Sonner le glas | Solo

Au jour 2 de la seconde ennéade
Vérimios, mois d’hiver
9ème année du 11ème cycle

Revenant d’une petite promenade, Maélyne parcourait les couloirs du castel Caerlynois d’un pas plutôt lent. Rejoignant sa chambre, celle qu’elle partageait avec Guillaume, la jeune femme avait remarqué un changement de comportement chez son époux. Il était plus distant, plus froid et plus sec lorsqu’il s’adressa à elle. Des interrogations vinrent la happer, qu’avait-elle donc fait pour ainsi provoquer un éloignement ?

Parcourant les derniers mètres qui la menaient à la porte de sa chambrée, elle vit soudainement un messager en sortir. Il n’en fallait pas plus pour qu’elle se mette en travers de son chemin pour lui expressément demander ce qu’il faisait ses appartements.

« Votre époux m’envoi auprès du Grand Prêtre de Néera en Serramire, Ma Dame. »

C’est là que Guillaume sortit à son tour, lentement, fusillant le messager du regard. Celui-ci comprit bien vite qu’il venait de faire une bourde et s’en alla accomplir sa mission en prenant ses jambes à son cou. Maélyne quant à elle, resta plantée là, plongeant son regard étonné dans celui de Guillaume. Sans dire un mot, le Clairssac rentrât à nouveau dans ses appartements suivit d’une épouse qui pressa dorénavant le pas.

« Que contient cette missive ?! » Le ton était donné, elle n’était pas que curieuse mais aussi furieuse. Espérant toutefois se tromper sur le contenu de ce vélin. Mais on ne s’adressait que rarement à un Grand Prêtre de Néera et elle craignait actuellement le pire.
« Je demande l’annulation de notre mariage. » Répondit-il d’un ton plutôt calme, comme s’il n’en avait que faire de ce que cette nouvelle allait faire subir comme troubles à Maélyne.
« Quoi ?! Mais… Pourquoi ?!! »
Guillaume se retourna enfin, mais ce n’était que pour lui envoyer un regard glacial.
« Pour différentes raisons en réalité… Commençons par la plus amusante : vous souvenez-vous de votre voyage vers Külm ? Votre soi-disant voyage auprès des nains qu’un simple émissaire ne pouvait faire. Quelle surprise d’apprendre qu’en chemin, vous rencontriez un ancien ami, un certain Tancrède de Léjante,  que vous invitez dans votre tente en pleine nuit ! »
« Il ne s’est rien passé ! Ce n’est pas ce que vous… »
« Oh ça va, Maélyne. Je suis las de toutes vos excuses. Vous ne vous préoccupez que de vous-même sans vous soucier de ce que je pourrais endurer à cause de vos bêtises. Vous étiez accompagné par une dizaine de gardes, que croyez-vous que l’on entend dorénavant dans toutes les tavernes ?! On ne me prénomme plus le jeune Clairssac, mais le jeune cocu. »
« Mais il ne s’est rien passé ! Nous avons été attaqué et je… »
« Ce n’est pas tout. J’ai également pris soin d’interroger votre plus proche personnel. Si du moins des mages pratiquant l’art de Néera puissent être considérés comme tels. »
L’expression qu’afficha Maélyne changea radicalement. « Que vous ont-ils dit ? »
« Alliez-vous donc me le cacher encore longtemps ? »
« Je ne vous ai rien caché du tout. »
« Et votre incapacité à m’assurer une descendance ? Croyez-vous que je vous ai épousé dans l’unique but de faire plaisir à mon frère ? Je suis actuellement en pleine révolte pour prétendre au trône baronniale une fois pour toute. Défiant ainsi mon ancien suzerain, ralliant un maximum de nobles autour de moi. Comment croyez-vous qu’ils réagiront lorsque votre stérilité sera révélée?  »
« Je… ne le suis pas complètement… enfin… ils disent qu’il reste une chance. »
« Un miracle plutôt. Et vous m’excuserez mais je ne peux jouer l’avenir de la baronnie sur un simple miracle. »
« Guillaume, cela ne fait qu’un mois et demi que nous sommes mariés. Laissez-moi du temps. »
« Un mois et demi et pourtant vous avez partagé ma couche que deux ennéades durant. Vous préférez vagabonder d'un pays à l'autre plutôt que d'assumer votre rôle d'épouse. »
« Je n’accepterais pas d’être répudiée de la sortes. Vous ne vous rendez pas compte à quel point cela pourrait me porter préjudice. Tout comme vous, j’ai besoin d’héritières pour Lourmel ! Comment croyez-vous que Brochant va réagir s’il venait à apprendre que je suis incapable de le faire ?! Il n’hésitera pas à se mêler de ce qui ne lui regarde pas et de me prendre ce qui me revient de droit ! »
« L’avenir d’une baronnie, contre l’avenir d’un patelin. »
« Oh… Je ne vous reconnais plus Guillaume. » Finit-elle par dire en s’approchant de lui, souhaitant agripper son bras. En retour, elle ne reçut qu’un recul. « Le grand prêtre n’acceptera jamais d’annuler ce mariage alors que cela ne fait qu’un mois et demi… D’ici là, peut-être finirais-je par vous donner ce que vous souhaitez. »
« Cela m’étonnerait. » Répondit-il en lui adressant un regard noir. « Car dorénavant, je ne vous toucherais plus. Tombez enceinte et cela n’en sera qu’une preuve de plus de votre infidélité. » D’un geste rapide, Guillaume quitta la pièce en claquant la lourde porte en bois, laissant une Maélyne abasourdie par ce qu’elle venait d’entendre.

Descendu au rez-de-chaussée, Guillaume croisa Caerlyn.
« Alors? Avez-vous envoyé cette missive pour finir? Cela fait des ennéades maintenant que j'attends une réponse, Guillaume. »
Celui-ci ne reçut qu'une simple réponse : « Envoyé, il y a peu. »
« Bien. Bien. Parfait. » Un large sourire vint se dessiner sur les lippes du seigneur local alors qu'il regardait Guillaume parcourir le couloir d'un pas pressé, totalement énervé.

Après avoir échangé une brève conversation avec Caerlyn concernant l’annulation de son mariage, Guillaume se rendit à une énième réunion regroupant les seigneurs Ethernien à huit-clos. La discussion tournait surtout autour d’un fait important : l’hiver, son froid, sa neige et son gèle. Les maladies qui peuvent se développer, la chaleur et les vivres à devoir apporter aux milliers d’hommes regroupés à Caerlyn.

Si le problème du bois pour le chauffage trouva rapidement une solution avec l’exploitation de la forêt se trouvant à proximité de la cité, le ravitaillement ainsi que les réserves en nourriture du Pays Ethernan était plus problématique. Gaston occupait la plus grosse cité du Pays, et ses réserves également même si ceux-ci furent plutôt minces comparé aux précédentes années. Une solution fut proposée : celle de puiser dans les réserves hivernales. L’ordre fut alors donné et des ravitaillements des seigneuries avoisinantes se devront d’arriver dans les plus brefs délais. Chaque charrette aura son lot de gardes vu qu’aucune bataille n’était encore prévu, il sera aisé d’envoyer les meilleurs éléments défendre les convois. Guillaume ordonna également de puiser dans les réserves de Seram et de retirer tout départ de nourriture vers le sud. Plus rien ne partirait du port pour ainsi éviter toute famine hivernale.

La question de la criminalité fut aussi évoquée. Caerlyn avait œuvré à arrêter les bandes de criminels présents sur ses terres et avait, pour l’instant, œuvré pour que les villages et leurs réserves soient maintenu en sécurité. La plupart des seigneurs avaient fait de même ; laisser une partie de leurs forces sur leurs terres pour ainsi assurer une sécurité, certes moins soutenue mais présente tout de même. Il fut alors décidé d’envoyer plusieurs troupes sillonner le pays pour s’assurer que d’éradiquer la criminalité.
Une fois la réunion terminée, Guillaume retourna dans sa chambre où Maélyne était restée à l’attendre.

« Guillaume, nous devons parler. »
« Effectivement. Je sors d’une réunion, nous avons besoin de vivres, surtout lorsque le conflit sera terminé. Nous allons avoir besoin des réserves de Lourmel. »
Maélyne se permit alors d’éclater d’un franc rire avant de lui rétorquer un simple : « mais, me prenez-vous pour une idiote ? » En réalité, la jeune femme était très étonnée de sa demande, ou plutôt, étonnée du culot qu’il avait eu à le lui demander. « Vous m’annoncez sans sourciller que vous avez fait une demande d’annulation de notre mariage et ensuite, vous me demandez de vider mes réserves de blés pour VOTRE pays ? Mais qu'ais-je donc fait pour que vous me preniez à ce point pour… Je… Je n’ai même pas de mot pour qualifier cela ! »
« Le peuple risque de manquer de vivres. »
« Aaah… nous y voilà ! Ma corde sensible que vous connaissez tant. Le peuple, la famine, le malheur de ses pauvres gens…. Mais QUAND ALLEZ-VOUS PRENDRE VOS RESPONSABILITES AU SERIEUX?! Vous revendiquer le trône d’Etherna, vous jouez à l’enfant frustré car Gaston ne vous a pas reconnu Baron immédiatement ! Vous vous engagez, vous, ainsi que le pays entier dans un conflit, une révolte, alors que l’hiver est là, à nos pieds et dans nos maisons ! Alors que les routes sont difficiles d’accès, les réserves plutôt maigres suites aux anciennes campagnes de Jérôme ! Et ce n’est que MAINTENANT que vous vous rendez compte que vous risquez d’avoir une famine sur les bras alors que l’on n’est même pas à la moitié de l’hiver ? Vous m’annoncez clairement vouloir mettre un terme à notre mariage A CAUSE D’ACCUSATIONS DONT VOUS N’AVEZ MÊME AUCUNE PREUVE pour ensuite venir me demander de vider mes réserves car VOUS N’AVEZ PAS ETE A LA HAUTEUR ? » Entre-temps, Maélyne avait fait plusieurs pas en avant, réduisant ainsi la distance entre les deux époux. « Je suis le seigneur de Lourm… » N’eut-il pas le temps de finir sa phrase que Maélyne le coupa immédiatement. « Vous n’êtes RIEN pour Lourmel, vous entendez ? Absolument RIEN. Et en aucun cas je ne vous permettrais d’attenter à la sureté alimentaire de mes gens pour réparer vos propres bêtises belliqueuses. » Par la suite, elle recula, pour se diriger vers le feu de cheminée.
« Je n’ai pas que cette seule demande. » répondit-il, toujours aussi calme. Il avait un but, il souhait l’atteindre et il savait comment il allait y parvenir. « Voyez-vous ça ?! Et qu’allez-vous me demander d’autres ? Que je vous apporte un soutien militaire ? Que je dilapide mon héritage en mercenaires ? Que je fasse assassiner Gaston ? »
« Je souhaiterais que vous partiez pour le sud, en Merval, à la rencontre du Gardien du Roy. »
« Hors de question, votre révolte, vos affaires, vos responsabilités, vos émissaires. »
« Quoi de mieux que mon épouse comme émissaire pour porter ma voix auprès de la couronne ? »
« Ah je suis votre épouse maintenant ? »
« Vous l’êtes. »
« Et je le resterais jusqu’à ce que vous arriviez à vos fins, d’ici là, autant que je continue à vous être utile n’est-ce pas ? Eh bien je vous annonce qu’il est hors de question que vous vous serviez de moi de la sorte! »
« Voyez cela comme une opportunité. Vous pourrez vous arrêter à Missède, j’ai entendu dire que vous cousine se remariait. Ensuite une fois la couronne prévenue de notre voix, vous pourriez… faire du tourisme ? Établir de nouveaux contrats commerciaux ? Tenter d’exporter encore plus loin les produits Lourmellois ? »
« En pleine hiver ? Alors que la mer est déchainée et que peu de bateaux sont enclins à supporter une traversée ? »
« Il ne vous arrivera rien, j’en suis persuadé. Néera vieille sur vous. »
« Bah tient. On sort la carte de la protection divine ? Croyez-vous que cela suffira à me convaincre ? »
Guillaume se rapprocha alors de son épouse, et lui répondit dans un murmure, comme si ce qu’il allait lui révéler était de l’ordre d’un secret.
« Le nouveau chancelier n’est autre que le comte d’Arétria. Vous pourriez en profiter pour le revoir. »
« Que Tyra l’emporte ce grippeminaud ! » s’écria-t-elle soudainement ce qui eut pour effet d’étonner grandement son époux qui souhaitait justement jouer sur l’affection qu’elle lui portait encore pour l’inciter à partir.
« Soit, alors si une demande ne vous suffit pas, ce sera finalement un ordre que je vous donnerais. Préparez-vous, vous partez dans une heure. Les autres émissaires sont déjà prêts. Un bateau vous attendra à Seram, vous partirez à l’aube. »

Finalement, la Dame se décida de partir, non pour faire plaisir à son époux, ni pour revoir son ancien amant. C’était finalement pour avoir une occasion de revoir sa cousine que Maélyne prit le fameux bateau, partant à l'aube en direction du port de Beaurivage.