Rentrer chez soi | Yriaë

Dans la nuit de Kÿrianos à Julas
De la sixième ennéade de Karfias
De la neuvième année du onzième cycle.

Cela faisait un peu plus d'un mois qu'il occupait la place de régent. Un peu plus d'un mois qu'il n'était pas revenu en Quatrième Saison. Alors qu'il ne l'avait pas quitté depuis des décennies avant qu'il ne parte pour la capitale. C'était étrange, parce qu'il n'y avait pas vraiment pensé, il le besoin de rentrer chez lui ne s'était pas fait ressentir. L'impression de ne plus y être non plus, à vrai dire. Mais aujourd'hui, alors qu'il foulait le sol des terres dont il était responsable, il sut qu'il avait quitté l'endroit qu'il considérait comme être chez lui. Il sut qu'il rentrait à la maison. Et rien que ça l'emplissait d'un sentiment de bien être nouveau. Il était chez lui. Plus leurs pas avançaient en nombre, plus il se rapprochaient de l'endroit qu'il s'attendait tant à découvrir. Il savait qu'il verrait d'abord l'immense mur de pierre. Avant d'entendre les clapotis de l'eau. Et d'enfin apercevoir les deux colosses. Il pouvait voir se dessiner tout en haut la Maison de l'Architecture. Il pouvait deviner le plateau où se rassemblaient les fervents adorateurs d'Elenwë. Revoyait parfaitement l'espace si particulier dédié aux moines de Calimenthar. Sentait les odeurs particulières qui se dégageaient de chaque cargaison dont le bateau s'amarrait au port. Il sentait le frisson du vent sur sa peau, celui là même qui soufflait là où les pierres s'arrêtaient, là où on avait vu sur l'immensité de l'Oeuvre, là où on ne sentait plus qu'infime poussière dans le monde qui grandissait autour.

 - Tu y penses aussi, n'est-ce pas ? Tu le sens, que la maison n'est plus si loin. Qu'elle t'appelle et que tu lui réponds en toute simplicité. C'est agréable, ce sentiment. Revenir aux sources, revenir chez nous. Là où rien de mal ne peut arriver, là où tu te sais en sécurité. Tu crois que pour eux, dit-elle en passant doucement une main sur son ventre, cet endroit sera Alëandir ?
 - Tu me surprendras toujours. Tu es sûre que tu ne lis pas un peu dans mon esprit, que tu n'as pas du tout de sensibilité à la magie ?
 - Tu es un livre ouvert pour moi, Anorn ! Tu peux te vanter d'être de pierre pour les autres, impénétrable et mystérieux. Mais je te connais. Tes épaules sont plus détendues, tes yeux un peu plus brillants. Ta respiration plus intense et moins rapide. Je le sens, que tu es mieux.
 - Trahi par mes épaules ? C'est original, je dois le reconnaître ! Quant à eux, je ne peux prévoir l'avenir. Mais c'est bien parti pour qu'Alëandir les voit grandir. Si ce n'est pas le cas, ne t'en fais pas, j'ai été élevé en Quatrième Saison et je crois que cela n'a pas été un handicap ! Loin de là, je suis régent du royaume, archimage de la vie et, bien au delà de tout ça, j'ai épousé la plus belle et la plus adorable des femmes du monde. Je m'en tire à bon compte, il me semble, non ?

Un rire franc et empli de joie éclata sous la canopée. Un des gardes qui ouvrait la marche se retourna tant il en fut surpris, mais sourit quand il vit le visage rayonnant d'Arwain. Il fallait dire que son bonheur était communicatif, elle avait toujours eu le don de remplir le cœur des gens de joie. D'en chasser la tristesse et l'angoisse. Pour ne laisser place qu'à l'instant présent, celui là même qu'elle façonnait à son envie. Auquel elle donnait forme avec brio. Il aurait voulu la prendre dans ses bras à cet instant, la tenir fermement contre lui, sentir son parfum et la chaleur de sa peau. Mais il ne pouvait céder à toutes ses envies, particulièrement lorsqu'elles venaient à être déplacées en public. Inspirant profondément, il s'ouvrit au flux pour tromper ses désirs qui se faisaient un peu trop envahissant. Les éclaireurs n'avaient pas rapporté d'activité étranges, mais ils avaient pu manquer quelque chose. Qu'il sentirait peut-être autrement. Et ce qui n'avait été au début qu'un moyen de tromper ses envies se révéla bien vite plus que cela. Il sentait autour d'eux la vie, certes, mais un peu plus. Il sentait une empreinte, très étrange, qu'il ne connaissait pas. Quelque chose de si particulier qu'il sut que l'être à qui elle appartenait n'était pas insignifiant.

 - Continuez doucement d'avancer, mais je crois qu'on nous observe. Ne vous affolez pas, il s'agit peut-être seulement d'une enfant. Le lieu de la halte que nous avions prévu pour le reste de cette nuit est tout proche. On s'y arrêtera comme prévu, est-ce clair ?
 - Mais mon régent, il se peut que...
 - Très bien, si personne n'a d'objection, il en sera ainsi.

Un léger sourire se dessina sur les lèvres d'Arwain et un éclat de rire contenu souleva brièvement ses épaules. Il avait le don de couper court à toute opposition, du moins quand il jugeait qu'elle n'avait aucune pertinence. La seule chose qui la préoccupait à cet instant était ce qu'Anorn avait senti. Parce que son dos s'était à nouveau raidi, mais ses yeux ne s'étaient pas départi de cette lueur joie. Alors qu'avait-il perçu ? Quelque chose qui éveillait sa curiosité, pour sûr. Et elle en fut certaine quand, une fois arrivés à l'endroit où ils passeraient le reste de la nuit, il s'éclipsa discrètement. Il lui avait dit de ne pas s'inquiéter, qu'il restait dans les parages et qu'il ne s'aventurerait pas assez loin pour être complètement hors de portée de voix. Seulement assez pour s'isoler. S'enfonçant dans les fourrées, il prit la direction qu'il supposait être celle qui le rapprocherait le plus de l'être qu'il avait senti, puis s'arrêta ni trop loin, ni trop près. Du moins l'avait-il jugé ainsi. Et sans plus de formalité, sa voix troua le silence relatif qui régnait au sein de l'Oeuvre.

 - Je sais que vous êtes là. Je n'ai aucune idée de qui vous êtes ni de ce que vous voulez. Me feriez-vous l'honneur de vous présenter ? Ou allez-vous vous contenter de nous regarder de loin ?

« Anornedellon Nedi Lûcannui »

Une voix s’était élevée. Douce, agréable, envoutante, mystérieuse mais aussi perçante, comme si la symphonie elle-même avait prononcé son nom. Comme si la forêt entière l’appelait, lui, celui qui avait tout pour devenir le nouveau Roi des Taledhels.

Au milieu de leurs Frères et de leurs Sœurs, il cherchait, en vain.

« Anornedellon Nedi Lûcannui » Répéta la voix, une nouvelle fois.

D’entre les arbres, apparu alors celle qui, non sans raison, l’observa depuis quelques heures maintenant. Sous forme de Fanuël Mâle, impressionnante de grandeur, imposant sa noblesse, dominant la Forêt. Au pelage d’un blanc éclatant. L’animal semblait comme illuminer l’espace qui l’entourait. La Symphonie se faisait plus agréable en sa présence, chantant ses louanges, priant sa présence, exprimant sa joie de la rencontrer enfin, celle dont ils avaient tous entendu parler.

Un pas, puis un second. L’animal s’approcha doucement de l’être qui lui avait demandé l’honneur de se présenter à lui. L’elfe paraissait bien petit face à lui, alors que sa propre tête ne dépassait point le garrot de l’animal. Aucune agressivité n’apparut dans son regard, malgré l’immensité et la dangerosité de ses bois qui lui permettrait toute défense en cas d’attaque.

Il resta planté là un moment, attendant la moindre geste qui pourrait l’inviter à se présenter, renfilant calmement, sans lâcher le Roi du regard.

Son nom résonna autour de lui sans qu'il ne puisse en déterminer la provenance. Il venait de partout et nulle part à la fois. C'était assez étrange, parce qu'il savait que ce n'était pas un produit de son imagination et pourtant il n'arrivait pas à être certain de ce qu'il avait entendu. Alors comme pour lui donner cette certitude, son nom se fit entendre à nouveau. Et apparut alors un fanuël. Face à lui se dressait l'immense bête à la robe immaculée et aux bois immenses. Il était bien plus imposant qu'Anorn et ce dernier du légèrement lever la tête pour le voir dans son ensemble. Etait-ce lui qui l'appelait ainsi ? Il n'en doutait pas vraiment. Parce qu'il avait su dès son apparition que c'était ce qu'il avait senti. Que ce tenait devant lui l'être qui s'imprimait ainsi sur le flux. Légèrement mais indéniablement. Un novice aurait pu prendre cette empreinte pour une simple irrégularité, mais lui sentait au delà. Il avait l'expérience liée à l'âge, le savoir qu'il avait su accumuler au fil des siècles. Alors quand il s'arrêta à quelques pas de lui, Anorn n'aurait su émettre un seul son. Parce qu'il n'avait rien à dire, parce qu'il n'y avait rien à dire.

La chaleur de l'air que l'animal exhalait caressa doucement le poing qu'il venait de tendre vers lui. Ses naseaux n'étaient plus très loin de ses phalanges, alors l'elfe attendit que s'établisse un contact ou qu'un frémissement parcourt l'encolure de l'animal avant qu'il ne détale. Il n'avait aucune idée de ce qui allait pouvoir arriver par la suite, mais cela n'occupait même pas ses pensées. Non, ce qu'il était entrain de se demander était d'un ordre tout autre. Qui était ce fanuël pour ainsi imprimer le flux ? Qu'avait-il de si spécial ? Il avait bien une réponse qui lui venait à l'esprit, mais après tout il n'était qu'un citadin. De ceux qui n'ont aucun désir de vivre parmi les noss, qui ne voient pas la nécessité de retourner des millénaires en arrière quand la mère leur a donné l'aptitude de bâtir des empires. Et le dernier druide en date qu'il avait rencontré n'avait pas cette prestance, encore moins cette influence. Alors peu certain de lui, il attendit simplement qu'il se passe quelque chose. Qu'on le tire de cet étrange situation, où il savait ne plus rien contrôler. Et où il n'avait pas la prétention de vouloir contrôler quoi que ce soit.