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 Le poids des disparus | Solo

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Anorn
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MessageSujet: Le poids des disparus | Solo   Le poids des disparus | Solo I_icon_minitimeDim 11 Déc 2016 - 2:13

Fävrius
De la neuvième année du onzième cycle.

Anorn avait passé la journée auprès de quelques mages qui l'avaient accompagné à Eraïson. Cela avait été éprouvant, parce que s'ils s'étaient réunis, c'était pour rendre hommage à ceux qui n'étaient pas revenus. Pour essayer de se relever, pour essayer d'aller au delà. Certains avaient énormément de mal à se reprendre. La haine ou la tristesse dévastaient leur cœur et Anorn n'avait pu les laisser bien longtemps dans cette situation. Alors comme il l'avait promis, il leur avait apporté aide et soutien, au cours des dernières ennéades. Il ressortait de ces réunions toujours chagriné, toujours peiné. Elles lui rappelaient sans cesse qu'ils avaient tant perdu. Que leur peuple avait été si mutilé qu'ils étaient autant perdants que les sombres. Sans parler de ceux qui se noyaient dans les ressentiments. Qui ne se déferaient peut-être jamais de ces derniers. Qui passeraient le restant de leur vie tourmentés par des pulsions dont ils ne sauraient se débarrasser. Il voulait leur éviter cela à tout prix. Même s'il savait ne pas pouvoir pour chacun, même s'il savait que certains étaient définitivement perdus.

Accompagné de ses deux gardes, il ne rentra pas directement dans ses appartements, préférant profiter de la clarté des derniers rayons du soleil pour apprécier les rues et les ruelles de la capitale. Il aimait beaucoup déambuler au milieu de ses frères et de ses sœurs, redécouvrir ce que proposaient les commerçants et les artisans. Mais le deuil affectait tout un chacun, d'une manière plus ou moins visible, comme un voile qui ternissait parfois qu'imperceptiblement tout ce sur quoi il posait son regard. Il y avait cette tristesse ambiante, ces rires qui se faisaient rares et cette joie qui n'osait plus éclater. Sans parler des familles qui avaient perdu un proche. Il entendait parfois certains elfes parler de tel ou tel autre comme étant entrain de périr de chagrin, comme quelqu'un qu'il fallait absolument sauver mais qui refusait toute aide. Et cela lui donnait l'impression d'échouer un peu plus à les protéger, à leur offrir le meilleur. A les guider sur une voie qu'il savait sûre. Si lui n'avait pas perdu un proche, il avait tout de même perdu des frères et des sœurs, avait été incapable de les sauver tous. N'avait pas su être présent pour chacun. Quelque part, au fond de son cœur, il se savait responsable.

Finalement, il passa les portes du Palais et se dirigea aussitôt dans ses appartements. Il avait repoussé tous ceux qui avaient voulu l'intercepter, pour telle ou telle affaire, parce qu'il n'était pas d'humeur. Parce qu'il savait que dans son état, il ne leur serait d'aucune aide. Il ne pourrait leur apporter ce qu'ils demandaient. Une fois entré sur ce qui était devenu chez lui, ou plutôt chez eux, il se dirigea vers un des renfoncement ouverts, séparé du reste de la pièce par un rideau. Ici, il pouvait voir le soleil disparaître totalement. Il connaissait bien le trajet de sa descente en fonction des jours et des saisons. Et quand le manteau de la nuit couvrit entièrement la Cité, Anorn resta là, observant presque avec émerveillement le ciel étoilé. Il appréciait pouvoir le voir, parce qu'il avait toujours l'impression de regarder directement les dieux. Comme si l'espace d'un instant, il lui était possible de les tutoyer. Jusqu'à ce qu'il revienne sur terre, jusqu'à ce qu'il soit renvoyé sans ménagement à sa condition purement elfique. Ce fut à ce moment qu'il entendit la porte s'ouvrir. Qu'il devina le rythme des pas de son épouse. Il l'entendit soupirer avant de se diriger vers la chambre, sans doute pour le chercher. Ne l'y trouvant pas, elle finit par pousser le rideau. Passant une main en travers de son dos, elle l'enlaça, posant sa tête à la naissance de sa nuque. Glissant ses doigts entre les siens, ils restèrent là, silencieux.

Il aimait ces instants, où ils n'avaient pas besoin de se parler, où aucun d'eux ne forçait le dialogue. Où il ne leur était pas nécessaire de briser le silence. Parce que tout ce qui comptait était qu'ils soient ensemble. Leur étreinte était suffisante pour exprimer ce qu'ils ressentaient. Et les mots n'avaient pas besoin d'être prononcés, leurs voix n'avaient pas besoin de résonner. Le doux bruit de la ville qui s'endormait, celui du vent dans les feuilles et de la vie dans la Palais étaient bien assez suffisants. Mais ils finirent par bouger, par rentrer. Le repas n'allait pas tarder à être servi. Là ils parleraient. Là ils échangeraient. Parce que ce soir, ils avaient droit à un peu d'intimité. Il n'était pas prévu qu'il dîne avec ses conseillers. Il n'était pas prévu qu'il discute d'une quelconque affaire, importante ou non. Des mots qu'avait pu prononcer un protecteur ou un lieutenant. C'était fort agréable, parce que ces derniers temps, ses responsabilités était assez gourmandes en temps. Voire même beaucoup trop. Qu'il puisse passer ne serait-ce que quelques heures aux côtés d'Arwain, après une telle journée qui plus est, était un grand soulagement.

- Je ne te ferai pas l'affront de te demander comment s'est déroulée ta journée, mais tu vas bien ? Un cas particulier t'as irrité ? Tu n'es pas très bavard. Et même si ce n'est pas rare, cette fois tu as cette tristesse, ou plutôt une certaine déception, en toi.
- Ce n'est pas à cause d'un élève en particulier. Je me sens juste coupable de tout ça. Des elfes ont perdu leurs proches parce que je n'ai pas pu les sauver. Ils risquent d'en perdre plus encore si ceux qui sont revenus s'enferment dans la haine et la colère. Je ne comprends pas Arwain, nous sommes sensés être sages, nous sommes sensés savoir ce qui est bon ou non. Alors dis moi pourquoi certains s'enfoncent encore dans des chemins sinueux dont ils savent ne pouvoir revenir sans aide ?
- Les sentiments, Anorn. Nous sommes extrêmement sensibles. Notre cœur guide parfois contre notre gré, sans que notre conscience ne puisse rien y faire. Sans aucun doute une de nos faiblesses. Tu l'as compris. Tu ne laisses plus tes propres émotions te guider. Mais ils sont jeunes, ils sont naïfs. Peut-être même ne sont-ils et ne seront-ils jamais aussi forts que toi.
- Mais je ne peux pas les sauver s'ils ne le veulent pas. Tu sais, pendant ces réunions, il y en a que peu de présents. Peu qui nécessitent réellement de l'aide. Beaucoup s'enferment, je le sais. J'aimerais pouvoir les tirer de leur trou, les forcer à voir en face leur situation, leur montrer ô combien ils se fourvoient en suivant leur cœur.
- Je le sais. Je le sais. C'est dur, je le sens. Seulement tu dois accepter les pertes. Dans ce genre de situation, il y a forcément des pertes. Certains perdent la vie, d'autres la raison. Mais ils l'ont perdu pour une cause bien plus grande, en laquelle ils croyaient. Cette cause vaut tous les sacrifices du monde, tu le sais.

Ses yeux au fond des siens, il savait pertinemment qu'elle avait raison. Même s'il lui était immensément difficile de le reconnaître. Il vivait assez mal cette période de deuil, perdait parfois en assurance et se replongeait dans de douloureux souvenirs. Comme cette bataille du lac d'Uraal. Ou bien la perte de ses parents, bien qu'elle n'ait été aucunement liée à un affrontement. Il ne pouvait empêcher ces réminiscences de faire surface. Sans doute parce que c'était là les seules expériences qui lui avaient procuré une sensation similaire.

- J'aimerais pouvoir les sauver tous, malgré tout. A quoi cela sert-il d'être Régent, d'être Archimage, si je ne peux pas tous les sauver ?
- A sauver tous les autres.
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