Rencontre à tout hasard [ Elvan ] [ Terminé ]

Verimios, 7ème ennéade de l'an 8 du Cycle XI,
Eraison, près des tunnels d’évacuatons

Folie n'est pas vaillance.
La rage du combat mène indéniablement à la cécité de la raison.

Tous bords tous côtés les gens criaient à tue-tête, entremêlés au travers les hurlements de douleur ou de rage, les soldats scandaient le nom de leurs Divinités en leur demandant clémence, pitié ou en leur réservant l’issue des affrontements. Tout peint de rouge, je portais à mon harnois le sang de mes adversaires qui d’ailleurs, décuplaient à vue d’œil. J’avais atteint un état d’âme incontrôlable et je ne savais plus où donner de la tête, tant les Elfes se décuplaient. De gauche à droite, puis de droite à gauche, je terrassais mes ennemis de coups dévastateurs de massue. Mes adversaires s’accumulaient à mes pieds et pourtant, j’étais contraint à faire un pas de recul à chaque fois qu’un d’eux s’écroulait contre le sol rougeoyant. Mes dents se serraient de rage à chaque coup porté, si tant que je commençais à croire que ma mâchoire se fracturerait d’ici la fin des affrontements.

« VELKYN ! VENEZ ! IL FAUT PARTIR ! »

J’étais plongé dans une trance meurtrière, je n’entendais plus raison et n’y voyait plus clair : j’allais y rester si je ne bougeais pas immédiatement. Ces avertissements m’étaient destinés, c’était indéniable, mais celles-ci me paraissaient si lointaines que je n’en n’eus cure. Je me contrefichais de tous ces avertissement, j’allais TOUS les démonter, un après l’autre, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que moi me disais-je, alors que je portais ma masse droite contre le crâne d’un elfe qui avait l’air d’avoir les armes en main pour la toute première fois. Et bien que les cris se mélangeaient en une mélodie plus ou moins harmonieuse, un mot me ramenait à la raison, quelques lettres hurlées comme si c’eut été un ordre donné :

« ARCHERS! »

JJe courbais l’échine, balançais mon marteau vers l’arrière en direction des tunnels puis, refermait mes deux mains contre le corps encore chaud du soldat au crâne défoncé et le soulevait suffisamment pour tenter de m’en faire un bouclier. Des envolées de sang vinrent décorer les vêtements du bouclier humain, maintenant criblé par de nombreuses flèches. À ce moment précis, la tête d’un des projectiles perfora le cou de l’homme et vint terminer sa course à quelques centimètres de mon œil. Mon souffle se coupa pendant un instant et, derechef j’entendis :  

« VELKYN ! IL FAUT PARTIR ! »

Sans plus attendre, je me redressais et fit volte-face où je détalais aussi rapidement que j’étais venu en direction des tunnels. Les flèches volaient et sifflaient tout le long de mon corps, si bien que deux d’entres elles vinrent se percuter contre le métal de mon armure. Bien malgré cela, les projectiles ne touchèrent pas complètement leur cible car la bonne fortune qu’Uriz m’avait octroyée empêcha ma protection de défaillir et donc, elles n'avaient pas percée l’alliage.

Nous quittions Éraison une bonne fois pour toute et j’espérais qu’au-delà de tous les décès, autant alliés qu’ennemis, les Elfes s’en souviennent jusqu’à la fin des temps. Que dans tous les livres, Eraison ne soit plus connue autrement qu’étant la citée déchue.


…


Mine de rien, les affrontements ne furent pas de tout repos parce qu’une fois l’adrénaline retombée et l’extase des affrontements envolée, je ressentis le contrecoup de tous mes efforts et les maux qu’ont provoqués les coups qui m’avaient été portés. Ma main gauche, si elle n’avait pas été facturée par un coup de pommeau, était enflée au point que je ne pouvais plus la sortir de son gantelet de fer. Je ressentais également à mon épaule une froideur qui ne m’inquiétait pas mais, on m’avait signalé qu’elle avait saigné abondamment lors d’une rixe. Le sang ayant séché, je ressentais la froideur de l’air et du métal de mon armure contre ma blessure. Dans le secret, je regardais toujours devant en espérant y voir la fin de ce foutu tunnel, question que nous puissions un jour avoir espoir de rentrer à Yutar. Au travers le silence que nous procurait notre marche nocturne, le ululement d’une chouette nous avait vendu la mèche : nous étions tout près de la sortie.

La lune dansait au-dessus de notre tête et je fronçais sévèrement du regard lorsque la brise nocturne vint s’insérer entre mes plaques entachées par le sang et la sueur. Nous étions désormais un petit trio essoufflé, brisé par les affrontements et surtout, fatigués à outrance. Nous avions mauvaise mine et notre accoutrement ne mentait pas : nous avions emporté avec nous nombres d'âme.

« Nous avons peut-être une ou deux lieux à franchir avant d’arriver, nous emprunterons le chemin. De toute manière, ces fils de chacal sont probablement trop occupés avec les présents truffés à Eraison pour guetter les routes.
Rentrons. »

N’avait-il point remarqué ses filaments d’ombre ? Non, il devait être bien trop occupé. N’avait-il point aperçu ses ténèbres mouvantes ? Diable surement pas. Il était bien trop occupé à s’attacher à la vie. Et il avait raison. Pourtant, ces reliquats de souvenirs étaient bel et bien réels. Ils se distinguaient de temps à autre comme une étincelle d’un bleu sombre se confondant par les teintes de la noirceur de la nuit. Cette manifestation était pourtant infime. Et pourtant… Pourtant, sur le chemin de la repentance, ils les trouvèrent. Ses hommes et ses femmes dont la mort était leur diktat. De longues trainées nébuleuses ne menaient qu’à un seul et unique point, le centre de cette liturgie, une drow. Sous les chants sacrés dédiés à la Voilée, ils œuvraient tous à un seul et unique but : capturer les âmes des pauvres infortunés afin que Kyria soit emplie de tristesse, afin que Tyra jalouse la puissance montante de Teiweon et la craigne. Voilà ce à quoi rimaient ses danses transcendantes où les membres semblaient se disloquer en quelques arcs improbables. Le réceptacle de ces sombres arcanes, la porte menant vers les abîmes de la Mère n’était autre qu’Elvanshalee, la Haute-Prêtresse de la Déesse des Âmes.  A l’image de la Déité, seul un voile sombre la couvrait. Elle ondulait avec arrogance sous l’œil attentif et souvent admiratif des elfes noirs s’étant rassemblé en masse pour assister au pénitentiel. Pour son peuple, un sentiment de plénitude s’emparait des cœurs. Pour  ses ennemis, le clergé de la Mère leur réservait souffrance et désespoir. L’office perdura jusqu’à ce que les miasmes s’estompent, signant la satiété de la Voilée. Là alors, sous l’effort, les prêtres s’effondrèrent de fatigue si bien que ceux qui ne prirent pas part au sacrement, c’est-à-dire les apprentis, vinrent les rapatrier pour un repos bien mérité. La Sang-pur tressaillait mais demeurait debout pourtant épuisée. La sueur perlait à son front et elle respirait bruyamment. Alors que la plupart avait défailli, les pieds d’Elvanshalee foulait la terre d’une démarche fragile mais non pas moins déterminée. Shar’Alak, son ombre, vint l’escorter afin de rejoindre les entrailles de Yutar. Là était sa puissance malgré ses jeunes années. Là était sa force. Là est son emprise.

*

Dans son bain, le bout de ses phalanges flânait avec la surface de l’eau. Le minois s’était redressé en direction de son suivant. Les yeux étaient bandées de deux lanières de cuir comme à son accoutumée. Elle tendit finalement la main vers Shar’Alak qui se redressa avec lenteur pour approcher. Sans être incommodé par cette cécité, les doigts saisirent le poignet de ce dernier. Elle imprima une petite pression afin qu’il se penche et alors elle put à loisir caresser l’arrête de sa mâchoire.

« M’ont-ils tous vu ? »

Il acquiesça.

« Parfait. Je pense que nous allons rendre une petite visite à ce cher confrère d’Uriz. »

Elle grattouilla un instant le dessous du menton de Shar’Alak comme on le ferait avec un animal de compagnie. Ce dernier glissa alors ses paumes contre les épaules de la sombre pour entamer un petit massage bienfaiteur. Dans sa fougue, les doigts glanèrent inassouvi vers les rondeurs de ses deux monts mais d’un grognement incisif, Elvanshalee le stoppa net. L’Ombre gronda de colère mais relâcha avec regret les courbes de la Désirable.

« Appelle-moi, Ryneshy »

Ce qu’il fit. Et après quelques minutes. Une petite elfe noire surgit et à la demande de son éminence l’habilla. Quoiqu’il fasse, Elvanshalee imposa sa présence auprès de Velkyn Xaran. La sombre était accompagnée par ses deux gardes du corps l’un et l’autre se confondant les ténèbres puisque seules lueures rougeoyantes de leur yeux étaient visibles. La Prima Sanguis avait, elle, opté pour une tenue plus détendue. Des lanières de cuir s’entremêlaient le long de sa chaire plus pâle que la normale découvrant ainsi par exemple la musculature de son ventre ou encore la chute de ses reins. Sa peau avait cette particularité de tirer vers un gris d’un bleu ardoise où se mêlaient diverses arabesques blanchâtres. Une tiare argentée dissimulait les traits de son minois par le biais d’un voile de même coloris que ceux habillant ses hanches. Alors que Streeaka, son phish Oura, n’avait pas daigné l’accompagner, ce ne fut pas le cas de Nagi qui appréciait errer dans les tréfonds des galeries tortueuses de Yutar. L’animal appréciait toujours les flâneries.

Le trio croisa le médecin qui dans sa course se stoppa nette pour s’incliner bien bassement face à la Fille de la Mère. Un sourire ourla alors ses lèvres charnues de Celle-qui-est-la-Voix. Une main délicate vint s’échouer sur le haut de son crâne ruisselant jusqu’à sa joue en une caresse.

« Allons, allons, ne sois pas si apeurée, je ne le laisserais pas te faire du mal. »

La sombre eut un soupir de soulagement en se pliant une fois de plus, bien bas et alla donc quérir, le cœur léger, ce que le Haut-Prêtre avait mandé. Voilà comment on se saisit d’une opportunité pour grappiller de nouvelles allégeances. C’est ainsi que la Voilée procédait, parmi ses milliers d’autres stratagèmes. Les premiers propos que purent ouïr la Haute-Prêtresse lui firent esquisser une moue désapprobatrice.

« Si j’étais vous, j’éviterais de manquer de respect à la Déesse, imaginez seulement que l’un ou l’une de ses dévoué(e)s l’apprennent, vous pourriez vous retrouver aussi mou qu’un mollusque mort au soleil. Alla, alla. »


Elle haussait les épaules en se rapprochant de son confrère qui semblait sommairement déstabilisé ou plutôt surpris. Quelques grelots ornaient sa tiare encadrant son voile et sous la mélodie de ces-derniers, elle avança pour se figer à quelques centimètres du Haut-Prêtre. Elle le salua, joignant son poing droit à sa paume gauche pour s’incliner un instant.

« Que le feu du Père nous anime jusqu’à l’étreinte de la Mère. »

Les yeux se posaient sur ladite blessure.

« Ryneshy, pourrais-tu le soulager, s’il te plait. »

La petite drow qui devait atteindre à peine le mètre 60 s’avança et se faufila dans le dos du Haut-Prêtre où elle se défit de ses gants.

« Détendez-vous, Ryneshy a des doigts de fée. »

Un nouveau sourire ourla ses lèvres charnues sous son voile alors que Ryneshy, par diverses pressions principalement au niveau de sa colonne vertébrale s’étendant jusqu’à l’arrière de son crâne, fit disparaître la moindre douleur. Le travail accompli, la petite daedhel se plia d’une courbette pour rejoindre le rang de Sha’Alak.

« Je vous aurais bien soulagé moi-même mais… Vous savez ce que renferme Yutar. »

Un sifflement se fit bientôt ouïr aussi discret que l’eut voulu sa race, Nagi vint s'enrouler tout le long d’une cuisse de sa maîtresse, remontant lentement jusqu’à enserrer ses reins et venir poser sa tête de félin sur l’épaule d’Elvanshalee. Les ongles grattouillèrent l’animal avec affection.

« Il me semble que le combat fur éprouvant. »

Sa silhouette se faufila lentement sur le flanc de Velkyn de ses mouvements aériens. Les doigts effleurèrent délicatement son bras. La caresse fut de courte durée puisqu’elle s’était déjà logée dans son dos. Il pouvait sentir sa poitrine opulente se presser tout contre ses omoplates alors qu’elle penchait lentement sa frimousse vers l’arrête de sa mâchoire. Les lippes se posaient en un délicat baiser sur le tatouage représentant la Mère et se termina par une goulue morsure. Après quoi, elle s’écartait aussitôt pour lui faire à nouveau face.

« J’ai toujours voulu les mirer. J’aurais par contre, choisi un endroit plus représentatif pour Isten. »

Afin d’être plus clair, ses mains se joignirent contre son propre pubis durant quelques secondes. Finalement la Voix de la Mère se détacha de la scène pour poser séant sur ce qui voudra bien l’accueillir.

« Comment se porte le front ? Mes disciples font-ils bien leur travail ? »

Elle tendit la main en direction de Shar’Alak qui s’approcha pour lui tendre ce qui se rapprocherait le plus d’un kiresu, en somme une longue pipe au fin bec qu’on bourra d’herbe et alluma. Nedylène tira une bouffée sur ce dernier.

« Si j’étais vous, j’éviterais de manquer de respect à la Déesse, imaginez seulement que l’un ou l’une de ses dévoué(e)s l’apprennent, vous pourriez vous retrouver aussi mou qu’un mollusque mort au soleil. Alla, alla. »

Les épaules de Velkyn se soulevaient à peine, comme pour réprimer une menue moquerie face à sa remarque. Certes il s’était permit de juré sur la Déesse mais d’entre tous les Haut-Prêtres du Saint Père, il se considérait comme le plus respectueux envers le Panthéon Sombre. Ceux-ci ont forgé l’histoire à leur image et si l’un d’eux avaient été omis, alors les Drow n’auraient jamais été Drow, ils auraient été … tout autre. Donc, c’est en prenant la remarque à la légère qu’il répondit du tac au tac à sa très estimée invitée :

« Si l’on m’en accordait le pouvoir, je serais céans prêt à sacrifier l’entièreté de ma masculinité pour quelques années supplémentaires à guerroyer. Alors le voir démuni de son ardeur … »

Sûre d’elle, avant même qu’il n’en termine sa réponse, elle s’avança près de lui pour le saluer en bon et due forme, chose à laquelle il répondait évidemment du même mouvement. La surplombant de plusieurs centimètres, il abaissa les yeux avec délicatesse afin que de son regard, il puisse l’épier sans autre forme de procès. Ses yeux en amandes se plissèrent afin se délecter correctement de tout ce que masquait son voile. Le temps avait fait son ouvrage et lui avait fait oublier comme il admirait la bestialité et la férocité de son regard.

Le spectacle que lui offrait Elvan, sans même se forcer, se fit interrompre par les nombreuses pressions que lui avait administrées Ryneshy. Aisément distrait, la petite avait su se frayer un chemin jusqu’à ses arrières et ce, sans grandes embûches. Il retint quelques râles dans la prison de ses dents, autant de soulagement que de douleur.

« Il me semble que le combat fut éprouvant. »

Sa caresse l’avait laissé de marbre mais lorsque l’empreinte de ses lèvres venait marquer son territoire contre son cou, un frisson vrombissait tout le long de son échine. Quant à la morsure, ses poings s’étaient refermés momentanément et son souffle se coupa net. Elle se jouait de lui et il le savait, mais il dû pour ne pas mordre à l’hameçon, y mettre tous les efforts du monde. Enclin à se laisser tenter en toutes circonstances, son visage laissait bien voir qu’il n’avait pas l’aisance qu’on lui connaissait lorsqu’il bougeait sur le champ de bataille.

« J’ai toujours voulu les mirer. J’aurais par contre, choisi un endroit plus représentatif pour Isten. »

« J’y ai bien pensé, mais j’eus moult difficultés à m’imaginer ce tatouage estampillé contre mon sexe. Une fois raide comme une barre, nul n’aurait su le reconnaître, ne pensez-vous pas ? »

Évidemment, suite à cette démonstration concrète, son pantalon s’était vu déformé par le début d’une protubérance. Il ne s’en cacha pas et si s’eut été le but visé par la Drow, c’était désormais chose réussie. Elle se laissa choir sur un banc alors que lui, décida se poser son séant contre le pied de son lit, toujours à moitié nu et bandé de tissus au niveau de la clavicule.

« Pour tout vous dire, je n’en sais que trop peu. Je reviens tout juste d’Éraison où d’ailleurs, votre Maîtresse s’est probablement vue francherepue de tous les présents qui lui furent dédiés. J’arrive tout juste en Yutar, peut-être même ais-je foulé les tunnels la journée précédant votre venue. J’allais me mettre au goût du jour, ce jour d’hui même. »

« Sinon, pour autant que cela vous intéresse, je sais de source sûre qu’un campement elfique s’est vu chassé violemment par vos disciples. Les vigies m’ont rapportées que les flammes se sont élevées des dizaines de mètres en les airs et à leur retour, ils n’ont constaté que quelques minimes pertes. Or donc, pour vous répondre : oui, leur travail est ici d’avantage que nous l’espérions. »

Ses yeux vaquaient ailleurs, probablement à la recherche d’un morceau de pain à se mettre sous la dent ou de quelque chose pour étancher sa soif. Constatant que rien n’était à sa disposition, son visage se déformait d’agacement et cela lui arracha un grognement tout faible. Il s’en retourna ensuite à son invitée pour la questionner, sur un timbre de voix qui semblait avoir repris de son naturel sévère :

« Nous n’espérions plus votre présence, êtes-vous enfin décidée à venir rougir vos lames à nos côtés ? Je connais plus d’une personne qui soulèverait terre et mer pour croiser le fer à votre dextre … »

À la commissure de ses lèvres naissait l’esquisse d’un sourire, peut-être emballé par l’agréable compagnie qui avait su palier aux maux de sa blessure.

Un sursaut d’intérêt épris alors le regard de la fille de la Voilée. C’était somme tout amusement ce qu’il venait de confesser. L’index enrobé par ses quelques bijoux métalliques s’imprimaient alors sur ses lèvres charnues. Elle susurra alors avec délice.

« Cela mon cher, il ne tient qu’à toi de vivre jusqu’au temps de déluge. »

Après tout l’immortalité était la leur. Aussi fallait-il simplement ne laisser, à tout ennemi confondu, l’opportunité de nous nuire. Elvanshalee malgré ses « relatives jeunes années » étaient dans cette optique. Elle pouvait être considérée comme l’un des prodiges qu’on vit fleurir à tout va dans les hautes sphères du Puits pour mourir quelque temps plus tard. Malheureusement pour certains, là n’était pas ses projets et la Dame aux voiles comptait bien pérenniser son influence et son pouvoir au moins jusqu’à son premier millénaire.

« Tu aurais pu… éventuellement, trouver un autre symbole pour représenter Isten. »

Elle haussa les épaules tandis qu’elle se laissa choir en observant ladite protubérance. Il en fallait si peu. Le noirelfe n’avait-il pas de quoi satisfaire ses pulsions ? Bien dommage pour lui. Bref… Elle écoutait d’une oreille distraite les propos de Velkyn, et esquissait une moue derrière ses voiles ,presque désapprobatrice. Si il trouvait que leur travail était d’une bonne aide, ce qualificatif ne la satisfaisait pas le moins du monde.  
Le minois se tourna en direction de Shar’Alak et Ryneshy et sa voix tantôt mielleuse et suave s’était muée en un timbre d’une douceur froide à l’image de cette sensation qu’est une lame d’acier contre votre chair.

« Après mon entretien, je les veux tous pour une réunion. J’ai une surprise pour ceux qui prétendent avoir voué leur vie à la Mère, une belle surprise. Ah oui, précisez leurs que pour leur survie, il faudrait mieux qu’ils soient préparés mentalement. Dites à Dralassa si elle est dans le coin qu’elle peut m’accompagner. Maintenant allez et laissez-nous seuls. »

D’un mouvement vague de sa main, elle chassait ses da’ron et en revint à Velkyn. Que disait-il encore ? Ah oui, déguiser un petit reproche concernant son absence par un compliment. Un rire résonna dans la cavité que formait cette chambre. A-Mu-Sant. Les lèvres tiraient une nouvelle fois contre le bec de sa pique et elle aspirait profondément les émanations qui se relâchèrent bientôt de son gosier. De là où elle se tenait, la Voix de la Mère se pencha un instant et déchaussa aussi simplement ses pieds dont l’un fut avancé en direction de Velkyn. Il pouvait mirer qu’un fin anneau était passé à l’un de ses orteils afin de retenir des guêtres montantes jusqu’au-dessus de son genou. Les rubis étaient d’ores et déjà ancrés dans ceux du Haut-Prêtre alors qu’elle se concentrait légèrement. Ne se sentait-il pas pris d’une soudaine fatigue ? Une envie de dormir. La douleur de son épaule vint à nouveau le faire grimacer. Il avait la tête qui tourne un peu, non ? Et puis cette impression de ralenti déplaisante… Le regard de Velkyn ne voyait plus que cette fumée blanche qui s’extirpait des voiles de la Haute-Prêtresse, une brume hypnotique qui donnait tout simplement l’envie de clore ses lourdes paupières. Oh, ne venait-il pas de tanguer, malgré qu'il rassemblait vain ses forces pour ne pas perdre pied ? Il vou…lait…dor…mm…. Et puis tout s’arrêta. Cet épuisement disparut aussitôt allant de chœur avec le bruit résonnant de cette chaise qui venait de tomber. L’héritière des Men’Arohel venait de jurer.  Elle s’était levée et avança par quelques foulées empressées jusqu’à son « collègue ».  Le dos brûlant de sa pipe vint alors s’imprimer sur le pectoral reliant son épaule estropiée. Elle souffla alors de sa si belle voix, cette voix enivrante.

« Mon doux Velkyn, tu as de la chance que nous sommes coincés entre ses murs car pour les propos que tu as tenu, je t’aurais mis à genoux devant moi, pour avoir bandé devant moi, je t’aurais fait lécher mes pieds »

Un œil affûté pouvait aisément analyser la posture qu’elle tenait devant lui. Elle n’était pas sans raison. En effet, pour les yeux du bretteur qu’il était, il savait aisément que son maintien était celle d’une garde en cas de coup en traite du drow.

« Alors je suis bien consciente que ma présence a pu te manquer, mais à compter du jour où nous avons quitté le Puits, qui d’après toi, garde notre Maison ? Ne crois-tu pas que là est le meilleur moment pour s’imposer et faire valoir des pseudo-droits. Pour l’armée, ils n’ont rien à craindre mais pour nous, gardiens des Dieux, ne crois-tu pas que nous avons à nous alarmer pour nos piédestaux ?  Parce que crois-tu que l’armée nous viendrait-t-elle en aide ? C’est bien mal les connaitre. Un voyage aussi loin de nos terres est à préparer avec discernement car, ne l’oublions pas… les quelques années que l’on doit à notre ascension n’est rien ! Et peut être réduit à néant en un rien de temps. »

Lentement sa main libre saisissait le menton de l'Homme d'Uriz pour l’approcher de ses lèvres.

« Avec la même facilité que j’ai eu à chasser la Prime Sorcière qui voulut s’arroger quelques droits divins. Avec la même facilité que j’ai pu prendre le dessus sur toi et ton culte. Et qu’aujourd’hui, tu tentes de déjouer avec cette insurrection contre les enfants de la Fausse-Mère… »

Sa bouche s’unit alors à la sienne dans un baiser sensuel qui gardait tout de même la mesure. Et puisqu’elle menait la danse, Elvanshalee rompit l’étreinte.

« Crois-tu réellement qu’il est possible d’exterminer ces elfes? Si nos terres sont si éloignées les unes des autres, ce n'est pas pour rien. Nous n’arrivons même pas à garder Eraison, alors crois-tu réellement que nous sommes capables de marcher sur Alëandir ? Moi je crois plutôt qu’il faut aller à la source… Moi je crois plutôt qu’il faut éradiquer Anaëh, la forêt sans cette dernière, ils ne seront plus rien. Il faut la brûler. Voilà comment il faut les écraser. »

[justify]Il y a de ça presque une décennie, Velkyn fût sacré Haut-Prêtre suite à la soudaine disparition de son prédécesseur. Depuis ce temps, plus que jamais il fût engagé dans la guerre contre les elfes. Il était vérité de dire que sa présence au Puy s’était amoindrie depuis sa nomination, puisqu’il foulait les champs de batailles, les uns après les autres. Il accumulait à son actif plus de victoires et de défaites que n’importe lequel des forcenés de l’armée Drow et pour cela, malheureusement, il dû le payer en s’éloignant de sa patrie. Le berserk qu’était Velkyn s’enivrait du sang des autres et jouissait, à la simple vue des vies qu’il volait au fil de l’épée. Plongé tête première dans le conflit qui perdurait depuis des centaines d’années, il fit aussi bien d’autres sacrifices : famille, vie sexuelle et tous autres plaisirs. Se raréfiant au court des années, lorsque ces petits plaisirs de la vie passaient, croyez bien qu’il s’en saisissait à deux mains. Or donc, de voir la voix de la Mère se jouer de lui en lui faisant la démonstration de quelques doucereuses attentions, le sang du fougueux avait tôt fait de se rameuter à son bas ventre.

De tous les moyens inimaginables, elle trouvait tout de même le moyen de le ramener à la réalité lorsqu’elle le piqua d’une pointe anodine à propos du tatouage de la luxurieuse Isten. Il ferma les yeux et inspirait à pleins poumons, aussi silencieusement que faire se peut. Elle insista, visiblement, il le comprenait. Elle semblait avoir un talent tout particulier pour le commentaire désagréable, se rappelait-il à cet instant. Il se contenta de ne pas donner suite, bien que la langue lui chatouillait d’envie.

Puis … Il déglutit sévèrement. Il cherchait à avaler la douleur qui revenait à l’assaut, son épaule s’était vraisemblablement éveillée de sa torpeur, après s’être fait engourdir par les bons soins de Ryneshy. L’envie d’aller masser sa blessure le tenaillait et soudainement, il ferma les yeux avec insistance, question de chasser les brumes qui s’étaient installées à sa vue. Au travers les nombreuses volutes de fumées il n’en distinguait plus même son homologue, icelle s’étant tapis sous un voile qui se faisait de plus en plus opaque. Sa main dextre venait à la rescousse de ses yeux qu’il frictionnait de son pouce et de son index, pour donner main forte à sa vue enlisée dans la brume. La vue handicapée, il sentait ses yeux chauffer, à l’instar d’un poupon qui se mourait d’envie d’aller au lit. Il fit une un horrible grimace pour retenir un bâillement plus que justifié, compte tenu de la fatigue qui s’était accrue en à peine quelques secondes.

La putain! Elle m’a ensorcelée!, se dit-il intérieurement.

Elle se redressa et déblatérait quelques menaces en son encontre, lui qui était toujours un brin sous le joug de son charme. La douleur ne s’estompait pas mais il retrouva la vue peu à peu, constatant effectivement qu’elle était prête à bondir, fer à la main pour éteindre les feux, si Velkyn répondait sous l’impulsivité. Il se fit expliquer de long en large comme il lui était redevable, comme il s’était endetté envers elle, alors qu’elle protégea sa place au sein du Puy. Somme toute, elle n’avait pas tort, mais le ton qu’elle employa et la manière dont elle avait usé l’avait franchement froissé. Il sortait généralement de ses gonds pour bien moins que cela et pourtant, il était toujours en mesure de se retenir. Jusqu’au moment où elle lui fit la leçon sur l’art de la guerre.

C’était la goutte qui fit déborder le vase.

Les explications terminées, une pesante main et empreinte de haine cherchait à se saisir de la gorge de la belle. Son regard s’assombrissait et ses lèvres se pinçaient alors que se rajoutait à sa poigne plus de conviction. La colère vue le jour en lui comme le feu dans un volcan, prêt à imploser d’une seconde à l’autre. Comment pouvait-elle simplement penser l’éduquer à l’art de la guerre, alors qu’il y baignait depuis sa plus tendre enfance ? Se souvenant de la position qu’elle adopta quelques secondes plus tôt, son autre main guettait les mouvements qu’elle pouvait entreprendre pour contrer la poigne de fer à sa gorge. Le timbre de sa voix était serré de rage et il rétorqua, juste avant de délier ses doigts d’autour sa fine gorge et de la repousser par le fait même :

« Ne crois pas pouvoir m’enseigner l’art de guerroyer … Et si je te reprends à m’ensorceler une autre fois, je ferai en sorte que cette langue rosée te soit arrachée à tout jamais … »

Nul ne pouvait le contredire, il avait toujours apprécié Elvan, dans la mesure du possible. Que se fut pour son adresse à propager la Sainte parole de la Mère ou de son aisance à gérer son Culte, il avait toujours témoigné envers elle le plus grand des respects. Nonobstant tout cela, elle avait franchi le pas de trop. Dans l’art de guerroyer, il ne se considérait pas de ceux qu’on pouvait éduquer comme de vulgaires néophytes en la matière. Il mit ensuite un peu de distance entre eux deux, question d’être en mesure de reprendre son calme, bien qu’il en était loin du but.

« Si tu es venue pour constater le bon travail de tes hommes, soit. Si tu es venue ici pour tuer des elfes, alors tu es aussi au bon endroit. Mais sache qu’ici, je suis seul maître. »

Ce n’était en rien une leçon de guerre. La Voix exprimait simplement son opinion mais il le prit comme tel. Soit. Il n’était pas possible d’examiner les méandres de son psychisme dans cet endroit. Elle était donc incapable de saisir ses pensées donc la sombre devait interpréter. Des signes ne trompaient bien évidemment pas. Le regard était le premier facteur d’alerte autant que les mini-expressions inconscientes dans lesquelles ses traits se complaisaient. Tous ces indices lui indiquèrent qu’il était en colère et exaspéré. Elle était donc prête à recevoir et à donner s’il l’eut fallu. La Haute-Prêtresse fit mine de chasser son poing mais sans succès. Ses doigts pouvaient dés à présent enserrer son délicat cou de signe. Elle humait l’éruption de sa haine en fermant un instant les yeux. Ce sentiment était délectable quoiqu’on en dise et lui hérissait presque la chair. Sa perversité n’avait sans doute aucune limite autant que son fanatisme et son amour pour la Mère. Face à l’étouffement, la Prima Sanguis semblait jubiler, ne s’offusquant pas même du manque d’air. Au nom de quoi serait-elle l’écho de Teiweon si elle avait peur de la mort ? La mort était son amie et mourir ne l’effrayait pas. Le coin de ses lèvres se rehaussèrent d’un sourire malsain tandis que son souffle n’était plus. Elle se mordit même la lippe inférieure de béatitude jusqu’à ce qu’il relâche et ne la repousse. Les talons reculèrent de quelques pas et tel un chat, la Noirelfe s’étira agilement pour délasser ses muscles qui s’étaient subitement contracté face au manque d’air, réaction naturelle pour le corps. Le minois imprima un mouvement circulaire tandis qu’elle fit craquer sa nuque et ses vertèbres. Nagi, son familier, ne tarda pas à frotter sa frimousse contre la joue de sa maîtresse qui se remettait peu à peu de la fureur de son collègue. Elle grattouilla le menton de l’animal qui reprit sa position mollassonne après avoir craché de colère sur Velkyn. Après tout, n’avait-il pas intenté à la vie de sa maîtresse ? Bien qu’Elvanshalee avait été calme et de fait n’avait pas entraîné de réaction agressive de la bête. Nagi savait très bien qu’elle fut son geste.

« Alla, alla... Ce n’est pas une langue coupée qui m’empêcherait de parler, Velkyn... Voyons. Tu serais étonné de savoir ce que je suis capable de faire grâce à Teiweon. »

La Faucheuse ne tarda pas à se rapprocher pour s’appuyer sur l’épaule valide du Haut-Prêtre.

« Et cela priverait aussi sans doute Tebirahc des bienfaits de cette dernière. Cela m’étonnerait qu’il soit content après cela... Mais il est vrai que tu as de la chance, il est loin maintenant et n’est plus qu’un fantôme. »

Bien qu’élever ses deux enfants, seule, l'embêtait uniquement pour des questions pratiques, l’Ombre de la Mère ne sembla pas plus que cela, affectée par l’abandon de son compagnon qui devait sans doute s’être perdu en Nanie à moins qu’il soit mort à l’heure actuelle. Elle n’en savait rien et n’avait aucune nouvelle.

« Les Dieux nous ont offert la possibilité de manier l’Art, je ne vois pas pourquoi je m’en priverais. Et plus tu en uses, plus tu te perfectionnes. Toute occasion est bonne pour moi. »

Autrement dit, si elle avait décidé de jouer de ses arcanes sur lui, elle ne s’en priverait certainement pas.

« Quant à l’art de guerroyer, je ne prétends pas te donner des leçons. Je t’expose mon avis sur la chose, si avoir une opinion qui semble apparemment différer de la tienne te pose problème, je t’inviterais à avoir un esprit un peu plus ouvert. »

Finalement, la Faucheuse se détacha du drow pour reprendre son assise précédente. Elle croisa machinalement ses longues jambes dont les chevilles étaient parées de quelques bracelets. Ses oreilles en pointes se tournaient machinalement vers les dernières paroles du Haut-Prêtre. Retroussant légèrement ses voiles, elle dénudait l’une de ses cuisses enserrée entre les lanières d’un fourreau qui renfermait une dague, certainement empoisonnée. Un sourcil s’arqua.

« Seul maître... Alla, alla... Tu parles de cette pièce ou de Yutar ? Car dans ce cas-là, je me ferais une joie de rapporter tes propos à notre cher Karliik Glenn afin avoir son avis sur la question. »

Autant pouvait-il se targuer d’être la Sainte voix du Père, autant être le maître de cette forteresse, cela était peut-être un peu trop. Même dans son égocentrisme la plus pure, Elvanshalee ne tiendrait pas de tels propos. Elle savait qui était Malag'eyl. Elle connaissait son caractère et connaissait son opinion sur la question de la religion. Peut-être que Velkyn avait raté sa vocation. Peut-être aurait-il été préférable pour lui d’être Obok Senger plutôt que Haut-Prêtre. Elvanshalee était pensive face à cette question.

Peut-être n’avait-elle pas porté atteinte à l’intégrité de ses décisions militaires, après tout. Mais quand bien même avait-elle tut bonnement offert son opinion sur la chose, la mal interprétation du Prima, de pairs avec le petit coup de pute qu’elle lui avait affligé, semblait l’avoir poussé à bout. À fleur de peau sans doute, sa poigne s’était refermée sur sa gorge avec une telle vigueur, qu’il en chercha à l’asphyxier dans la minute qui suivait. Un voile rouge assombrissait ses yeux rageurs et son âme noircissait â vue d’œil, tant la colère et la hargne le gangrénait. Son regard plongea tête première dans le sien et s’il eut pour ses propos une quelconque rancune, son immuable calme venait désormais jeter de l’huile sur le feu de ses émotions instables. Bien que furibond, sa cécité passagère ne lui fit pas oublier tout le respect qu’il avait pour elle et il fût, bien évidemment incapable de lui ôter la vie. Ses doigts tremblotèrent sous la pression de sa poigne et même s’il eut voulu lui rendre son souffle, la simple vision de son regard assaillie par la béatitude de l’asphyxie, l’écœurait au plus haut point. Ce petit sourire mutin, ses yeux entrouverts, mais surtout, le fait qu’elle ne se débatte pas et qu’elle aille abdiquer si rapidement à la vie … Il aurait vomi, s’il avait omis que sa Maîtresse l’attendait de pied ferme et que sa place à sa dextre lui était déjà toute désignée. Elle ne craignait pas la mort, elle l’embrassait sans doutances d’ores et déjà. La violence, les menaces, rien ne pouvait l’ébranler, semblait-il … Elle contrôlait ses émotions avec tant d’aisance qu’il n’aurait pas été folie d’affirmer qu’elle en était dépourvue.

Ses doigts se délièrent enfin. Elle reprit sa contenance en peu de temps et ceci n’allait pas agir comme un baume sur son état d’esprit troublé et franchement agité. Il offrit une œillade au compagnon de son invitée, se tenant aux aguets. Elle s’approcha de nouveau et cette fois, il prit soin de ne pas se laisser berner par ses jérémiades ou ses doucereuses attentions. Il la laissa déblatérer pendant qu’il se priva momentanément de son droit de parole, sans doute dans une technique d’autocontrôle de ses émotions. Son cœur battait encore mille fois trop rapidement et son souffle semblait plus court encore que le sien, quand bien même fût-elle privée d’air pendant de longues et interminables secondes … Elle défendait les bienfaits de son art, mais pour un combattant de sa trempe, ces mots n’avaient aucun sens pour lui. Si la Voix de la Mère s’était consacrée moult années à perfectionner cet art complexe, Velkyn quant à lui avait négligé ces enseignements au profit de son talent premier : l’art de la guerre. Le contrôle de son propre corps, les duels, les mêlées, les stratégies et le maniement de moult types d’armement était sans équivoque ce pourquoi il était atout majeur sur le champ de bataille. Il n’avait aucune idée de l’étendue de la puissance d’Elvan et il masqua sa crainte d’en connaître l’étendue sous un voile d’indifférence.

Peut-être était-ce folie mais le nom de Tebirahc ne le fit pas même sourciller. Les années, le titre qu’il avait obtenu mais aussi, les voix qui lui chuchotaient incessamment à l’oreille avaient fait de lui quelqu’un d’insouciant face à la menace, non pas en sous-estimant ses adversaires, mais sûrement en se surestimant lui-même. Son plein de confiance lui avait certes donné le dessus sur nombres d’affrontements mais il était clair que ce serait sans nuls doutes, la raison de sa perte. Elle s’expliqua ensuite sur ses derniers commentaires et à cela, il ne s’en vit point courroucé. Il ajouta même :

« Tu t’y méprends. Ce que tu as dit, ça n’a rien de bête. La problématique est cependant plus complexe. Quand bien même voudrais-je abattre tout l’Anaeh ou même l’immoler d’un bout à l’autre, nous ne le pourrions. Le dernier Voile nous a démontré comme cette forêt se défendait et nous nous remettons à peine de l’évacuation d’Éraison. L’idée n’est pas mauvaise, non, mais le temps est mal choisi et les ressources manquent, pour le moment … »

Il mit emphase sur les derniers mots, comme s’il avait déjà envisagé de mettre à l’exécution les dernières recommandations d’Elvanshalee. Il roula son épaule endolorie question de chasser la douleur ou l’élancement qui la tenaillait. Ses sourcils se froncèrent comme s’il retenait une moue douloureuse, puis il croisait ses deux bras contre son poitrail dominant. Il marqua une petite pause après son sous-entendu à propos du Karliik Glenn. Elle s’appuyait sur des mots lancés sous le joug de la colère pour lui formuler un semblant de menace. À tenter de toujours contenir cette colère qui le rongeait, il finirait tôt ou tard à tout détruire en sa chambre.

« Ne te gênes surtout pas, je t’en prie. Nous commencions à nous faire trop ami, lui et moi. »

Loin d’être amis, ils avaient cependant réussis à convenir d’une alliance et d’un accord commun en Éraison afin de mettre main à la tâche ensembles. Religion et Armée avaient tous deux un rôle à jouer et bien malgré eux, les deux entités étaient indissociables. Le combattant d’élite se retourna vers son bureau pour en évaluer la distance, reculait de quelques pas et posait son postérieur sur le rebord dudit bureau. Établissant une distance somme toute raisonnable, il poursuivit, sur un timbre de voix qui laissait croire qu’il s’était calmé un tantinet.

« Quel est le but de ta visite, Elvanshalee ? »

Son regard plongeait de nouveau dans le sien, toujours froncé et sévère. Il se garda de lui dire qu’il avait pour elle quelques desseins qui pourraient au moins, la tenir occupée. Toutes ces années elle s’était occupée du bon maintien de l’ordre au Puy et après ces années d’oisivetés, l’idée de retourner fouler les champs de bataille pourrait à moyen terme, leur permettre de développer une certaine complicité, qui sait.

Spoiler:

Fine observatrice était un qualificatif tout voué à la Faucheuse car bien que son esprit fut embrumé par l’asphyxie des doigts de la Parole d’Uriz, elle n’en resta pas moins aux aguets. Sous ses voiles, ses diamants carmins scannaient méthodiquement toute expression qui put lui être transmise. L’assise de son siège fut pour elle source de repos après l’épisode de sa suffocation. Elle joignit, paresseuse, ses bras sur le dossier de sa chaise et y nicha l’une de ses joues en écoutant les propos de Velkyn. A cela, il avait entièrement raison. Cependant, Elvanshalee avait un avis bien arrêté sur la chose. La guerre qu’était celle-là eut tout simplement été malmenée et elle se demanda quelle idée traversa l’esprit des Obok Senger et plus encore du Karliik Glenn. Tout avait été mal orchestré. Et pour parfaire l’ensemble, un détachement sous les injonctions de Bol d’Jiv’elgg, ancien Haut-Prêtre de Kiel, s’étant lui-même arrogé quelques droits inappropriés avaient tenté d'envahir la Péninsule. La Voix de la Mère avait d’ailleurs demandé à ce que les survivants soient chassés pour pouvoir offrir à Teiweon un sacrifice de masse. Le massacre de masse, il n'y a que cela de vrai. Elle s’en réjouissait d’avance.  Bref pour en revenir au nœud du problème, les pertes du Puy étaient pour elle un réel gâchis comparativement à l’échec de la prise d’Éraison. En somme, ils en étaient au point mort, sachant que le Puy avait pratiquement mobilisée toutes ses armées et ses cultes alors que les elfes eux n’étaient pas autant sur le pied de guerre que les Daedhels. Les lèvres exprimaient une moue embêtée lorsqu’elle passait en revue les événements.

« Il est vrai. Cependant, il faut savoir se donner les moyens. Je te renvois aux écrits des anciens… A notre genèse. »

Elle faisait référence à l’histoire de leur race et l’apparition des Dieux. Un jour, Uriz marchera contre Kerhel. Et pour Elvanshalee, Kerhel n’était autre que Kyria. Peut-être était-il venu le temps de mettre fin à des cycles de guerre.

« Déjà géographiquement parlant, nous avons un désavantage certain. Bien que notre bastion soit le berceau d’Uriz… Il faut bien avouer que nous sommes trop loin de cette maudite forêt et si nous établissions comme autrefois notre emprise sur l’Ithri Vaan, nous n’aurions plus à subir ce désagrément de distance… A moins que… »

Elle se tut aux avant derniers propos du religieux. Et un petit rire sadique fusa d’entre ses lippes envieusement inaccessibles de par les remparts de ses nébuleuses étoffes. Pour l’instant, il n’était pas nécessaire de les monter les uns contre les autres puisqu’elle jugeait préférable de se battre contre l’ennemi commun plutôt que de s’enchevêtrer dans de nouvelles querelles internes. Non pour l’instant, Velkyn était gérable. Ne lui devait-il pas sa place ? Du moins son appui en tant que favoris ? D’une paresse toute féline, les courbes de la Sombre quittaient dès à présent son siège. Elle se meut jusqu’à lui et son bureau.  Le fessier s’accola contre le support autant que ses paumes et elle ne s'y hisse pour s’y asseoir.  Dans un couinement de délice, elle s’étira de tout son long, ses vertèbres se dénouant autant que sa nuque et ses épaules craquèrent. Après ce soupire, elle tendit ses gambettes, battant finalement nonchalamment les airs accompagnés de ces tintements métalliques. Apparemment, il n’aurait pas la suite de sa réponse puisqu’elle fut plutôt absorbée par sa question. La Daedhel avait, elle, aussi des desseins.

« Mhhhh… D’après toi ? »

Elle ne lui laissa pas assez de temps pour répondre, enchaînant et estimant que ses dispositions n’étaient point au jeu.

« C’est vrai… Tu n’es pas d’humeur. … Disons que je venais tâter la température. N’est-ce pas cocasse pour celui qui est la voix du Feu ? Je désirais voir aussi tes progrès. Là encore, c’est un peu présomptueux de ma part puisque tu es de deux-cents années mon aîné… »

Les lippes s’étirèrent dans un sourire espiègle.

« Vois là, tout simplement une visite de courtoisie. Cela est normal entre Hauts-Prêtres et Prêtresses de se fréquenter. Ne crois-tu pas ? Tu n'as toujours pas décidé d'embrasser entièrement les dogmes du Père en maîtrisant son Feu ? »

Elle faisait bien évidemment référence aux arcanes.

Au final, leur rencontre n’aura pas été vaine. De prime abord, la venue de sa consœur, s’il pouvait la nommer ainsi, lui sembla de fort bonne augure, la sachant encline à des échanges à tout le moins constructives et pour la majorité du temps, débordantes de sagesse. La Voix encore juvénile, n’avait pas pour elle les nombreuses années d’expérience de ses aînés, et pourtant, se démarquait sans grand mal par l’étendue de son savoir ainsi que de son sens du discernement. En cela, Velkyn ne pouvait que le nier. Ce qu’il savait, en contrepartie, c’est qu’elle avait ce don de surprendre, de faire tourner n’importe laquelle des rencontres en un quelque chose d’imprévisible. C’est ce qu’elle fit en provoquant flammèches qui, inévitablement, démarra un feu dormant, un brasier toujours ardent qui ne demandait qu’un prétexte pour se raviver de plus belle. Elle se brûla. Nul ne pouvaient y échapper, c’était là une fatalité à laquelle aucun mortel, comme immortel, ne pouvait espérer un jour s’esquiver, car la Voix d'Uriz avait se tempérament bouillant et qu'il adorait, par dessus tout, cracher son fiel sur le premier venu. Naturellement, quelques exceptions persistaient, notamment ceux qui adoraient la douce caresse qu'offrait la douleur d'une vive d'une brûlure ...

La discussion obliqua malencontreusement en des chemins sinueux où les détours donnaient sur de désagréables piques. Il frétilla tantôt sous le passage taquin de la main d’Elvan, chérissant désormais l’idée belliqueuse d’écourter sa vie. Seuls ses commentaires, ses mimiques er la profondeur de son regard perçant suffisaient pour l’irriter à ce point. Était-ce suffisant pour vous dire comme le tempérament du prêtre était prompt au changement ?  Néanmoins, la raison ne lui faisait point défaut, parce que force était d’admettre, que cette malicieuse et délicieuse créature avait appuyé sur l’abcès du problème. Ou l’un des problèmes majeurs, pour ne pas dire le pionnier de leurs maux : la distance. « Je veux bien t’accorder ce point. Le Puy n’aide en rien à soutenir les efforts de guerre que nous déployons ici, à des lieux de ce dernier. » L’Ithri Vaan était effectivement l’un des mots clés, l’une des solutions envisageable afin de mettre un terme à cette guerre qui perdurait depuis fort bien trop longtemps. Malheureusement, une fois le bras engagé profondément dans l’engrenage de la guerre, se retourner pour s’enligner en d’autres desseins aussi ambitieux, n’avait rien d’une simple tâche. Aussi préféra-t-il ne pas questionner d’avantage son invitée lorsqu’elle freina ses commentaires abruptement.

Les mirettes sanguines de Velkyn se déposèrent derechef vers la chatte au poil tirant sur le bleu, décrivant chacun de ses mouvements calculés. Son faciès inquisiteur n’avait rien d’avenant et pourtant, féline qu’elle était, elle se rapprocha de lui. Avait-elle d’ores et déjà oubliée qu’elle venait juste d’être mordue à la gorge ? Ou peut-être en avait-elle bonne mémoire, mais qu’elle appréciait justement cette ardente chaleur que dégageait ce brasier instable ? Nul charme ne fût lancé, ce fût que par sa grâce naturelle qu’elle fit s’ébrécher le sérieux du prêtre. Sa présence avait quelque chose d’énigmatique et d’enchanteur, deux choses qui piquait chaque fois, immanquablement, la curiosité du Prima. Puis, elle désarma ultimement les tensions en forçant la conversation en des sentiers plus doux, déjà battus. Bien qu’ils se heurtèrent contre un rocher, de grande taille non négligeable, lorsqu’elle fit allusion à sa lacune quant aux arcanes. Pour le guerrier qu’il était, le sujet était pesant et avait à son actif son lot de bagage. Bien qu’il savait désormais se prémunir du feu avec aisance, au fil des combats et des guerres dont il fût un des pions, il fût obligé d’admettre que cet art était une corde névralgique à ses talents de guerrier et qu’icelle, n’était que trop mince. Alors une grimace presque enfantine déforma les traits de son visage, lorsqu’elle le questionna. « Non, Elvanshalee. » Se contentait-il de répondre, agacé. Un long silence s’interposa entre eux deux, avant que Velkyn remplisse ses poumons d’air en une inspiration plus qu’éprouvante. « Mais je suis prêt à apprendre, ma sœur. » Lança-t-il, en piétinant à pieds joints sa fierté et son orgueil qui venaient tous deux de se faire oblitérer par ces simples mots.

L’aboutissement des pourparlers avait une valeur satisfaisante sans pour autant l’exulter réellement. Elvanshalee avait pu revoir Velkyn, juger sommairement où il en était du point de vue de ses positions. Pour l’instant, il profitait de la ferveur guerrière de Yutar et des combats avec leurs cousins amis de la nature. Il n’avait pas encore réellement dévoilé son jeu qu’elle tiendrait à l’œil par après. Il ne faudrait pas non plus que l’oiseau fasse son nid et redouble d’audace en se transformant en rapace.
Tout son être suintait l’exaspération. La Voilée n’avait jamais compris pourquoi elle insufflait cela dans les hautes-sphères du Puy. La seule personne… ou plutôt les seules qui avaient réussi à inverser la tendance étaient les Hautes-Prêtresses d’Isten, Ssinssrin. Celle qu’elle avait eu en face d’elle l’avait décontenancé et agacé. Et pour autant, elle appréciait fortement ce personnage qui reflétait la déesse-même et dont elle espérait un jour incarner le parangon vis-à-vis de Teiweon. Elle pouvait peut-être se conforter dans le fait que les noirelfes n’appréciaient pas faire face à la Déesse des âmes qui annonçaient en soi la fin sur cette terre. Ils se sentaient peut-être frustrés.
Quoiqu’il en soit en ce jour, sa voute plantaire retrouvait à nouveau le sol et elle se rangeait face au Haut-Prêtre en silence. Les mains jointes dans son dos, elle l’observait silencieuse. Il venait de délivrer son sacrement. Ainsi soit-il. Sans jouer de sa « relative » ascendance vis-à-vis du fait qu’il ne maitrisait point les arcanes, le minois acquiesça.

« Bien. Quand tu t’en sentiras l’envie. Mes bras t’accueilleront. Ma voix te guida. »

Théâtralement, le haut de son buste s’inclina, les mains en croix. Et après un élégant pivot, sa silhouette s’évapora dans le dédale ténébreux accompagné d’un petit rire espiègle.