Alanya de Saint-Aimé
Ancien
Nombre de messages : 1016 Âge : 224 Date d'inscription : 08/04/2014
Personnage :.: MANUSCRIT :.: Âge : 32 ans à la fin de l'Ellipse Taille : Niveau Magique : Non-Initié.
| Sujet: Pour une bonne meule et de la vinasse [Thomas d'Avron] Dim 10 Déc 2017 - 0:39 | |
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L’agitation muait les hommes ce matin-là. L’on entendait tantôt le pas lourd des armures, tantôt les sabots embourbés des chevaux qui traversaient dans les allées. Le froid se faisait peu à peu moins mordant mais les primes lueur laissaient toujours les doigts du glacial hiver chatouiller les malheureux qui barbotaient là. Les feux se tamisaient à mesure que les ronflements cessaient. Les chants du soir s’étaient tût, et il ne restait que la vague morosité du matin. Les femmes quittaient peu à peu les couches, les poches un peu plus pleines et les bourses des mâles un peu plus vides. Les lueurs blafardes filtraient à peine à travers l’épaisse toile de la tente, mais cela était suffisant. Suffisant pour apercevoir les volutes blanchâtres à l’odeur âpre qui virevoltaient çà et là sans dessein précis. La fumée avait la liberté de s’enfuir à travers les maigres apertures mais, elle restait là, habillant le corps frêle et laiteux agenouillé.
Oui, ce corps n’était point nu à cet instant-là. L’air glissait sur les courbes douces comme une caresse, pourtant elle ne tremblait pas. Pas un frisson ne la parcourait alors qu’elle gardait les yeux désespérément clos. Ses doigts graciles tenaient faiblement une petite colombe d’or, la caressant sans un mot et avec une étrange tendresse. La paix et le calme, alors que tout semblait immobile, même l’encens. Loin du chaos parfait qui régnait au dehors, elle demeurait là, les genoux endoloris par le froid et le voyage, les pieds glacés et le cœur gelé. Car de toute les douleurs, il en subsistait une qui jamais ne semblait la quitter : elle la harcelait tant et tant que le sommeil s’était fait plus léger et les nuits plus courtes. Loin des siens une fois encore, elle priait. Elle qui jamais n’avait cru aux Cinq, qui jamais n’avait trouvé refuge dans la croyance se retrouvait bien dépenaillé quand il ne lui restait plus que la foi. Non pas que la campagne suderonne se passa mal : on n’eut à déplorer qu’une poignée de mort, peut-être moins que les doigts d’une main. Non pas qu’elle fût physiquement seule, car se tenait toujours à sa droite ses amis les plus proches. Non, rien de tout cela menait la vie dure à son âme.
C’était une toute autre chose qui la tourmentait. Une chose dont elle ne pouvait rendre compte qu’aux Divins. Il n’appartenait plus aux hommes –ni à elle – de se juger de ses actes que mille fois elle regretta. Elle se releva lentement, brisant l’étrange immobilisme et, émergeant de l’ombre, des mains silencieuses l’habillèrent. On serra les corsages, on ferma les boutons, on lissa les plis, on brossa sa longue chevelure brune. Puis l’on drapa ses épaules d’une cape fourrée. Le contact était doux et chaud, ramenant la belle vers des occupations somme toute plus humaines. Bientôt deux heures avaient passées lorsqu’elle épingla la colombe quand s’introduisit dans un cliquetis familier le vieil Hermance. Le sénéchal voyait certainement son dernier champ de bataille et elle s’en réjouissait ; il était un conseiller précieux, et le savoir au chaud à Alonna les Trois-Murs la rassurait davantage que de le voir parcourir la plaine au galop, toute pique devant. Ah ils pouvaient se moquer les jeunots ! Ce vieillard leur survivrait bien surement.
«Ma Dame », inclinant respectueusement la tête devant la suzeraine. Alanya avait la prestance des grandes gens, et si elle instaurait le respect chez la plupart, c’était la crainte qui animait les autres. Pourtant, dans les yeux du Sénéchal Alonnais, aucun des deux ne semblait luire ; l’amitié immuable qui liait ces deux êtres suffisait. «Comment vont les hommes Hermance ? » «Ils s’impatientent de voir venir les batailles. Ce ne sont guère des gens de parade, et les femmes ne leur suffisent plus pour avoir leur content d’histoire ». L’Ancenois était-elle une pute trop facile pour qu’on lui pris sa fleur en deux tours de main ? «Cela ne m’étonne guère. Même moi je me demande bien ce que nous faisons. La complaisance du Corbac – maudit soit-il ! mine l’Alonnan, et si nous ne trouvons pas notre part bientôt je crois que je m’occuperai moi-même de mener les fiers gaillards que nous avons ». «Point de hâte, Douce Dame. Le Sieur Brochant a bien des défauts, mais nous ne pouvons-nous plaindre de la douceur de l’invasion menée. Le sang ne coule pas et nous vivons encore pour demain ». «Certes, mais son mutisme à mon égard me fatigue ». Elle se frotta les tempes, sourcils froncés. Pour sûr, elle était irritable ce jourd’hui. «Mais allons ! Que me voulais-tu ? » «L’on nous a volé une belle meule et du vin cette nuit. La rumeur court qu’il s’agirait d’un groupe de mécréant Serramirois ; des mauvais bougres à la main leste ». «Par le Saint Con de la Mère, il ne manquait que cela ! As-tu corroboré les racontars ? Je me vois mal m’en aller faire justice auprès d’innocents ». «Pour sûr, vingt gaillards ont eu le même discours. Vous savez ce que j’en pense : au-delà de dix, ce n’est plus de la coïncidence ».
Et c’est sur ces entrefaites qu’ils décollèrent pour le camp Serramirois. A dire vrai, le tumulte lui colla un douloureux mal de crâne et si elle n’en montra rien, saluant chacun de ses sujets, elle eut envie plus d’une fois de jurer tant le bruit incessant la peinait. Une bonne garde avait été monté, des hommes forts et austères qui la flanquait de part et d’autres afin qu’aucun coquin ne vienne jouer les trouble-fête. La gadoue s’éclatait sous leurs pas, l’odeur peu amicale chatouillant les narines des braves Alonnais. La guerre puait toujours autant la merde. On se renseigna un peu, quand on le pouvait, jusqu’à ce que l’information devienne totalement limpide. Les bannières défilèrent jusqu’à ce que la troupe s’arrête au milieu d’une compagnie fort hétéroclite. Malgré les presque midi, certains roupillaient encore, dessaoulaient dans leur coin ou chatouillaient de la gueuse de leurs doigts sales. Alanya de cacha même plus son mépris, quand Hermance s’époumona pour elle. «Que votre seigneur fasse acte de présence céans ou bien il lui en coutera ! ».
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