Arcamenel de la cinquième ennéade de Bàrkios
Neuvième année du Onzième Cycle.
Cité de Linaëh
Quelle folie a bien pu te prendre ? C'est ce que tu te demandes depuis que tu as traversé les portes de la forteresse de Linaëh. Anorndellon avait sa place ici. En qualité de Régent c'était même son devoir que de venir apaiser les esprits échauffés des meneurs des terres frontalières... mais toi ? Après t'être tant dévoué à affiner ton ouïe, après de longues ennéades sous sa tutelle, après t'être à nouveau senti faire corps avec l'Oeuvre... pourquoi se séparer de tout ce pour quoi tu t'es battu ? Quitte à t'enfermer à nouveau là où les chants deviennent difformes, pourquoi ne pas avoir choisi de souffrir en présence de tes parents alors ? Alëandir te ressemble bien plus que ne te ressembleras jamais Daranovar.
Quelle folie a bien pu te prendre ? C'est simple pourtant. Tu l'as suivi. Anorn. Il était un bout de réconfort au milieu du vide existentiel qu'a laissé l'amour de ta vie en se soustrayant à ta compagnie. La forêt que tu entends chanter si fort maintenant, elle ne te conte rien qui ne te touche sinon le manque d'une partie de ton être. Les Noirelfes sont loin maintenant, probablement échaffaudant de nouveaux noirs plans dont tu ne peux deviner la nature. Tes parents sont ensemble maintenant, goûtant tu l'espères enfin à l'insouciant idylle qu'ils méritent après des siècles de sacrifice. Tes espoirs sont morts aujourd'hui, car l'équilibre te fus prouvé impossible. Tu es fatigué de changer de visage, fatigué de devoir te transformer pour plaire aux deux monde. Tu es fatigué de ne jamais pouvoir être pleinement toi-même. Tu es fatigué de
te chercher. Ta massive silhouette avance lourdement sous les yeux des passants. L'un fait mine de t'effacer de son champ de vision tandis que l'autre s'insurge en silence devant ta difforme apparence. Au moins à ce jour ceux-là ne t'importunent plus. Tu es entré avec le régent et ainsi ils se sont retrouvés forcés de t'accepter en tant qu'elfe à part entière. Même si certains voient une créature qu'aurait touché le sang des Noirelfes, et si d'autres vont jusqu'à croire à l'apparition d'un nouvelle race d'Ornedhel, tu ne t'en trouves aucunement déphasé. Parfois tu laisses échapper un sourire joueur, laissant connaître aux moins discrets que tu as vu leur surprise, et que tu ne t'en agace pas le moins du monde. Souvent cela suffit, au moins en apparence, à leur faire réaliser que tu n'es pas qu'une montagne de chair insensible, et à leur tirer un sourire en retour.
Chez les elfes au moins, c'est au monde entier qu'appartient le savoir.
Chez les Taledhels il n'y a pas de profil type de l'elfe parcourant les bibliothèques.
Tu es une tâche dans le décor oui, mais tu n'es pas moins à ta place entre les rayons où tu tentes de te distraire que tu ne l'es à fouler le pavé ou les camps d'entraînement.
Des choses que tu as déjà apprises, des choses que tu as déjà vu, des choses que l'on t'a déjà raconté... tu ne trouves que peu de nouveauté parmi les pages que tu tournes frénétiquement. Les tirades sur le travail du minerai te rappellent celles de ton ami le disparu Toer Tamindal. Les apartés sur l'architecture ont un air de Quatrième Saison. Les recueils d'arts te font penser à ta Noss. Des choses que tu as déjà vues, entendues et apprisent, elles te ramènent à ton passé, à une douce nostalgie qui te berce dans un état de repos à la limite du somnambulisme.
C'était trop beau pour être vrai, trop réconfortant pour durer, il fallait que ta béatitude soit brisée. Sur un parchemin flambant neufs tu as été frappé par un dessin dont le trait ne t'es que trop familier.
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Excusez-moi ? Vous savez d'où vient ce document ?-
Ah celui-ci ? C'est une reproduction de l'un des dessins d'un recueil gardé par la bibliothèque de Wyslena qui parle de l'Aduram. Fascinante lecture. Je serais curieux d'en connaître le reste, mais nous n'avons à disposition que si peu.-
Vous savez qui en est l'auteur ?-
Non, et j'aimerais mieux ne pas le savoir si vous voulez mon avis. Fascinant n'en est pas moins effrayant. Il suffit de poser l'oeil sur les fresques pour comprendre que cette pauvre âme n'est certainement plus de ce monde. À ce demander comment même ces recherches auront pu nous parvenir. Mais il faut dire qu'elles furent les bienvenues auprès des habitants de Wyslena qui y trouvent une inespérée source de savoir quant à l'Aduram qui les borde dangereusement. Au moins notre pauvre âme ne s'est pas sacrifiée en v...-
N'en dites pas plus, je vous remercie. Salutations un peu trop fermes d'un elfe à l'honneur bafoué et remis devant une dure réalité. Sans réellement le vouloir, mais sans réellement en être dérangé, tu serres la main du pauvre libraire à lui en briser les os, et tu t'en vas, sourire crispé aux lèvres. Wyslena possède ton plus profond secret, et si personne d'autre qu'une poignée ne puisse jamais comprendre que ce sont là les images de la folie scellée en ton sein, tu ne reste pas moins jaloux de ton fort intérieur.
Tu es peut-être égaré,
Tu te sens peut-être seul,
Mais tu vis.
Et tant que tu vivras, tout ira bien, n'est-ce pas ?