fantôme de ces bois se prouve être de chair. Des doigts de suie viennent timidement effleurer les tiens, soucieux de ne pas tâcher ta peau d’or immaculée. Ta froide compagnie des plumes d’artistes encrées que sont ses ongles t’initie à sa couleur. Elle n’est pas que de noir et de blanc la druidesse. Elle est aussi de vert de rouge et de brun. Elle est de la teinte qu’elle a elle-même choisi de s’appliquer. Rampant en dehors de l’abîme de ses yeux, ton regard n’émerge que pour mieux retomber sur l’évidence que tu n’as pas su voir. La couleur est présente sur l’entièreté de son corps. L’eau lui arrache lentement de ses gravures, perdant de sa transparence alors qu’elle pare ses cristaux de bijoux qui ne lui appartiennent pas. Tes yeux glissent furtivement d’un trait à l’autre, suivant tour à tour les anguleuses signatures et les menues courbes d’un corps dont seul un elfe peut apprécier la beauté à sa juste valeur.
Ta main s’enroule délicatement autour de la sienne et ta peau vient doucement lécher son épiderme. Tant de choses marquent les pores de la créature des forêts. Il y a l’encre dont elle s’est peinte, il y a la terre avec laquelle elle communie, il y a l’écorce des arbres dans lesquels elle évolue, il y a la sève qui s’y est accrochée, et il y a l’ambre. L’ambre doré. Larmes de soleil que tu n’auras pas pleuré.
La Symphonie. L’eau. Le sang. L’ambre. Autant de liens à travers votre différence, chacun ayant sa propre puissance. Autant de liens que vous ne pouvez que plus appréciez à travers votre actuelle vulnérabilité. Parce que vous étiez nus. Et à travers sa nudité tu voyais une beauté primale, un esthétisme sauvage, à l’image de ta magie. Elle possédait une finesse comme seule sait en sculpter la nature, ça et là creusée de discrètes fractures, à l’image des joyaux bruts juste sortis de leurs fourreaux… Vous êtes nus… Tous les deux. Alors elle aussi t’a vu.
Aveuglé par ta propre fascination tant que par celle que ses yeux semblaient retranscrire, tu as oublié la honte, et elle revenait maintenant te prendre à la gorge. Nulle question de pudeur dans tes gestes, c’est le miroir de ses pupilles que tu cherches à fuir. Elle t’a vu, elle a tout vu de ce corps qui n’est pas le tien, et que tu portes aujourd’hui puisqu’il est ton arme. Elle a vu ce que toi-même ne voulait pas voir… et pourtant elle ne semblait pas repoussée… mais quelle importance ? La honte fait perdre à l’homme tout semblant de logique.
Ta main s’échappe et ton corps entier la suit dans son escapade. Tu regagnes ton abri auprès de ta première, dissimulant la source de ta malsaine modestie dans la noirceur de l’onde. Enfermé dans un monde où l’on ne respire pas, l’anoxie n’est tristement pas ce qui t’étrangle le plus violemment. Des siècles déjà depuis la dernière qui t’ait trouvé d’un quelconque attrait, de trop nombreuses saisons depuis la dernière fois que ce monde te surprenait, et la honte aujourd’hui te privait d’apprécier ce moment de communion avec une sœur qui dans son mutisme avait pourtant tant à dire.
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| | | Jalaad Sil'Avryn
Elfe
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| Sujet: Re: Aiguayer pour s'éveiller [ Pv Jalaad ] Dim 13 Déc 2015 - 18:02 | |
| Comme au premier jour, comme le premier homme découvrant la première femme, le monde semblait suspendre un instant son souffle alors que les deux elfes se faisaient face. En un autre temps, en un autre lieu, peut-être que tout aurait été différent, peut-être même n'auraient-ils pas prêté la moindre attention à ce reflet contraire qui était à la fois jumeau, et incroyablement dissemblant ; mais l'heure était telle, et le moment aussi, qu'ils n'auraient pu faire autrement qu'infléchir les voies parallèles de leurs existences pour les amener à se croiser. Jalaad n'y voyait pas l'oeuvre du hasard. C'était une volonté, quelque chose, qui avait mis cet être solaire sur sa route ; le caprice de la Dame des eaux, peut-être, car qui peut prétendre deviner les desseins de celle qui avait toujours présidé à sa destinée?
C'était sur la rive de ses flots courants qu'elle avait croisé la route de son maître, et dans son miroir translucide qu'elle avait vu apparaître cet étranger : non, cela n'était pas le hasard, cela n'était pas anodin, et son regard le scrutait, comme si elle tentait de découvrir dans les traits nobles du guerrier la réponse à l'énigme qui se posait. Pourquoi ? Quel était le but, quel était l'objet ? Quel rôle étaient-ils amenés à jouer ?
Toute à ses réflexions, la druidesse le vit soudain se dérober, après avoir à son tour franchi la limite, effleuré le frisson de l'altérité. Elle ne comprit pas, parce qu'à cet esprit sauvage la pudeur n'était qu'une vague notion, parce qu'il n'y avait rien d'obscène à ce qu'ils étaient. Qui s'encombre du fardeau de l'étoffe quand on peut se vêtir d'eau, de lumière ou d'ombres ? Et nue, l'était-elle vraiment, toute peinte qu'elle était, couverte, recouverte, inlassablement dessinée de ces motifs sans nombre qui se superposaient sur sa peau claire et qu'elle refaisait patiemment toutes les nuits ?
Il fuyait, mais la curiosité était trop forte.
A son tour, sa tête creva la surface, et elle plongea, juste pour voir, juste pour savoir. Sa vue brouillée par l'eau saumâtre que transperçaient quelques rais de lumière vit encore sa silhouette, dansante dans la nage éperdue, un lai de chair cuivrée serti dans le cristal trouble des profondeurs. Comme un grain d'or dans un cristal brut, il gardait encore sa grâce, et elle sourit, du silence plein la bouche.
D'un grand battement de ses bras robustes, elle s'enfonça plus encore vers les tréfonds, le geste ample et sûr comme un grand oiseau noir qui se fait sirène. Sa peau, d'ivoire blême là où l'encre ne se dévalait point, se dévoilait et se dissimulait tour à tour dans les remous de la chevelure mouvante comme un banc d'algues noires. Elle était dans son élément. Tapie, là, dans l'ombre liquide, elle louvoya vers lui, restant à distance prudente, guettant le mouvement, la réaction, la réponse.
Elle essayait de comprendre, rien de plus, mais tant de choses restaient hors d'atteinte de son esprit... Oui, peut-être était-ce cela : ceux qui se disaient plus civilisés que les Noss sauvages professaient d'étranges principes, et peut-être avaient-ils tant copié les moeurs des humains qu'ils prétendaient comme eux que la nudité était honteuse. Mais qu'avait-on à cacher, réellement ? Rien que des broutilles, après tout. Peut-être avait-il honte, comme eux. La Nature sait, la Nature voit, et dans les ondoyants domaines de la gardienne des eaux, rien ne pouvait demeurer dissimulé, tout finissait un jour par être dévoilé.
Finalement, rappelée à l'air libre par la brûlure de ses poumons, Jalaad ressortit la tête de l'eau, et elle parut réfléchir, tandis qu'elle ressassait un unique mot, le seul qui put avoir un sens, pour l'heure, assez digne d'être prononcé par elle. On ne rompait pas si facilement son mutisme, et la parole était rare, et d'autant plus précieuse chez cet oiseau de nuit.
"Pourquoi."
Elle ne dit rien, toutefois, retardant l'heure où il faudrait peut-être outrepasser le silence. |
| | | Lœthwil
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| Sujet: Re: Aiguayer pour s'éveiller [ Pv Jalaad ] Lun 14 Déc 2015 - 0:18 | |
| L’élan dans lequel s’emporte le muscle de vie ne semble pas t’affecter. La lumière qu’émet ton cœur préfère vaciller plutôt que de consumer ses dernières flammes pour appeler à l’aide. Benthique immobile, tu semblerais mort à qui ne sait pas déceler la vie, et pour cause, ton corps montre tous les signes du déclin. Loin de l’air qui t’es vital, ton sang dépérissant a freiné sa circulation, chacun de tes muscles mesure ses élans. Tu dors réveillé pour te préserver, c’est ainsi, dans cette falsification de léthargie que tu es le plus à l’aise, lorsque tu quittes ton géniteur pour ta première. Elle ne comprend pas, alors elle observe. La Nymphe d’une sombre pâleur vient illuminer ton abri de noirceur, et à nouveau vous vous retrouvez face à face. Son sourire se moque d’une apparente pudeur, et ses yeux questionnent le pourquoi d’une soudaine fuite. Dans ton mutisme infantile tu la laisse libre de ses hypothèses, que ta haute taille et ta brillante blondeur prendraient plaisir à nourrir. Ces attributs des villes, dévoilant le goût de ton sang, à eux seuls lui dévoilent une part de ton éducation. Et le doute alors plane dans son esprit. Les Taedhels seraient-ils si pervertis ? Se seraient-ils séparés de la nature au point d’avoir honte de la leur ? L’elfe a-t-il là-bas mimé l’homme au point de perdre de sa grandeur ? De ta propre nudité as-tu eu peur ?
Qu’elle l’assume, elle n’aurait point entièrement tort. Ta nudité est source de honte et de bien des choses encore, mais ce n’est point simplement dévoilé qui pique ton ego. C’est la sensation d’être difforme qui est aujourd’hui ton fardeau.
Une bulle… deux bulles, la Nymphe perd lentement pied, tandis que d’une main d’expert tu t’accroches à ta propre vie. Tu marches sur un fil, au milieu des courants, sachant pertinemment que le prix est bien trop grand. Quelques minutes seulement tu arrives à te contenir avant de t’élancer à la recherche de vie. Une grande inspiration soulage tes poumons brûlants, mais ce sont tes yeux maintenant le siège des flammes. Mille questions en une qu’elle pose dans son silence, aspirant tes aveux d’un regard déconcertant. Tu glisses une dernière fois à travers les flots, pour venir cueillir la rive plutôt que les fonds. Tu t’extirpes de ton abri, prêt à faire face à la douleur, et c’est pied à terre, accroupi vers ton reflet que tu brises enfin le mythe.
Ta voix s’élève, d’un chaleureux médium, tiré vers les aigus par une gorge tendue.
- J’ai du mal… beaucoup de mal dans ce corps que je ne reconnais pas. Ça peut paraître imbécile de tant se soucier de son apparence… mais se voir différent lorsque l’on ne s’est pas vu évoluer. C’est une révélation parfois difficile à accepter.
Tu souris, à la fois conscient et honteux de ta propre stupidité, et pourtant tu ne saurais déjà la corriger.
- La guerre m’a forcé à troquer mon élégance pour plus de puissance, et alors que ma conscience me hurle que je gagne au change, je ne peux pas m’empêcher d’en être triste.
Qui peut te reprocher ta tristesse après tout. L’image est une partie de soi que l’on apprend à ne plus voir changer. Après presque sept siècles de constance, il est normal que tu sois effrayé par la différence.
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| | | Jalaad Sil'Avryn
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| Sujet: Re: Aiguayer pour s'éveiller [ Pv Jalaad ] Mer 23 Déc 2015 - 16:41 | |
| Les voies de Meliën étaient bien étranges, parfois, se disait Jalaad en dérivant à son tour vers la grève où l’étranger s’était élancé pour s’extraire de l’écrin des ondes. On ne pouvait vraiment déceler les desseins capricieux du destin, et plus encore quand la capricieuse dame des eaux venait en brouiller les écheveaux. Il y avait forcément un sens à tout cela, il y avait forcément une signification, une volonté à l’œuvre. Qui était-elle pour s’y soustraire ? Comme le nageur dans le courant, il fallait se mêler aux circonvolutions, trouver la bonne place, et se laisser porter, glisser dans le monde comme on louvoie dans les ondes, parce que la toute-puissante mère des ruisseaux et des mers sait tout, à la toute fin. Rien ne demeure dissimulé à ceux qui prêtent l’oreille aux voix mêlées des eaux du ciel et de la terre, mais pour l’heure, Jalaad ne savait discerner le dessin final de tout cela, sans doute parce qu’on ne distingue un motif qu’une fois éloigné de lui, et qu’on ne peut vraiment voir les figures dont on fait partie.
Sans pudeur aucune, Jalaad sortit du lac à son tour, d’un pas lent et assuré qui ne se soucie qu’à peine des rocailles sous ses pieds nus. Elle se dévoilait plus encore à présent, juste vêtue de la mante trempée de ses cheveux, de ces tresses lourdes de crins emmêlés qui collaient comme des algues d’encre à sa peau toute couverte de signes et de symboles à demi passés, et d’autres tatouages qui n’avaient rien perdu de leur vivacité première.
Attentive et silencieuse, elle s’assit sur une des pierres plates qui jonchaient la rive, accroupie et les genoux ramenés contre sa poitrine, non pas dans un élan de pudeur quelconque, mais parce que c’était toujours ainsi qu’elle était.
La voix vint, bien vite, et avec elle la réponse. Elle inclina la tête sur le côté, les yeux brillants qui trahissaient une curiosité que ne laissait aucunement entrevoir son visage sévère et impassible. Il ne voyait rien, lui, captivé par son propre reflet qui battait la grève, enfermé dans une confrontation avec lui-même. Le dos s’était courbé, la nuque fière s’était inclinée, c’était presque une défaite de le voir déjà revenir à son image et ployer devant elle pour affronter son propre regard que les eaux troubles lui renvoyaient.
Jalaad ferma les yeux à demi, laissant ses paupières lourdes voiler un peu l’abîme de ses pupilles, tandis qu’elle réfléchissait tout en même temps qu’elle écoutait, parce qu’il y avait beaucoup, beaucoup de choses, là ; elle se savait incapable de tout saisir, de tout comprendre, mais peut-être était-ce la volonté de Meliën quand elle avait entrecroisé les routes de deux êtres aussi dissemblables : apporter une réponse, un regard, la parole de l’opposé qui vient apporter une lumière bien différente sur les choses.
— Ce n’était pas à mes yeux que tu te cachais, alors, répondit enfin Jalaad après un long silence empli de réflexions.
Elle était pensive, et sa voix grave, rauque comme un rouage qui n’a pas servi depuis fort longtemps, s’élevait tout doucement dans le bruissement de la forêt. Elle parlait toujours comme si elle faisait en sorte de mêler le son de ses mots à l’harmonie des bois, à ne rien rompre, ne rien déranger.
— Je ne puis comprendre, je crois, reprit-elle. Je n’ai point vécu cela, et ne me soucierais point de grâce si j’avais la force en échange. Que te sert d’avoir la beauté, quand tu as la puissance ?
Jalaad haussa les épaules, et étendit devant elle ses bras couturés de tatouages et de cicatrices, ses doigts noirs d’encre et de terre aux ongles ébréchés, et se leva dans un mouvement vif et fluide comme l’envol d’un rapace.
— Néanmoins, j’en saisis assez pour voir que tu parles comme si ton corps n’était plus le tien. Tu ne le reconnais plus, n’est-ce pas ?
Elle fit une pause, et il y eut comme un sourire, fugace et très bref. Une lueur dansait à présent dans ses yeux.
— Mais pourquoi ne pas te battre, frère ? Pourquoi ne pas reprendre ce qui est tien ?
C’était évident, mais elle voulait savoir : pourquoi semblait-il si résigné ? Il y avait la tristesse et la souffrance dans sa voix, mais elle ne voyait nulle part le signe d’une rébellion, d’un feu, d’un combat. Qu’était-il donc, ce fils d’Anaëh, pour avoir déjà rendu les armes ? |
| | | Lœthwil
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| Sujet: Re: Aiguayer pour s'éveiller [ Pv Jalaad ] Mer 23 Déc 2015 - 19:14 | |
| Suivi de la ténébreuse nymphe comme la lumière est toujours escortée de l’ombre, à l’image de la nature dans son jeu de rayons, tu trouves une certaine eurythmie en la présence de Jalaad. Sans même poser tes pupilles sur la druidesse, immergé dans ta propre image, tu ne peux qu’apprécier l’attention qu’elle porte à ton tracas. Tu t’es saisi d’un être que seules les perles d’eau ont su attacher, tu as obtenu les faveurs de celle que les futiles préoccupations des êtres de chair ne sauraient toucher. De l’elfe des profondeurs tu as réussi à arracher des mots. Une voix dont les graves lourds venaient peser sur ton timbre léger. Une rauque féminité exhaussant les accents chaleureux de ta masculinité. C’est en te prouvant que vos voix mêmes se déchiraient qu’elle réussit à te sauver de la noyade. Fondue à l’extrême dans les paroles des bois, les mots de la Dame ne sont que plus sonores. Et autant qu’ils sont lourds de puissance, ils le sont de signification. C’est l’évidence même qu’elle vient te porter, ce sont des questions que tu t’es déjà infligé avec lesquelles elle vient te frapper, et parce qu’ils viennent d’elle, tu ne peux plus présentement y échapper. En répondant à celle qui t’est opposée, c’est au final à toi-même que tu vas parler. À travers elle le destin t’aura forcé à accepter ce futur vers lequel tu t’es tourné.
- La puissance ne sert que lorsque l’affrontement s’annonce, le corps qui m’appartenait, c’est à chaque seconde qu’il m’accompagnait.
Mais quand les temps qui courent ne sont que sang, mort et batailles, tout est bon à donner pour obtenir la puissance, car puissance est nécessaire à conserver la vie. Ta vie et celle de la Prime Forêt entière, dépend de la puissance que ses gardiens sauront déployer. Et pour cela tu ne regrettes pas ton choix. Voilà la raison de ton apathie, voilà la source-même de ton trouble, les sentiments contradictoires que t’infligent cet apparat. Voilà pourquoi tu ne te bats pas. Tu te lèves de toute ta hauteur d’un geste soudain, poings serrés et muscles crispés. C’est dans l’émotion provoquée par ce corps trop musculeux, que ta stature en dévoilait le mieux tous les nœuds. Tes muscles se gonflent, se soulèvent sous l’effort surhumain déployé pour libérer les quelques mots que tu ne t’autorisais pas jusqu’ici à prononcer.
- Je n’ai pas envie de me battre pour me retrouver… parce que ce corps au cours des années, j’ai appris à l’aimer. La force, l’aisance qu’il m’a apporté… c’est le résultat d’un effort de deux siècles. J’en ai aimé la sensation sans en connaître l’image, et maintenant qu’elle m’est dévoilée, je me retrouve à vouloir jeter ce que j’ai mis tant d’efforts à obtenir, sachant pertinemment à quel point j’en ai besoin.
Autant que ton corps, c’est ta propre psychée qui t’a révulsé. Tu t’es retrouvé à nouveau face aux déboires de ton adolescence, à nouveau à devoir supporter trop de changements bien trop vite.
- En vérité… je suis perdu… encore une fois. Une fois de trop.
Et tu te rassieds, pour respirer. Pour déglutir, et ravaler des paroles que tu devais assimiler.
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| | | Jalaad Sil'Avryn
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| Sujet: Re: Aiguayer pour s'éveiller [ Pv Jalaad ] Mer 23 Déc 2015 - 19:58 | |
| Il s’était levé en tempête, immense, royal comme un grand cerf couronné de ses bois, empli de cette vigueur qu’a l’été à son mitan quand il brûle de ses feux et de ses brasiers dans l’efflorescence des bois. Plus que jamais son contraire, à elle, l’obscure, toute faite de mutisme de gelé et d’eaux immobiles, un peu comme un dieu de l’été face à la dame de l’hiver.
Elle lui fit face, debout à son tour, nonchalante dans sa sévérité de pâle mère des ombres et des frimas, nullement surprise, nullement inquiétée dans sa sérénité sauvage. À nouveau, sa tête s’inclina en biais, laissant tomber lourdement quelques mèches de cheveux noirs, et elle lui jeta à la figure la grimace d’un sourire dur.
— À t’entendre, tu es tout proche du but, en vérité.
Ses paupières s’abaissèrent légèrement, marquant une infime hésitation. Jalaad n’avait pas la pitié suave, l’art d’enjoliver les choses : ce qui devait être dit serait dit, quoi qu’il en coûte.
— Tu sais quelle puissance, quelle force tu as. Tu es un guerrier, je le vois bien ; tu t’es forgé pendant deux cents ans, et te voilà à pleurer ta beauté de jadis ? Ta jeunesse qui s’est enfuie ? Mais dis-moi, à quoi te servait-elle ?
Sa voix était âpre, sans concessions. Elle ne cillait pas et le fixait avec la même rigueur qu’une mère qui fustige les errements de son enfant. Dans son monde il n’y avait pas de place pour les futilités dont il paraissait s’encombrer, et elle ne pouvait pas même imaginer ce que ce pouvait être que de prêter autant d’attention à une chose secondaire comme l’apparence. Il y avait tant à faire ! Il était soldat, il avait entre les mains la sauvegarder de la Prime Forêt, et voilà qu’il se lamentait auprès de son reflet ? Ce fut presque de la colère qui fit flamber ses yeux sombres alors qu’elle le contemplait, sans comprendre.
Elle vint près de lui, et s’assit à son tour pour effleurer son visage du bout de ses doigts rêches.
— Si tu es perdu, frère, je peux t’aider à retrouver la route.
Pas de tendresse, non ; elle était dure comme le roc, âpre et sombre comme les nuits d’hiver quand la bise siffle dans les cimes. Une solution, dans un sens. Un chemin qui s’ouvrait vers quelque chose. Rien en elle ne s’excusait de la rigueur et du reste : elle était ainsi, et il y avait chez elle un mélange de grâce confondante et de brutalité primale, de celle qui anime les bêtes sauvages.
— Si tu veux de ma sagesse, je te la donnerai. Mais c’est toi, frère, c’est toi qui dois sortir de cette impasse. Tu te complais dans ta peine, cela n’est pas bon, cela n’est pas digne de toi, fils d’Anaëh. La forêt mérite mieux.
D’un geste vif, elle appuya deux de ses doigts joints sur le front du guerrier pour y imprimer une poussée aussi soudaine que forte. D’ici, il pouvait sans doute mieux la distinguer sous ses peintures et ses tatouages, elle, et sa stature bien charpentée par une musculature assez développée, sèche et contournée comme un olivier battu par les vents. Elle, elle n’avait pas vu son corps changer, elle l’habitait tout entier, l’ornait et le forgeait chaque jour comme un sculpteur qui fait émerger du marbre une figure chaque jour plus pure. Elle était de la même substance que le reste de sa forêt, elle était, pleinement, plus vivement que tout autre, consciente d’elle-même de la pointe des orteils jusqu’au sommet de son crâne échevelé.
— C’est là que tout se joue. Je ne peux que te donner l’étincelle.
En fait d’étincelle, c’était un brasier, et il était dans les yeux de la druidesse qui le contemplait, penchée vers lui, avec une indignation palpable devant ce qu’elle voyait à présent comme un affront honteux à tout ce qu’il était, ce guerrier tout fait de soleil. |
| | | Lœthwil
Ancien
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| Sujet: Re: Aiguayer pour s'éveiller [ Pv Jalaad ] Mer 23 Déc 2015 - 21:48 | |
| Que le jour s’endorme et c’est la nuit qui se lèvera. Dans les ténèbres nocturnes naissent les plus terribles des tempêtes, et au fort de la Lune se soulèvent les marées. Et L’agacement vient ajouter une nouvelle couleur aux dessins brisant la pâleur de la peau de la Dame. Durant son règne Sélène ne peut dissimuler ses colères, mais tu ne peux t’en plaindre lorsque ce sont tes prières la source de son irritation. Tu as demandé conseil au cours de ta complainte, et elle ne faisait que répondre en grinçant des dents en vengeance à un questionnement qui lui a vrillé l’oreille. Elle te crie sans même hausser le ton ta vérité, elle emprunte de tes propres mots pour te rappeler à l’ordre. Elle ne comprend pas l’obsession entretenue par les gens de ce monde pour une beauté toute subjective. L’image si elle n’a pas de signification n’est qu’encombrement. Le reflet d’un miroir ne vaut pas tant de lamentations. On n’attend pas de celui dont les mains battent le fer que ses doigts soient préservés de la corne. On n’attend pas de celui qui fouille la terre que sa peau soit préservée des tâches. On n’espère pas du guerrier que son corps exprime la moindre fragilité. Soit fier de ta force plutôt que nostalgique de ta finesse, voit le futur plutôt que de t’accrocher au passé. Qui es-tu pour ainsi te laisser briser par une image, toi qui as vu tant d’hommes et de femmes venus d’horizons différents. Enfant de la Lin’Serindë, adopté des araignées, la beauté t’as été servie sous tant de déclinaisons qu’il est impensable que tu ne saches pas la trouver dans une apparence que beaucoup t’auraient envié. Nombreux sont ceux que tu as toi-même admirés alors que leur physique s’éloignait bien plus de tes idéaux. Tu as trop vécu pour t’attarder sur un reflet, tu as trop vu pour que l’œil vienne te déranger. Tu es trop âgé pour te laisser raisonner par une druidesse ayant la moitié de tes années. Mais face à toi-même, tout est différent. Ton corps a subi en cachette trop de changements auxquels ta dédication t’as rendu inconscient. Face à Jalaad tu étais à nouveau le même enfant que celui qui posait pour la première fois entre les murs de l’Académie. Tu es l’adolescent se retrouvant confronté au changement, à la fois en corps en esprit et en atmosphère. L’inconnu fait peur, et voilà que du jour au lendemain, deux siècles t’assaillaient. Un siècle par doigt, attaquant ton front, envoyant en arrière ton visage décomposé, forçant tes yeux à se relever vers la silhouette de la druidesse. Pas autant que toi, mais elle aussi était noueuse. Elle aussi des arbres avait adopté le solide maintien. Tu es un chêne quand elle est un olivier, mais la force sylvestre est l’un des traits que vous partagez. Oublie le temps, oublie l’équilibre, oublie les accroches que tu as au passé. Voit le présent, cherches le futur. Voit la nécessité de ce pourquoi tu as tant travaillé. Cueille avec sourire les fruits que tu as semé.
Bombe le torse dans un élan de fierté, car ce que tu as fait, c’était à la gloire de l’Anaëh. Tu te relèves, et t’élèves au-dessus de la Lune, sourire compatissant à ta propre peine mais visage empli d’une nouvelle détermination. Honteux comme au départ de tes propres pensées, mais décidé à faire le deuil de ton passé pour t’ancrer dans ton avancée. Ta main se pose sur son épaule, opposant au plus proche vos teintes.
- Et rien qu’en me forçant à parler tu as déjà tant fait. Je ne pensais pas que me retrouver une fois de plus devant l’inconnu me mettrait dans tant d’émoi, mais la vérité est que je n’ai jamais affronté seul ces situations. Peut-être la forêt t’aura-t-elle mis sur ma route pour que la solitude ne vienne pas me tuer.
Et durant tes voyages, n'étais-tu pas seul face aux contrées inconnues ? Ta logique voudrait que l'exploration t'eut effrayé, mais là où cela tu l'as fait par curiosité, ta propre personne est bien la seule chose que tu n'as jamais cherché à étudier.
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| | | Jalaad Sil'Avryn
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| Sujet: Re: Aiguayer pour s'éveiller [ Pv Jalaad ] Dim 3 Jan 2016 - 18:00 | |
| C’est le brusque rire d’une corneille qui rompit cette fois le silence, et après avoir longuement observé l’elfe solaire et l’indécision qui s’était glissée dans un pli de son visage, Jalaad sembla satisfaite. Elle se redressa, prit entre les siennes la main qu’il avait posée sur son épaule et s’inclina jusqu’à effleurer de son front le bout de ses doigts.
— Les ëalas toujours veillent sur leurs enfants, mon frère. Ils ne t’auraient point laissé sans aide.
Elle se redressa, et ses pupilles sombres avaient retrouvé leur apaisement coutumier, frissonnant comme des braises qui couvaient sous une cendre obscure. Ce fut presque un sourire, sur son visage sévère. Elle avait à présent la certitude — et la preuve — que ce n’était point le fait du hasard, si leurs routes s’étaient croisées en ce lieu, sous les auspices de la dame qui présidait aux flots et aux eaux de toutes sortes. Qui d’autre qu’elle, qui était tout à la fois le changement et l’éternité, pouvait mieux guider ce frère égaré vers la voie qui lui convenait ? Ainsi avait-ce été, toujours ; au bord des fleuves et des ruisseaux, dans les miroirs des lacs, Jalaad avait toujours trouvé les prémisses des routes à emprunter, les réponses à des questions qu’elle ne s’était parfois pas même posées.
— J’ai quelque chose qui pourrait t’aider. Suis-moi, dit-elle en se détournant pour aller ramasser son manteau de plumes abandonné sur la rive.
La druidesse ne s’assura même pas qu’il était sur ses pas quand elle s’éloigna lentement, avec cette obstination tranquille qu’ont les arbres qui poussent et les grands mouvements cosmiques. Sans hâte, comme si elle avait devant elle une éternité, elle se drapa de son vêtement obscur, et s’enfonça de quelques pas dans le couvert de la forêt. C’était étrange, de la voir agir : elle semblait se mouvoir et même vivre sur un autre rythme que le reste des êtres de sa sorte. Ce n’était pas la vive agitation des humains, des elfes, ou des autres, mais au contraire comme une langueur paisible qui va droit vers son but sans jamais dévier si se presser sans raison.
Elle ne se retourna pas pour voir s’il la suivait, jusqu’à ce qu’elle ait retrouvé ce qu’elle cherchait. Enfoui dans un massif de fougère, le reste de ses vêtements et de son paquetage avaient été cachés avec soin et elle ramena tout cela sur la rive du lac qu’ils avaient quitté, et sans qu’un seul mot ne fût prononcé par elle.
Enfin, elle s’assit, tirant de ses fontes de curieux rouleaux de toile et d’écorce qui renfermaient des pigments sous forme de pâte épaisse aux teintes sourdes. Des ocres, des verts profonds, des noirs de suie et de fumée : la palette fruste de ce qu’elle portait sur elle, délavé par le bain, au milieu de ses tatouages qui ne s’effaçaient point. Il n’y avait toujours pas la trace de la moindre douceur, ni dans ses yeux, ni sur son visage, mais c’était d’une autre pitié, d’une autre tendresse que l’on décelait la trace, parce que rien que le dévouement et la compassion qu’elle devait à chacun de ses frères ne pouvait la pousser à faire cela. Sans doute leurs chemins se seraient-ils détournés l’un de l’autre, après ces quelques paroles échangées, après qu’il eut reçu d’elle les mots qui devaient lui remettre l’esprit à l’endroit.
Mais c’eut été laisser l’ouvrage inachevé, et Jalaad sentait que la fêlure était encore présente, une faille qui affleurait sous la roche solide et menaçait encore de tout faire vaciller. Ce n’était pas terminé, pas encore.
— Rien qui ne soit tiré de ce qui nous entoure, dit-elle en prélevant un peu de couleur du bout des doigts pour la mélanger au creux de sa main. La terre, la pierre, la feuille, la racine. Ainsi je porte le monde dans ma chair comme le monde me porte dans la sienne. Tu peux en faire autant, si tu le souhaites. Peut-être que cela t’aidera à te rappeler que tu es le seul maître, là.
Et ce disant, avec une espèce de malice étrange, elle heurta son plexus du bout de ses phalanges, y laissant une marque d’un vert sourd. |
| | | Lœthwil
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| Sujet: Re: Aiguayer pour s'éveiller [ Pv Jalaad ] Lun 4 Jan 2016 - 1:30 | |
| Tu la suis des yeux sans réellement lui emboîter le pas, car l’instinct te persuade que si la corneille t’a appelé à elle, c’est pour mieux revenir vers toi. Elle s’affaire, lente et méthodique, empreinte d’une grâce que ne peuvent observer que les êtres sachant leur existence capable de s’étirer sur l’éternité. Jamais durant son court périple ses yeux ne se posent sur toi, car elle sait en son sein même que tu ne fuiras pas. La jeune druidesse en tant que guide d’un jour n’est pas celle qui perdrait pied si vous veniez à vous séparer. Elle n’a rien à gagner et tu as tout à perdre. Plus que par nécessité, tu la suivais la curiosité au ventre, désireux de savoir quel pouvait donc être le remède miracle aux dernières fêlures subsistant dans ta psychée. Dans quelle chose pouvait-elle avoir placé telle foi ? Quel lieu de magie avait-elle découvert ? Quelle relique pouvait-elle avoir en sa possession qui possède un tel pouvoir ? Tu le sais d’expérience, tant par ton existence même qu’à travers les deux cultures que tu as côtoyé ; l’esprit des Sylvains prend tant de temps à maturer, à peser et soupeser ses influences pour au final éclore en une immortelle fleur adulte, qu’il peut presque être qualifié d’immuable. Votre race est le cauchemar des mentalistes étrangers, car trop peu d’hommes sauraient s’immiscer au-delà de la barrière qu’est leur crâne. Les elfes eux-mêmes souffrent de leur force mentale, car leur esprit puissamment ancré finit parfois par répudier la différence, le changement, la perte… et parfois jusqu’à provoquer celle de son propre détenteur. Ayant vu plus loin que le bout de tes pieds, étant de ceux qui ont su pour un temps se séparer de l’Anaëh, tu as eu l’occasion d’admirer d’autres contrées, d’autres peuples, et cela couplé à tes origines distordues a fait de toi une personne plus plastique que la majorité de tes pères. Plus que beaucoup d’autres tu es capable de remise en question, et jusqu’à une certaine mesure es accueillant face au changement. Avec toi sûrement ce serait plus facile qu’avec un autre. Parfois être réceptif au remède suffit à faire de l’eau de pluie le plus efficace des onguents. Autant ton attention fut piquée, autant la réponse finalement apportée te satisfait. Au cœur des fourrés elle avait posé les baumes qui couvraient sa propre peau. Peintures de terre, de racines et de rochers. Couleurs minérales et couleurs vivantes. Alors ainsi, plutôt que de combler tes fêlures elles les dissimuleraient jusqu’à ce que toi-même tu les oublies, leur laissant loisir de guérir. Tu ne sais rien de ses convictions, mais chez toi les décorations portent beaucoup de signification. Descendant des Faerin, famille originelle de la Lin’Serindë, tu es destiné un jour à accueillir la marque de l’Araignée. Un jour pétales et insectes aux couleurs chatoyantes seront peints sur ta peau. Un jour tu devras endosser le rôle de premier tisserand, gardien de savoirs et de savoir-faire. Aujourd’hui, la corneille te proposait d’apprendre à porter un message à même la peau. C’est pourquoi tu n’as pas hésité à te rapprocher une fois encore d’elle, et à t’abandonner à ses mains.
- Sois libre de me marquer du message qui te semble le bon.
Les doigts de Jalaad se posent sur ta peau, et alors tu fermes les yeux, dans l’attente de savoir ce que sans mots comme elle sait si bien le faire, elle aura voulu te dire. |
| | | Jalaad Sil'Avryn
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| Sujet: Re: Aiguayer pour s'éveiller [ Pv Jalaad ] Dim 17 Jan 2016 - 17:03 | |
| Jalaad eut l’un de ces sourires étranges et vifs qui lui étirèrent la bouche comme d’un coup de lame et firent un écho bref à l’intensité de son regard profond. C’était un sourire d’oiseau, un sourire d’animal à qui l’on prêterait figure humaine. Pas un soupçon d’hostilité, toutefois, et elle semblait presque gaie, pour autant que ce soit un sentiment qui put s’accorder avec sa présence obscure et sinistre.
Un hochement de tête qui cliqueter dans ses cheveux tremper quelques ornements de laiton et de bois, et elle s’exécuta tout aussitôt. Pas de réflexion, juste l’intuition : cela ne servait à rien de penser en ces choses-là, quand elle avait l’impression de ne pas agir par elle-même, mais d’obéir à quelque dessein supérieur qui outrepassait sa volonté propre pour accomplir ce qui devait être fait.
Sans la moindre hésitation, elle étira une ligne sinueuse depuis la tache faite par ses doigts joints. Ce ne pouvait être le simple hasard, le doute n’était plus permis. C’était ce jour, c’était cette heure, c’était cet être qui avait besoin de conseil, et par la volonté de l’Eleä qui gouvernait sa vie depuis le premier souffle, c’était elle qui avait été sur sa route. Un autre sourire lui vint, pensif, un rien plus doux, qui émoussa brièvement ses traits rudes. Ce fut presque rien, à peine rien qu’un soupçon qui avait fait comme ces rafales qui écarteraient les feuillages d’une forêt profonde pour laisser s’immiscer une éclaircie jusqu’aux tréfonds de l’ombre.
La ligne naquit, nourrie de couleur tirée du creux de sa main. Des efflorescences, des arabesques s’enroulèrent à sa suite, prirent naissance, se répandirent ça et là le long de l’épaule et du bras, suivant les circonvolutions et les contours des muscles bien dessinés. Dans la lumière morcelée du jour, ce qui n’était guère plus que quelques barbouillages d’une macération de plantes tinctoriales semblait se muer en autre chose, comme si l’image qu’elle faisait sur lui pouvait acquérir soudainement le pouvoir de transmuter la chair. Pourtant, ce n’était presque rien, mais les motifs s’entrelaçaient, toujours plus loin, toujours plus finement, jusqu’à faire une semblance arboricole qui s’étendait en un maillage étroit de feuillages et de branchages bruns et verts.
Elle faisait sans hâte, comme ces moines qui méditent tout en faisant des œuvres éphémères de sable et de couleur, comme si son esprit à elle s’égarait peu à peu dans cet acte qu’on eut pu considérer si anodin, mais qui avait tant d’importance, soudain. On ne peint pas le corps comme on décore un objet, et si Estiam n’avait peut-être pas la moindre idée de ce que cela pouvait vouloir dire, Jalaad savait. On la sentait sûre, malgré la tranquillité sereine de ses gestes qui glissaient, peu à peu, des teintes nouvelles sur la peau dorée du guerrier. La terre et la sève, un peu de forêts dans sa chair.
— Ton bras sera celui d’Anaëh, dit-elle enfin, à voix basse, comme toujours. Ta force, ton arme et ton bouclier.
La druidesse, jusque là accroupie et les genoux serrés contre sa poitrine, retomba enfin sur son séant et éleva en l’air ses doigts maculés de peinture, les observant pensivement à la lumière qui tombait sur eux à travers les feuillages. Le couleur qui les couvrait les fit soudain se mêler à la verdure qui les surmontait, aux trouées de soleil qui coulait à travers les arbres, et elle eut à nouveau de ces sourires vagues et indistincts qui apaisèrent une seconde la flamme sauvage de ses prunelles.
— Te voilà tout mêlé de feuillages, mon frère. |
| | | Lœthwil
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| Sujet: Re: Aiguayer pour s'éveiller [ Pv Jalaad ] Dim 17 Jan 2016 - 23:13 | |
| Une page blanche. Entièrement livré aux quelconques fabulations artistiques qui traverseraient l’esprit de la druidesse, car confiant en la pertinence du message qu’elle souhaite t’imprimer à même la chair. Tes yeux se ferment, ton monde s’ouvre. Tu ne bouges plus. Pas le moindre frisson ne vient secouer ton épiderme alors que les doigts de la corneille appuient sur un point toujours fixe. L’excitation animant l’elfe est d’autant plus palpable qu’elle prend un être à la nature habituellement d’un calme plus profond que les grands lacs. Elle ne fait plus ce que sa conscience lui ordonne. Ce sont ses instincts qui ont pris possession d’elle, dictés par le dessein que vous murmure la forêt. Et alors prise d’une envolée lyrique, la main se crispe un instant, et file à travers ton dos, et contourne les vallées pour mieux en gravir les monts. La couleur s’accroche à ta peau de ses racines voraces, et l’arbre qui en nait sous la guidance de Jalaad croit à une vitesse que la nature ne saurait accepter. Sous les branches ondoyantes ton bras se serre et se gonfle, plus sensible que ton dos à la chaleur du peau-à-peau. L’indescriptible tâche de couleur prend lentement en finesse, multipliant les teintes dans un grossier souci du détail. Le temps s’étire, aussi long que les traînées de sèves savamment manipulées par l’artiste, perdue dans ses propres arabesques et pourtant si certaine de son geste. Tes yeux clos, seule ta pensée suit l’œuvre se tissant sur ton propre corps. Tu en imagines les grandes lignes, tente de reconnaître à leur texture les matériaux qui s’écrasent contre tes pores, d’en identifier la couleur sans la voir, prêt cette fois à accueillir un second changement, qui à jamais scellerait le premier. La nature elle-même s’enfonce dans ton dos, dans ton épaule et dans ton bras. Te voilà marqué par celle à laquelle tu œuvreras pour le reste de ton éternité. Voilà ta main devenue celle de l’Anaëh.
- Alors me voilà maintenant Gardien à ma manière…
Tu te lèves, tête basse, dans une lourde inspiration, et dans le plus grand des naturels, ta main vierge vient cueillir le bras marqué pour en saisir les inscriptions. Vieil imbécile que tu es. La poisse que tes doigts traînent sur le chemin vient tristement te le rappeler : ton engagement est intemporel, mais ton témoignage, si profond soit-il de sens n’est qu’une œuvre éphémère. Tu t’éloignes un instant, pour te pencher sur tes possessions. Un vêtement qu’il n’est pas encore temps d’enfiler à nouveau, un livre relatant de tes propres expériences, et surtout, les encres qui t’auront jusqu’ici servi exclusivement à immortaliser tes écrits sur le papier. Tu as pris ta décision. Et elle est irrévocable. Il est temps maintenant que tu l’immortalise à travers ta chair.
- Je ne peux plus me dérober à mes responsabilités…
Sans un seul mouvement, et sans une parole, tu t’es abandonné à ton élément premier. L’étendue d’eau qui t’as dévoilé allait à présent à jamais te marquer. Les gouttes se soulèvent, et le froid devient glacial, les aiguilles aqueuses plongent dans les encres pour en ressortir imprégnées des vives couleurs. Le liquide se fait solide, cristaux aux étranges couleurs, et le froid se fait torride alors qu’il traverse ton enveloppe. Ta peau s’ouvre sous le tracé des lames, accueillant dans la douleur le liquide étranger, les traits de peinture disparaissent lentement, d’abord léchés par l’onde puis retracés par la glace. Au sang des arbres se substitue de chatoyantes cicatrices, dont les couleurs vives font au mieux justice au dessin de la druidesse. Les codes sont suivis, mais le motif de si peu diverge. Les racines se font plus tribales, et les branches plus animales. Les feuilles sont comme des crocs prêts à se refermer sur des arabesques ésotériques. Tes dents se serrent lorsque commence le travail de précision, que les bourgeons portés par l’arbre éclosent en un nombre incalculable de pétales, que les points évoluent en des créatures vivantes au milieu desquelles, posée sur sa branche, trônant sur ton épaule, régnait l’araignée. Quelque part entre la marque du penseur, du tisseur et du guerrier, passé présent et futur sont immortalisés. Après avoir rassemblé force et connaissance durant toutes ces années, tu es fin prêt à porter le poids des responsabilités. La glace a fondu, et l’encre est vidée. Pour toujours tes chairs sont marquées.
- Alors il est temps pour moi de pleinement les assumer.
Ta carne à vif, tiraillée par l’affliction, ton sourire pourtant n’aura jamais été aussi plein de fierté. Les flammes dans ton regard n’auront jamais aussi vigoureusement dansé. Tendons serrés, muscles crispés en réponse à l’agression ; épuisé par une magie interdite, tu aurais dû sembler bien pathétique. Et pourtant, menton haut et torse bombé, plus que jamais par tu brilles d’un charisme nouvellement dompté.
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