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 [Ranimer les cendres] Le festin de Gromgrund

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Dun Eyr
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MessageSujet: [Ranimer les cendres] Le festin de Gromgrund   [Ranimer les cendres] Le festin de Gromgrund I_icon_minitimeSam 3 Déc 2016 - 9:53

Tariho de la première ennéade de Favriüs, An 9 du XIème Cycle

      Gromgrund, déjà ! Les béliers de guerre avaient fait des merveilles, une fois de plus, sourit Doriakh. En jetant un regard par-dessus son épaule, le chef des éclaireurs d’Almia aperçut le moutonnement confus de sa troupe, qui se répandait sur les contreforts comme une traîne. Ils étaient près de cinquante – autant qu’on avait pu, en toute hâte, faire venir du Nivor des béliers de guerre – et, juchés sur le dos de leurs montures agiles, ils semblaient bondir et rebondir sur les flancs rocailleux de la vallée, comme des insectes monstrueux ; mais des insectes barbus, et munis de haches robustes.

      A présent le village était devant eux. Dans l’aube frémissante, Doriakh devina plutôt qu’il ne vit les protubérances rocheuses à demi bâties dans la roche, et les huttes de bois, prolongées de cavernes de pierre. Almia, depuis les débuts de sa reconquête, avait rarement dépêché des émissaires jusqu’à Gromgrund : verrou clef de la Nérania, pourtant, mais verrou difficile à faire jouer, avec sa dyarchie de clans rivaux et ombrageux. La cité de l’Est avait délaissé le village, et s’était absorbée dans ses propres luttes, contre la horde verte. Mais à présent, Mogar avait bousculé les équilibres du Zagazorn : de nouveaux traîtres au sang Nain s’ameutaient à l’Ouest – et entre Almia et ses proies, aucun village ne pouvait s’élever.

      Les montures s’étaient arrêtées en lisière de Gromgrund. De là, Doriakh et ses éclaireurs voyaient les premières fortifications, taillées dans le bois, mais assises sur la roche. De rudes défenses, songea lugubrement l’Almien.

      « Nains de Gromgrund ! » tonna-t-il, et son appel ricocha en écho dans la Nérania. « Le prophète Dun Eyr a vu les ennemis s’amasser pour fondre sur Almia, et il a fait lever l’armée pour la défendre. Moi, Doriakh, missionné par le prophète, je vous ordonne d’ouvrir votre village au passage de l’armée d’Almia. Mogar maudisse ceux qui s’opposent aux plus fidèles de ses fils ! »

      Lorsqu’il eut fini de parler, l’écho roula encore de longs instants sur le village ; puis le silence retomba, soudain, assourdissant. Les premiers rayons du soleil perçaient derrière la petite troupe, à l’Est, et ils découpaient leurs ombres démesurées sur Gromgrund. Mais, encore nimbée de la lueur placide du troisième astre, la collection de cahutes demeurait vide de tout bruit. Doriakh glissa un regard méfiant autour de lui. Dans la troupe, quelques béliers de guerre faisaient jouer leurs sabots contre des cailloux, presque par ennui.

      « Nains de Gromgrund ! » appela une seconde fois Doriakh, et l’écho alla mourir entre les parois de la vallée. Le mutisme du monde pesait lourd sur les Nains. Doriakh hésita une seconde encore, en considérant les masses à moitié excavées du village ; puis il agrippa les rênes et il engagea son bélier de guerre dans le village, les Almiens à sa suite.

      Gromgrund était vide, crut Doriakh au premier regard. Puis il se corrigea : non, Gromgrund était mort. Les maisons gisaient, éventrées, éventées ; du sang séché brunissait partout la pierre ; et des formes de corps, ici ou là, saillaient à moitié hors du sol. Le soleil grandissant révélait peu à peu le charnier du village. Doriakh grimaça devant tout cela ; derrière lui, les Almiens murmuraient, mais sans passion. Le Zagazorn avait été traversé par trop de batailles, pour que les Nains regardant ça avec autre chose qu’une froide tristesse – et une fierté aiguë, celle d’être encore en vie. A ceux qui avaient exploré les entrailles conquises d’Almia, le village vaincu rappelait les profondeurs profanées par les Gobelins.

      Doriakh stoppa son bélier au niveau de ce qui avait dû être, un jour, le centre du village. Les reliefs d’une Naine s’attardaient là, affreusement fichés au bout d’un épieu ; et de son corps lacéré, il ne restait qu’une masse de cheveux autrefois roux, maintenant rougis.

      « Qui a fait ça ? » questionna doucement une voix, derrière Doriakh. Le chef des éclaireurs tourna la tête, vers le Nain qui avait parlé, et il reconnut les runes entrelacées sur son tabard : Alkhar, le prêtre de Mogar. Almia joignait toujours des prêtres aux troupes qu’elle dépêchait ; comme pour ancrer ses enfants, dans les remous absurdes que traversait le Zagazorn aujourd’hui.

      Doriakh ne répondit pas. Son esprit avait déjà bondi à une autre question, plus brûlante : « Comment n’avons-nous rien vu ? Quelle armée aura osé commettre un massacre dans la Nérania, aux portes d’Almia, sans que nous la voyions passer ?

      – La vallée est gorgée de mystères, Doriakh »
, répondit sentencieusement le prêtre. « Le Père seul sait quels ennemis nous y guettent. »

      Les deux Almiens se turent, et leurs regards retombèrent au même instant sur la dépouille mutilée de la Naine, à trois pas devant eux. « C’est Tariho, le jour des morts », observa doucement Alkhar. Le chef des éclaireurs lui répondit par un hochement de tête, et laissa le prêtre disposer des morts.

      Toute la matinée, les Almiens recueillirent les corps fracassés des Nains de Gromgrund. Ils les portèrent vers le centre du village, et là, ils les brûlèrent. Alkhar avait convoqué un feu blanc, aux reflets d’ivoire et d’os : une flamme du deuil. Bientôt le bûcher se mit à dévorer les restes des Nains. Et inlassablement, d’un coin ou un autre du village, des éclaireurs revenaient, un cadavre passé en travers du dos de leurs béliers – un cadavre au début, puis, de plus en plus souvent, quelques membres seulement ; des crânes ; de petites masses de chair pourrie ; quelques fils d’une barbe. Les vapeurs de putréfactions couvraient Gromgrund, alors que le feu faisait éclater les gaz dans les corps gonflés par la mort. Des filets âcres embaumaient les Almiens dans leur sinistre tâche. « Accède au repos, enfant de Mogar », répétait Alkhar, avant de livrer la dépouille aux flammes blanches. Le prêtre, au plus près du feu, s’efforçait de chasser de son nez l’odeur qui s’échappait de ces corps en feu – le fumet d’une viande grillée …

      A midi, les cadavres s’étaient faits rares. Les éclaireurs avaient cependant trouvé quelques dépouilles encore, loin, dans une mine. Mais la plus grande part de Gromgrund brûlait déjà dans les flammes, que le bûcher projetait haut dans le ciel : beaucoup de Nains prenaient aujourd’hui leur départ du Zagazorn. Doriakh, revenu au centre du village, considéra un moment le feu ronflant. Puisse Mogar accepter ceux qui n’avaient pas eu la force de rester. Puis le chef des éclaireurs s’empara d’une petite cage sur le flanc de son bélier, et en tira un corbeau messager. Il le lesta d’une missive pour Almia, annonçant la chute de Gromgrund, et il libéra l’oiseau. Le corbeau croassa fièrement, il étendit ses larges ailes de jais, et s’envola dans les airs.

      Puis il y eut un sifflement, un choc, et l’oiseau s’écrasa au sol k – fracassé en plein vol.

      « Alerte ! » rugit au loin une voix, mais une seconde trop tard.

      Pour la deuxième fois, Doriakh grogna de stupeur en constatant que les éclaireurs d’Almia avaient été dupés. De l’Ouest, de la montagne, de partout, des ombres s’étaient mises en mouvement, sous le couvert des arbres. Les Almiens pouvaient apercevoir les coteaux de la Nérania, sur les deux flancs de la vallée, qui ondulaient sournoisement ; et les Nains s’attendaient à ce que des bêtes en surgissent à tout instant. Le bruit d’une colonie d’insectes sur le chemin de la guerre émanait confusément de ces arbres qui ondoyaient.

      « On se regroupe ! » siffla Doriakh, assez inutilement. De tous les côtés, des béliers de guerre jaillissaient à grand bonds, portant des Nains qui avaient empoigné leurs haches. Tous s’amassèrent au centre de Gromgrund, près du bûcher. Nourries d’autant de cadavres, les flammes se projetaient plus haut que jamais. Une épouvantable odeur exhalait à présent du feu : c’était celle du graillon, celle de la chair qui cuit. Doriakh se maudit de ne pas avoir pensé que, à l’approche de l’hiver, le parfum d’un tel festin allait appâter les prédateurs de la vallée.

      « Doriakh ! » l’apostropha Alkhar. « Il faut se replier à Almia !

      – Non »
, répondit le chef des éclaireurs. « Pas avant de savoir qui sont ces bêtes ! »

      Un mauvais silence passa sur la troupe lorsqu’il dit ces mots. Les Almiens regardaient vers les arbres agités, puis ils se jetaient entre eux quelques œillades embarrassées – et Doriakh lui-même ne put prétendre plus longtemps qu’il ignorait quelles étaient ces bêtes. Comme les autres, il avait vu, jaillissant des contreforts boisés, à l’Est, dans la pleine lumière de midi, ces barbes filasses, torsadées de sang séché. D’ici, tous entendaient les grognements de la meute, où surnageaient des mots familiers. Ils voyaient les haches blanches, taillées dans l’os, qu’agitaient leurs ennemis – leurs cousins.

      Des Nains sauvages. « Briessa les maudisse tous », gémit Doriakh, en voyant la meute dévaler les flancs de la Nérania. Le retour à la nature semblait les avoir courbés, plus proches de la terre ; et ils s’enveloppaient dans des peaux de bêtes, mal évidées, d’où ils avaient laissé pendre une couche de graisse, pour se prémunir du froid. Ces Nains étaient sales, englués dans le sang séché de toutes leurs chasses. Avec eux venaient d’autres formes, des bêtes des montagnes, des ours démesurés.

      Les Almiens regardèrent un instant cette marée de griffes et de crocs qui fondait sur eux. Doriakh avait pâli, frappé de stupeur. Autour de lui, quelques éclaireurs commençaient à faire tourner la bride à leurs béliers. Alkhar, le prêtre, regarda un instant le chef des éclaireurs, toujours immobile. Puis il hurla : « Fuyez ! », et toute la troupe des Almiens s’ébranla vers l’Est, hors du village mort. Alkhar agrippa les rênes du bélier de Doriakh, et ils s’enfuirent tous les deux, bons derniers parmi les éclaireurs. Ils abandonnaient derrière eux le bûcher, qui flambait jusqu’aux cieux.

      La troupe n’alla pas loin ; elle n’en avait pas besoin. Les Almiens s’immobilisèrent à quelques jets de pierre en aval de Gromgrund. Le fumet de la viande grillée ne les avait pas trompés : c’était cela qui avait appâté la meute. De là où ils étaient parvenus, les éclaireurs discernaient encore le centre du village. C’était là que la masse des Nains sauvages s’était regroupée. Ils dessinaient comme une couronne noire, à bonne distance du feu blanc, qu’ils n’osaient pas approcher. Quelques-uns tentaient d’approcher une main, puis ils se rétractaient, les doigts roussis par le feu. Les ours claquaient leurs mâchoires menaçantes, vers ce festin si proche, pourtant inaccessible ; certains des Nains les imitaient, mordant l’air avec envie.

      De loin, les Almiens considéraient cela avec révulsion – mais une révulsion modérée. Tous avaient combattu longuement dans et autour d’Almia ; tous connaissaient la valeur de la viande à l’approche de l’hiver. Alkhar fut le premier à parler :

      « Il faut y retourner, il faut leur parler.

      – Quoi ? »
grogna Doriakh. « Pas question. Mogar emporte ces souillons de Briessa, ils ne sont plus de notre monde.

      – Ils ont faim, Doriakh ! »
Le prêtre avait crié cela, presque avec triomphe, dans un grand sourire. Un éclat génial brillait dans les pupilles noires du prêtre. « Ils ont simplement faim ! Apprends leur qu’Almia peut les nourrir, et ils feront des dogues dociles.

      – Mais Almia ne peut pas les nourrir ! »
rétorqua le chef des éclaireurs. « Les greniers sont remplis en vue de l’hiver ; pour les guerriers du Père, pas pour ceux-là !

      – Almia ne peut pas les nourrir, non »
, répéta Alkhar en serrant les rênes de son bélier. « Mais la guerre qu’Almia s’apprête à mener, oui. »

      L’instant suivant, le prêtre avait lancé son bélier à nouveau en direction de l’Ouest, de Gromgrund. Les Almiens entendirent la bête gémir faiblement, mais elle ne flancha pas, et elle emporta Alkhar vers le village et la meute. Le bûcher découpait les reflets incendiaires de la silhouette du prêtre, tandis qu’il apparaissait à proximité des Nains sauvages, tous hérissés de crocs à sa vue. On vit Alkhar et son bélier s’arrêter devant le cercle des barbares. On le vit agiter les bras, et faire danser sa barbe, comme il haranguait la meute toujours affamée. On vit les Nains sauvages grogner entre eux, en s’échangeant des regards, comme s’ils soupesaient le poids de viande dans la proposition de l’Almien. Et, enfin – avec horreur – on vit le prêtre élever un bras et commander aux flammes blanches de s’éteindre. Le bûcher mourut à l’instant. Il laissait derrière lui des cadavres à demi calcinés, comme des sarcophages de charbon, qui refermaient de la chair délicieusement tiédie. Il y eut des hourrahs sanglants, et la meute fondit sur les restes de Gromgrund. C’était le premier festin qu’Almia lui livrait.

      Loin de là, Doriakh détourna pudiquement les yeux, pour ne pas voir ce pacte conclu sur les têtes des Nains de l’Ouest – leurs ennemis, leurs frères, et leurs proies.
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