[Demeure Al'Serat] Une vie vaut moins cher que gratuite quand on s'appelle Krish

Abandonnée à son triste sort, le pauvre animal qu’était Hayath fût confié à d’autres propriétaires possédants de tout autres exigences et préférences. Lorsqu’on comprenait le sort des malheureux qui avaient l’audace de manquer à leurs obligations, on comprennait pourquoi l’illustre maison Al’Serat ne se contentait que des meilleurs atouts, qu’ils furent employés ou de vulgaires esclaves. Hayath, quant à elle, pour une raison qu’elle ignorait jusqu’à présent, s’était faite louée au même titre que ses homologues et ce, pour une durée indéterminée. Ah, elle s’éloignait de sa maîtresse, dont elle connaissait à peu près désormais tous les caprices, mais gagnait de nouvelles taches à saveur moins aigre. Vu le tumulte qui faisait bourdonner le palais en réfection, peu de doutes planaient quant aux chances qu’elle ait à vendre son corps au profit de son maître. Et ce qu’elle s’imaginât, est ce qu’elle fit pendant une ennéade entière.

Sèchement et sévèrement on lui attribua certaines basses besognes, comme le récurage des latrines, le nettoyage des chambres maîtresses, se plier aux quatres volontés de ceux qui ici, avaient plein droit d’exiger … Si jusqu’à présent elle ne s’était attiré le fouet, elle crut d’abord que c’était en cause de son travail irréprochable : elle n’avait habitude à faillir, Yindis ne lui pardonnait guère. Mais, plus le temps avançait et la vue des esclaves permanents, ceux dont le collier appartenait à l’Al’Serat, recevaient leurs lot de punition même s’ils venaient à bout de leurs affaires. Faisaient-ils face à certains sadiques, ou d’imprévisibles dompteurs qui s’esclaffaient à la vue de l’asservi souffrant? Elle y vit également quelques préférés, quelques âmes au cul bordé de bonne fortune, dont la souffrance n’allait qu’en peu d’occasion s’abbatre sur eux. Détenaient-ils des talents particulier, pour que la clémence leur soit si fréquamment offerte? Pour l’instant, toutes ces questions n’avaient que peu de valeurs : louée, on avait interdit quiconque d’abîmer la marchandise outre mesure. Quelques baffes, de rudes bousculades et une tonne d’insultes, ça, oui, au quotidien les locations en mangeaient. On ne leur attribua toutefois rien qui soit à la juste mesure des punitions des vrais moins que riens.

Aujourd’hui tous comme les autres jours, Hayath s’afférait silencieusement à certaines tâches qu’on lui confiât aux matines. Notamment, le retrait de toutes poussières des armoires à l’entrée des boudoirs privés. Achevant petit à petit cette basse tâche, se terrant comme à ses habitudes dans un mutisme des plus total, on lui demanda d’emprunter les couloirs qui menaient jusqu’aux appartements privés du vieux Zaich’Ker, l’intendant du palais. Elle ne l’aimait pas, lui. Peu bavard, pas très expressif, le vieillard avait pour premier mandat à tenir à jours tous les livres concernant de près ou de loin ce qui concernait cette vaste bâtisse. Arrivée à destination, le vieu s’était d’ores et déjà étendu sur une table qu’on avait disposé à sa demande, les yeux clos comme s’il profitait à l’avance des bienfaitrices mains d’Hayath. D’un doigt, il pointait une petite clée, là, scintillante sur l’une des tables de chevet. Après autant d’années de servitude, nul dessin n’était à gribouiller pour qu’elle saisisse le tout : voilà la clé de tes entraves et masses-moi de suite, s’imaginat-elle entendre de la vieille peau.

Ses poignets libérés de leurs « bijoux » métalliques, elle s’en frotta allègrement les cicatrices comme si elle en tira une légère jouissance. Un plaisir à chaque fois redécouvert, que de sentir la brise sur ces zones couvertes et serrées en permanences. Alors elle s’approcha de lui, faisant tout de même chanter ses chaînettes à ses chevilles de plusieurs cliquetis, avant de s’enduir les mains d’une huile posée là, près de la clé de sa liberté. Par cent fois elle aurait su, aussi silencieusement qu’une ombre ou qu’un souffle, lui priver du sien. L’envie pourtant lui manquait réellement. Elle était un animal certes dompté par une autre, mais dont on avait suffisament battue pour qu’elle comprenne ceci : en aucunes occasions, un esclave ne lèvera la main sur ses maîtres.

Ja-mais.

Ses mains réchauffées de quelques allées et venues sommaires, s’attaquèrent aux lombaires du vieil homme, lissant les replis de sa peau ouvragée par la sagesse et le temps. De cela, elle n’en tirait aucun plaisir, mais au final, était-ce plus plaisant que d’assouvir les besoins primaux d’un de ces si fréquents sadique ? Alors, pour briser le silence, l’esclave ôsa demander :

« Est-il un endroit plus douloureux qui demanderait plus d’attention, monsieur? »

" J'ai la nuque raide. " dit simplement le vieil homme, la tête dans ses bras. La simple détente que lui accordait cette pause semblait déjà le satisfaire sans aucune arrière pensée.

Zaïch'Ker, s'il était vieux et que le temps avait afiné sa silhouette jusqu'à le faire ressembler à un long cure-dent de bois sec, n'avait en rien les appétits frustrés que beaucoup prêtaient aux vieux grigous régnant sur tant d'esclave au délicieux pédigrée. Les serviteurs du manoir Al'Serat étaient tous d'un certains charme, bien que l'originalité des profils qu'appréciait la Maîtresse des lieu aurait put porter des drow plus traditionalistes à les traiter d'imparfaits. Sur les vingt-deux têtes qui arpentaient les trois étages pour préparer la pendaison de crémaillère, cinq elfe de pur sang sylvain avaient été ramenés de Thaar. Ils ne parlaient pas ou peu la langue sombre et à peine mieux l'Oliyan, ce qui les avaient dévoilés comme prises de guerre. Les esclaves les plus rares que le Puy pouvait compter. Le reste était complété par des drow et sang mêlés amenés de Thaar ou loués aux Chaînes d'Obsidiennes.

Les deux esclaves qui aidaient seuls l'intendant à prendre soin du manoir s'étaient retrouvés en position de force par rapport aux nouveaux arrivants. Jawa, dont les traits étaient alourdis par un vieux reste de sang zurthan quelque part dans sa lignée avait les yeux d'un noir d'encre, une peau aux reflets bruns de Doeb mais des cheveux aussi blanc que ceux des Primas. Sa mère servait Krish lorsqu'elle était encore établie au Vatna près de six siècles plus tôt et elle avait pris sa suite, quelques deux-cents ans plus tôt. Cuisinière, chambrière et lavandière, elle avait longtemps été seule avec Zaïch'Ker et l'arrivée des nouveaux esclaves l'avait propulsée au rang plus ou moins officieux de gouvernante et chef de cuisine. C'était elle, également, qui s'était occupé du gigantesque humain barbu lorsqu'ils avaient ramasser le gamin pour un prix dérisoire. Ils avaient besoin de quelqu'un qui pouvait se faufiler dans les conduits d'air et d'eau pour les nettoyer car cela n'avait pas été fait depuis des siècles et avaient finalement gardé le petit muet. Edvard avait donc passé les vingt-années suivantes à s'occuper de travaux demandant de plus en plus de force, se révélant d'un caractère particulièrement doux et conscilient. Pour lui, l'arrivée de Driz'na puis du jeune Maître Elghinn avaient marqué un changement radical de vie puisqu'il s'était retrouver à surveiller et protéger les deux enfants de la maison... Et de ce qu'il savait, les deux enfants de la Maîtresse.

Et même durant leur long service, ni Jawa, ni Edvard n'avaient vu le vieux Zaïch'Ker faire preuve de cruauté gratuite ou user de son autorité pour réaliser d’odieux fantasmes. Il râlait beaucoup mais ne se plaignait jamais pour lui-même. Il ne souriait jamais et avait le compliment rare, mais il reconnaissait sans peine lorsque ses serviteurs faisaient correctement leur travail. Plus que tout, il était d'une exigence qui frôlait l'obsession mais encore une fois, il semblait être aussi intransigeant envers lui-même qu'envers ses gens ce qui lui donnait une réputation moins horrible qu'on aurait put croire. Certes, il maniait le baton et le martinet avec facilité lorsqu'il n'était pas satisfait, ce qui arrivait très souvent à moins d'avoir passé de longues années à prendre certains réflexes, mais il considérait chaque esclave sous ses ordres comme une pièce de mobilier particulièrement couteuse et en prenait par conséquent grand soin.

Lorsque les mains de la jeune femme se posèrent sur le haut de son dos, tatant le granite osseux qui lui servait d'épaules et la tige de métal qu'il avait à la place du cou, un soupire de plaisir passa ses lèvres. Alors qu'il calait sa tête de côté, les yeux clos, la masseuse put même discrètement apercevoir un véritable sourire dépourvu de tension. Ainsi torse nu, les jambes couverte d'une fine couverture, ajoutée plus pour le confort que la pudeur, on comprenait sans peine pourquoi il s'emmitouflait sous de multiples couches de vêtements. Sa peau comptait nombre de cicatrices et de tatouages dont il aurait put se venter, mais son bras gauche, marqué d'une dizaine de morsure de sangsue assez récentes, semblait ridiculement fin. Une finesse maladive qui ne pouvait avoir comme origine qu'une blessure ou une tare. Ses couches et surcouches de tissus lui permettaient sans peine de cacher ce menu détail.

Un nouveau soupire d'aise gonfla et dégonfla sa poitrine osseuse.

" Tu ne te débrouilles pas trop mal. La Maîtresse sera heureuse de son acquisition. " murmura-t-il dans un demi-sommeil de félicité.

Masser n’avait en soit rien d’un défi. Il ne suffisait que de réchauffer les zones choisies pour mieux appuyer, frotter et malaxer les courbatures ressenties. Pour les clients plus agés ou atteint de douleurs plus vives, la chose se simplifiait d’autant plus puisque ces tensions ressortaient des autres, se démarquaient si tant bien qu’elles étaient pratiquement visibles à l’œil nu. Et ces massages, dont la finalité ne déviait guère de ce but initial de soulagement, lui plaisait d’avantage. Yindis d’ailleurs, ne l’utilisait ni ne la louait pour autre chose que ces extras à la toute fin de ces plaisantes sessions … Or ici, elle devait bien avouer que même si le corps qu’elle s’affairait à soulager des douleurs n’était plus très frais ; au moins n’avait-elle pas à endurer ces bassesses.

Même s’il ne répondit que tout simplement à la demande d’Hayath, ces quelques mots lui apparurent comme un ordre auquel elle ne pouvait se défier. Ses mains réchauffées, coulantes à souhait d’huile légèrement parfumée, se glissaient comme des anguiilles jusqu’à ses épaules dont elle en couvra de quelques caresses passagère. C’était là tout son talent, de réussir non seulement à appaiser les maux du corps, mais également de porter son client vers un endroit où soucis et tensions n’existaient plus. Elle aimait mixer ces douces attentions aux pressions parfois douloureuses de ses paumes ; un mélange apaisement/doulour à petite échelle, en quelque sorte.

Elle arriva à sa nuque, finalement. Là ses pouces prirent relève des paumes, serpentant les régions à la recherche de tensions plus prononcées. Et elle en trouva aisément ; le vieux raisin sec avait bien raison, tiraillé de parts et d’autres sa nuque semblait aussi tendue qu’une peau fraîchement tannée. Ses pouces firent d’abord quelques cercles, dont à chacun des passages une pression désagréable s’occupaient de pétrir les boursuflures musculaires. Put-il comprendre aussitôt qu’Hayath avait en elle ce talent, de cibler ces endroits qui méritaient traitement ? Pour le coup, son expérience en avait que peu à voir. En réalité, c’est qu’elle-même dut souventefois chercher à apaiser les maux de sa propre nuque, alors qu’on l’avait punie durement la veille, d’une bagatelle qui avait sûrement déplut à sa maîtresse.

Ainsi se poursuivit le massage en bon et dûe forme, performant comme on attendait d’elle. L’air était maintenant bien chargé du fumet odorant d’huile et Hayath achevait son traitement, quand soudainement, comme si la nouvelle était d’une banalité ennuyante, le vieil homme lui annonça son rachat. On l’aurait fouettée qu’elle ne se serait pas autant crispée entièrement. À l’instar d’une chatte qu’on aurait tiré la queue, elle arqua légèrement les épaules et contracta ses mitaines en y plantant même ses ongles dans la peau huileuse de son client. Lui arrachant une plainte sourde, ses yeux s’écarquillèrent aussitôt en faisant un pas de recul, de peur qu’il ne s’emporte et qu’il ne la moleste sur le champ. Se retranchant en des excuses un peu bafouées par l’énervement, Hayath tenta au mieux de faire pardonner son geste maladroit.

« Je ... Pardonnez-moi! C'est ... C'est la surprise. Vous avez dit ... Son acquisition? » Changeât-elle de sujet aussitôt

« ARGHA! »Chouina Zaïch'Ker sous la maladresse d'autant plus désagréable, vu l'état dans laquelle elle avait préalablement réussi à le plonger.

« Inutile imbécile ! Tu pourrais faire attention ! » Hurla-t-il, tout en se redressant à demi. À deux pas de lui, elle se répandait en excuses et il fallut bien qu'il se rappelle pourquoi il avait demandé à la Maîtresse de la garder pour ne pas lui coller une gifle... Ou alors c'était parce qu'il était trop lourdement appuyé sur ses bras pour réagir. Toujours est-il que son regard s'assombrit lorsqu'elle lui posa une question au lieu de continuer à ramper.

« Oui. Acquisition. Tu la verras plus tard. Travail. » Répliqua-t-il en s'allongeant derechef sur le ventre.

Et c’est ce qu’elle fit, bien qu’elle ne sembla plus la même. Ses mouvements perdirent d’un peu de leur fluidité, ses pressions inégales et bien que ses caresses restaient toujours aussi agéable, on la sentait préocupée. Il ne lui fit pas manger de baffe, mais sa concentration en prit tout de même un sale coup. Alors, Yindis s’était débarassée d’elle … Pour le peu qu’elle pouvait comprendre, Hayath ne sut expliquer l’étrangement sentiment qui la tenaillait.

Sa maîtresse, enfin, son ancienne, ne lui avait jamais fait sentir qu’elle était appréciée autrement qu’un vulgaire objet dont on pouvait disposer à sa convenance, mais c’était sa maîtresse … Elle arborait son collier depuis si longtemps, qu’elle en avait même oublier les possibilités d’en avoir un autre. Son cœur sentit se ralentir, puis un vertige vint presque la gagner. L’inconnu, voilà ce qu’elle redoutait.Quel genre de maîtresse Krish serait? Et que ferait-elle d’elle? Serait-elle prévisible comme le fut Yindis, avare de luxure et de pouvoir, ou sadique à souhait, comme le tendent à l’être les esclavagistes normaux ?

Une pléiade de questionnements lui bourdonnait entre les deux oreilles et pourtant, aucuns sons ne sortit de sa bouche. Elle n’en était plus capable et de toute façon, le vieu ne se serait certainement pas prêté au jeu. Elle pouvait bien crever avec ses intérrogations.

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Il ne fallut que quelques minutes de plus pour pour qu'Hayath se fasse congédier avec une oeillade noire. Toujours torse nu, le drap roulé autour des reins, Zaïch'Ker lui claqua sèchement la porte aux nez en lui ordonnant de retourner à son travail habituel sans une explication et sans se soucier de savoir si elle avait en effet une tâche à laquelle retourner. Il était de nouveau tendu comme un arc et ses épaules n'en étaient que plus douloureuses.

Le reste de la journée se déroula sans que l'intendant ne refasse son apparition. Quittant sa chambrette donnant sur la laverie, on le vit passer en direction du bureau tard dans la soirée mais il avait une mine si contrariée que même Jawa n'osa lui demander s'il désirait quelque chose à diné. A la place, elle réquisitionna une aide pour faire bouillir de l'eau et couper quelques morceaux de la saucisse sèche au champignon que l'intendant appréciait tant. Jetant un regard interrogatif à Hayath, Jawa alla porter la collation en personne et revint presque aussitôt les mains vides comme si de rien était.

Derrière le rideau de la laverie, dans le dortoir exigüe que partageaient les bien trop nombreux esclaves, la nuit se passa paisiblement. Au petit matin, Jawa vint tirer tout le monde du lit. Les elfes peinaient à se passer de soleil pour sortir de leur torpeur et leurs silhouette ridiculement fine se voutait facilement sous le poinds d'une fatigue chronique. L'équipe des cuisines prépara le premier repas de tout le monde tandis que les autres allaient se laver dans les bains luxueux des étages inférieurs. La cuisine n'étant pas assez grande, certains mangeaient debouts ou dans d'autres parties des communs, puis le rangement fut fait sous l'oeil attentif de Jawa et chacun retrouva ses tâches. Qui eux réparations, qui au ménage, qui à la cuisine, qui à l'écurie. Cette dernière activité était presque la plus terrifiante avec les quelques demandes directes que la Maîtresses laissaient parfois échapées de sa chambre, car depuis l'arrivée de cette dernière, l'anexe qui servait à loger montures et animaux  était habituée par l'étalon le plus sauvage que les habitants du manoirs pouvaient imaginer et une jeune féline à pointe qui faisait déjà la taille d'un poney shetland.

Hayath n'avait pas plus tôt commencé ses propres tâches que les yeux charbonneux et le nez souple de Jawa virent l'interrompre. Zaïch'Ker avait demandé à la voir. Elle devait se présenter au bureau de l'étage principal aussi vite que possible. Le ton dégagé, presque distant de la drows aux yeux noirs ne lui ressemblait pas, elle soutenaient à peine le regarde de la nouvelle esclaves de la maison et repartie sitôt sa mission accomplie.

Lorsque plusieurs coups retentirent à la porte du bureau, une voix forte et autoritaire invita son hôte à entrer. L'intendant était assis à son bureau, entouré d'énormes livres reliés de cuir, des vélins épars et des plumes brisés. A sa droite, une petite balance contenait d'un côté deux poids de bronze et de l'autre quelques gemmes qui ne parvenaient pas encore a abaisser leur plateau.

- Ah. Hayath. Parfait. " laissa tomber le vieil homme en levant un instant l'oeil de ce qu'il était en train d'écrire. " Ferme la porte. " dit-il en reprenant sa tâche jusqu'à avoir fini sa longue phrase. Il reposa la plume sur son suport, à côté de l'encrier, et se redressa plus franchement en roulant un peu des épaules pour défaire les noeuds de son dos. " Nous allons en terminer avec quelques formalités et je t'emennerai voir ta Maîtresse. Elle tient à accueillir personnellement toute nouvelle acquisition. " expliqua-t-il d'un ton posé en scrutant les yeux violets de la jeune femme.

Après un petit moment de silence, il désigna une chaise plutôt confortable qui trônait un peu en retrait du passage. " Prend la et vient t'asseoir. " Puis, sans vérifier si elle s'exécutait bien, il tira un gros volume de sous une pile derrière lui et l'ouvrit sur le bureau. Il dut tourner les pages jusqu'à près de la moitié de l'épais livre pour que les lignes tracées d'une main régulière fassent place à un bas de page blanc ou n'était tracé que quelques traits de fusains pour former de précises colonnes.

" Nous allons commencer par les informations de base. " expliqua-t-il d'une voix tranquille.

Une astuce bien pratique pour savoir à quelle genre de bête on avait affaire. En croisant les renseignements donnés par l'ancien propriétaire et ceux de l'esclave lui-même, il était aussi facile de se faire une idée le dominant que le dominé. Menteur, tricheur, farouches, dociles, doucereux, manipulateurs, il y avait de nombreuses façons de réagir à quelques simples questions personnelles.

- Ton ou tes prénoms. Le ou les prénoms de ta mère. Votre nom de lignée. " continua-t-il en s'aprêtant à noter. A chaque réponse, il exigeait de nouvelles informations. " Le nom de ton ancienne propriétaire. Ton âge et ta date de naissance, aussi précisément que possible. Tu es née esclave, tu l'es devenue volontairement ou tu a été vendue ? A quoi t'employaient tes anciens maîtres ? Quelles langues parles-tu ? Quelles langues sais-tu lire et écrire ? As-tu des restrictions alimentaires ? Portes-tu des marques d'esclaves, tatouages ou scarification ? " Puis les questions devinrent un peu plus personnelles. " As-tu déjà enfanté ? As-tu des problèmes de santé ou de vieilles blessures qui auraient été mal soignées ? As-tu été élevée dans la Vrai Foi ? As-tu déjà eu de la vermine ou des parasites ? Combien de temps as-tu fais le tapin ?  "

Lorsqu'il eut toutes ses réponses, il reposa une fois encore sa plume et se leva pour chercher quelque chose dans un petit coffre de l'autre côté de la pièce. Il ouvrir la boite métalique d'un tour d'une clef sortie de sa manche, et en tira une étrange pince en acier noir et un épais carré de cuir. Sans une explication, il s'agenouilla devant l'esclave assise, lui ordonnant au besoin de na pas bouger, et se saisit de son pied droit. De quelques gestes précis, il passa l'épais carré de cuir sous le bracelet d'argent qui lui emprisonnait la cheville puis la pince entre le cuir lustré et le métal. Sa respiration se coupa et une veine de son front enfla lorsqu'il fit pression de toute la force de ses bras pour finalement sentir la menote céder. Trois autres coups de cisailles et les deux pieds de la jeune femme étaient débarrasser de toute chaine.  Il s'occupa de la même manière de toute attache qui pouvait prendre son cou et ses poignets, non à en les ouvrants avec une clef mais en les réduisant en charpie à coup de pince coupante. A la fin, lorsque la pince retourna dormir dans le coffre fermé à clef, ses joues étaient violacées par l'effort et une pellicule de sueur empoissait son front. Il respirait à grandes goulées.

Il resta debout quelques secondes, face au mur et les mains sur les reins, mais se retourna finalement vers Hayath pour tirer son propre siège massif face à sa chaise de manière à ce que le bureau ne les sépare plus. Il s'assit avec un soupire de contentement et attrapa le haut verre qui trônait sur son bureau pour en avaler plusieurs gorgées à traits rapides. Le verre retrouva sa place et il plongea ses grands yeux rouges dans les mirettes de la jeune femme qu'il venait de libérer de tout lien.

" Le reste, ta Maîtresse s'en occupera elle-même. Mais avant que nous décendions, je répondrai à toutes les questions que tu peux avoir. " Il était inutile qu'elle fasse perdre son temps à la propriétaire des lieux ou qu'elle joue les vierges effarouchées par manque de confiance ou de connaissance de la maisonné.

Aussi bien dire qu’elle s’était montrée discrète en tous points depuis la grande annonce que l’intendant lui avait craché au nez. Pour une raison qu’elle ignorait, d’une part on avait offert une coquette somme pour le rachat de sa charpente mais également, on s’était débarrassée d’elle car en quelque sorte, sa maîtresse avait jugé insuffisantes les raisons pour la garder auprès d’elle. Avait-elle fauté ou s’était-elle attirée les foudres de cette dernière pour qu’elle en oublie les plaisirs et les richesses qu’elle lui rapportait? Et pour être franche, quelque chose depuis hier la tenaillait aux tripes ; elle n’allait pas bien. L’inconnu l’effrayait et tant qu’elle n’était pas au fait de la manière dont elle devait se comporter, elle ne s’en porterait pas mieux.

Sa besogne quotidienne lui semblait plus fastidieuse et tous pouvaient désormais lire sur son visage comme d’un livret aux pages ouvertes. L’angoisse prenait le dessus sur elle et ne savait trouver manière de la contrôler efficacement. Puis, on vint quérir sa présence. Abandonnant son train-train quotidien pour conquérir les couloirs menant jusqu’à la chambre du vieillard, elle y arriva en abaissant les yeux comme à son habitude, avant d’attendre ses directives. En peu d’occasions, la nervosité transpirait à son visage, lui rendant les menottes bien moites d’émotions. Plus aisément qu’à l’habitude, elle tut ses paroles et ne fit aller sa langue que lorsqu’on lui demandait.

«  Nous allons en terminer avec quelques formalités et je t'emmènerai voir ta Maîtresse. Elle tient à accueillir personnellement toute nouvelle acquisition. »

Qu’on la traite comme l’objet qu’elle était, depuis toutes ces années à lécher les pieds de Yindis comme l’aurait fait un animal servile, elle n’en sourcilla pas le moindre du monde. Par contre, qu’on lui annonce dare-dare une entrevue avec sa nouvelle maîtresse, là, c’était tout autre. Son souffle s’accélérait légèrement et l’angoisse prospérait à vue d’œil, gardant au mieux le nez vers le sol afin que le vieillard n’en aperçoive rien. Elle obéit, naturellement, posant son séant sur la chaise qu’il avait désigné, puis se tint aussi immobile qu’une statue de marbre. Et elle resta ainsi, jusqu’à ce le croulant lui demande de remplir un formulaire oral, le genre de questionnaire auquel ni son premier, ni son deuxième maître, se soient intéressés à ces informations personnelles. Elle devait avouer que dans les deux cas, le roulement d’asservie était si enclin au changement, qu’il en aurait été inutile de s’empêtrer de ce genre de détails. Ainsi aurait-elle droit au genre de maître qui s’attache à ses biens et qui tiennent à les user jusqu’à la corde, jusqu’à ce qu’ils ne soient plus bon qu’à jeter aux ordures? Peut-être tomberait-elle entre de bonnes pattes, finalement …

Au lieu de formuler de belles phrases comme elle l’aurait fait d’une entrevue, elle étalait aussi simplement que possible ses réponses. « Hayath'Aethra est mon prénom, celui de ma mère est Yakehv et je suis issue de la maison Dirdvid. Mon ancienne maîtresse était … » Elle eut une boule dans la gorge ; elle n’était guère habituée de s’exprimer au passé pour répondre à ce genre de question. « Yindis Zortath’Og, Maîtresse des Chaînes d’Obsidiennes. J’ai 136 années et suis née le jour de Tariho de la septième ennéade du mois de Barkios de l’année 874. »

Le vieillard put remarquer quelque chose, une hésitation, comme si au travers sa jactance fluide et assez à l’aise, s’immisça un souvenir dont la blessure n’avait pas encore tout à fait cicatrisé. «  Mes parents m’ont vendus à l’âge de 30 ans. Mon premier maître me gardait à ses côtés et me faisait faire les mêmes tâches qu’ici. Mon deuxième maître elle, vendait mes services au plus offrant, quels qu’ils furent. » Pour le coup, elle resta tout de même évasive.

« Le commun et la langue noire, parlée et écrite. Aucunes restrictions. Jamais enfanté. Aucun problème de santé, si ce n’est que je ne vois que peu dans le noir, contrairement aux drow moyens. Aucune tare physique. Oui, dans cette foi. » De nouveau un poil évasive.

« Le dos, marqué de fouet et d'autres jouets, souvent ... Et une marque au fer rouge, sur mon flanc droit. Un Y. Pas de vermine, pas de parasite et … Le tapin, longtemps. Et souvent. » Elle ignora si elle avait besoin de le dire, mais c’était sa principale utilité aux mains de Yindis. Ses particularités génétique attisaient la curiosité de ses clients et nombreux étaient ceux qui étaient prêt à débourser de coquettes sommes pour pouvoir disposé d’une créature aussi étrange qu’Hayath. Il fallait de même avouer que, chez elle, charmer les gens étaient un talent inné. Une fois l’interrogatoire achevé, le vieillard s’affaira à lui retirer ses chaînes d’esclave. Un sourire, très court et concis, pour une des rares fois non feinté, s’esquissa à sa bouille satisfaite. Ses chevilles, poignets et cou portaient non pas des cicatrices, mais les marques distinctes de ses entraves longuement portées. Sa peau était usée et à l’instar de tatouage, le métal avait imprimé sa présence. L’air sur sa peau délivrée du joug ferreux lui procura un tel bien, qu’elle inspira de béatitude. Elle devait profiter, car elle savait qu’elles seraient tous remplacées tôt ou tard. C’était là le propre des esclaves.

Lorsqu’il lui demanda si elle avait des questions, elle se saisit volontiers du moment pour lui demander celles-ci :

« Parlez-moi d’elle. Pas de ce qu’elle est aux yeux du monde, mais aux yeux de ses gens, de ses possessions … Comment dois-je me tenir face à elle ? Une chose à retenir avant de la rencontrer ? » L’angoisse de nouveau revenait poindre à l’horizon, alors qu’elle s’imaginait le pire. Et si elle l’avait achetée pour simplement disposer de sa vie et l’offrir en offrande à l’un de leurs Dieux Sombres? Ce ne serait là pas chose banale, après tout. Il ne restait plus qu’à espérer que le vieillard ne lui mente pas, juste pour se venger du mauvais traitement de la veille …

L'homme eut l'air de tiquer lorsqu'elle lui dit qu'elle avait été vendue enfant et fronça le nez lorsqu'elle parla de la Foi comme "cette foi" mais n'ajouta rien. Elle avait plusieurs fois éludé, mais pas menti. Elle avait encore une once de personnalité mais pas de rebuffade. Il pouvait presque sentir une pointe de honte pour ce qu'elle avait effectué chez Yindis, mais allez savoir avec ces gens là...

Lorsque ce fut au tour de la jeune femme de poser des questions, il prit quelques instant pour réfléchir avant de lui répondre.

- Je ne sais pas ce que ses esclaves pensent d'elle. Je ne l'ai moi-même que peu côtoyée dans ma vie. " il était encore un jeune adolescent lorsqu'elle avait quitté soudainement le Puy. Une rumeur persistante avait tournée sur son assassinat à l'époque. Il avait même aidé ses parents à s'occuper de la petite Leka avant que son père ne la prenne définitivement avec lui. Aujourd'hui, il choisissait ses mots avec soin, prenant le temps de fournir des explication complètes à la jeune femme déboussolée qui travaillerait désormais ici. " Cela fait des siècles que sa résidence principale est dans la province de Thaar. Bien avant ta naissance. Les serviteurs qui l'ont connu le plus longtemps ne sont arrivés qu'il y a quelques jours et la moitié d'entre eux sont des elfes qui ne parlent pas notre langue. La préparation de la crémaillère et la présence des autres esclaves des chaines d'obsidiennes ont également faussé la donne. Au passage sache qu'ils partiront dans l'après-midi. " Ils se retrouveraient donc à dix dans le dortoir de la laverie. Cinq elfes, Jawa, Edvard, deux drow purs et à présent Hayath. Mais il revint bien vite à la question principale. " Je ne peux donc pas te répondre avec certitude, mais j'ai put observer que ses esclaves Thaaris sont en bonne santé, correctement vêtus et bien nourris. "

Il y avait bien des rumeurs sur les esclaves qu'elle prenait en affection mais si cela devait réellement arrivé, il était inutile d'effrayer cette fille qui semblait déjà assez troublée comme ça. La faiblesse des nerfs était une caractéristique bien trop répandue parmi les esclaves. Il reprit donc de sa voix neutre et distante :

- Lorsque tu seras devant elle, obéit lui en tout. C'est ta Maîtresse, c'est aussi simple que ça. Ne lui adresse la parole que si elle te le demande. Met toi à genoux à chaque fois que tu la croises, quelle que soit ton travail à ce moment là. Garde les yeux baissés à moins qu'elle ne t'invite à en faire autrement. Ce sont les seules recommandations qui me viennent à l'esprit." déclara-t-il. " Ta curiosité es-t-elle satisfaite ?"

Elle ne s’en trouva pas beaucoup plus avancée après de telles réponses. Elle crut sûrement qu’à ces questionnements, il avait eut ouïe dire de réponses plus claires, venues de Thaar, peut-être, ou d’anciennes connaissance de Krish qui jadis, auraient sut ce qu’elle réservait à ses possessions. Au moins savait-elle désormais comment se tenir devant elle ; à peu près pareillement qu’avec ses anciens maîtres. Elle saurait lui plaire, elle n’en doutait pas. Enfin, un peu quand même …

« Oui, merci. » Le vieillard prit la peine de se redresser, lentement, laborieusement, comme si le traitement qu’il avait ordonné la veille ne lui avait été bénéfique en aucuns points. Ainsi ils convoyèrent pas très longtemps, jusqu’à ce qu’il ouvre d’une main la porte fatidique, celle qui menait aux appartements de la forgelâme. Il en fit l’ouverture, fit un pas de travers et l’invita d’une main à pénétrer. Les yeux violacés de la jeune elfe interrogèrent ceux du raisin sec, visiblement dubitative

[i]Alors, d’un pas lent et manquant d’assurance, elle s’exécuta, tout en observant aux alentours, à la recherche de la maîtresse des lieux. L’endroit était tamisé de clarté et une chaleur oppressante y régnait. Sur le coup, elle en plissa les paupières, comme si elle n’y voyait plus si clair ; là était son défaut de naissance. Le rouge de ses iris pour le violacé, en échange de la perte de sa vision nocturne.

Elle n’avait aucuns souvenirs d’elle, si ce n’est de sa voix, enjôleuse, maligne et coupante, lorsqu’elle le désirait. Ses yeux, à sa prime rencontre, n’avaient jamais osés se redresser, hors elle n’en vit pas même un début de silhouette. Le tout serait pour elle une découverte en tous points. Et c’est exactement pour ces raisons, qu’elle paniquait.

Rien de tout ça ne lui ressemblait et pourtant, elle ne pouvait s’en empêcher.

Avançant dans le couloir mal éclairé, Zaïch'Ker frappa trois coups à la porte de la chambre de maître et lança bien fort " Jalil, Vous avez demandez à voir la nouvelle.
- A parfait Zaïch' j'arrive." répondit une voix étouffée. Il y eut un peu de remue-ménage derrière le battant. Des bruits d'étoffe. Un coup sec. Les secondes s'égrainèrent puis, le battant tourna sur ses gonds sans le moindre bruit.

Une haute silhouette apparut. Elle avait le visage âgé, le sourire hautain presque moqueur et les cheveux soigneusement tirés en un chignons stricte. Toute en jambe, ses courbes bien entretenues n'étaient pas de la prime jeunesse mais encore suffisamment voluptueuses pour attirer bien des convoitises. Ses petits yeux d'un rouge orangé débordaient d'un orgueil propre à ceux qui ont l'habitude de dominer. Nul doute que cette femme avait du être d'une beauté grandiose dans le temps.

- Entre. " ordonna-t-elle d'un ton sec. Ouvrant toute grande la porte, elle s'effaça pour laisser entrer Hayath, suivant sa démarche avec attention. " Merci Zaïch'Ker. Je te la renverrai quand j'en aurai fini.
- Bien, Jalil. " Le vieil homme se fendit d'un hochement de tête respectueux, donna son rouleau de vélin à la grande drow et fit demi tour pour retourner à ses occupations. La porte se referma et l'atmosphère avec elle. La chambre était grande. Un parfum agréable de linge frais et de parfum ambré flottait dans l'air. Éclairée par plusieurs lampes murale, des abat-jours d'opale donnaient à la lumière de pâles accent irisé. Un large lit couver de satin et de fourrures en occupait le font avec quelques armoire et un mannequin de bois sur lequel était entreposer un corset de métal. A droite, un grand bureau ouvragé. Dans un coin à gauche, des monceaux de coussins entouraient une table basse où étaient encore laissées pêle-mêle des pièces noires et blanche à côté d'un large damier d'obsidienne et d'opale blanche. Les échecs. un jeu Vaani rapporté à Elda du temps de sa première conquête. En plus des rois, une reine, et deux pions étaient encore debout sur le plateau... et une femme gainée dans un uniforme de cuir aussi banal que pratique était assise en tailleur sur les coussins colorés.

Appuyée contre le mur, on ne pouvait pas la voir depuis la porte à moins d'entrer. Sensiblement plus jeune que la matrone en robe rose, ses iris étaient d'un rouge plus sombre qui semblait menacer de laisser éclater quelque chose de plus brulant, quelque chose qui aurait été caché juste derrière. Profonds, ils rappelaient tout à la fois le sang et la lave. Sa longue crinière blanche était laissée libre et rabattue du côté droit de sa tête, dévoilant une longue oreille noire sans la moindre égratignure. Large d'épaule, de taille moyenne et d'un visage banal, il y avait pourtant quelque chose de presque dérangeant dans cette personne. Au vu des armes et de l'armure, elle devait être la Garde personnelle  de la patronne. C'était elle également qui l'accompagnait le jour ou Yindis était venue faire sa première livraison. Mais c'était comme si quelque chose dans son physique n'allait pas avec ce que ses yeux lançaient à la face du monde.

Comme si cela ne suffisait pas, l'étrange guerrière regarda Hayath droit dans les yeux avec intensité dès que leurs regards se frôlèrent. Son petit sourire de chat semblait trouver l'esclave à son goût, bien qu'elle ne la regarde pas tant comme un objet que comme une créature intrigante.

Mais la voix de la haute drow en robe rose rappela l'esclave à de plus pragmatiques considération. " Je vois que Zaïch'Ker a compléter tes informations personnelles. Bien cela nous épargnera du temps. Voyons si Yindis n'a pas menti sur la marchandise. Déshabille toi. " Tout en parlant, elle lisait la copie du recueil des acquisitions que Zaïch'Ker lui avait laissée. Ses sourcils étaient froncés et son attitude restait si professionnelle qu'elle aurait bien put être une esclavagiste ou une maquerelle. Elle marcha jusqu'à la femme à côté du jeu d'échec, lui tendit le vélin, puis se tourna enfin du côté de la jeune esclave.

D'un doigt impérieux, la haute dame en rose fit lever la tête de Hayath, examinant son visage avec minutie. D'une pression au bord de sa mâchoire, elle lui fit ouvrir la bouche et examina l'état de ses dents, laissant à l'occasion tomber une moue appréciatrice. Puis elle laissa courir ses mains sur son cous, ses épaules, tâtant la régularité de sa peau jusqu'au sommet de ses seins. Elle lui fit lever les bras, fit une moue en apercevant la marque de Yindis. " In faudra changer ça. " murmura-t-elle pour elle-même. De la même façon, elle sembla assez mécontente de voir le mal qu'avaient fait les fers à la peau régulière de la jeune femme. Cette histoire n'était ni faite, ni à faire. " Dit-moi, Yindis m'a parlé de l'usage qu'elle avait de toi mais je vois que ton premier maître t'utilisait comme domestique. Tu préfèrerais que je t'assigne à quel genre de tache ? "

Pendant ce temps, le yeux de Krish se posèrent sur la peau nue de l'esclave. Les yeux violets de la jeune beauté étaient ternes, résignés et anxieux. Tout dans sa posture correspondait à sa nature d'esclave. Des marques de fers lourds ornaient ses membres. Avait-elle été particulièrement difficile à dressé ou son ancienne maîtresse se plaisait-elle à la voir pieds et poings liés ? Et ces traces de fouets et de coups sur son corps ? Ce que la forgeronne cherchait avec tant d'avidité, c'était ce qu'avait vu Zaïch'Ker. Cette gamine était plus que ce qu'elle semblait être et tout en ayant Yindis comme maîtresse, elle s'était faite utilisé par le temple des Secrets. C'était avec doigté qu'il faudrait la gagner et l'utiliser.

Sa démarche bien que naturelle, n’avait pour elle que peu. C’est-à-dire qu’elle n’attirait pas l’œil ni le rebutait ; ni trop déhanché ni trop mou, son pas était cadencé d’un rythme tout à fait adéquat. Si pour ceci elle n’avait à rougir de son assurance naturelle, on pouvait se questionner sur les raisons que Yindis avaient jadis de préserver son jouet à ses côtés. Ce secret, du moins cette raison, Krish aurait tôt fait de le découvrir d’une manière ou d’une autre. Pour le moment, elle se présenta à elle telle qu’elle était : une simple drow à l’apparence beaucoup trop avenante pour son misérable statu d’esclave. Arrivée à bonne distance, elle se laissa choir sur ses genoux et arrondis le rachis comme une chatte qui s’étirait, placardant son front pratiquement contre le sol, tout en ayant ses deux mains aux devants d’elle. Après qu’on lui ait donné permission de retrouver un semblant de dignité en sa posture, elle bondit sur ses deux pattes arrière puis raidit sa colonne tout en abaissant le menton. Tandis que son visage observa le sol, ses yeux vagabondèrent à leur possible de gauche à droite, dans le but unique de gratter quelques informations de son environnement. Décorations, ambiance et … personnes indésirables. C’est là qu’elle rencontra momentanément cette silhouette menaçante, au loin, qui la fixa d’un regard à en donner la chair de poule. Pour l’heure, elle n’était qu’un accessoire à ce décor typiquement Eldéen ; sa concentration seule se devait d’être vouée à sa maîtresse.

Puis, vint le tout premier ordre de la Puysarde. Elle ne lui donnerait aucune raison de la châtier. Ses épaules se recroquevillèrent coquinement, de sorte à ce que les deux fines bretelles de sa robe n’en laisse choir au sol sa robe bien allégée de tissus par son ancienne Maîtresse. Elle aimait exploiter d’elle ce qu’elle avait de mieux à offrir, semblait-il. Pour terminer achever l’ordre en bon et due forme, elle roula des hanches comme une petite anguille puis se défit du restant de ses affublements, portant désormais le même habit qu’à sa naissance. Si une pointe d’effroi persistait chez Hayath, elle sut au moins en préserver son visage, qui tâcha de rester aussi neutre que possible. Elle obtempéra en silence, la laissant passer sa main à l’endroit qu’elle désirait ; sachant bien évidemment qu’un geste maladroit lui coûterait trop cher.

Krish put profiter de la marchande non pas à son meilleur, mais tout de même. Elle n’arborait aucun parfum particulier, n’eut temps de coiffer avec soin sa tignasse raide et immaculée, ni même eut temps de se nipper de quelques vêtements plus seyants. Elle pouvait constater de la marchandise à son plus naturel et, heureusement pour Hayath, même ainsi préparée on avait habitude de l’apprécier. À la peau elle n’avait pas l’ébène de ses semblables, mais hérita à la naissance d’une douceur sans pareille et d’un gris tout à fait curieux. Quant à ses yeux, c’était la même. Elle n’avait aucune flamme aux iris, mais possédait un violet calme et serein ; une étincelle qui charmait malgré tout. Si Krish était tout en courbes, Hayath quant à elle possédait une silhouette qui puisait de sa jeunesse une alléchante fermeté. Que s’eut été de son corsage, ses cuisses ou de sa croupe légèrement rebondie, la jeunotte avait de quoi offrir pour rendre un homme heureux –ou une femme-.

Là où le tout se gâchait, c’était lorsqu’on constatait l’usure de ses poignets et de ses chevilles. Son premier maître n’entendait jamais lui retirer ses chaînes, de peur qu’elle ne prenne la poudre d’escampette au détour d’une course au marché ou quoi que ce soit. À l’époque, toute menue et discrète elle était d’avantage ; cela lui aurait bellement profité. Quant à son deuxième maître, peut-être était-ce une lubie quelconque, un fantasme parmi tant d’autres, de voir son esclave comme un objet ne pouvant prendre la fuite sous aucun prétexte. Son dos, quant à lui, ne manquait pas de vécu. Que s’eut été de par la main de ses maîtres qui trouvaient plaisir à lui reprocher la moindre faute, ou de par les riches clients que s’était attiré Yindis en vendant le corps de son petit animal domestique, on pouvait aisément comprendre que plusieurs gemmes de la Maîtresse d’Obsidienne furent obtenues par le biais des cris souffrants d’Hayath. Au Y cependant, qu’allait-elle faire, pour en faire disparaître la griffe? Là, elle sut bien s’imaginer toutes les avenues, mais préféra s’arrêter là, appréhendant le pire.

« Je n'ai de préférence à aucunes tâches, excepté celles qui vous importent, Maîtresse. » Même sa voix avait un quelque chose d’envoûtant, qu’on aimerait entendre soufflée au creux de notre oreille … Elle ne répondit pas plus précisément que cela ; car vraiment, quand bien même aurait-elle prononcé ses préférences qu’elle l’aurait affectée à ce qui l’arrangeait le mieux. S’il était bien une chose qu’elle savait de Krish, c’est qu’elle n’était pas du genre à offrir de fleur à quiconque en première entrevue … Et surtout pas à une vermine de son espèce. Non, pour satisfaire sa maîtresse, elle devait être parfaite en tous points.

Elle n’attendait plus que ses ordres pour agir en conséquence. Voilà pourquoi elle semblait si démunie de toute vie, de tout caractère. Lui aurait-elle dit qu’elle aimait ses esclaves revêches, qu’en retour Hayath lui aurait fait preuve d’un trait de caractère …

C’était ça, son réel talent : l’adaptation.

Une main s’abattit à toutes volée sur la joue de la jeune femme. L’œil rouge-oranger la fixait, aussi hautain que méprisant. De passablement neutre, le visage de la haute femme en robe rose s'était fait parfaitement glacial. Une petite moue de dégoût coula aux coins des lèvres de cette vieille âme et ses bras se croisèrent, mettant en avant la longue de ses ongles taillés en pointe.

- Lorsque je te pose une question, je veux une réponse. "

Bien sûr, elle n'attendait pas n'importe quelle réponse. Elle attendait qu'on lui donne la vérité. La flatterie était le mensonge des faibles mais également la colère la plus difficile a décelé et à contrôler. L'obéissance n'allait pas sans attention. Depuis longtemps, Krish appliquait un principe qui lui avait plutôt bien réussit jusque là. Elle traitait ses esclaves sévèrement mais pas injustement. A Thaar, elle leur laissait même la liberté de se marier à leur guise du moment que Wik certifiait que leur travail n'en souffraient pas. Mais ici... Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait plus utilisé d'Eldéens de pure souche qu'il faudrait redoublée de prudence.

Pourtant, la servitude la plus totale, la flatterie, lui avait bien servie jusqu’à maintenant … Son visage fut balayé par la puissance de la gifle et en laissa même deux minuscules entaillures à sa joue, voilà le doux passage d’une main de forgeronne. Elle tenta bien d’étouffer un gémissement, mais elle ne sut. Ravalant sa douleur d’un bruit de déglutition lent, elle reprit sa posture droite et disposée ; prête à recevoir la prochaine au besoin.

« Et sur tout le respect que je vous dois, Maîtresse, je vous ai répondu. Ce que je désire réellement, c’est d’assouvir vos moindres désirs. » Elle s’en tint à son mensonge ; c’est ainsi en effet, qu’on l’avait non pas dressée, mais éduquée au temple de Tesso. Pour qu’un mensonge tienne la route, il faut le rendre véritable, lui donner un sens. À tel point qu’il en deviendra vérité et qu’il n’y ait plus possibilités pour le réfuter. En quelque sorte, existait-il vraiment une réponse qui soit honnête, quand on y pense? L’esclave n’avait aucune envie de servir, du moins, pas une personne qui soit mortelle …  

De la froideur, le visage de la grande femme passa à la rage. Cette esclave avait l'audace de tenir son mensonge alors qu'elle avait reçu l'ordre de ne rien en faire. Elle détestait la désobéissance. Elle l'exécrait même. Elle leva haut la main, prête à l'abattre une seconde fois quitte à se fouler les doigts en les abattants à nouveau sur la haute pommette de la jeune femme... Mais la voix chaude de la guerrière assise en retrait retint son coup in extremis.

- La marque de Yindis avait l'air de vous déplaire. Peut-être que Zed pourrait s'occuper de ses marques ?

La dame se tourna d'un bloque pour faire face à l'impudente. Sa bouche close aux lèvres pincées la dardait avec dédains mais son vis à vis n'en semblait aucunement troublé. L'étrange garde se leva en un mouvement souple et enjamba la table basse comme un souffle d'air. Debout, on pouvait remarqué qu'un corbin pendait à sa ceinture et plusieurs dagues et poignards étaient disséminés dans les courroies et les replis de son armure. Elle passa la main dans la masse de cheveux blanc qui dégringolait sur son épaule et sourit. Un sourire dépourvue de la moindre joie qui ressemblait plus au rictus d'un fern affamé qu'à l'expression d'une elfe noire.

- Vous me semblez avoir bien assez de soucis ces derniers temps. Je m'occuperai d'elle en attendant. " Elle s'interrompit l'espace d'une seconde pour croiser le regard de la jeune femme. Elle aurait put se pourlécher les babines que ça n'en aurait pas été moins effrayant. Puis elle ajouta en baissant humblement la tête vers la femme en robe rose " je vous promets de ne pas faire de taches. "

Côte à côte, la patronne dépassait presque la dame en cuir d'une tête. Son port altier jurait avec la maintien souple et humblement recroquevillé de l'autre. Après un hochement de tête sec pour toute réponse, elle sortit en murmurant :

" Je vais chercher Zaïch'Ker. Il aura peut-être de quoi me détendre. "

Dans un claquement, la porte de la chambre se referma. Saisissant une clef dorée sur une commode, la femme en armure s'en approcha d'un pas tranquille. La clanche de la serrure sortit de son trou dans un chuintement de métal, verrouillant fermement de lourd battant. Nul bruit ne parvenait du dehors, comme si l'endroit avait été étudier pour qu'aucun son n'entre ou ne sorte. Soudain, les tentures et les sculptures murales semblaient savamment dispersées, mais peut-être n'était-ce qu'une impression.

Faisant disparaitre la clef quelque part dans sa tenue, la guerrière soupira, dos à sa victime avant de se retourner.

- Tu peux te rhabiller si tu veux. Et met toi à l'aise, je compte pas te manger. Appelle-moi Dren'Zess. "

Son regard de prédateur avait totalement disparu. Elle lorgnait maintenant la jeune femme aux yeux violets avec un sourire de chat qui dévoilait toute l'appréciation qu'elle avait de son corps nu. Les mains sur les hanches, elle resta là ou elle était, l'air légèrement ennuyé.

- T'as de la chance que j'ai été là. Elle rigole pas avec les petits malins. Elle se serait pas contenter deux fois d'une baffe. Pourquoi tu as essayé de jouer au plus fin avec la Maîtresse ?

Heureuse était Hayath à ne pas croiser le regard bouillant de sa maîtresse. Si elle ne crut pas une seconde que son mensonge soit vrai, c’était très certainement car d’autres avaient tentés le même coup. Il est vrai, la forgelâme avait le millénaire et elle, du haut de son siècle, n’en menait pas large en expérience. Ses améthystes admirèrent toujours le sol, tel qu’on lui avait ordonné, mais lorsqu’elle vit un ombrage s’enfuir, le mouvement du bras inquisiteur de sa tourmenteuse se dresser haut en les airs, elle ferma les yeux et serra les dents, parée à recevoir la baffe jumelle. Mais, au loin, elle entendit un son, une note mélodieuse s’envoler pour se porter à son secours. Pouvait-elle s’empêcher de jeter un coup d’œil à cette âme charitable, dont la pensée bienveillante cachait très certainement d’autres desseins plus sombres? Au grand malheur de la misérable, elle tomba pile poil au moment où elle découvrit ses deux rangées de dents, tout sourire rattaché aux babines. Car oui, un fern ne lui aurait pas semblé plus malintentionné qu’à ce moment.

Lorsque Krish s’esquiva, un poids s’envola de sur les épaules d’Hayath … Au profit d’un autre plus pesant et menaçant. Et ces cliquetis de porte n’aidèrent pas à calmer ses ardeurs, car le moindre son attira son attention. Ses oreilles presque, frétillèrent à ce simple bruit, détournant seulement d’un poil son regard fixé contre le sol. Ses cheveux pour le coup, barraient sa vue et c’est ainsi qu’elle les préférait ; car ses oreilles étaient ses principales alliées là ou ses yeux ne pouvaient performer. Son nez frétilla, déviant légèrement en même temps que son faciès pour observer les nouveaux jeux d’ombres qui se projetaient sur les murs. Cela avait de quoi l’effrayer en effet, mais bien moins que le silence qui régnait en maître après la fermeture du portail. Plus un son, plus un bruit, maintenant que s’était vérouillée la porte, elle et sa géôlière se retrouvaient hors du temps et de l’espace ; ou plus personne ne saurait lui venir en aide …

Enfin, la drow trancha ce silence d’une boutade agréable, cherchant à balayer d’un revers de la main toute tension qui persistait. Elle l’invita à se rhabiller et c’est ce qu’elle fit sans un son, redressant seulement les pans de sa robe pour la soutenir à ses épaules des deux bretelles, sans s’éterniser à enfiler ses sous-vêtements. Et à l’aise? Comment pouvait-elle l’être, après les regards que ce fauve lui avait lancé plus tôt ? Au mieux elle s’autorisa de lever le menton, découvrant à la fois ses yeux d’un violacé plus brillant et de sa joue dont deux légères estafilades rougirent sa joue. Du sang frais persistait, elle n’avait pas prit peine de s’essuyer, s’en étant tenue au minimum de ses droits.

« Je … Elle voulait me frapper dès le départ, non ? Car je jure, je lui ai vraiment dit la vérité. » Et même si son regard était plus haut et à moitié barré de cette cascade immaculée qu’était sa tignasse, elle ne bougeât pas d’un poil pour tenter d’apercevoir son homologue. Vu le lien plutôt personnel que Krish entretenait avec cette étrange créature, Hayath n’écarta pas la possibilité qu’elle tente de la mener dans un piège. Et vendre sitôt la mèche, ne lui aurait attiré que le mauvais œil de son Dieu moqueur.

« Mais j’ai eu du bol, je le reconnais. Merci. » Elle avait beau être une drow, elle méritait tout de même des remerciements. Qui sait ce qu’une Krish enragée pouvait faire. Elle aurait bien été capable de la saigner, même si elle se l’était tout juste procuré.

Un sourire de chat un peu moqueur remplaça l'air ennuyé.

- J'espère que tu es douée pour la comédie parce que sinon ça fait peine à voir. Comme si les esclaves ne rêvaient que de servir à tout jamais un maître sadique en écartant les cuisses jour après jour pour y loger toutes sortes d'étrangers malsains. " puis elle ajouta un ton en dessous en montrant le papier qui trônait encore sur la table basse d'un signe du menton " les tâches que tu exerçait chez Yindis sont résumé là-dessus. "

Elle doutait en avoir le détails ou même une liste exhaustive, mais celle-ci y figurait bien. Dren retourna s'asseoir sur les coussins chamarrés, semblant particulièrement apprécier leur moelleux. D'un geste sans équivoque, elle invita Hayath à s'asseoir à côté d'elle si elle le désirait et étendit ses jambes devant-elle. Ses dents blanches rayonnaient de malice lorsqu'elle continua sur un ton badin.

- Mais bon, soyons honnêtes deux minutes. Les prêtres de Tesso ne donneraient pas de mission à une esclave conne comme une poule. " Pour éviter toute tentative de négation éhontée de la part de la jeune femme, elle continua presque aussitôt " Zaïch'Ker m'a mise au courant pour les cruches. Jawa t'as reconnue. Tes yeux et quelques marques qu'elle a aperçu au moment où tu t’enfuyais visiblement. De ce que je sais, Yindis a été payée rubis sur l'ongle pour ton arrivée ici... Alors dit moi, cela fait longtemps que tu joue les porteuses de message pour le compte des prêtres ? "

D’une manière, son mensonge avait un fond de vérité. Car c’est en servant aveuglément, qu’on s’attirait normalement les bonnes grâces des maîtres et, par conséquent, un congé de punition. Mais il est vrai que la chose tenait peu debout, lorsqu’on entretenait à ce genre de mensonge quelques soupçons. Puis Dren pointa la table plus loin, où dormait paisiblement un communiqué expliquant les tâches dont l’animal avait jadis habitude d’exécuter. Sa poitrine se souleva et s’affaissa d’un long soupire silencieux. Elle était tombée sur une maîtresse plus consciencieuse que toutes les autres, il fallait croire …

À son invitation, elle aurait pratiquement préféré rester là, debout au milieu de la place, de peur de tomber dans le panneau … Jusqu’à ce qu’elle n’abdique, pour laisser une chance à Dren, qui d’un premier coup d’œil jouait la carte de « la bonne alliée ». Elle s’approcha d’elle, abaissa son petit nez pour la juger d’un peu plus haut, puis posa son séant à ses côtés, tout en repliant ses deux gambettes de côté. Son déhanchement gagna en houle, chaloupant avec toute légèreté sans n’en être grossier : c’était là sa démarche naturelle, durement acquise des enseignements de la plantureuse Yindis. Si elle s’était efforcée pour n’en rien montrer plus tôt devant Krish, c’était car elle préférait s’assurer que c’est ce qu’elle attendait d’elle. La voilà maintenant partie, Hayath avait reprit un semblant d’aise, si ce n’est que Dren lui maintenait toujours un bon niveau de stress. Quelque chose en son regard laissait présager le pire et sans savoir pourquoi, elle se demandait comment elle avait sut répondre aussi sèchement à la forgelâme.

À l’énonciation de sa dernière mission jugée personnellement comme d’un fiasco monumental, ce fut le clou dans le cercueil de sa supercherie. Mais maintenait qu’elle soulevait la prêtrise, elle sentit comme un égide se former devant elle, comme si elle était un bon endroit et au bon moment pour faire l’étalage de sa foi.

« Plusieurs ennéades. Je me suis jointe au temple de Tesso il y a de ça presque une année. Yindis m’utilisait, non, me vendait à certaines personnes pour que je me fasse leur complice, qu’ils aient envie de se confier à moi, pour qu’ensuite je lui rapporte. Alors, après des années à le faire, elle m’a autorisé à joindre l’ordre, du moment qu’ils sachent rien de ma condition d’asservie … Et ma dernière tâche ne s’est pas déroulée comme prévu, non. » Elle se confiait, c’était un début, mais son regard violacé, ce regard si particulier observait vers la porte close, au loin, sans jamais croiser celui de Dren.

Les yeux sanglants de la porte lame ne perdaient pas une miette du spectacle. Son attention était telle qu'elle semblait inspirer la présence de l'esclave par les ports de sa peau. Son nez frétillait à la recherche d'un parfum, assimilant autant de détails qu'elle pouvait en percevoir à travers le moindre de ses sens. Elle cherchait, elle observait, elle apprenait patiemment. Et surtout, elle retenait. On pouvait le voir dans ses iris brulant d'un feu sombre. Elle tentait de mémoriser chaque image, chaque mot, chaque geste, chaque posture comme si elle craignait de les laisser s'échapper.

Elle même ne bougeait quasiment pas. Ses mains restaient pesamment sur ses jambes, son dos appuyé contre le mur, ses lombaires soutenus par les profonds coussins. Les premières bribes de réponses étaient plus concluantes que les balivernes qu'elle avait sortie à la Patronne. En savoir plus que l'autre donnait aussi à Dren une certaine satisfaction personnelle... Mais il y avait un tout petit mini détail.

- Alors tu n'es pas seulement leur servante occasionnelle. Tu es une Initiée de Tesso... " réfléchit-elle à haute voix.

Cela sous entendait qu'elle n'était pas du genre à se contenter d'une vie de domestique et de paresse. Les missions du temple des secrets ne devaient pas être de tout repos, surtout après des nuits blanches à se faire troncher et trancher de toutes les manières possibles.

- Tu joue les messagers. Tu récupères des informations. Bon... Pour l'infiltration on repassera. " rit-elle en écho avec la mission qui l'avait pas connaitre aux yeux de Jawa et de Zaïch'Ker. " Mais notre petit intendant n'a pas l'air d'être facilement impressionnable. Tu as du vraiment le dépanner. Et à ce propos, c'était une volonté du culte pour rappeler à la Patronne ce qu'elle leur devait ou c'est une mission que tu as tenté seule ? "

Son rictus de même que sa raillerie lui donna la chaire de poule. À savoir que Dren s’amusait à ses dépends et que plutôt que de chercher à la punir, elle laisser passer le tout comme si la faute n’avait rien de grave, avait de quoi surprendre l’esclave. Une centaine d’année à essuyer tous les reproches qu’on lui faisait, à grand coup de fouet, de baffes ou d’insulte, à force, même à ca on s’y habituait.

« Je n’ai aucuns détails à ce sujet ni même ne savait que la forgelâme leur devait quelque chose. C’est un peu comme lorsque je dois servir mon maître : on m’ordonne et moi, j’exécute. C’est simple, ça se passe de questionnements. Parce qu’initiée, ça n’a que peu de valeur à leurs yeux, or on ne me donne que peu de considération. Et de toute façon, seule celle de Tesso me satisfait. » Elle avait répondu en toute fluidité, plus naturellement, peut-être que l’effet que Dren avait sur elle commençait tout doucement à s’estomper? L’oppression de sa présence, de ses regards sous-entendus et gorgés de malices avaient perdus de leurs sens?

« On m’a dit qu’elle était puissante, influente et qu’elle n’était pas pour oublier ce genre de service. Sa tête déviait, portant son regard à moitié barré de cheveux blancs sur sa voisine. Elle l’observait au travers cette chute immaculée de cheveux, pour mieux retourner vers la porte, où elle espérait qu’une apparition soudaine de sa Maîtresse ne la mette pas en mauvaise posture.

Hayath se comportait comme un félin farouche. Elle regardait à moitié cachée derrière ses longs cheveux, semblant chercher à ne pas imposer leur couleur étrange à son interlocutrice, puis retournant se poser sur la porte. Elle s'était assise mais pas trop près. Elle préférait garder ses distances que de jouer de son insolente féminité pour forcer la chance.Trop d'eau froide sur un si petit chat l'avait surement échaudé pour longtemps. Pourtant, Dren ne lui fit aucune remarque et ne semblait pas en être le moins du monde gênée ou ne serait-ce qu'intriguée. Elle observait toujours avec attention et, voyant les regards insistants que la jeune femme tournait encore et toujours vers la porte, elle précisa à demi voix, comme si ce n'était qu'une incise sans importance dans leur conversation :

- C'est sa clef que j'ai utilisé pour fermer. Elle était tellement furax qu'elle l'a oubliée. Faudra qu'elle aille trouver Zaïch'Ker ou qu'elle tambourine comme une adepte de Zhak'Bar pour qu'on lui ouvre." puis reprenant sa voix tranquille et dégagée, " Et ouais, elle est puissante mais influente, après ce qui s'est passez le soir de la pendaison de crémaillère, j'ai comme un doute, tu sais... Elle a quand même perdu son atout le plus évident ici et ça fait plus d'un demi Cycle qu'elle se fout de notre gueule. Je me demande bien pourquoi elle est revenue maintenant... M'enfin pas tant que ça vu les complots qui poussent comme des champignons. "

Elle farfouilla entre les plis de la cape qui était posée un peu plus loin à sa droite. Au col du mantel était accroché une petite broche d'argent en forme de main dont la paume était piquée d'un rubis. Mais sembla finalement se raviser et rapprocha seulement le vêtement d'elle.

- C'est la première fois que je rencontre une initiée de Tesso. Les dieux me pardonnent de poser la question, mais Sa doctrine te plaie tant que ça ? " Puis après avoir eut sa réponse, elle demanda encore en réalisant. " mais travailler ici en tant que domestique, ça va t'empêcher de retourner au temple non ? " Cette perspective semblait réellement la mettre mal à l'aise. Il faut dire qu'on ne badinait pas avec les dieux.

Un dernier coup d’œil furtif vers Dren, comme pour se souvenir de l’endroit où elle avait tantôt laisser chuter la clé. On la crue comme un félin farouche, dont les griffes étaient toujours à demi ressorties, prête à tout pour ne pas se mouiller. Or, Dren avait chassé d’un revers de la main cette possibilité, en expliquant qu’il était peu probable qu’elle revienne avant longtemps. Sauf que si elle était pour revenir, à farfouiller tous bords tous côtés pour trouver quelqu’un à lui ouvrir, c’est très certainement que la maîtresse s’en verrait courroucée à outrance. Il vallait mieux ne pas y penser, se dit-elle.

« Quand j’ai dû m’informer à son sujet, on m’a raconté qu’elle était aussi riche en gemmes et en or, qu’en liens avec d’autres illustres familles. Elle ne laisse rien au hasard, tu dois bien le savoir ; si elle est ici alors que le Puy vit une effervescence comme elle n’en a rarement vue, c’est pour en exploiter l’occasion à son plein potentiel. Nombreux sont ceux qui le remarquèrent, lorsque s’est sut son retour définitif. » À son tour, Hayath s’octroya le droit d’observer, d’épier sa voisine, dans le but de connaître ses réelles intentions.

« C’est celle qui me sert le mieux. Sans elle, je ne suis rien, rien d’autre qu’une vulgaire domestique dont on vend le cul pour quelques pierres précieuses. Toute ma vie j’ai eu aux chevilles et aux poignets des fers qui m’ont retenus dans ma condition. Tesso me les a retirées, lorsqu’il m’a permit de m’inventer une seconde vie, de rendre plus importants les mots que je souffle à l’oreille de mes maîtres, plutôt que d’en écoper un châtiment car j’ai oser parler … Si je sais me défendre avec les armes, je le fais mieux encore avec les mots et mon corps. C’est en soit une manière en soit d’espérer m’élever plus hautement, que le rang que j’occupe. » Se rendait-elle seulement compte qu’elle était probablement la seule à avoir entendu ces révélations?

« Nous avons le chance de vivre éternellement. Mais je préfère encore écarter les cuisses que de dépoussiérer les étagères toute ma vie. Quand le moment sera opportun, je le dirai moi-même à la forgelâme ; elle a droit de savoir qu’elle a achetée une initiée de Tesso … » Elle secoua légèrement les épaules, de sorte à dégager son faciès si avenant et charmeur, tandis qu’elle plissa en toute légèreté son regard vers Dren. Ainsi elle put enfin apprécier les reliefs entiers de son visage et peser la profondeur de son regard. Elle put y voir comme elle aspirait à beaucoup de sa vie. Si seulement elle pouvait comprendre ce qu'elle était prête à endurer pour parvenir à ses fins ..

Et d'un coup, la situation se reversa. La pièce tenue en l'air jusque là retombait pour dévoiler son côté face. Le visage de Dren, ne paru pas le moins du monde choqué ou désapprobateur face à cette esclave qui osait lui dire en face qu'elle aspirait à plus qu'un travail de domestique, libre ou non. A la place, un sourire amusé teinté d'une certaine fierté se peignit sur ses traits. Une sorte d'expression qu'un bon maître n'aurait jamais put adressé à un esclave tenant de tel propos. Quelque choses à mi chemin entre un certain attendrissement devant le feu de l'innocence et de force tranquille en constatant que même dans la fange, les véritables fidèles gardaient la tête haute.

- Tu as l'ambition d'Isten et la bravoure d'une Flamme vive. " murmura Dren. Le respect qui tintait sa voix en prononçant chaque mot sacré était perceptible. " C'est bien. "

Mais elle manquait si cruellement de la finesse et de fourberie de Tesso qu'il était difficile à croire que le dieu aux milliers de visages occupe une si grande place dans le cœur de la jeune femme... Elle faisait ici un pari risqué en dévoilant tant de choses à une parfaite inconnue sous le coup de la sympathie. La garde du corps ne savait pas si elle devait en être flatté ou amusée. Caressant pensivement une longue flaque sur le côté de son cou qui disparaissait sous ses vêtements et dont la couleur, a bien y regarder, était légèrement plus claire que le reste de sa peau, elle se redressa un peu, entrant non plus dans l'interrogatoire par lequel leur échange avait commencé mais dans le dialogue qu'elles pouvaient avoir à présent.

- Tu sais, j'y pense mais la patronne est en train d'installer sa nouvelle forge dans l'atelier du fond. Normalement, elle tient à rencontrer les esclaves pour vérifier la marchandise, connaitre leurs visages et leur poser elle-même leur collier, mais avant que les travaux soient finis, peu de chance qu'elle te crée quoi que ce soit. Tu seras marquée, ça je n'en doute pas, mais ça ne sera pas forcément visible. Moi, je lui sers de petit main. Je m'occupe des affaires qu'elle ne peut pas régler avec ses gardes officiels. Je m'entends bien avec Zaïch'Ker et j'utilise de temps en temps des esclaves de la maison pour des petits boulots. Tant que ça ne se voit pas, tout le monde s'en accommode. Si tu fais profile bas et que t'arrêtes tes conneries de tout à l'heure, est-ce que ça t'intéresserait de bosser avec moi ? "

Elle avait percé son mensonge d’un revers de la main à son entrée dans la salle, mais ne pouvait se douter qu’elle aspirait à mieux qu’à astiquer les manches de clients fortunés? Il faut croire que toutes les évidences ne sont aux yeux de tous d’une même lucidité. Qu’à cela ne tienne, ces murmures qu’elle lui octroya lui firent comprendre qu’entre fidèles, une certaine solidarité persistait et ceci bien malgré leur différence sociale. À l’écho de son encouragement, les épaules d’Hayath s’étaient affaissées en toute légèreté, démontrant que sa docilité commençait à reprendre le dessus sur ses doutes. Son faciès semblait plus avenant, son parlé physique plus naturel et elle osa même soutenir le regard de Dren sans se soucier de son statut. Si tantôt elle fuyait des yeux cet âtre mystérieux qui se plaisait à la fixer tantôt, l’esclave chercha à se brûler en croisant le fer avec Dren. Ses iris plantés dans les siens, étaient curieux de savoir leur vrai but, la source de toute cette malice.

Ses deux genoux s’embrassaient au sol, tandis que ses jambes repliées sur elles-mêmes étaient disposés à ses côtés. Une patte déposée contre le sol retenait le balan de son propre corps, pauvrement couvert de sa robe ne tenant que de deux bretelles à ses frêles épaules. Un carmin foncé, mais dont l’épaisseur du tissus laissait aisément deviner ce qu’il masquait, constituait simplement sa tenue. Lors de son emprunt, la maison de l’Al’Serat ne s’était pas enfargée dans les fleurs du tapis et ne l’avait pas soumise à un habillement de leur choix. Plutôt, elle dût se contenter des prêts-à-porter de son ancienne Maîtresse qui eux, sans l’ombre d’un doute, se tenaient tous dans le même thème : qui plait à l’œil. Ainsi valait-il mieux pour elle qu’elle se départe de sa pudeur car autrement, en aucuns jours elle n’aurait été à même de revêtir ces habits. Des jupes si courtes qu’il était justifié de se questionner quant à leur utilité, des robes si légères qu’on en apercevait l’ombrage de ses formes et encore, une panoplie d’habillements fait de cuir, à la fidèle image de Yindis.

Son nez se redressa pour suivre Dren des yeux, sans jamais séparer ses lèvres pour l’interrompre. Être esclave avait cela de bon pour la discussion : l’écoute primait sur la parole, car en aucunes occasions on lui demandait d’exprimer des mots qui n’ont pas été longuement réfléchis. Alors, avant de lui répondre, elle se balança vers l’arrière, déposant maintenant son autre patte pour se soutenir.

« J’ai peur de ne pas comprendre ton offre, Dren’Zess. Je croyais que je devais être au service de la Maîtresse, pas que tout le monde pouvait disposer de moi comme ils l’entendaient. Quel genre de travail? » Et la pique ne parut pas comme une remarque désobligeante, plus comme une interrogation sérieuse, à laquelle elle désirait bien un éclaircissement. Après tout, qu’importe ses derniers maîtres, elle avait toujours été aux côtés d’eux, comme si elle avait par défaut occupé la place de favorite. Ici, ses charmes ne faisaient peut-être pas leur effet …

Dren secoua la tête, amusée par la réflexion.

- Tu croyais quoi ? tu es une esclave. Toutes les personnes libres vivant ici peuvent disposer de toi. " rit-elle de bon coeur. " Si la patronne te choisis comme esclave personnelle, oui, tu seras à son entière disposition. Mais pour l'instant ce sont deux de ses esclaves Thaari qui ont cet avantage. Un jeune elfe aux cheveux blancs tatoué sur la moitié du visage dont j'oublie tout le temps le nom et Jiph'kah une drow qui a une jambe et un bras en métal. Mais elle quitte rarement l'atelier et lui est presque toujours dans cette chambre alors je ne sais pas si tu les as déjà croisés. " Après quelques instant de réflexion elle ajouta " En fait, quand je disais que toutes les personne libres peuvent disposer de toi, j'avais oublié un détail. Ici, les autres esclaves doivent également obéissance aux serviteurs personnels de la Patronne. Toi compris. "

Le sourire amusé de la guerrière se teinta d'une pointe d'envie lorsqu'elle laissa courir ses yeux sur les courbes qui apparaissaient par la tenue transparente de la demoiselle. Elle ne fit pourtant pas un mouvement en ce sens et attrapa plutôt un coffret qui jouxtait le plateau d'échec. A l'intérieur, une longue pipe d'os était placée dans du satin à côté d'une une fiole contenant une poudre grise aux reflets bruns peu engageants.

- Après, vu comment ça c'est passé, je pense que Zaïch'Ker compte tirer le maximum de tes relations et de tes talents pour se faire bien voir. Il a déjà gagné des points en évitant un vol. " elle déboucha la fiole et fit glisser une mesure de poudre dans l'embout de la fine pipe. " Il devait me mettre dans la confidence pour que j'évite de t'abattre en te voyant roder, mais la Patronne ne semble pas au courant. " son sourire redoubla, comme si être au courant de quelque chose que la patronne ne savait pas encore était un plaisir incroyablement rare et apprécié.

Refermant la fiole, elle ajouta un minuscule morceau de charbon et un autre de coton dans la pipe avant de tendre la main vers un long allume feu qui reposait sur un guéridon derrière Hayath. Le geste la rapproche dangereusement du visage de la jeune femme et elle se permit de humer son parfum. Elle se perdit dans ses yeux tout proche... mais son bras restait trop court pour se saisir de l'objet de ses convoitises. Elle laissa donc tomber avec un sourire agacé et retrouva sa place originale comme si de rien était.

- Quand je te parlais de bosser ensemble, je pensais à te donner quelques missions hors d'ici. Des livraisons, des écoutes faciles, des repérages sans trop de risques et bien sûr un lien privilégié avec le temple de Tesso. En contre partie, je te couvrirai pour te permettre d'aller au temple librement une fois par ennéade et si tu le désire, je m'arrangerai pour que l'intendant passe par moi pour que tu ne sois pas prise entre deux feux. "

C’était bien le plus bas qu’elle soit tombée, même à titre d’esclave. Même le marmiton pouvait disposer d’elle à sa guise ; elle n’avait pas même l’honneur d’être l’esclave exclusive de sa maîtresse. Et à l’entendre jacter, elle se demandait même si elle croiserait la forgelâme d’ici les prochaines ennéades, voir même pendant longtemps. Elle dut se rendre à l’évidence, il se dressait devant elle une opportunité qui lui permettait d’avoir un semblant de liberté, ou plutôt des opportunités qui la délivrerait de son labeur quotidien de cireuse de latrine ou de coureuse de remparts … Mais cette avenue l’effrayait également. Si la Maîtresse le découvrait? Elle s’était courroucée presque à outrance à son simple mensonge, or comment réagirait-elle si elle apprenait toute l’histoire entourant l’accord avec Dren’Zess ?

« Serviteurs personnels de la Patronne. Comme toi, par exemple ? » La voilà qu’elle se faisait perroquet, mais empruntant pour une première fois un ton plus sournois, loin de son timbre de voix naturellement neutre. Elle le vit dans l’âtre qui embrasait les iris de son homologue, une tentation tangible, une envie palpable de luxure ou de désir. Ou enfin, peut-être était-ce l’effet qu’elle provoquait sur Hayath, qui l’amusait autant, qui lui plaisait tant ? À servir toute sa vie, on vient à apprécier à son tour de tenir le fouet, plutôt que de le recevoir … Et Dren’Zess était pour Hayath, un mystère dont les contours semblaient prometteurs, mais dont l’ombrage pouvait masquer des épines létales.

Elle l’épiât silencieusement, c’est ainsi qu’elle procédait normalement. Plutôt que de la faire parler, elle lisait le non verbal avec lucidité. Elle feintait un désinvolte flagrant, alors qu’elle s’imaginât la protectrice aussi fougueuse que les eaux tumultueuses d’un torrent d’eau. Ses yeux crachaient la vérité ; Dren ne lui disait pas le fin fond de sa pensée, elle préférait s’amuser à ses dépens, comme un chat joue avec une souris avant de la croquer.

Il s’avérait que la souris aimait tout de même se faufiler entre les griffes des chats, tout en cherchant se préserver des griffures et des morsures. Sa misérable condition d’esclave la soumettait à une vie ennuyeuse et vide de toutes sensations fortes ; or voilà l’occasion pour elle de se mouiller sans y perdre la peau au passage. Lorsqu’elle s’approcha, pour quêter le long allume feu, un gratouillement passager lui fit arquer le dos, que puisse profiter de toute cette proximité Dren’Zess. Et le mouvement provocateu, sembla si naturel, qu’on aurait eu misère à croire qu’il était feinté. C’était un peu ça, la clé de son charme ; qu’on y voit que du feu, alors qu’elle exagérait certains mouvements pour mousser le charme qu’elle dégageait.

Lorsqu’elle abandonna, Hayath se retourna à l’arrière et tendit l’une de ses pattes pour quérir l’objet de convoitise de Dren. Contre le rocher qui accompagnait l’allume, elle en fit enflammer le bout pour approcher la flamme dans une prudence hors du commun, près de la pipe de la guerrière. Elle ne dit mot, s’executa simplement ; on y reconnaissait de suite son inclinaison à servir, comme ses multiples dressages avaient payés. Elle n’était certes pas domptée à la façon de l’Al’Serat, mais n’en restait pas moins une asservie bien capable d’assouvir les besoins de ses maîtres.

« Si je comprends bien, de toute manière, je n’ai pas vraiment le choix. » Elle reprit ses aises, ses deux paumes retrouvant le sol en guise d’appuis, tout en arc-boutant le rachis en mettant sous les projecteurs ce qu’elle avait de mieux à offrir.

« Et si la Maîtresse venait à découvrir tout ça? Et pourquoi moi? »

Quelle provocante et alléchante petite chose. Dren profitait du spectacle de sa vantardise corporelle sans arrière pensée. Tirant un premier trait de sa bouffarde, les yeux plantés dans ceux de celle qui venait de l'allumer, un nuage bleuté s'extirpa de ses narines. Le temps qu'il se dissipe, il brouilla légèrement les traits de la guerrière. Une odeur entêtante d'humidité, de terre et de réglisse se mêlait à la tiédeur affable de la chambre.

- On a toujours le choix. " répondit la guerrière à l'esclave sans la moindre pointe de dérision " Si la Patronne apprend que Zaïch et moi lui avons conseiller d'accueillir une Initié de Tesso sous son toit sans l'avertir, possible qu'on y passe tous les deux. Même possible que tu en réchappe et qu'elle fasse de toi sa favorite. Elle te dressera à sa manière et utilisera ce qu'il reste de ta personnalité pour remplir ses objectifs. "

Tenant la pipe entre deux doigts, elle s'était de nouveau approchée, glissant le bout de ses doigts sont la mâchoire de la jolie petite créature pour souligner ce qu'elle risquait de perdre.

- Si tu te demandes encore pourquoi toi, c'est que tu est demeurée. Tu en connais beaucoup des esclaves qui ont leurs entrées au temple de Tesso ? Mais pour en revenir à notre problème, tu as un choix très simple. Quand la Patronne reviendra, tu lui dis que tu es une Initié et tu nous vend, Zaïch et moi grâce à l'épisode des cruches pour parier sur les bonnes grâces de la Patronne, ou tu paries sur moi et sur le fait que les missions et les infos que j'obtiendrai grâce à toi prépareront le terrain pour que la Patronne te considère plus intéressante à garder entière qu'à briser comme n'importe lequel de jouets. "

Sa main descendit sur le col de la jeune femme, glissant son index le long de la couture du tissus qui cachait sa poitrine.

- Je laisserai ta jolie bouche faire son choix. Mais réfléchi vite car ne devrait plus tarder... Et en attendant j'aurais besoin de tes vêtements, histoire de ne pas avoir à lui expliquer gentiment qu'on a discuté pendant dix minutes. Strictement professionnel." ajouta-t-elle en faisant claquer sa pipe entre ses dents.

À tous les coups, Hayath ne pouvait se fier à elle. Car sous son côté sympathique, voir même amical, en aucuns moment elle ne devait oublier son extraction de drow. Et au vu de ses inclinaisons envers les Dieux, c’était sans équivoque qu’elle devait manifestement agir en accointance avec les dogmes drow. À ceux-ci, ni la confiance ni l’amitié ni même la bienveillance n’existait. C’était une chance à perdre, à saisir du bout des doigts pendant qu’elle passait. Et ce sourire qu’elle préservait à sa bouille de prédatrice, satisfaite de connaître d’avantage le nouveau jouet de l’Al’Serat sous toutes ses coutures, alors que sa propriétaire n’en savait que peu, lui laissait deviner qu’elle n’en avait pas terminé avec elle.

« Pas besoin d’être une fidèle de Tesso pour recueillir des informations, livrer des paquets de faire de l’œil aux hommes ou aux femmes. » Répondit l’esclave, non sur un ton provocateur, mais plutôt sur un ton qui évoquait l’évidence de ce fait. Elle avait repris les tâches que Dren lui avait tantôt listées, mais elle se douta bien que la liste n’avait rien d’exhaustive. La suite, elle l’écouta sans piper le moindre son, bien que ses épaules remuèrent passivement, manifestant silencieusement son intérêt quant à ces explicatives qui ne manquaient guère de clarté. C’était soit un, soit l’autre. Dans les deux cas, elle jetterait une pièce dans les airs et jouerait à pile ou face sa destinée. Aussi bien dire qu’elle était vouée à l’incertitude. Le temps venu de prendre sa décision, elle mordilla sa lippe de ses canines, feintant l’incertitude.

« C’est entendu. Je me mettrai à ta disposition, dans la condition où je pourrai sortir deux fois par ennéade pour aller au temple. » Elle s’attendit à recevoir des moqueries, à nouveau. Mais c’est ce qu’elle exigeait et son regard s’était froncé comme un félin revêche, prêt à mordre au besoin pour préserver sa balle. Les avenants de leur nouvelle entente, ça, elle allait sûrement les découvrir bientôt, mais là n’était pas le temps. Elle aurait bien assez d’apprendre comment la surnommer, commencer se présenter à elle et si elle agissait un peu comme sa nouvelle maîtresse, en cas d’absence de Krish. Ça, ces lubies, ça la regardait. Pour l’heure, elle avait raison : Krish reviendrait très certainement bientôt, les nerfs ou bien à feu et à sang ou refroidis par sa sortie.

À l’instar de tantôt, elle se défit de ses deux bretelles maintenues à ses épaules, à l’exception près que son mouvement n’avait plus rien de neutre, ni de détaché, mais reflétait un petit quelque chose d’aguichant, à peine seulement. Le pauvre morceau de vêtement chuta contre sa poitrine, puis ses reins, pour s’en retrouver au sol, couvrant en toute simplicité ses deux gambettes repliées sur elle-même. Et ses améthystes cherchèrent les ambres de Dren, y cherchant si la provocation était possible. Après tout, elle la mangeait des yeux depuis tantôt et elle s’imaginait bien que peu s’en faudrait, pour qu’elle ne cède.