Au cœur des affaires [Solo]

~ Les seules limites de nos réalisations de demain, ce sont nos doutes et nos hésitations d'aujourd'hui ~

Barkios, 5ième jour de la 1ière ennéade
9ième année du 11ième cycle

Manoir de la famille di Celini, tard le soir.


Ordonner. Il était courant dans le Sud pour une famille noble de tremper dans les principaux échanges commerciaux du duché. Jamais les affaires de la famille di Celini n’avaient été jugées comme douteuses. Cette famille historique avait bâti sa réputation autour de la confiance et de relations solides avec d’autres confrères du duché. Tous les autres nobles du royaume pouvaient-ils se targuer d’une réputation obtenue à la sueur de leur front ?

Clarifier. En affaires les Celini étaient toujours clairs et concis. Leur famille n’était guère importante en nombre de descendants, et cela simplifiait les choses : il n’y avait pas pléthore de décideurs. Giuseppe, le père de Franco, avait été le dirigeant des affaires familiales en son temps. Aujourd’hui, c’était la parole de Franco qui comptait. Mais il n’était pas un parvenu. Pour en arriver là, il avait appris, marchandé et échangé aux côtés des nobles du royaume pendant de nombreuses années.

Optimiser. Voilà le maître mot. En affaires comme ailleurs, il fallait savoir être efficace. Chaque acte devait être préparé et pensé à l’avance tout en laissant une marge pour l’improvisation en cas d’évènement imprévu. Dans chacune de ses entreprises, Franco se posait toujours la question suivante « Quelle est la finalité ? ». Après tout, une vie sans buts serait bien terne et dépourvue de sens.

Ordonner, clarifier, optimiser. Franco s’était réservée une journée entière pour mettre de l’ordre dans ses affaires. Il voulait être conscient de chacun des accords, chacune des actions entreprises par la famille di Celini pendant ces derniers mois. Il s’apprêtait à devenir duc de Soltariel. Il se devait, pour lui et pour le peuple de Soltariel, de ne laisser transparaître aucune erreur. Lorsqu’il serait officiellement duc, il aurait clairement moins de temps à consacrer aux affaires familiales. Il avait bien des collaborateurs ou des cousins qui maintiendraient la machine à flots mais le monde des affaires serait différent pour la famille di Celini. On ne traite pas avec la famille dont le blason flotte sur les remparts du palais comme avec le simple seigneur du coin. Il ne savait pas si son entourage avait clairement conscience de ce paramètre et des conséquences imminentes qu’il engendrerait.

L’aurore venait de poindre lorsque Franco avait commencé à entreprendre son travail dans son bureau. Tout y était passé, des livres de comptes aux registres familiaux, des lettres de crédit à l’inventaire des stocks de l’entrepôt familial. Aucun détail ne devait lui échapper. C’était un travail long et fastidieux, mais il s’en sentait capable et il se savait surtout en capacité de retenir toutes ces informations. Lorsqu’il œuvrerait depuis le palais, Franco serait loin de son bureau et de ses affaires. Il ne voulait surtout pas se retrouver en situation de défaut à cause d’un manque matériel.

- Vous êtes encore ici, Messire ? Peut-être puis-je vous aider d’une quelconque manière ?
- Vous êtes fort aimable, Cléandre. Je vais avoir fini. La journée fut longue mais fructueuse. Vous ne pouvez imaginer le tiers des choses contenu dans ces placards et ces armoires.

Cléandre était le jeune domestique qui s’occupait de la demeure familiale. Il était au service de la famille depuis maintenant plusieurs années et Franco l’appréciait. Contrairement à la plupart des intendants, ce jeune homme portait de l’intérêt à de nombreuses choses. Sa curiosité l’avait même déjà poussé à avoir des conversations passionnantes avec Franco sur les affaires de la famille.

- Messire, puis-je me permettre de vous poser une question ?
- Bien sur Cléandre, je t’écoute.

Le jeune homme était d’un naturel assez timide et était d’ordinaire assez peu enclin à une discussion spontanée si personne ne l’avait amené sur ce terrain.

- A vrai dire, je suis inquiet. J’aime beaucoup votre maison. Vous avez été bons avec moi et …
- Viens-en aux faits, qu’est ce qui te tracasse ?
- Je vous vois de moins en moins. Je sais que vous allez devenir duc prochainement, messire Franco. Comment vont survivre les affaires de la famille sans votre jugement éclairé ?

Franco se leva de son siège et rangea délicatement un dossier empli de vélins dans un emplacement bien précis qui lui était réservé. Il se tourna vers le domestique et se surpris lui-même à lui sourire. Après tout, il avançait dans le monde complexe qu’était la politique et il devait s’entraîner à être agréable avec son entourage.

- Vois-tu, mon jeune ami, cette maison existe depuis des centaines d’années. Avant moi il y eut mon père, puis son père et le père de son père … Enfin je ne vais pas t’apprendre ce qu’est la descendance.  Au fil des années, les affaires furent fluctuantes. Notre maison s’est plus ou moins enrichie au fil des générations pour en arriver à la situation actuelle. Depuis quinze ans, je travaille à l’embellissement du nom « di Celini ». Crois-tu que je puisse abandonner ma quête en si bon chemin ?

Le noble se rassit confortablement dans son fauteuil avant de reprendre la parole.

- Je sais pourquoi tu es inquiet. Tu as peur que je te congédie si les affaires de la famille se font moins importantes. Cléandre, j’apprécie tes qualités à leur juste valeur. Tu as su te montrer dévoué, attaché et consciencieux avec notre famille. Certes, je vais progressivement m’éloigner des affaires commerciales pour porter nos couleurs au niveau du trône. Je compte sur le reste de ma famille, et je t’inclue dedans, pour perpétuer notre réussite.

Franco était exténué de sa longue journée et ne souhaitait pas éterniser plus cette conversation. Il venait de faire une proposition claire au jeune homme qui se tenait en face de lui, à lui de saisir l’opportunité. Il avait confiance en son valet et il savait pertinemment que ce dernier avait compris ce qu’il voulait dire.

- Bien, c’en est assez pour aujourd’hui. Tu veux bien m’apporter une tasse de thé bien chaud dans ma chambre ?
- Très bien messire, je reviens de suite.