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 La deuxième sera la bonne [Roderik]

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Enrico di Montecale
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MessageSujet: La deuxième sera la bonne [Roderik]   La deuxième sera la bonne [Roderik] I_icon_minitimeLun 27 Mar 2017 - 7:09


Décidément, la vie d’un noble péninsulaire semblait se résumer en ses deux extrêmes : faire la guerre pour acquérir un territoire, et bouger tout le temps de ce territoire pour garantir la paix.

Enrico n’était pas mécontent d’être à nouveau monté sur un bateau. L’air marin lui faisait le plus grand bien, après les lourdes épreuves qu’il avait eues à endurer. Outre la fuite de l’aveugle et la mort de son ancien, de sa propre main par ailleurs, il avait reçu un second affront de la part de cette garde de Cécilie de Laval, qui lui annonçait dans une lettre que c’était en son nom qu’elle avait proclamé le divorce. Le sang d’Enrico n’avait fait qu’un tour, et il se souvenait tout aussi bien des mots qu’il avait prononcés, et qui avait forcé la femme de son frère à cacher les oreilles de ses enfants. « Ha, la salope ! »

Maintenant, sur la proue de son navire, il observait une vue étrangement familière, celle du port de Merval en plein jour, le Porphyrion se dessinant au loin dans la même découpe qu’il y a quelques ennéades… Sauf que, la première fois qu’il était venu, les portes du palais lui étaient restées fermées. Si l’excuse avancée par les autorités était une maladie rendant Son Altesse dans l’incapacité de le recevoir, le baron nélénite avait bien peur qu’il ne s’agisse là plutôt d’une punition pour le crime de lèse-majesté commis par son ancien suzerain. Quoi qu’il en soit, après avoir rebroussé chemin, il avait décidé qu’il devait néanmoins revenir une seconde fois, pour montrer qu’il n’en démordrait pas. La Couronne ne pouvait refuser une deuxième fois sa venue.

Il s’était revêtu de son armure de parade, celle qu’il réservait aux grandes occasions. Une belle bande de tissu noir, en signe de deuil, et sa plus belle canne sur le pommeau de laquelle était écrit sa nouvelle devise. « Triomphe dans l’Essor ». A la base, c’était une phrase mal interprétée par un héraldiste à moitié sourd. La devise originelle était « Triomphe dans l’Est ». Néanmoins, afin de ne pas vexer le vieux spécialiste, et parce qu’il aimait bien cette nouvelle idée, Enrico avait conservé ce qu’on lui avait donné. Lui, le parvenu. Lui, l’homme sans titre ni terre, qui se pavanait à présent avec des lettres attestant qu’il était le propriétaire d’un archipel en bordure de Péninsule. Arrogance et fierté, mais aussi malaise et frustration. Car malgré tout le chemin qu’il avait pu faire ces dernières années pour gravir les échelons de la société, beaucoup le considéraient encore avec le dédain réservé aux gens du peuple. Une injustice qui se retrouvait souvent dans ses prières aux dieux…

Le débarquement au port de Merval se déroula sans incident, les hommes du baron débarquant avec un sentiment de déjà-vu. Les pêcheurs aussi reconnurent les gardes et l’étrange blason qu’ils transportaient déjà quelques ennéades auparavant. L’un des culs-terreux des docks montra d’ailleurs le fameux homard d’or du doigt, et murmura quelque chose à l’un de ses congénères, qui se gaussa. En voyant cela, Enrico aurait bien voulu lui faire sortir les tripes par le fondement. Mais ici, il n’était malheureusement pas chez lui, et il ne pouvait pas se permettre ce petit caprice excentrique.

L’escorte d’une quinzaine d’hommes en armes, tous des bretteurs suderons dotés d’une fibule d’or en forme de homard, suivait le chemin de leur baron qui chevauchait maladroitement vers le palais princier. Enrico détestait monter à cheval. Il ne trouvait pas ça naturel, tout d’abord, et ensuite, tout le monde pouvait admirer de plus près sa jambe de bois. Il s’arrêta devant la grande porte du palais, remerciant Tyra de ne plus avoir à se pavaner en rue avec la grâce d’un sac de carottes.

Soudain, à son côté, apparut une figure bien connue de la balbutiante diplomatie nélénite. Un homme que le Nord avait déjà vu débouler, non sans un certain amusement mêlé de surprise et d’étonnement. Le petit homme trapu, monté sur son petit cheval, claironna de sa trompette mal débouchée, faisant souffrir les tympans de tous. Et de son accent mervalois à couper au couteau, Gregorio Calabassa finit par lancer, bras grands ouverts :

« Hola, dou castello ! Es lé barón Montecale à la porta ! Il a fait oune voyage muy longo pór voir el Cancelaro del Rey ! Ouvrez la porta aux amigos dé la Coronne ! »

Enrico observa un instant Gregorio. Il l’avait apporté avec lui parce qu’il était Mervalois. Mais il commençait à se demander si ses façons de faire convenaient vraiment au protocole péninsulaire...
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Roderik de Wenden
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MessageSujet: Re: La deuxième sera la bonne [Roderik]   La deuxième sera la bonne [Roderik] I_icon_minitimeMer 29 Mar 2017 - 22:21


La chair tendre éclata entre ses mâchoires, et le savant mélange de saveurs, fortes agréables en bouche, lui en donna presque le tournis. " Lorsque vous aurez goûté le homard au truffes, vous vous demanderez comment vous avez pu vivre jusqu'à maintenant sans connaître ça, Messire Chancelier ! " avait fanfaronné Maître Semaphorios, un notable mervallois dont la fortune n'avait d'égale que l'inventivité de ses cuisiniers. Ils avaient dîné ensemble à la terrasse des appartements de Roderik dans le palais du prince Cléophas, et Roderik avait dégusté le homard pour la première fois, assaisonné à la mode locale. Il avait vomi, puis en avait reprit. Deux fois. Car il est certaines choses qui, si elles vous rebutent au premier abord, finissent mystérieusement par vous devenir familières et attrayantes.

Le soleil de midi, à peine obscurci par quelques mauvais nuages qui, en bons plombeurs d'ambiance, rappelaient que c'était l'hiver, baignait la terrasse d'une illusion de chaleur. L'air, en vérité, était plutôt frais, et à cette fraîcheur s'ajoutaient les courants marins, avec leurs remugles de poisson crevé. Tant bien que mal, Roderik avait dû s'y faire.
Mais ce jourd'hui, le vent marin amenait encore autre chose.

« Le baron quoi ?
- Montecale, messire.
- Je ne connais pas cette baronnie.
- Je crois que c'est son nom à lui, messire. Montecale. C'est l'homme qui détient Nelen.
- Il y a un baron à Nelen ?
- Il semblerait. »

Considérant le valet un brin emmerdé qui lui faisait face, Roderik réfléchit. Montecale, Montecale, Monte-cale, cale, navire, Nelen, c'est logique. Montecale, Montecale, Monte, Monter, le nord, Montecale, Montecale, qu'est-ce qui commence par un M ? Maélyne. Mariage. Oh, ça y est, je le remets. Oui, il s'en souvenait maintenant, d'un drôle d'olibrius à jambe de bois qu'il avait aperçu au mariage des Clairssac en Etherna. Il s'était offusqué, à l'époque, de ce que Clairssac ait admis que des hommes en rébellion contre le trône puissent assister librement à ses noces. Enrico de Montecale, c'était cet aventurier, cette âme damnée du duc Oschide, prince des mers pour les uns, dangereux alcoolique pour les autres, qui s'était emparé de l'île de Nelen, laquelle relevait jusqu'alors de l'autorité scylléenne - et puisque Scylla appartenait au roi Bohémond, Nelen n'appartenait-elle pas, elle aussi, à Bohémond ? Ce forban de Montecale s'était taillé sa fortune sur le dos de l'enfant-roi.
Dans ce cas, pourquoi un ennemi du roi viendrait sautiller à cloche-pied sur sa jambe jusqu'ici ? se demanda enfin Roderik. Et comme il n'avait pas la réponse, il leva les yeux vers le valet qui, planté comme un radis, raide comme une statue et aussi mal à l'aise qu'un malade avant un examen anal, attendait ses instructions.

« Des nouvelles du prince Cléophas ?
- Je ne l'ai pas vu depuis deux jours, Messire. »

Le prince de Merval et régent du royaume était, ces temps-ci, un fantôme en son propre palais ; ses apparitions étaient rares, et Roderik lui trouvait le teint blême. Il lui rappelait ce moment, lors du Concile de Sainte-Berthilde, où il l'avait cru à l'article de la mort ; et pourtant, Cléophas se débrouillait toujours pour recouvrer publiquement la santé à le temps d'une apparition, l'occasion de tuer dans l'oeuf toute rumeur qui viendrait à courir sur sa santé. Roderik ne savait rien du mal qui rongeait le prince, mais il n'était pas dupe.

« Bon ! Je recevrai l'unijambiste. Mais pas dans la salle d'audience publique, non. Trop officiel.
- Où, dans ce cas, Messire ? Ici, dans vos appartements ?
- Trop intime, trop familier. On viendrait à penser que nous tramons quelque chose. » Il réfléchit. Il lui fallait un lieu qui n'évoque pas une rencontre officielle, car il ne voulait pas que cette entrevue soit interprétée comme une reconnaissance par la Chancellerie, et, par extension, par un serviteur de la couronne, de la qualité de son visiteur. A contrario, il tenait à ce que la rencontre se tienne dans un espace suffisamment ouvert au public pour qu'on ne nourrisse aucune illusion ni idée fausse quant à sa teneur. « Dans les jardins », décida-t-il enfin.

Ainsi mena-t-on diligemment le brave Enrico di Montecale entre les rangées de cyprès odorants, en cet agréable début d'après-midi. Il régnait là une douce quiétude qui évoquait le doux bruit que fait le clapotis de l'eau des bassins les beaux jours d'été, ce qui, par un jour d'hiver, vous rend forcément nostalgique. Et ce bruit était, en l'occurrence, matérialisé par le Chancelier du Royaume qui, tournant le dos à l'aventurier qui arrivait, soulageait sa vessie dans le bassin. Entendant arriver le sire de Montecale, il prit le temps de terminer sa besogne et ne se retourna qu'après avoir vigoureusement secoué son chibre pour bien en chasser les dernières gouttes.

« Messire de Montecale, je présume. »
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Enrico di Montecale
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MessageSujet: Re: La deuxième sera la bonne [Roderik]   La deuxième sera la bonne [Roderik] I_icon_minitimeJeu 30 Mar 2017 - 9:33

Lorsqu’il pénétra le Porphyrion, Enrico fut d’abord soulagé, avant qu’une légère anxiété ne le reprenne. Alors qu’il entrait tel un prince parmi les hommes à l’intérieur de la cour du palais, il se remémorait la défense qu’il avait préparée, et les informations que ses amis avaient pu glaner ici et là sur le chancelier Cléophas. Il paraîtrait qu’il s’agissait d’un homme de concorde. Si tel était le cas, ce qu’avait à lui proposer Enrico ne devrait pas trop poser de problème. Mais, comme le doute était permis, il valait mieux avoir plus d’un tour dans son sac… Et, à la manière d’un militaire, il ne partait pas à la bataille sans un plan de secours.

Il démonta son cheval, avec l’aide de son ami Marco. Il voulut flatter l’encolure de son étalon, mais ce dernier essaya de le mordre et, malgré son armure, son instinct lui dicta de reculer la main. Énervé, il fit volte-face, et fut pris en charge par un serviteur à la rigidité digne d’un mat de misaine. Ses hommes resteraient donc dans la cour, seuls… Il avait néanmoins pu conserver son arme de parade, sa magnifique colichemarde, un cadeau de feu le Duc. Une main sur la poignée de cet ouvrage hors du commun, et l’autre sur sa canne, feintant la faiblesse physique, Enrico avança à travers les nombreuses colonnades du palais mervalois, s’extasiant devant les vestiges de la période pharétane, qui lui rappelait sans détour que le sang coulant dans ses veines était celui du plein-sud, celui d’une terre où prospéraient les oliviers. Sous les frontons représentant des scènes de cycles précédents, Enrico se remémorait son passé, à courir la mer et voir du pays. Il avait abordé toute la Côte de Sel, traversé la Côte Brûlée, fait escale dans les villes d’Estrévent et même vu Thanor de loin… Il serait à présent homme complet s’il pouvait s’établir quelque part pour ne plus jamais qu’on l’en chasse.

Le baron fut fort étonné de ne pas être mené à la porte de la salle du trône. Ce n’était même pas vers un cabinet privé, que ce loufiat guidait le conquérant de Nelen. Enrico le voyait éviter de pénétrer dans le palais-même, pour déboucher sur d’immenses terrasses, et des jardins aux arbres exotiques, et à la flore sans nul doute rare et recherchée. Un endroit apaisant. Enrico regardait autour de lui, cherchant la tête blonde de Cléophas. Il savait qu’ils avaient à peu près le même âge, que ses cheveux avaient la couleur du blé, et qu’il cachait en permanence son bras sous un épais mantel, comme s’il s’était affaibli avec le temps. Pourtant, il n’y avait pas grand-monde répondant à cette description dans les jardins… Voire personne.

Et c’est lorsqu’Enrico s’enfonça un peu plus à l’intérieur des haies, vasques et buissons fleuris, qu’il finit par entendre le son d’une fontaine. En fait, non, pas une fontaine. Un homme qui se soulageait dans les bassins. Une sorte de rustaud à la tignasse brune, qui giflait son membre pour en extraire la dernière goutte d’urine, le tout devant Enrico. Et même s’il avait le dos tourné, la scène était en elle-même assez dérangeante pour qu’un long silence s’installe, seulement perturbé par les quelques gouttes retardataires s’écrasant dans l’eau, et le bruit d’un pantalon que l’on reboutonne et que l’on ajuste. Une fois retourné, l’homme n’était guère plus harmonieux de face que de dos. Un homme quelconque, voire un peu laid. Néanmoins, un homme qui se tenait droit.

« Vous présumez bien, sire. Pardonnez-moi, mais en ce qui me concerne, je n’ai pas le plaisir de vous connaître. »

Par les mamelles de Néera, qui c’était celui-là ? Enrico s’attendait à trouver en ces jardins le Chancelier du Royaume, pas un homme aux manières de Nordien en train de se soulager comme un clébard ! Vu son accent, par ailleurs, il semblait plus plausible qu’il provienne du Nord que des régions méridionales.

Main posée sur sa canne, regard braqué sur le rustre, il était dans l’expectative.
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Roderik de Wenden
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MessageSujet: Re: La deuxième sera la bonne [Roderik]   La deuxième sera la bonne [Roderik] I_icon_minitimeMar 4 Avr 2017 - 22:10


Roderik ne répondit pas immédiatement. Il y avait quelque chose d'animal chez cet homme, une espèce de rudesse dans le discours qui se passait de bonnes manières - mais c'était peut-être exagéré d'attendre un peu de considération d'une personne quand on venait d'uriner devant elle. Il prit le temps de dévisager l'aventurier, tout en se demandant si la désinvolture avec laquelle Montecale s'était adressé à lui n'était que la marque d'une nonchalance naturelle, ou si c'était purement de l'insolence. Sans doute un peu des deux.

« Maître Semaphorios, présentez-moi à Messire de Montecaaale, proposa Roderik au notable mervallois qui, comme quelques privilégiés, assistait à l'entrevue.
- Dois-je raconter la version courte ou la version longue ? s'amusa l'intéressé.
- Dans le nord, on les aime courtes. Mais nous sommes dans le sud. Faisons ça à votre manière. »

Acquiesçant d'un signe de tête, Maître Semaphorios, s'inclina légèrement vers Montecale - faisant ainsi remuer la graisse de sa bedaine à travers l'ample vêtement pourpre qu'il portait et qui pendouillait tristement - et déclama avec légèreté, comme un poète récitant ses vers :

« Son Illustre Grandeur le noble Roderik de la maison de Wenden, fils de Ganelon, comte d'Arétria, suzerain des monts du Nord-Atral et de la malelande, seigneur de Wenden, maître des clés de Külm-la-Rocailleuse, Pourfendeur des drows d'Oësgardie, Héros d'Amblère et de Nebelheim, Champion du Grand Tournoi de Serramire, Grand Chancelier du Royaume par la grâce de Notre Seigneur et Roi Bohémond, le premier de son nom de la maison Fiiram, Marquis de Sainte-Berthilde, Comte de Scylla, Baron d’Olyssea, Seigneur-Protecteur de la Roseraie, Gardien fidèle de la foi, le Sérénissime Soleil Noir de la Rayonnante Ys, Archonte d’Ydril, Vicomte de Calozi, Seigneur de Velmonè, Seigneur consoeur de Beronia, Seigneur-dragon de Calozi, Sénéchal d’Ydril, Grand Chambellan d’Honneur de la Grande Traverse, Erudit de Prestige de la Destinée de l’Aube, Maître des Enfants de la Nébuleuse Ecarlate, Grand Voyer du Duché et Grand Argentier du Royaume, par la grâce de la Damedieu, toute bonne et toute providentielle. »

Une fois l'introduction achevée, le Chancelier et le notable échangèrent un regard. « Même quand on commence à connaître, c'est vrai que c'est un peu long », reconnut Roderik. Puis, avisant Montecale, il ajouta : « marchons un peu, Messire de Montecale, voulez-vous ? »
Il fit quelques pas, et ses familiers attendirent que Montecale se décide à l'accompagner avant de les suivre, en conservant cette fois un peu de distance. Roderik de Wenden et Enrico de Montecale n'étaient pas seuls, mais ils seraient seuls à parler.

« Par ce temps, j'ai peine à me croire en hiver », badina-t-il, l'air de rien. « Bien sûr, les gens d'ici se plaignent du froid, mais mon pays m'a habitué à un vent autrement plus glacial. Je ne sais quel temps vous avez là-bas, dans l'archipel ; je n'ai jamais eu l'occasion de m'y rendre. J'espère que les domaines de Sa Majesté, sur-lesquels je sais que vous veillez avec bienveillance, se portent bien. » Un sourire bienveillant éclaira son visage, et pendant un instant, il parut presque difficile de déceler s'il était sincère ou de mauvaise foi. Puis, joignant les deux mains et plissant les yeux dans une attitude de conspirateur, il s'exclama finalement : « Bien, Messire de Montecale ! Venons-en au fait. Je suppose que vous nous apportez la tête de Méliane de Lancrais ? »
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Enrico di Montecale
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MessageSujet: Re: La deuxième sera la bonne [Roderik]   La deuxième sera la bonne [Roderik] I_icon_minitimeDim 14 Mai 2017 - 10:13


Une avalanche de titres à lui couper le sifflet.

Enrico eut du mal à cacher sa stupeur, alors que le truculent Semaphorios énumérait les raisons pour lesquelles l’estropié devait plutôt se courber plutôt que de se tenir debout. Le gros lard, de sa voix chantante, apprenait plusieurs choses au baron rien que par la titulature employée ; Cléophas n’était plus chancelier, le marquisat de Sainte-Berthilde et le fief antique des Anoszia étaient revenus dans les mains du Roy, et il avait sans doute face à lui l’un des trois hommes les plus puissants de toute la Péninsule. Il aurait pu suer rien qu’à entendre tout ça. Mais il ne pouvait décemment pas se laisser impressionner non plus, sinon, la rencontre risquait d’être courte et risible.

Il fit alors une large révérence, ouvrant les bras et baissant la tête. Lorsqu’il la releva, il était le plus sérieux des hommes.

« Mes plus plates excuses, votre Grandeur. Il semblerait que vous jouiez aux échecs avec trois coups d’avance. »

L’Arétan, plus titré que ne le fut jamais le grand Arichis, invita Enrico à se balader un peu dans les immenses jardins palatins. C’était un endroit magnifique, même en cette période de l’année. Le rude hiver n’avait pas encore déposé ses griffes gelées sur les plantes et arbustes couronnant les joyaux des palais sudistes, et à la connaissance d’Enrico, il n’y eut que peu d’hivers où le gel fut si intense que les jardiniers de la Côte de Sel s’arrachèrent les cheveux en gémissant. Ici, tout était encore agréablement bien entretenu. Passant entre deux buissons aux fleurs d’un pourpre sombre, le comte Roderik rappelait qu’en sa qualité de Nordien, les temps cléments étaient un luxe devenu commun pour lui. Pour avoir déjà voyagé dans le Nord, Enrico savait que c’était une terre hostile, de boue et de pluie. Il s’était même attendu à ce que ce visqueux mélange donne lieu à des hommes au teint bistre, plus noirs que des porcs et tout aussi rustiques.

Le baron à jambe de bois s’arrêta tout net lorsque le chancelier prononça ses venimeuses paroles. Il tourna la tête en direction de Roderik… La tête de Méliane de Lancrais ? S’il n’avait pas été officier de la Couronne, un petit coup de canne n’aurait pas été superflu. Néanmoins, Enrico maîtrisa sa soudaine irritation en caressant le homard ouvragé ornant sa badine. Il se racla la gorge, et dit sur le ton le plus mesuré :

« Je n'assassine pas mes suzerains, chancelier. Je laisse ces horreurs aux hommes dépourvus d’honneur. »

Peut-être le comte ne relèverait-il pas qu’il parlait de l’Effroyable. Sans doute avait-il raconté autour de lui que le Dragon de Langehack avait sauté tout seul de la tour ? Balivernes.

« Non, si je suis venu jusqu’ici, c’est pour lier mon destin à celui du Roy, et du seul vrai Royaume. »

Enrico s’arrêta net. Il lâcha sa canne dans l’herbe verte. Son regard était planté dans celui du chancelier, et son visage exprimait solennité et détermination. L’une de ses mains défit l’une de ses épaulières, qui tomba par terre une fois détachée. Enrico répéta l’opération pour l’autre spallière, et, tout en continuant de se dévêtir de son armure, proclama :

« Tel Muhab le Grand devant le Chambellan impérial de Nisétis, il y a des cycles de cela, je me défais de l’armure qui me servit à porter les armes contre l’élu des Cinq. En la retirant, j’implore le pardon du Roy, et je me présente à lui sans pourpoint, sans lame, et sans esprit belliqueux. Je suis nu de toute ambition face à lui. Et je me mets sous sa protection. »

Enrico finit alors de se défaire de sa cuirasse rutilante, qui tomba dans un bruit de ferraille à terre. Sous son armure, ses vêtements étaient propres et beaux, d’une couleur aussi sinople que les plantes du jardin. Il se mit à genou, faisant bien attention à bien placer sa jambe de bois. Devant le comte Roderik, il attendait à présent quelque chose… Même s’il devait se douter qu’une telle mise en scène lui paraisse incongrue. L’idée lui était venue en lisant un vieil ouvrage sur les guerres nisétiennes. Muhab le Grand, l’un des plus vieux ennemis de Nisétis, avait fait de même pour se soumettre à l’Empereur. La référence échapperait peut-être au chancelier, mais l’Histoire, elle, saurait.
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Roderik de Wenden
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MessageSujet: Re: La deuxième sera la bonne [Roderik]   La deuxième sera la bonne [Roderik] I_icon_minitimeMer 17 Mai 2017 - 20:51


Un pirate honorable, songea Roderik. Voilà qui semblait aussi incongru qu'un arétan royaliste. Il s'apprêtait à rétorquer vertement qu'il n'avait pas de leçon de morale à tirer d'un arriviste de basse extrace, quand l'unijambiste se mit à se désaper sans crier gare. La cuirasse chuta lourdement au sol, et Roderik pensa que tout cela était bien trop tendancieux, qu'un homme se dévête juste après qu'il lui ait montré sa queue.

La petite mise en scène de l'aventurier, qui avait la délicatesse heureuse de ne pas aller nu sous son armure, eut le mérite de calmer le Chancelier tout en piquant son attention. Il le fixa un moment, en silence, tandis que résonnait autour d'eux la vie tranquille des jardins du palais dans toute sa diversité ; au milieu de toute cette verdure, même les arbres chantaient pour qui pouvait les entendre, selon les dires de certains familiers du palais. Roderik n'y croyait guère, mais l'air des jardins, il est vrai, adoucissait les mœurs. C'est donc d'un ton empreint d'une certaine quiétude, qui passait presque pour de la sagesse dans la bouche du jeune Chancelier, qu'il déclara :

« Le roi ne saurait châtier celui qui implore sa protection. Et parce que sa miséricorde est grande, vous pouvez sans crainte solliciter son pardon, Messire de Montecale. Pourtant... »

Il prit une profonde inspiration. Le temps des petits badinages était passé.

« Vous serviez récemment encore un homme qui causa grand tort à notre roi, un homme qui assista le Boucher du Médian dans son entreprise de destruction du royaume, un homme dont le propre père tenta d'assassiner Sa Majesté. Je suis prêt à croire que vous n'avez suivi ses ordres que par respect pour la parole que vous lui aviez donnée, mais le royaume souffre encore des torts que vous l'avez aidé à causer. Le roi saura vous pardonnez, Messire, mais vous n'en avez pas moins une dette envers lui... aussi, je vous demande de rompre le doute qui tant m'habite, Enrico : qu'adviendra-t-il de Nelen ? »
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MessageSujet: Re: La deuxième sera la bonne [Roderik]   La deuxième sera la bonne [Roderik] I_icon_minitimeJeu 18 Mai 2017 - 8:59

Les paroles de Roderik libérèrent Enrico d’un poids énorme. Depuis son arrivée ici, il avait appréhendé ce moment, trouvant presque son mouvement trop audacieux. Sans risque, pourtant, pas de gloire. Le Roy avait beau être trop jeune pour prendre la décision d’absoudre Enrico, au moins était-il entouré d’hommes capables de faire les meilleurs choix en son nom. Peut-être le Nord avait-il enfanté quelques hommes d’honneur, après tout. Bien que le seul fait d’y penser râpait comme la langue d’un chat le cerveau du Suderon. Il se contenta de hocher la tête profondément, en signe de remerciement.

Mais le chancelier n’en avait pas fini. Et ce qu’il eut à dire était la question la plus légitime ; pourquoi suivre un félon si l’on est pour le Roy ? Un vrai paradoxe. Pourtant, Enrico savait qu’il avait bien agi. Qu’il avait à la fois conservé sa dignité et la bénédiction des Cinq. Il claqua la langue :

« Je reconnais avoir suivi feu Oschide d’Anoszia, suzerain mais aussi ami, et ce même alors qu’il s’alignait contre le roi Bohémond. Et je ne me pardonnerai jamais mon échec d’avoir tenté de le tourner vers le Sud, car il lui fut fatal. C’était un homme fier, et aux desseins brumeux. Pourtant, je suis sûr que sans l’Effroyable, il serait ici en ma compagnie, à remettre le serment de Langehack. »

Sans doute exagéré. L’ambassade à Soltariel n’avait rien donné, mais ça, c’était à l’époque de la Princesse d’Ys. Puis, les contacts avec le vieil Arichis, qui s’était avéré être un félon plus fourbe encore. Enrico pouvait dire qu’il avait essayé. Et la pire des irritations était aussi de dire qu’il n’avait pas réussi.

« Quand aux doutes qui vous assaillent, votre Grandeur, ils n’ont pas lieu d’être. Nelen est peut-être mienne, néanmoins, je souhaite être l’homme du Roy. S’il reconnaissait ma suzeraineté sur l’archipel, ainsi que mon nouveau titre de baron, alors je m’engage à le servir loyalement et à lui donner l’hommage. L’hommage-lige. »

Sans se défaire de la vassalité à Langehack, Enrico tentait également d’être le vassal du Roy. Dans sa tête, son plan était clair. Il espérait seulement ne jouer aucune fausse note…

Les yeux du Suderon étaient braqués sur le chancelier Roderik.

« Je n’ai pas volonté de nuire. Je souhaite, au contraire, rapprocher. »
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MessageSujet: Re: La deuxième sera la bonne [Roderik]   La deuxième sera la bonne [Roderik] I_icon_minitimeVen 19 Mai 2017 - 23:59


Un long silence suivit les paroles de l'aventurier. Le fin sourire qu'affichait Roderik quelques instants plus tôt en évoquant le pardon royal s'était lentement effacé alors qu'Enrico achevait de parler, et à présent il le fixait, le visage figé dans une ombre de déception.

« En somme, vous sollicitez le pardon du roi tout en lui réclamant une faveur, Messire de Montecale », constata enfin Roderik, non sans amertume. « Je ne suis pas familier de ce genre de commerce dont l'économie me paraît bien déséquilibrée. En ma qualité de Chancelier, il ne m'appartient pas de disposer des biens de Sa Majesté, quand bien même cela serait dans son intérêt. Je ne puis reconnaître ce qui n'est pas... mais peut-être devrais-je tirer au clair la question de la propriété de Nelen, afin que nous sachions ce qu'il en est. »

Il s'écarta d'un pas pour faire face au groupe de courtisans qui les suivait et, avisant un jeune clerc drapé dans une robe de bure sombre, lui fit signe d'approcher. Le clerc s'avança vers eux d'une démarche mal assurée. C'était le benjamin d'une maison diantraise fortunée dont les ascendants, ne sachant visiblement que faire de lui, avaient fait entrer au service du temple de Sainte Deina, le vouant à une vie de prières et de contemplation. Il s'était révélé piètre prêtre, mais ses capacités d'analyse, précoces pour son âge, avaient attiré l'attention, lui ouvrant très tôt les portes de la Chancellerie. Lorsque la guerre s'était invitée jusqu'aux portes de Diantra pour la livrer aux flammes, il avait fait partie de cette élite qui avait emboîté le pas de Cléophas, avec le petit roi, pour trouver refuge à Soltariel puis à Merval. Roderik le trouvait drôlement coincé, mais sa mémoire était bluffante, si bien qu'il faisait souvent appel à lui pour des questions de jurisprudence royale.

« Lysandus, éclairez-moi. Sur quel fondement le duc de Langehack s'est-il appuyé pour ériger baronnie sur Nelen ? »

Lysandus leva son visage juvénile, et de ses yeux bleu profond considéra tour à tour Roderik et l'aventurier des mers, un brin impressionné d'être pris à partie dans la conversation des deux hommes.

« Hem... au... au moyen de son droit de suzeraineté sur le comté de Scylla, dont Nelen fait partie intégrante, Messire Chancelier. Lorsque Langehack a prit parti contre la couronne, Scylla lui a aussitôt tourné le dos, reniant son serment ; en représailles, Langehack a confisqué Nelen. »

Roderik hocha la tête, pensif, tandis que Lysandus, mal à l'aise, balançait ses maigres épaules sous son froc.

« Le retrait d'un serment justifierait une telle expropriation, selon vous ? reprit Roderik.

- Ma foi, il doit exister des précédents, même si la situation dans son ensemble est plutôt inédite... Langehack s'était rebellée contre la couronne, certes, mais Scylla n'en demeurait pas moins sa vassale. Le fait que le roi et le comte de Scylla soient une seule et même personne rend l'ensemble assez compliqué, il est vrai... »

Roderik plissa le front.

« Admettons que Langehack puisse tenir des griefs contre Scylla. Dans ce cas, plutôt que d'exproprier le roi de l'archipel de Nelen, pourquoi ne l'a-t-elle pas dépossédé du comté tout entier ?

- Eh bien... sans doute parce que le comté dans son ensemble ne l'aurait pas accepté, Messire. Nelen représentait une cible plus facile, et contrôlable ; la flotte langecine s'est emparée de l'archipel peu après le début de la guerre, mais Scylla n'a pas été inquiétée sur la terre ferme.

- Si je vous suis sur cette voie, Langehack n'a dépossédé le roi de l'archipel que parce qu'elle occupait militairement Nelen. A aucun moment elle n'a revendiqué la confiscation du comté de Scylla.

- Certes non.

- Qu'elle n'ait revendiqué que Nelen illustre bien le fait que cette expropriation n'était qu'un coup de force et non l'usage de son droit. Et quand bien même Langehack aurait pu revendiquer l'archipel, Lysandus, a-t-on déjà vu un duc ériger comté ou baronnie ? »

Lysandus adressa un regard inquiet à Enrico, avant de répondre :

« Pas à ma connaissance, Messire Chancelier. Une recherche minutieuse sur ce point s'imposerait sans doute, mais la pratique me laisse à penser qu'il s'agit plutôt d'une prérogative royale. Les rois ont élevé Odélian de comté à marquisat, tout comme ils ont abaissé Serramire et Sainte-Berthilde de duchés à marquisats. Je n'ai pas souvenir qu'un duc, a fortiori en rébellion, ait déjà érigé comté ou baronnie. A l'exception du duc du Médian, il est vrai...

- Il n'y a pas de duché du Médian, et ce qu'il a fait des domaines royaux n'a aucune espèce de légalité, trancha Roderik.

- Certes vous avez raison, Messire Chancelier. »

La démonstration faite, Roderik se tourna vers Enrico et se contenta d'abord de hausser les épaules, comme si tout était dit.
Puis :

« Peut-être avez-vous une autre idée sur la question, Messire, et si c'est le cas, je suis toute ouïe », lança-t-il d'un ton qui laissait entendre : « si vous voulez me convaincre, c'est maintenant. »
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MessageSujet: Re: La deuxième sera la bonne [Roderik]   La deuxième sera la bonne [Roderik] I_icon_minitimeJeu 25 Mai 2017 - 9:09

Enrico soupira. Du droit féodal. Une matière qui ne figurait pas vraiment dans son éducation bourgeoise. Et sans doute le plus grand piège dans lequel il était tombé jusqu’ici. Pourquoi n’avait-il pas amené le vieux Jarvis avec lui ? Il savait ce genre de choses, lui ! Mais le voyage en mer aurait tout aussi bien pu le faire tomber malade, ruine antique qu’il était. Seul et désarmé, Enrico ne pouvait qu’essayer de se sortir de la panade. Peut-être que l’honnêteté le sauverait, ou l’achèverait. C’était un choix difficile à faire, étant donné qu’il jouait tout ce qu’il possédait. L’avenir de sa famille et de sa toute jeune Maison. Ils étaient intimement liés à ce qu’il allait dire. Et, après s’être humecté les lèvres, il se lança.

« Je vais être franc avec vous, votre Illustre Grandeur. Je suis un homme relativement nouveau, et contrairement à bien d’autres ci-présents, je ne suis pas né avec le sang des vieux lignages. Les questions de droit, de serment, d’élévation, et... »

Enrico cherchait ses mots, se mordant la lèvre inférieure. Il préféra couper court.

« Et toutes ces autres choses, ce sont des sujets dans lesquels mes connaissances sont très limitées. Je n’ai pas été éduqué dans ce but, mais ce sont les Cinq qui m’ont ouvert la voie vers le sang immortel. Une… ascension à laquelle je n’étais pas préparée, messire. J’ai donc un certain nombre de lacunes, et j’ai sans doute commis bon nombre d’erreurs sur mon parcours. »

Enrico chipotait nerveusement le homard ouvragé de sa canne.

« Que Langehack ait été dans son droit ou non, le fait est que Nelen lui appartient par la conquête, Chancelier. C’est un fait indéniable. Tyra n’a pas éloigné ma flotte dans une tempête maritime, pas plus qu’Othar n’a favorisé les Scylléens lors de la prise de Port-Cinglant. Les dieux m’ont offert la victoire… Mais c’est bien parce qu’ils voient plus loin. »

Le baron inspira.

« Ils savaient que j’allais venir ici, porteur d’un message fort et d’une conviction qui l’est tout autant. Ils savaient que je me présenterais à vous tel un serviteur du Roy, et non l’un de ses félons. La chose la plus importante, votre Illustre Grandeur, n’est pas de savoir si Langehack avait le droit de prendre Nelen, mais de savoir si le Roy est prêt à accueillir ceux qui souhaitent se mettre à son service, et sous sa protection. »

Il écarta les bras, comme s’il invitait un adversaire à le poignarder dans le cœur, en plein duel.

« Si Sa Majesté Bohémond reconnaissait ma suzeraineté sur l’archipel, je ne pourrais que mieux le servir, Chancelier. N’est-ce pas ce que demande le Royaume, en ces temps troublés ? Des hommes serviables ? Loyaux ? Cette même loyauté qui m’a fait braver la marée pour tenter d’arracher Oschide d’Anoszia des griffes de l’Effroyable. C’est ce que pourrait gagner Sa Majesté. »

Il rabaissa ses bras, fixant Roderik. Il voulait être l’Homme du Roy. Mais pas l’Homme nu du Roy.

« Comment pourrais-je mieux la servir, Chancelier ? La plupart des Grands de Langehack me tiennent en grande estime, depuis mes actions militaires. Je peux aisément me faire l’architecte d’une réconciliation totale. »

Là, Enrico savait bien qu’il exagérait. Si la plupart des seigneurs langecins semblaient l’apprécier, il n’en était rien de cette teigne d’Alcion d’Amderran. Et peut-être le baron de Nelen se donnait-il trop d’importance, dans le vivier des vassaux de Langehack. Mais il avait encore l’oreille de Méliane, un atout non-négligeable.
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Roderik de Wenden
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MessageSujet: Re: La deuxième sera la bonne [Roderik]   La deuxième sera la bonne [Roderik] I_icon_minitimeJeu 25 Mai 2017 - 12:36


Roderik écouta, impassible, la profession de foi de l'aventurier, se gardant de l'interrompre. Quoiqu'il puisse penser de ce sire de Montecale, quoiqu'il puisse penser de ses revendications, ses arguments avaient le mérite d'être inattendus. Roderik, en effet, n'aurait pas imaginé qu'il oserait s'aventurer à invoquer les dieux pour justifier sa cause. L'argument, en effet, était à double-tranchant : un homme qui se réclame de la faveur divine sous-entend qu'il est seul à marcher dans la lumière, et que les autres sont dans l'erreur. Et le sous-entendu était dur à avaler quand il était adressé aux partisans de ce qu'il y avait de plus sacré dans le royaume des hommes : le roi lui-même.

« Gardez-vous de deviner les desseins des dieux, Messire di Montecale », déclara Roderik d'un ton monocorde lorsqu'Enrico eut fini de parler. « Certains usèrent de la même rhétorique pour justifier leurs méfaits. Harold d'Erac s'est cru porté par la bénédiction de Néera lorsque lui prit la folie de revendiquer la couronne ; par bonheur, le destin lui a donné tort. Mais puisque vous avouez votre méconnaissance des questions de droit et de serments, Messire, permettez-moi de vous faire une leçon rapide : vous en aurez besoin si vous tenez à ce que votre nom perdure. »

Il fit un pas vers Montecale et, plantant son regard dans le sien, considéra l'homme ; étrange il était, ce bourgeois semi-noble, rustre mais civilisé à la fois, ignorant des préceptes de chevalerie et pourtant bouffi d'un semblant d'éducation, comme il le montrait en citant de vieilles légendes nisétiennes. Il faisait montre d'une volonté de servir qui faisait défaut à bien des hommes bien nés, mais il demeurait par trop imparfait. Derrière cette dignité de façade demeurait un homme du peuple.

« Savez-vous pourquoi ce royaume tient depuis mille ans ? Parce que les hommes respectent le passé. Parce que ce qui était hier doit demeurer aujourd'hui et demain. Parce que la coutume doit être respectée, et que le roi lui-même s'y tient. Si vous vous écartez de cette voie, le royaume s'écroule comme un château de cartes : il n'y a plus rien d'autre que l'ambition, et ne règne plus d'autre loi que celle du plus fort. C'est parce qu'il se croyait le plus fort que Nimmio de Velteroc, le Boucher du Médian, a tenté de voler la couronne. Mais ce ne sont pas les épées qui font le roi, et aussi longtemps que je vivrais, la coutume demeurera, Messire di Montecale, et les hommes comme Velteroc connaîtront la justice. »

Il s'interrompit quelques instants, laissant son nouvel élève assimiler ces notions jetées à la va-vite. Bien sûr, cela ne répondait pas à la question essentielle, celle pour-laquelle l'aventurier s'était déplacé. Nul doute que tout cela lui faisait une belle jambe, sans aucun mauvais jeu de mots.

« Vous avez péché par ignorance », reprit-il ; « vous avez servi le mauvais camp, mais n'avez point trahi votre parole, et le roi, comme vous l'avez dit, sait accueillir et protéger ceux qui désirent le servir. Voulez-vous vraiment servir votre roi, Enrico ? Alors rendez-lui son île. » C'était dit, sec et direct ; la sentence était tombée comme la merde d'un seau qu'on vide du haut d'une fenêtre. Mais Roderik tempéra : « n'y voyez pas un sacrifice, car l'on ne peut sacrifier que ce qui est à soi ; le premier homme qu'il vous faut blâmer est votre ami Oschide, qui vous berça d'illusions en vous remettant une terre qu'il ne vous pouvait donner. Je mesure l'attachement que vous portiez à cette récompense, comme je mesure la vaillance et l'intrépidité qu'il vous fallut déployer pour l'obtenir ; mais il n'en demeure pas moins que Nelen comme Edelys sont propriétés du roi, et que Langehack devra répondre de ces usurpations. »

Nul doute que l'aventurier serait déçu ; il avait tant gagné en servant le mauvais homme, et se trouvait condamné à renoncer à toutes ces choses maintenant qu'il se tournait vers le bon. Ainsi était la justice : ferme et froidement logique, trop sans doute pour être comprise par ceux qui avaient à y perdre. Roderik savait que ce n'était là que le début de ce que la Chancellerie exigerait de lui ; il devrait se montrer juste, mais inflexible.

« Ce n'est point pour vous punir que je vous oppose mon refus, Enrico : je ne vous demande que d'être jusqu'au bout ce que vous prétendez être : loyal. Sachez que la couronne a toujours récompensé la loyauté, pour autant que cette loyauté est désintéressée. Le roi saura un jour l'apprécier à sa juste valeur, mais il ne vous appartient pas d'en réclamer le prix. »
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MessageSujet: Re: La deuxième sera la bonne [Roderik]   La deuxième sera la bonne [Roderik] I_icon_minitimeJeu 25 Mai 2017 - 14:47

Roderik était si prêt d’Enrico que ce dernier, s’il l’avait envisagé, aurait pu lui ouvrir la gorge d’un revers de lame. Il était plus grand que lui de presque une tête, et le fixait de ses yeux remplis de mépris. Ou était-ce du dédain ? Quelque chose dans ce goût-là, sans doute. Car il ne fallut pas attendre trop longtemps avant d’entendre le Comte d’Arétria donner la leçon à Enrico, qui détestait de se sentir pris pour un nigaud. Il avait l’impression d’être un enfant, ce qui avait le don de l’horripiler. Et pourtant, les paroles du Chancelier étaient loin d’être dénuées de sens. Pis encore, elles trouvèrent un écho en son for intérieur.

Car oui, il le savait. Il avait toujours su que le Royaume n’était pas pour les gens comme lui. Un homme venu de nulle part, sans nom ni titre. Il n’y avait place, dans la noblesse, que pour le sang. Et malgré les efforts qu’il avait mis en place pour fausser l’échelle, les barreaux avaient tout de même fini par céder. Illusion et poudre de perlimpinpin. Son père aurait donc eu tort de le pousser dans ce tunnel qui s’écroulait déjà au-dessus de lui ? Oschide avait-il usé de ces mensonges doux comme la soie, pour lui faire croire qu’il avait une chance de valoir bien mieux que le fils de personne ? Homme sans terre, homme sans pays. Là, face au Chancelier, il se rendait compte d’une chose ; jamais les Grands ne l’auraient accepté parmi leurs pairs. Et jamais la loi, ni les dieux, ne l’auraient laissé devenir ce qu’il n’était pas destiné à être. L’exemple d’Harold était frappant, comme l’avançait Roderik. Roi de rien, tel Nimmio de Velteroc. Et tous deux avaient été frappés par la colère divine. Devrait-il craindre les dieux, si d’aventure il crachait à la face de la Couronne ?

Enrico était en colère. En colère contre le monde, injuste et inflexible. En colère contre les dieux, qui des mânes ou des mortels ne se souciaient pas plus que du cours de la rivière. Et surtout, en colère contre lui-même. Lui, l’architecte de son échec. Il détestait l’échec. Plus encore lorsqu’il en était l’un des principaux acteurs. Son regard se perdit au loin, fuyant celui de Roderik, alors qu’il ruminait intérieurement. Sa main était crispée sur sa canne, alors qu’il écoutait le reste des paroles du Chancelier tout en bouillonnant. Il baissa les yeux, puis la tête. Il réfléchissait, un goût de ciguë dans la bouche. Perdre ce qu’il n’avait jamais eu. Cette phrase résonnait dans sa tête comme un pendule fou et détraqué, criante de vérité, douloureuse d’authenticité. Devant les lois des hommes comme devant celles des dieux, il n’avait rien.

Il releva la tête, les yeux humides. D’une voix qui se voulait la plus digne et maîtrisé possible, ce malgré la tempête régnant dans son cœur, Enrico déclara :

« Ce n’est pas vous qui me punissez, Chancelier. Les Cinq me reprennent ce que je n’ai jamais eu. Et pourtant, savent-ils à quel point j’ai rêvé de telles choses. »

L’estropié perdit à nouveau son regard, mais point dans le vague, cette fois. Il fixait le homard d’or massif sur sa canne de bois noir.

« Une terre. Un blason. Une bannière flottant au vent des marées, qui claque sous les embruns... »

Ses yeux restèrent rivés sur son emblème.

« Vous me demandez d’abandonner tout pour servir le Roy. Que puis-je donc espérer lui apporter, dans ce cas ? Un trois-quart d’homme ? Un noble-à-moitié ? Sans mes titres, sans mes terres, je redeviens un vagabond, un apatride. Sans tout ceci, je ne vaux plus rien pour ma suzeraine, comment pourrais-je espérer alors posséder quelque valeur pour le Roy ? »

Il ne pouvait envisager de retomber dans l’oubli.
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MessageSujet: Re: La deuxième sera la bonne [Roderik]   La deuxième sera la bonne [Roderik] I_icon_minitimeLun 29 Mai 2017 - 10:07


Roderik s'attendait à le voir se raviser. Il n'imaginait pas cet escogriffe unijambiste aller jusqu'au bout dans sa profession de foi, il le voyait déjà ravaler ses belles déclarations d'intention pour tourner les talons - enfin, le talon - et regagner cette île de malheur qu'il ne voudrait jamais lâcher. Le Chancelier, alors, aurait été bien emmerdé : il n'aurait eu d'autre choix que de faire arrêter le bonhomme, et ça aurait un peu gâché la fête, parce que, quelque part, ce type avait quelque chose de sympathique. Les meilleurs partent toujours les premiers.

Mais Enrico di Montecale ne participait pas de cet entêtement propre aux hommes persuadés d'avoir raison en toute circonstance ; et à la grande surprise du jeune Chancelier, d'une voix vibrante d'émotion, il abjura de ses erreurs passées, reniant ce droit sur Nelen qu'il cherchait encore à faire reconnaître quelques instants plus tôt. Finalement, c'est un Roderik fort déstabilisé qui l'écouta ruminer sa peine ; car il l'émouvait, cet être si imparfait dont la loyauté restait si intacte. Il le considéra un moment, avant de poser fermement les mains sur ses épaules, l'obligeant du même coup à relever la tête.

« Détrompez-vous, Messire Enrico : vous valez plus pour le roi que tout ce que la péninsule compte de grands seigneurs, car la loyauté que vous venez de lui témoigner est la plus grande de toutes. Il est des hommes dont la loyauté ne va pas plus loin que ce à quoi leur serment les contraint ; mais la fidélité, la vraie, la véritable... »

Il se rappela ce que lui avait dit Cléophas d'Angleroy, ce jour si particulier où il l'avait pour la première fois rencontré à Merval, dans le secret du Clos, au beau milieu de l'Eparchie des Trois-Ports. Nul n'aurait su expliquer ce que c'était que la fidélité, nul n'eut pu le faire avec autant d'éloquence que Cléophas, si bien que Roderik en invoqua le souvenir :

« Cléophas d'Angleroy m'a un jour affirmé que l'homme le plus fidèle est celui qui sert quand bien même il a tout à perdre. Être fidèle, m'a-t-il dit, ce n'est pas prêter cinquante lances à son roi : c'est aller en trouver vingt mille de l'autre côté de l'Olienne pour enfin les déposer à ses pieds, même dix ans plus tard. Être fidèle, c'est être fou : et je crois qu'il a raison. Il faut être fou pour sacrifier tout ce qu'a sacrifié Cléophas d'Angleroy au service d'un enfant-roi dont personne, alors, ne voulait croire à la survie. La fidélité se passe de récompense, Messire Enrico : d'aucuns diraient que Cléophas d'Angleroy m'a bien récompensé, mais je paye ma fidélité en vivant loin de mon pays, loin de mes gens, loin de mon épouse enceinte, dans une cour où tout m'est étrange. La fidélité exige beaucoup, et semble offrir si peu en retour ; et pourtant, ceux qui s'y sont engagés le referaient deux fois plutôt qu'une. »

Il s'interrompit, laissant l'aventurier ruminer son discours sur la fidélité, ses paroles semblant résonner au-dessus d'eux dans le jardin silencieux ; une brise marine les en chassa finalement en agitant les branchages, plongeant les lieux dans un silence religieux. Ce que Roderik ne disait point, et qu'Enrico devinait peut-être, c'était cette autre raison, inavouable, pour-laquelle l'aventurier devait renoncer à cette chimère de Nelen : lui abandonner l'île aurait été un premier aveu de faiblesse de la couronne, qui alors aurait été entraînée à abandonner bien d'autres fiefs encore occupés par des usurpateurs ; en achetant la paix par le renoncement, le roi sortirait diminué, non seulement sur le plan patrimonial, mais également politique : ce serait le signal que tout un chacun pouvait librement bafouer la couronne et y gagner terres et titres.
Pour autant, tout espoir n'était pas perdu pour Enrico ; et s'il lui fallait oublier Nelen et tourner au plus vite cette sombre page, Roderik tenait à ce que l'homme sache que ce n'était que pour ouvrir le début d'un autre chapitre. La couronne ne pouvait se permettre d'octroyer une récompense que d'aucuns analyseraient comme un renoncement ; mais il y avait d'autres moyens. Tant que chacun garde la tête haute.

« Sous peu, le roi aura grand besoin d'hommes loyaux au cœur de son royaume. Vous êtes un meneur d'hommes, Enrico, et quoique votre sang ne soit pas de la plus vieille noblesse » - il émit une petite toux discrète - « vous apprenez vite, et vous aurez à cœur de rester fidèle à votre roi, contrairement à tous ceux qui aujourd'hui encore font des sauts de cabri d'un camp à l'autre en suivant le sens du vent. Que la malechiasse leur cloue les tripes à ces grognards, qu'ils se conchient dans leurs coussièges, ceux-là ! Ne désespérez point, Enrico : lorsque le roi aura confisqué leurs biens, il y aura forcément dans le lot quelque château prestigieux sur-lequel faire flotter votre homard. »
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MessageSujet: Re: La deuxième sera la bonne [Roderik]   La deuxième sera la bonne [Roderik] I_icon_minitimeLun 29 Mai 2017 - 13:04

Les rêvasseries d’Enrico furent interrompues par une paire de paluches sur ses épaules. Roderik le toisait, et son visage était si proche que l’estropié pouvait sentir son haleine parfumée à la truffe. C’était légèrement écœurant, mais il tenta de ne rien en montrer. C’est à ce moment précis qu’il put se rendre compte à quel point le Chancelier était l’archétype-même du seigneur féodal. Grande taille, ossature épaisse, sans aucun doute un bon cavalier, au vu de ses hanches. Il représentait le pur produit de l’aristocratie péninsulaire, le résultat de mariages successifs entre les mêmes vieux sangs qui avaient coulé dans les veines des premiers compagnons du Roi Phiiram. Il avait beau ne pas être très joli, Roderik n’en restait pas moins fier et noble.

Et son discours trouva un écho au plus profond d’Enrico.

Les phrases du Chancelier le touchaient. Elles le touchaient parce qu’il les comprenait, et plus encore, parce qu’il les défendait. Sinon, pour quelle autre raison aurait-il été frapper aux portes de l’Olysséan ? Pour quelle autre raison aurait-il cherché à venger Oschide, allant jusqu’à tenter de s’associer avec le plus vil seigneur du Berthildois ? La fidélité n’était pas une affaire froide et logique. C’était un sentiment fort, unissant l’homme à un but. C’était le mariage de la volonté et de l’amour, le lien entre deux amis, deux amants, deux hommes, deux femmes…

Un sentiment permettant d’accomplir des prouesses, et de mettre son âme à l’épreuve.

Enrico fixa intensément Roderik, les yeux brillant d’une lueur nouvelle.

« Le seigneur Cléophas est un homme d’une grande sagesse. Et qui sait trouver les mots justes, et appropriés. »

Qui sait… Peut-être qu’en fin de compte, Enrico allait véritablement lâcher Nelen ? Jusqu’ici, il en était encore au stade du dilemme, entre ses scrupules et les paroles entêtantes de son pragmatique de père. Même mort, c’était comme s’il habitait encore l’esprit d’Enrico, et lui lançait une babouche sur le crâne en le grondant pour ses doutes et ses craintes. Les vieux discours tournaient en boucle dans sa tête, se mêlant allègrement aux fraîches paroles du Chancelier.

Les dernières paroles de Roderik firent néanmoins sourire légèrement Enrico. Se détendant, il dit alors :

« Le Roi peut compter sur ma loyauté en toute circonstance. Et si Sa Majesté souhaite disposer de Nelen à son envi, qu’elle le fasse. Cependant... »

Enrico recula un peu, passant une main dans ses cheveux.

« Cependant, comme vous le savez déjà, je suis encore le vassal de Méliane de Lancrais. Elle-même qui sera difficile à convaincre, tant les dernières secousses au pays l’ont rendue méfiante et amère. »

Il posa sa canne par terre, relevant la tête assez haut.

« Permettez-moi d’essayer, votre Illustre Grandeur. Permettez-moi de faire changer le regard de Méliane sur tout ceci, et d’instaurer un nouveau chapitre dans l’histoire de Langehack. Elle a encore pour moi une oreille attentive. Je suis sûr que je peux l’amener vers le Roy. »
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MessageSujet: Re: La deuxième sera la bonne [Roderik]   La deuxième sera la bonne [Roderik] I_icon_minitimeMar 30 Mai 2017 - 13:00


Tout heureux qu'il était de voir l'un des héros du Langecin se rallier à la couronne et promettre de rendre Nelen sans coup férir, Roderik en avait oublié l'autre problème. Ah, oui, celle-là. Méliane de Lancrais... il n'avait jamais rencontré la duchesse de Langehack, aussi ne la connaissait-il qu'au travers des rumeurs qui couraient à son sujet, et elles n'étaient guère élogieuses. Il avait un temps cotoyé feu son époux le duc Oschide, en revanche ; Oschide d'Anoszia n'était alors qu'un simple capitaine royal, fils du régent d'Ydril, d'une famille qui devait sa fortune au commerce maritime bien plus qu'à leurs maigres possessions terrestres. Le bougre avait tout bonnement déserté la campagne de Sgarde pour aller séduire la duchesse Méliane et s'offrir le titre de duc à grand renfort de coups de reins. Une chose était certaine, les Anoszia avaient le sens des affaires, et la duchesse Méliane, elle, ne l'avait pas.

Roderik passa la main dans sa barbe, soucieux, conscient qu'Enrico attendait une réponse de sa part. Langehack était l'épine dans le pied du Chancelier ; la duchesse Méliane était à ses yeux aussi condamnable que l'était le Boucher du Médian : ses troupes avaient occupé Diantra et Edelys, elles avaient envahi Nelen ; la duchesse avait accueilli à sa cour Arichis d'Anoszia après que ce dernier ait tenté d'enlever et d'assassiner le roi Bohémond ; elle persistait, aujourd'hui encore, à refuser de reconnaître son roi. Finalement, elle avait atteint les sommets de l'ineptie lorsque, réalisant qu'elle ne parvenait pas à maintenir l'ordre à Diantra, elle avait choisi de livrer la ville aux troupes du Médian plutôt que de la rendre à la couronne, geste qu'elle aurait pu faire passer pour une preuve de bonne foi.
Pourtant, Cléophas d'Angleroy avait confié à Roderik qu'il souhaitait laisser une chance à Méliane ; qu'elle expie ses fautes et reconnaisse le roi, et le sang ne coulerait pas. Roderik trouvait cette mansuétude exagérée, lui qui était plus partisan du bâton que de la carotte ; mais il lui fallait se ranger à l'avis de Cléophas d'Angleroy, car le Régent parlait pour le Roi et que le Chancelier n'était que le jouet de sa fantaisie.

« Je serais honnête avec vous, Enrico. Si cela dépendait de moi, il serait bien trop tard pour la duchesse Méliane ; elle n'a que trop tergiversé à faire amende honorable. Mais notre bon Régent n'est point de cet avis, aussi la rédemption du Langecin reste possible. Vous comprendrez néanmoins qu'il n'appartient pas à la couronne de la supplier. Nous n'irons pas à genoux lui demander de revenir dans nos bonnes grâces. Elle est fautive, Enrico, et ses torts sont immenses : nous attendons d'elle qu'elle ait le courage de les assumer. Alors, si vraiment vous pouvez la convaincre, faites-le ; dans son intérêt à elle avant tout. Et si cela ne se peut, eh bien... lorsque viendra le point de non-retour, j'espère que vous saurez à qui va votre loyauté. »
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MessageSujet: Re: La deuxième sera la bonne [Roderik]   La deuxième sera la bonne [Roderik] I_icon_minitimeSam 3 Juin 2017 - 6:49


Enrico comprenait bien tout ceci. Et alors même qu’il écoutait les paroles de Roderik, Enrico se demanda s’il pouvait réellement faire changer d’avis la duchesse. Il se rappelait de la teneur de leur dernière conversation. Tandis qu’elle versait ses dernières larmes pour l’homme de sa vie, lui ne parlait que de vengeance, de vendetta. Quelle frustration éprouvait-il par ailleurs aujourd’hui, bien loin d’avoir pu poser ne serait-ce qu’une main autour du cou de Godfroy l’Outrepasseur. Godfroy le Menteur. Le Faux. Il l’aurait poursuivi jusqu’au Royaume de Tyra, pour lui arracher son dernier souffle de ses mains, et c’est peut-être cette verve et ce chaud tempérament qui avaient donné à Enrico du crédit aux yeux de Méliane. Ils étaient unis dans un but commun.

Mais la suite de la conversation avait été trouble. S’improvisant conseiller, l’homme à la jambe de boy avait tenté de convaincre une sourde oreille de l’intérêt à se rapprocher du Roy. La rancœur de la duchesse était encore trop vive, ses plaies encore trop béantes. Ils s’étaient quittés sur une égalité, un match nul, aucun n’ayant réussi à attirer l’autre dans son camp. Et Enrico se souviendrait longtemps de ses dernières paroles, celles qu’il avait prononcé en attrapant la main froide et pâle de la veuve éplorée :

« Ma place est avec vous, votre Altesse. Et à la gauche du Roy. »

A présent, Enrico voyait son rôle avec beaucoup plus de netteté. Tel un ascète des temps anciens, il s’était fait renonçant pour une plus grande cause. C’était comme de sentir littéralement les dieux au-dessus de soi, presser leurs mains divines sur ses frêles épaules de mortel. Peut-être se donnait-il plus d’importance que de raison, peut-être n’était-il point le pion avant, mais le pion arrière. Mais Enrico avait toujours aimé se voir comme une sorte de héros voué à la réussite, et aux machinations des Cinq. Et bien que ces dernières années avaient été promptes à lui laisser croire le contraire, son orgueil, ou son aveuglement, le confortaient toujours dans ces idées, alors-même qu’il avait tout perdu.

Tout, mais ni son honneur, ni son épée. Il n’en ressortait pas non plus entièrement perdant ; car derrière lui, à présent, se tenait le Roi des Hommes.

Enrico fit une profonde révérence à Roderik, un geste qu’il destinait plus à l’élu des dieux que représentait ce fameux bonhomme, qu’au fameux bonhomme lui-même.

« Loyal en toutes circonstances. Je ramènerai Méliane avec moi à Merval. Et toute la cour du Roy pourra constater d’elle-même ma réussite. Faites-moi confiance, Chancelier. La duchesse peut entendre raison, maintenant que la souffrance de son deuil s’estompe peu à peu. Elle se fera femme de raison, entendez-le bien. »

Enrico retira sa jambe de boy d’un endroit à la terre bien trop tendre, dans ce jardin humide par endroits. Il y avait un gros trou dans la pelouse, aussi, l’estropié s’excusa avec promptitude, juste après avoir soufflé un juron dans son patois natal.
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MessageSujet: Re: La deuxième sera la bonne [Roderik]   La deuxième sera la bonne [Roderik] I_icon_minitimeVen 9 Juin 2017 - 19:50


« Ne vous en faites pas pour la pelouse, Enrico. Je me réjouis de voir que vous êtes un homme de raison, et je prie Néera que vous parveniez à titiller celle de Méliane de Lancrais. Je veux dire sa raison, bien sûr, pas sa pelouse. »

Il raccompagna l'aventurier, marchant gaiement à ses côtés le cœur léger. Cet entretien s'était plutôt bien passé, tout compte fait, et Roderik était de bonne humeur. Un bel oiseau bleu s'envola d'une branche d'arbre à leur approche, virevolta autour d'eux et se posa sur l'épaule du Chancelier. Roderik le chassa d'un revers d'épaule ; il n'avait pas envie qu'un de ces volatiles lui pourrisse son pourpoint, et ils étaient souvent malades en ce moment. Le début des grands froids, sans doute.

« Notre régent, le prince de Merval, est Langecin, le saviez-vous ? » badina-t-il tout en marchant. « Il faudrait être fou pour croire que Langehack ne fait pas partie du royaume. Dame Méliane saura s'en souvenir. Je prierai pour votre réussite, Enrico, et quand toute cette histoire sera réglée, revenez me voir. Je vous inviterai à dîner, et nous parlerons de ce que vous pourrez faire pour le royaume. Venez avec votre dame si vous le voulez. Comment s'appelle-t-elle, déjà ? »

Il se souvenait vaguement de la rouquine aux yeux aveugles qui se tenait au côté de l'estropié le jour des noces de Maélyne de Lourmel. Il eut été difficile de ne pas voir un couple aussi bien assorti - sauf à posséder le handicap de la femme, bien sûr.
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MessageSujet: Re: La deuxième sera la bonne [Roderik]   La deuxième sera la bonne [Roderik] I_icon_minitimeSam 15 Juil 2017 - 16:05


Apprendre que le régent Cléophas était langecin surprit légèrement Enrico. Mais, à bien y réfléchir, pourquoi pas ? Lui-même était soltari, cela ne l’avait pas empêché d’aller chercher fortune ailleurs. Point qu’il n’ait eu le choix, il est vrai. Cependant, un noble restant toute sa vie en son fief, n’était-ce donc pas comme un homme restant toute sa vie en son berceau ?

Malgré ses digressions spirituelles, Enrico nota avec un grincement de dents les dernières paroles, toutes candides, du Chancelier. Ha, sa femme. Sa femme.

« Cécilie de Laval. »

Le nom avait été prononcé presque en sifflant, tant les chicots d’Enrico (hoho) étaient serrés. Elle n’avait pas laissé de bons souvenirs. De façon assez diplomatique de sa part, Enrico tenta de se montrer le moins véhément et le moins rabaissant possible. Tenta.

« Ma très chère épouse a eu les yeux plus gros que le ventre, Votre Illustre Grandeur. Elle aura préféré faire annuler son mariage pour de plus grandes chances d’hériter du Missédois. Petite gourgand… Hum, c’est donc seul que je vous apporterai ce qui est dû au Roy. »

Enrico tourna son visage vers Roderik.

« Dans deux ennéades au plus tard, les lettres de propriété et les clés de Port-Cinglant seront apportées ici, et symboliquement remises à l’autorité royale. Voyez cela comme un geste fort, Chancelier. Un geste fort, et solennel. »

Ils ne tardèrent pas à arriver dans la cour, où les soudards escortant l’ancien baron de Nelen attendaient patiemment le retour de leur maître. Dans leurs capes de cuirs, et sous leurs chapeaux à larges bords, ils toisaient en silence l’arrivée des deux nobles. Seul Gregorio Calabassa, comme à son habitude, souriait de toutes ses dents au dégradé jaunâtre, mains sur les bords de sa capeline. Enrico se tourna alors vers le Chancelier, et fit une révérence basse.

« Mes salutations au Roy. Puisse les dieux lui accorder un règne prospère, une fois que ses félons seront tous réformés, ou mis au pas. »


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