Point de repos aux hommes ou aux femmes [Pv Aliénor]

"Si vous voulez mon avis Uther, nous avons de la chance que les maladies ne se soient pas encore déclarées au cœur du campement. Quand je vois l'état de certains soldats et du sol... Cette chaleur est propice à déclencher une véritable épidémie.
- Je suis tout à fait d'accord mon seigneur. Mais c'est là le chaos qui échoit à tout siège. Priez Kÿria que la pluie ne s'abatte pas sur nos têtes. Les soldats sont las...
- Je ne puis les plaindre. Nous voyageons depuis de nombreuses ennéades depuis le Nord. Je me sens lassé de ces longues journées à cheval et des escarmouches. Heureusement que la Valdrant a conclu la guerre. Enfin presque...
- Christabel ne devrait point tarder à tomber mon Seigneur. Par ailleurs, avez-vous réussi à  concilier nos hommes du Nord et ceux de Montvif ?
- Nos troupes de Montvif font ce que je leur ordonne. Il est plus difficile de négocier avec nos amis nordistes. Mais l'affaire se tasse.
- Voilà qui est plaisant. Je dois aller superviser la relève des sentinelles mon seigneur...
- Je ne vous retiens pas Uther. Nous nous verrons au dîner.

Le chevalier hocha la tête en direction de son seigneur et s'éloigna, casque sous le bras. Philippe poussa un léger soupir et étira sa nuque courbaturée. Voilà trop longtemps qu'il portait son armure de manière quotidienne. Il ressentait que son corps n'appréciait pas ce traitement bien qu'il fut nécessaire. Une sortie ennemie pouvait très bien avoir lieu à tout moment malgré la taille du campement. Uther avait souhaité ne pas voir de pluie tomber sur le siège. Philippe espérait l'inverse. En cas d'incendie au cours d'une escarmouche, le camp pouvait bien être ravagé sans l'aide d'au moins un petit crachin ou quelques précipitations plus fortes.

Philippe regarda autour de lui et se rendit compte qu'ils avaient longuement marché avec son vassal et qu'il se trouvait au cœur du camp des Nordiens. Certes, celui de Montvif se trouvait à la lisière entre le Nord et l'Erac. Mais cela s'expliquait par le contexte politique. Premièrement, Philippe avait autrefois juré fidélité à un homme du Nord et avait séjourné plus d'un an en Serramire. Mais il avait combattu sous la bannière du Duché d'Erac au cours de la campagne du Médian. Et techniquement... Montvif était un vassal de jure du Duc. Aussi la faible cohorte Velterienne avait trouvé sa place le cul entre deux chaises pour ainsi parler. Heureusement, Philippe se situait plus ou moins et savait comment rentrer.

Mais alors que le seigneur s'en allait d'un bon pas, un sanglot parvint à ses oreilles. Il s'arrêta net, peu sûr d'avoir parfaitement entendu. Dans un environnement martial, entouré de milliers de soldats, il était surprenant de percevoir soudainement un tel bruit. Mais ce dernier se répéta plus d'une fois. Curieux, le seigneur de Montvif contourna une tente et tomba sur une silhouette féminine. La surprise le stoppa net. Il savait parfaitement que de nombreuses épouses et filles avaient suivi la figure patriarcale de leur maisonnée jusqu'ici. Mais il n'en avait pas encore croisé. Une tignasse rousse lui faisait donc face. Et celle-ci ne se dérobait pas aux postures de chatons propre à bien des femmes à la chevelure de feu. Mis à part sa tristesse apparente.

Bien qu'il ne vit pas son visage, elle lui tournait le dos, Philippe s'avança et s'éclaircit légèrement la gorge.
"Pardonnez moi de vous déranger ma dame. Je suis le seigneur Philippe de Montvif. Je vous ai entendu dans votre désarroi et m'inquiétez pour vous. Souhaitez-vous prendre un peu de repos à mon camp et vous remettre ?

La belle rouquine arétane n'en était décidément pas au bout de ses surprises. A peine rentrée de son escapade avec le Sénéchal du Royaume pour réunir l'ost royal, la jeune pucelle avait appris par un étrange messager que son frère serait peut être en vie.
Ne croyant que ce qu'elle voyait, elle n'était pas certaine de la véracité à donner à cette information. Celle-ci la bouleversait tout de même. Et si son frère était bel et bien en vie ? Pourquoi l'apprendre ainsi plutôt que de sa propre main ou de sa propre voix ? Pour quelle raison ne pas être venu les rejoindre ?

L'idée faisait ainsi son chemin en elle, lorsqu'elle eut à subir le courroux de son promit. Humilié par les sentiments qu'elle éprouvait pour son suzerain, le jeune sternois lui en faisait baver et alors qu'elle ne cherchait qu'à se réconcilier avec lui (surtout afin d'éviter les problèmes), ce dernier n'avait pas eu d'autre idée que de chercher à tuer ses espoirs dans l'oeuf et insulter la mémoire de son frère.

C'en était trop. Ainsi, légèrement en marge du campement, elle avait ressenti le besoin de s'isoler. Aliénor avait beau être une femme d'une force incroyable, lui permettant de soutenir ses opinions face à des hommes des plus réticents à l'idée d'être dirigés par une femme, elle avait comme tout le monde ses limites et là, elles étaient atteintes. Un frère mort, revenu à la vie, un amour contrarié, des fiançailles forcées puis rompues, une réconciliation échouée de manière insultante et humiliante. Elle n'en pouvait plus.

Ainsi, lorsqu'elle se sentit enfin seule, elle ne retient plus ses larmes. Elle n'en pouvait plus de tout ceci, de cette ambiance nauséabonde, de devoir s'opposer toujours et se montrer toujours plus forte pour ne pas être vue comme une faible femme. Des gouttes d'eau salée naturellement produites, perlèrent alors au bord de ses yeux et coulèrent peu à peu le long de ses joues hâlées par le soleil dû à ses nombreuses chasses où une légère cicatrice, encore rougie par le processus de cicatrisation, marquait sa joue. Ses épaules se soulevaient à mesure que les sanglots venaient. Elle pleurait, ou Aliénor la guerrière nordique pleurait de tout son saoule parce qu'elle se sentait totalement impuissante dans tout ce bordel sans nom. Ce phénomène, elle en était peu coutumière, d'un naturel heureux, elle n'avait eu que très peu d'occasion de ressentir autant de tristesse et à vrai dire, la dernière fois remontait à des années, lorsque son père était décédé, son frère portait disparu et qu'elle avait dû prendre la lourde décision d'abandonner ses terres face à des mercenaires bien trop nombreux. Elle avait eu le sentiment de tout perdre alors qu'aujourd'hui elle avait tout mais elle ne savait plus comment gérer les choses de manière à se sortir de ces situations sans trop de dommages.

C'est alors qu'une voix masculine brisa le silence entre deux sanglots. L'homme semblait s'être approché d'assez prêt pour pouvoir la voir distinctement. C'est là qu'elle se rendit compte à quel point ses habitudes dues à la chasse avaient été perdues depuis qu'elle n'avait plus le temps de se consacrer à ses plaisirs maintenant qu'elle avait pris la régence du Comté.

"Pardonnez moi de vous déranger ma dame. Je suis le seigneur Philippe de Montvif. Je vous ai entendu dans votre désarroi et m'inquiétez pour vous. Souhaitez-vous prendre un peu de repos à mon camp et vous remettre ?

En toute femme noble qu'elle était, elle fit alors preuve de dignité. Elle arrêta instantanément de pleurer, se redressa pour se tenir droite, tout en séchant méthodiquement ses larmes du dos de sa main. Elle arrangea un peu ses cheveux qui étaient à demi libérés et se retourna enfin vers son interlocuteur pour lui faire face. Elle s'étonna de voir cet homme, ce seigneur qu'elle ne connaissait pas, se présenter ainsi à elle, presque en ne s'offusquant pas de sa présence. Elle pensait connaître au moins de nom tous les belligérants de la campagne. Visiblement, ce n'était pas le cas. Peut-être s'était-il joint à eux tardivement? Ses yeux verts reflétaient sa tristesse, eux qui d'ordinaire, brillaient d'un éclat vif de vie et d'enthousiasme, ses cheveux roux se ballotaient aux grès du vent. Elle n'était pas habillée en armure mais en tenue de chasse, bien plus pratique pour les combats si elle venait à être prise par surprise car elle était ainsi libre de ses mouvements et avec les cours de combat au corps à corps que lui avait dispensé Emilie, elle était bien plus à l'aise. La tenue restait des plus féminines du fait que le cuir, cousu sur mesure, épousait ses formes et les mettaient en valeur. Aliénor aimait très peu les robes d'ordinaire, encore plus durant la campagne. Elle inclina alors sa tête, comme le voulait la bienséance et laissa sa voix cristalline percer le silence qui s'était installé depuis que le jeune homme s'était adressé à elle.

- Je suis ravie de vous rencontrer messire, je suis Aliénor de Wenden, régente du Comté d'Arétria et de la seigneurie de Karlsburg et seigneure de celle de Wenden. Avant que vous ne me posiez la question, je suis la soeur de feu notre chancelier. Je vous remercie beaucoup pour votre sollicitude mais rassurez-vous, je ne suis pas en détresse. Vous me prenez sur le fait de profiter d'un moment de solitude. Les temps sont durs.

Aliénor sourit à son interlocuteur, espérant qu'il ne se formaliserait pas trop de devoir subir un refus.

- Je ne crois pas vous avoir vu jusqu'à maintenant dans notre campagne. Nous avez-vous rejoint depuis peu ? De quel ost dépendez-vous ?

Le jeune homme l'intriguait c'était certain mais Aliénor ne doutait pas qu'il répondrait à ses questions. Toutes forces nouvelles pour les aider étaient bonne à prendre après tout et elle serait ravie de ne pas avoir à faire à une compagnie hostile pour la changer de son quotidien.

La capacité à modifier leur comportement en l'espace de quelques secondes faisait la réputation des grandes dames de la Péninsule, certains gueux murmuraient même que ce n'était point des femmes mais des élues de Néera. Et le cadeau de la DameDieu eut été de pouvoir modifier leur forme presque instantanément. Philippe savait que cela n'était que quelques mythes chantonnaient au bord du feu lors des longues soirées d'hiver. Mais lorsqu'il admira la jeune femme, il ne put que douter de la véracité de ces histoires. Mis à part son regard de Germania, on n'eût pu croire que la dame venait d'être présentée à la Cour.

Philippe détacha son regard des cuivres soyeux de la belle et s'attarda cependant sur ses longs cheveux roux. Une telle couleur dénonçait non sans mal son appartenance au Nord. Et pourtant, malgré le temps vécu là bas, le Seigneur de Montvif ne put que sentir une certaine attirance pour la rouquine. Cette teinte était aussi désirable qu'un nectar à ses yeux. Il fallait avouer que les traits fins de la jeune femme et sa beauté y jouait beaucoup. Mais il était un chevalier de la Dame Dieu. Il ne pouvait espérer que l'aider en ce moment difficile.

Philippe notifia alors la tenue de la jeune femme. Un pantalon. Du cuir. Des vêtements qui siéraient plus à une chasseuse ou une éclaireuse qu'à une dame de noble naissance et ce malgré sa qualité. Et ses formes qui étaient si évidentes dans le tissu les épousaient. Philippe resta pantois avant de rougir brutalement dans la douceur de cette soirée d'été. Il s'inclina bien bas et bafouilla quelques mots d'une voix mal à l'aise.

"Ma dame, pardonnez mon regard ! Votre tenue m'a surpris, tant elle met votre beauté en valeur... Mais peut être ne devrais-je pas vous complimenter alors que le chagrin a trouvé refuge en votre cœur."

Philippe était confus. Il était rare qu'il s'emballe à la vue d'une jeune femme de cette sorte. Il n'avait que peu montré d'intérêt pour le mariage ces dernières années. Mais il était vrai que la guerre, les désastres du dernier Voile et l'isolement de Montvif y était pour beaucoup. Il n'en restait pas moins que la demoiselle venait de subir quelque choc. Aussi, sans hésiter, Philippe sortit un bout de tissus de sous son tabard et le tendit à la jeune femme.

"Je ne pensais point m'adresser à une telle dame. Mais voilà pour vous essuyer les joues. Je me désole de voir votre délicat teint ternit par quelques humeurs. Non point que je ne vous croie pas forte. Votre tenue dément cela Votre Grandeur."

Philippe se redressa et lui adressa un sourire amical.

"Je suis à Serramire depuis plus d'un an. Et je suis l'ost depuis le début de notre campagne pour reconquérir le Médian. Mais je ne suis guère plus qu'un seigneur velterien fidèle à la Couronne. Bien des hommes évitent ma compagnie. Peut être craignent ils un coup de couteau dans le dos. Mais je puis vous assurer que les osts d'Erac ou ceux de Serramire ne peuvent démentir de la bravoure de mes hommes... Je suis pour ma part surpris de voir une femme accompagner l'ost. Participez-vous à la guerre à votre manière ?"

La belle arétane aux cheveux de feu releva un sourcil assez surpris en remarquant le regard insistant du jeune seigneur sur sa personne.

"Ma dame, pardonnez mon regard ! Votre tenue m'a surpris, tant elle met votre beauté en valeur... Mais peut être ne devrais-je pas vous complimenter alors que le chagrin a trouvé refuge en votre cœur."

"Peut-être en effet" se disait-elle au fond d'elle-même. Toutefois, elle n'avais pas envie de se confronter à qui que ce soit de plus aujourd'hui. A vrai dire, elle était lasse des conflits.

- Vous me voyez ravie qu'elle vous plaise. Dit-elle non sans ironie. A vrai dire, elle a le grand avantage d'être avant tout des plus confortables si jamais nous avions à nous mettre en action ou en cas d'interception de sentinelles ennemies qui rôdent dans les parages.

Aliénor fut agréablement surprise par la galanterie dont fit preuve le beau brun aux yeux verts d'une douceur peu commune qui lui faisait face. Ce dernier en effet lui tendit délicatement un mouchoir afin de finir de sécher ses larmes qu'elle accepta, lui répondant gentiment par un sourire. D'ordinaire plutôt farouche, la jeune femme n'avait pas envie de se cacher derrière un voile de force et de dureté. Après l'avoir vu pleurer, reprendre ce masque était mal venu.

"Je ne pensais point m'adresser à une telle dame. Mais voilà pour vous essuyer les joues. Je me désole de voir votre délicat teint ternit par quelques humeurs. Non point que je ne vous croie pas forte. Votre tenue dément cela Votre Grandeur."

Une certaine rougeur empourpra alors ses joues de sorte qu'elle se sentait relativement gênée par de tels compliments. Pas qu'on ne l'avait jamais complimentée par le passé mais ... pas comme ça, pas avec autant de gentillesse et de douceur. Le jeune homme jouait-il donc un rôle ? Elle ne saurait le dire.

- Je vous remercie à la fois pour le mouchoir et le compliments.

Le fin tissu, délicatement tenu entre ses doigts lui apportaient une caresse des plus douces. Brodé des initiales de son interlocuteur, elle se disait en le regardant qu'il ne s'agissait sans doute pas là d'un simple mouchoir mais d'un message subliminal. Toutefois, ne bénéficiant pas de beaucoup d'expérience dans ce domaine - on avait tendance à plus la voir jusqu'à maintenant comme un garçon manqué qu'une dame -, elle ne savait trop si se fier à son intuition était une bonne ou une mauvaise chose. Elle répondit à son sourire en plongeant son regard vert vif dans ceux plus doux du jeune homme et de lui sourire à son tour, gênée de tant d'attention. La belle deviendrait-elle soudainement timide ? Cela ne lui ressemblerait pas pourtant, elle qui d'ordinaire était si franche et possédait si peu de tact. Si une chose pouvait être dite à son sujet, c'est qu'en général, elle ne savait pas trop y faire.

"Je suis à Serramire depuis plus d'un an. Et je suis l'ost depuis le début de notre campagne pour reconquérir le Médian. Mais je ne suis guère plus qu'un seigneur velterien fidèle à la Couronne. Bien des hommes évitent ma compagnie. Peut être craignent ils un coup de couteau dans le dos. Mais je puis vous assurer que les osts d'Erac ou ceux de Serramire ne peuvent démentir de la bravoure de mes hommes... Je suis pour ma part surpris de voir une femme accompagner l'ost. Participez-vous à la guerre à votre manière ?"

Encore un nouvel étonnement. Comment se faisait-il qu'ils n'avaient encore jamais eu l'occasion de se rencontrer ? Il fallait dire qu'il y avait tant de monde engagé dans la campagne que sans doute bien d'autres vassaux n'avaient pas eu le plaisir de la rencontrer.

- Oh je n'en doute pas un seul instant, mon ost a suivi celui du Duc d'Erac depuis le Nord. Nous avons même combattu main dans la main à la bataille de Valdrant.

Aliénor lui sourit avec sincérité. Une petite lueur regagna quelque peu son regard mais pas suffisamment pour parler réellement de flamme.

- En vérité je dirige l'ost de mon neveu le Comte d'Arétria que je représente en tant que sa régente. Vous n'êtes pas sans ignorer qu'il est assez inhabituel dans le nord qu'une femme se trouve à la tête d'un peuple. La baronne d'Alonna sans doute de par son tempérament a su faire sa place mais elle est bien la seule pour le moment et beaucoup doutent beaucoup de ses capacités à diriger parmi les hommes. Toutefois je ne la connais pas suffisamment pour avoir une opinion tranchée à ce sujet. Il était important pour moi que mes hommes me voient comme leur commandant et non comme une dame. Je tâche de faire oublier quelque peu mon sexe pour ménager leurs susceptibilités et rendre plus facilement le commandement à suivre. Je n'ai pas envie d'être contestée quand viendra l'heure de prendre des décisions politiques engageant les terres de mon cher neveu.

Elle ne s'était pas vraiment rendu compte qu'elle avait parlé, comme à son habitude, longuement. Elle espérait seulement qu'elle n'avait pas poussé le seigneur à l'ennui ou au désintérêt total.

Lorsque Philippe avait tendu le mouchoir à la jeune femme, il n'avait pas eu conscience de la portée de son geste. Mais désormais qu'il regardait la dame tenir le bout de tissu entre ses doigts, il se rappela de quelques leçons lointaines sur la galanterie, la chevalerie. Et la manière la plus honorable de courtiser une jeune femme. Il n'avait alors jamais essayer cela. Point eu le temps ou la rencontre d'une telle beauté. Même lors de ses visites en Soltariel ou Serramire, il s'était montré plus intéressé par la compagnie d'autres chevaliers que celles des beautés locales.

Mais, dans le fond, il ne doutait pas que dans d'autres occasions il aurait de toutes manières offert ce gage d'intérêt à Aliénor. La Dame de Wenden correspondait parfaitement à l'image rêvée de la femme. Indépendante mais belle et farouche. Chose rare. Les rares représentantes du sexe opposé qu'avait rencontré Philippe et qui se revendiquait en dehors de toute tutelle martiale étaient souvent un mélange entre un ogre, un troll et un nain des plus velus. La belle rousse semblait l'exception qui confirmer une règle que le seigneur de Montvif craignait de découvrir immuable.

"Je ne doute pas qu'elle vous sied à merveille au combat. Je n'aimerais d'ailleurs point me retrouver dans un corps à corps contre vous."

Une lueur amusée brilla dans le regard de Philippe. Il était bien bâti mais moins que la plupart des chevaliers et il était vrai que les combats au sol constituaient une de ses faiblesses au combat ainsi que les chocs. S'imaginer rouler dans la boue avec la jeune femme était assez drôle tant on l'avait moqué à ce sujet plus jeune. Il s'efforça également de ne pas rougir lorsqu'il se rendit compte du sens caché de sa propre phrase. Par chance, seule une vague rougeur apparut sur son cou tandis qu'il souriait après la longue diatribe de la dame.

"Je pense qu'il est de manière générale assez peu habituel de trouver des femmes au pouvoir. Cependant, j'ai été le régent de nombreuses années du domaine de Montvif. J'ai subi les réticences des vassaux plus âgés que mon père et leurs remarques. J'ai su m'imposé, en grande partie grâce aux conseils de ma mère. Alors je ne me fais point de soucis pour vous imposer comme leur Dame."

Philippe pencha légèrement la tête sur le côté, pensif avant de sortir un petit médaillon qu'il portait au cou et gravé d'une image de la DameDieu.

"Permettez-moi de vous dire cela. Mais je ne doute pas une seconde de votre force. Mais n'hésitez pas à donner à vos hommes non point des ordres mais une cause à défendre. Devenez une figure. Ne soyez point une simple régente temporaire. Vous devez être la Dame de Wenden. Celle que tous aiment comme leur fille, comme notre Mère à tous et pour laquelle il se battent avec la fureur d'Othar. Donnez leur cette raison et ils vous suivront jusqu'au domaine des Morts. Vous. Et votre neveu."

Philippe rangea son médaillon et sourit avec entrain à la jeune femme. Il n'était pas un politique, jeune louveteau dans ce domaine mais il espérait sincèrement pouvoir l'aider à se faire une place.

"Je ne doute pas qu'elle vous sied à merveille au combat. Je n'aimerais d'ailleurs point me retrouver dans un corps à corps contre vous."

Se moquait-il donc d’elle ou était-il sincère dans ses propos? Aliénor ne savait pas trop quoi en penser. Habituellement, des hommes lui disaient cela d’un ton railleur, se moquant elle. Si le jeune homme paraissait amusé, il ne donnait pas pour autant le sentiment de se moquer. Ainsi la belle rouquine se demandait ce qui l’amusait tant à cette idée. Était-ce parce qu’il était de ceux qui considéraient que les femmes n’étaient que oeu de choses ou pour une toute autre raison dont elle ignorait la teneur. Elle cacha d’un geste habile son regard interrogateur en faisant mine d’utiliser le mouchoir qu’il lui avait tendu un peu plus tôt, afin de sécher des larmes qui n’étaient désormais plus.

Elle l’écoutait tout en s’afférant, lui parler un peu de lui. Elle en profita pour à son tour pour le regarder. Il était grand, plus que la moyenne des péninsulaire mais d’un autre côté, il était plutôt fluet.  « Un garçon dans une armure d’homme, comme Louis... Avant la guerre... Avant elle... » Se surprit-elle à penser non sans un pincement au coeur. Ses cheveux bruns foncés étaient en bataille, visiblement, il n’était pas très habitué à les porter aussi long, ce qui amusa la jeune femme. De manière générale, une douceur émanait de lui, une douceur tranquille et paisible, sereine presque.

Ainsi donc il était régent de ses terres et non seigneur. Elle se demandait alors quelle était son histoire et ce qui l’avait amené à tenir cette position qu’elle-même se devait de tenir. Toutefois elle n’osa pas encore poser la question. Peut-être que cela évoquerait de pénibles souvenir pour son interlocuteur...

Elle le regarda dégager un petit médaillon à l’effigie de la Damedieu qu’il lui montra. Elle se pencha alors en avant, se rapprochant ainsi de lui et se pencha en avant pour mieux voir, posant négligemment sa main qui enfermait le soyeux tissu, contre son cou. Elle écouta ses propos tout en plongeant son regard intrigués dans ceux du beau brun.

"Permettez-moi de vous dire cela. Mais je ne doute pas une seconde de votre force. Mais n'hésitez pas à donner à vos hommes non point des ordres mais une cause à défendre. Devenez une figure. Ne soyez point une simple régente temporaire. Vous devez être la Dame de Wenden. Celle que tous aiment comme leur fille, comme notre Mère à tous et pour laquelle il se battent avec la fureur d'Othar. Donnez leur cette raison et ils vous suivront jusqu'au domaine des Morts. Vous. Et votre neveu."

Elle était des plus étonnée des propos que lui tenaient le jeune homme. Il nourrissait une telle sagesse pour un homme aussi jeune. Depuis combien de temps au juste était-il régent? Peut être était-il déjà rompu à l’exercice?

Aliénor se redressa alors et se rendit soudainement compte qu’elle avait gardé dans sa main le mouchoir dont elle n’avait plus aucune utilité désormais. Elle le lui tendit alors afin de le lui rendre et le laissa libre de l’accepter en retour ou non.

- Plus facile à dire qu’à faire... Et si nous faisions quelques pas ensemble ? Dites-moi en plus sur vous.

Aliénor associa sa proposition d’un ravissant sourire. A vrai dire, elle n’avait pas grandement envie de devoir gérer éventuellement un nouveau scandale de la part de son prétendant Arnaud de Stern qui pouvait surgir à tout moment.

Les paroles de Philippe semblèrent trouver un écho chez Aliénor alors qu'il la regardait droit dans les yeux. L'éclat des fleurs de cuivre de la dame était si plaisant à regarder. Cet air doux et fragile, ces allures de chaton presque adulte perturbait Philippe. Il donnait presque envie de glisser son nez contre le cou de la jeune femme et s'y amuser à pousser le mouchoir du bout du museau. Mais il était un seigneur et elle une noble dame ! Point d'amusement de la sorte. Mais peut être pourrait il un jour ? Le seigneur eut un léger sursaut lorsqu'il remarque que la dame de Wenden lui tendait son mouchoir. Il sourit doucement et replia lentement les doigts de la jeune femme autour du tissu avant de prendre sa paume entre ses deux mains.

"Gardez-le Aliénor. Vous pourrez me le rendrez lorsque nous nous reverrons."

Philippe lança un regard éloquent à la dame et ramena leurs mains à hauteur de taille avant de la relâcher. Il ne regrettait aucunement son geste mais il espérait que nul ne les ai vu. Le geste pourrait bien paraître déplacé pour tout observateur extérieur. Mais la chance semblait être aux côtés des deux jeunes gens. Et en particulier de Philippe. Voilà qu'elle lui proposait de marcher quelques pas avec lui. Cela le ravissait. Il s'inclina légèrement et fit signe la jeune femme de commencer à marcher. Il lui emboîta le pas presque aussitôt. Songeur, il caressa son cou autour duquel pendant le pendentif de la Dame Dieu.

"Que-puis je dire de moi... Je ne suis qu'un simple Seigneur d'un domaine au nord-ouest du comté de Velteroc, sur les contreforts des Dents-de-Veltres. Ma famille tire sa réputation autant des terres calmes autour du domaine que de nos mines, en particulier de vif-argent. Notre nom vient de là... Enfin... Mon père était un proche de feu Nimmio de Velteroc. Lorsque j'ai appris qu'il avait suivi les ordres du comte et révoqué sa féodalité suprême au roi, je l'ai désavoué et quitté le domaine familial que j'ai pourtant protégé depuis le Voile souvent à sa place."

Philippe regarda la ciel assombri d'un air songeur. Dieux qu'il aurait souhaité se réconcilier avec son père.

"Mon père était un homme honorable. Comme tous les seigneurs de Velteroc. Seul Nimmio est un traître et un félon envers le roi. Ils n'ont fait que suivre le serment qui les liait à cet homme. Ils ont mérité la guerre mais point notre haine. J'ai donc fui pour le Nord où j'ai vécu à Serramire après un rapide passage à Sainte Berthilde. Mais je me suis longtemps tenu éloigné de la Cour. Les politiques locales m'étaient inconnus et je craignais de pêcher faute de connaissance."

Philippe regarda deux hommes se saluer d'une bourrade dans l'épaule et sourit, attendri. La franche camaraderie de l'armée féodale était parfois touchante.

"J'ai accompagné Son Altesse d'Erac dès que l'ost s'est formé. Mon père est décédé à Valdrant... Je suis donc le nouveau Seigneur de Montvif. J'ai appris qu'il n'avait jamais avoué à quiconque ma fuite et qu'il tenait un discours selon lequel je tenais le château... Je n'ai pas de regrets si ce n'est celui de pouvoir lui avoir dit merci pour cela..."

Les épaules du jeune homme s'affaissèrent légèrement tandis qu'il repensait à son paternel. Le chagrin enserra son coeur et son regard se voila légèrement. Puis il s'avisa qu'il en avait peut être trop dit autant d'un point de vue personnel. Aussi se redressa t'il et sourit tendrement à Aliénor.

"Mais je parle certainement trop ma Dame. Votre Grandeur excusez moi. Ne soyez pas défaitiste quant à vous faire aimer de vos hommes. Vous êtes belle et déterminée. Plus féroce qu'une chatte protégeant ses petits mais aussi douce qu'un chaton. Soyez-vous même. Et ils vous aimeront et vous respecteront."

"Gardez-le Aliénor. Vous pourrez me le rendrez lorsque nous nous reverrons."

Pour le coup, la jeune femme rougit jusqu’aux oreilles qu’on se montre aussi entreprenant envers elle. Surprise par ce geste, elle ne savait trop que faire, elle qui avait aimé pour la première fois il y a si peu de temps et qui avait vu cet amour rejeté de la pire manière et qui plus est pour une autre. Elle abandonna alors tout simplement sa main à celle de crt inconnu qui la fascinait et bredouilla faiblement :

- Me... merci.

Ils firent alors quelques pas durant lesquels il combla sa curiosité en lui relatant un peu son passé. Elle se sentit infiniment triste pour lui de la tournure qu’avaient prises sa relation avec son père. Elle allait lui en faire part lorsqu’ils croisèrent deux soldats qui se saluèrent avec une franche camaraderie. Dès qu’ils les remarquèrent, ils se dressèrent tout aussi sec, droits comme des piquets en les saluant. Aliénor leur fit un petit signe de tête, assorti d’un sourire amical. Il poursuivit alors son discours d’une manière très touchante. La belle rousse s’arrêta alors un instant et lui offrit un sourire amical mais des plus sincère.

- Pour ma part, je ne leur voue aucune haine. Nous avons seulement le malheur de ne pas être dans le même camps. Toutefois nous sommes tous tenus par nos serments. Vous avez fait preuve d’un grand courage en lui tenant tête et en suivant votre coeur. Néanmoins soyez sûr que par ce geste, il vous aura prouvé son amour paternel jusqu’au bout.

Elle compatissait sincèrement envers Philippe. Elle plongea alors un regard qui se voulait rassurant dans celui vert désormais mélancoliques du jeune seigneur. Elle glissa alors avec douceur sa main sur l’avant-bras du seigneur de Montvif, l’incitant à lui donner le bras. Ils reprirent leur ballade tranquillement.

"Mais je parle certainement trop ma Dame. Votre Grandeur excusez moi. Ne soyez pas défaitiste quant à vous faire aimer de vos hommes. Vous êtes belle et déterminée. Plus féroce qu'une chatte protégeant ses petits mais aussi douce qu'un chaton. Soyez-vous même. Et ils vous aimeront et vous respecteront."

Cette remarque eut le don de faire légèrement rire la jeune femme.

- Si on m’avait dit que je serait comparée à nos amis félins, je ne l’aurais jamais cru !

Il était gratifiant de voir un geste courtois gratifié d'une teinte de peau aussi écarlate que la chevelure d'Aliénor. Philippe feignit de ne pas regarder son embarras mais s'en réjouit intérieurement. Il craignait pour son premier présent être rejeté. Mais ses pensées se tournèrent bien vite sur ses pensées avec son père. Les paroles de la jeune femme lui apportèrent un peu de réconfort. Il était bon d'entendre quelqu'un ce qu'il ne cessait de se répéter pour se convaincre. Son père l'avait réellement protégé jusqu'au bout. Tout en étant un des rares Velteriens fidèles à la Couronne, il n'était aux yeux des autres que l'héritier arrivé au pouvoir après la guerre où son père avait été un fidèle du Comte. Une belle mais triste histoire en soit.

Un frisson parcourut Philippe lorsque les doigts de la jeune femme effleurèrent son bras. Malgré l'armure il ne pouvait ressentir la pression et la certaine douceur de la main mais le simple contact le laissait presque en émoi. Le seigneur de Montvif lui proposa cependant son bras et la guida doucement sur les chemins poussiéreux. Point de nature où se promener avec la jeune femme mais il connaissait un endroit où nul ne s'était installé et pourtant ne servait pas de décharge. Il avait été surprise de découvrir cet emplacement vide, à seulement quelques pas de son campement. Mais l'endroit le voyait souvent venir s'exercer aux armes ou y marcher depuis. Aussi y mena t'il Aliénor.

"Pourtant, je vous trouve des airs félins. Adorables entendons-nous. Mais la plupart des hommes ressemblent souvent à des animaux."

Philippe jeta un regard de conspirateur à la jeune femme et glissa ses lèvres près son oreille, bravant la barrière de ses boucles enflammées.

"Il me semblerait même dire que Lothaire des aurait des airs d'ours réveillé au cœur de l'hiver... "

Le jeune seigneur adressa un clin d'oeil à Aliénor puis écarta son bras libre pour embrassait d'un grand geste le pittoresque petit champ qui se dressait, vide, au coeur du campement.

La jeune Régente d’Arétria profita d’avoir une main libre pour ranger le petit mouchoir qui lui avait si gentiment été offert.

A peine eut-elle rangé le délicat tissu qu’elle se dressa sous la surprise provoquée par ce rapprochement du seigneur de Montvif qui lui chuchota avec humour une petite pic à destination du seigneur Lothaire. Aliénor pouffa et dit d’un ton tout aussi conspirateur en chuchotant :

- On dit bien de la baronne d’Alonna qu’elle est une arachnide. Je n’ai jamais compris pourquoi d’ailleurs. Vu son goût pour le veuvage, j’aurais plutôt parié sur la mante religieuse... pauvre régent de Saint-Aimé... il est prit dans ses filets. Il s’est même enroulé dedans avec plaisir...

Encore une fois un petit pincement au coeur vint lui rappeler de douloureux souvenirs et sa voix cette fois se teinta légèrement d’une certaine tristesse. Elle laissa son compagnon de ballade l’amener vers un petit coin reculé non loin de son campement. Un champs qui était laissé vide de toute présence. Arrivés là, il s’écarta d’Aliénor pour profiter de cet espace libre. La jeune femme, emprunte de liberté, dépassa alors son interlocuteur pour courir à en perdre haleine dans ce champs inespéré. Pour un instant, elle se laissait aller à retrouver sa joie de vivre qui la caractérisait. Pour un instant, elle redevenait elle-même, grâce à lui. Elle se retourna vers le seigneur de Montvif, rayonnante et s’exclama :

- Fabuleux !

Philippe rit doucement lorsque la jeune femme entra dans son jeu et compara la baronne d'Alonna à une arachnide. Le seigneur de Montvif comprenait parfaitement la comparaison. Il l'aurait même agrémenté d'une certaine espèce de créature à huit pattes dont le nom était plus qu'évocateur. Il ne connaissait guère le régent de Saint-Aimé mais il ne pouvait être qu'à plaindre. A moins qu'il ne fut le pendant masculin de la Baronne ?

Mais avant qu'il n'ait pu continuer sur sa lancée, il nota la note triste au fond de la voix de la jeune femme. Il ne savait pas si cette mélancolie concernait le régent de Saint-Aimé ou non mais Philippe pouvait comprendre qu'il semblait y avoir une affaire de cœur et de rejet derrière tout cela. Par respect pour Aliénor, il ne dit et se mordit l'intérieur de la joue pour éviter que sa curiosité ne prenne le dessus. Il ne pouvait point poser de questions trop embarrassante.

Par chance, leur arrivée brisa le silence et une folie heureuse anima la jeune femme. Philippe resta pantois lorsqu'elle se jeta dans une course joyeuse à travers le champ. Il n'avait pas pris la mesure de l'attachement de la beauté rousse à sa liberté et à la nature jusqu'à cet instant. Mais Philippe s'étonna à rester à la regarder courir, un sourire naïf collé aux lèvres. Lorsqu'elle se tourna vers lui, il pencha la tête sur le côté et lui sourit.

"Fabuleuse." murmura-t'il pour lui même avant de se mettre à courir dans sa direction pour la rejoindre. Il se laissa tomber en arrière et s'avachit délicatement dans l'herbe épaisse du champ. Avant de notifier que la jeune femme était toujours debout. L'horreur s'empara de lui. Etait-ce bien noble que de se rouler dans l'herbe avec la régente d'un Comté ? Le voulait il ?

"Excusez moi Aliénor. Je me suis laissé aller au repos sans penser aux conventions... "

La jeune femme profitait là d'un moment de pur bonheur. Combien elle sentait là son coeur léger ! Elle était bien loin de toutes ses préoccupations et cet instant magique resterait gravé dans son coeur pendant longtemps.

Elle fut rapidement rejointe par le jeune seigneur de Montvif qui dans un élan s'allongea en plein milieu du champs.

Aliénor ne savait pour qu'elle raison elle était restée debout et ne s'était pas jointe à lui. Peut être était-ce encore ce poids si lourd de ses obligations qui l'en empêchait. Il fallait dire qu'il y a peu, elle s'était mise dans une situation relativement compliquée avec laquelle elle ne savait pas se dépêtrer. Elle avait bien tenté d'arranger les choses avec Arnaud de Stern mais malheureusement et pour sa plus grande tristesse, la situation loin de s'améliorer s'était au contraire, empirée.

"Excusez moi Aliénor. Je me suis laissé aller au repos sans penser aux conventions... "

Elle le regarda et lui sourit sincèrement mais non sans tristesse et mélancolie. Elle adorerait pouvoir actuellement se laisser aller, être une femme comme les autres et se rouler dans l'herbe en bonne compagnie sans que ce ne puisse être mal perçu, sorti de son contexte et finalement retourné contre elle.

- Ne vous excusez point de vous montrer vous-mêmes. N'oubliez jamais comme c'est important de ne pas perdre de vue qui l'on est. J'aimerai bénéficier encore de la même liberté...

Le visage fin et hâlé de la jeune femme se referma, laissant place à celui grave et triste d'une femme à que l'on avait enfermé dans une cage dorée. S'il la comparaissait un peu plus tôt à un animal, Aliénor était un oiseau sauvage que l'on tentait d'enfermer dans des cages de plus en plus petites à son goût. Par devoir, elle avait tenté de s'y faire mais elle n'y parvenait pas. Elle avait l'impression de tout faire de travers. Elle commençait à perdre pieds et la pression que ses vassaux sternois lui mettaient ne l'aidait en rien. Elle se retourna alors, pour s'isoler un peu sans vraiment le faire et surtout pour confier ces choses difficiles et ne plus se sentir aussi seule qu'elle l'était peut être. Mais pouvait-elle avoir confiance ? Après tout le jeune homme ne s'était-il pas lui-même confié un peu plus tôt ? Elle se lança alors.

- J'ai perdu mon frère le Grand Chancelier et Comte d'Arétria il y a presque un an. Je vous passerai les détails de l'histoire mais pour sauver mon neveu, j'ai dû prendre les armes et rejointe par nos alliés et vassaux, j'ai repoussé l'assaut de mon beau-frère qui tentait de reprendre le Comté par la force. Nombre d'âmes furent sacrifiées ce jour mais nous sommes parvenus à maintenir l'ordre. Ewald a fuit, nous ne savons pas où il se trouve. Il s'est avéré qu'il fut décidé par les vassaux du Comté que l'on me confierait la régence de mon neveu. Mon frère avait le vieux projet de me marier à Arnaud de Stern, le petit fils d'un de nos plus importants vassaux. En termes militaire ils ne pèsent pas assez dans la balance contre moi mais leur nom a une histoire bien plus forte. Je me suis toujours opposée à ce projet et je le croyais enterré mais les évènements ont fait que les sternois s'en sont bien rappelés et à peine j'appris la mort de mon frère qu'ils exercèrent sur moi toute la pression dont est capable un vassal sur son seigneur pour m'obliger à accepter ce mariage. Avant la guerre je me suis donc engagée et suis fiancée à cet homme. Toutefois entre temps, j'avais nourri une inclination pour mon suzerain Louis de Saint-Aimé. Je pensais ces sentiments réciproques et je dois vous avouer que je m'attendais à une main tendue de sa part qui me sauverait de l'emprise des Stern. Toutefois il n'en fut rien, pire, il me repoussa sèchement, amoureux d'une autre qui l'a séduite et prise dans ses filets, une femme expérimentée qui connut par deux fois le mariage déjà et qui sait comment ravir le corps, le coeur et l'esprit d'un homme. Cela n'aurait aucune importance si ce ne fut pas vu par Arnaud qui me frappa au visage de rage. Aliénor montra alors sa joue, ornée d'une petite cicatrice encore rosée. Je rompis alors les fiançailles. Toutefois les choses sont claires : le mariage ou la guerre civile. Depuis je tâche d'arranger les choses en apparence tout du moins, mais tout va de mal en pis. Voyez-vous je n'aime pas cet homme, pire que cela, je ne le supporte pas. Il est arrogant, méprisant, suffisant... Je les vois d'ici crier à tout allant que je n'ai pas respecté mon serment. Pauvre sexe que nous sommes, nous n'avons que des devoirs et aucun droit. S'ils se laissaient faire, ils demanderaient sans doute à un tribunal des vassaux de prouver que je suis pucelle. Comment pourrait-on être plus humiliée que cela ?

Pour la première fois, Aliénor s'était confiée sur ses tourments alors qu'elle avait fait preuve jusque là d'une infinie discrétion. Si elle avait confié ses forces, elle avait également assumé ses faiblesse. Elle se sentait dépassée par la situation et à vrai dire, elle ne savait comment faire pour se libérer de tout ceci. Elle se sentait à la fois honteuse et humiliée rien qu'à se confier sur ce sujet. Peut-être n'aurait-elle pas dû ?

Par chance, la jeune femme ne prit pas ombrage de voir ainsi vautré le seigneur dans l'herbe moelleuse. Mais il eut la surprise de ne pas la voir le rejoindre. Philippe avait compris l'impulsivité d'Aliénor et ne doutait pas qu'en d'autres circonstances, elle aurait roulé dans le lit végétal à ses côtés. Mais chacun de ses sourires francs semblait doublés de grande tristesse et de mélancolie. Quelque chose semblait la ronger peu à peu, déchirer sa joie de vivre et ses valeurs. Philippe aurait souhaité l'aider mais il craignait de se montrer indiscret. Malgré tout lorsqu'elle se retourna, le seigneur de Montvif craignit qu'elle ne s'échappe en courant et se redressa sur ses coudes, prêt à bondir sur ses pieds et la rattraper pour la rassurer. Mais il n'en fut rien et le chevalier se détendit légèrement, l'expression troublée. Que lui avait valu un tel tourne-face si soudain ? Heureusement, la réponse vint vite.

Philippe resta de marbre quelques secondes après avoir reçu toutes les informations. C'était un condensat dense pour le le seigneur. Mais peu à peu tout se mit en place et une profonde compassion enserra son cœur accompagné de sa sœur la peine. L'histoire de la jeune femme était touchante et surtout révoltante. Pour avoir eu une mère aimante et dirigeante, Philippe n'hésitait pas à comparer la plupart des femmes à des égales. Le fait que les vassaux aient pu lui forcer la main dans ce sens était révoltant. C'était une façon d'écraser son nom et lier le nom de Wenden aux vassaux qui en tireraient bien du prestige et du pouvoir.

Dieux que Philippe se sentait ridicule avec ses discours de plus tôt. Il se leva alors.

"Je... Je ne savais pas Aliénor. Vous me voyez pas peiner. Je tiens à vous féliciter pour avoir su déjoué les odieux complots de cet Ewald. Vous avez montré votre force dans cette épreuve. Mais le chantage abominable est intolérable ! Il ne devrait même pas avoir lieu. Je me vois navré pour votre déception concernant St Aimé... Cela doit être dur à encaisser ainsi que la rage de votre prétendant. Si je le croisais en dehors de la guerre, je lui demanderai un duel."

Philippe contourna la jeune femme et prit ses deux mains dans les siennes. Il les amena à sa bouche et déposa un chaste baiser sur le dos de la dextre d'Aliénor.

"Vous êtes libre Aliénor. Vous êtes Sa Grande la régent du comté. Imposer votre pouvoir et celui de votre neveu. Défendez vous. Nul tutelle ne vous retient. N'oubliez pas cela. "

Le seigneur de Montvif sourit d'un air encourageant à la jeune femme.

Sincère, ou intéressé ? Aliénor voulait croire que la bienveillance du seigneur de Montvif à son égard était réelle, mais comment le savoir ? Elle sourit malgré elle en l'imaginant défier Arnaud de Stern en duel. Dans une autre vie, elle aurait aimé voir ça. Elle voulut dire à son interlocuteur qu'il n'était qu'un doux rêveur, idéaliste et ne mesurant pas la conséquence de ses actes, mais il la prit de court en lui baisant la main. Elle se sentit rougir, un peu embarrassée, et alors qu'elle cherchait ses mots, la « guerrière » trouva le moment le moins opportun pour refaire surface. Aliénor fronça les sourcils ; depuis combien de temps les épiait-elle ? La guerrière déboula comme une mouche dans la soupe, rompant la magie du moment tout en proférant des sous-entendus sur les Arétans, et sermonnant Aliénor qui, semblait-il, affichait un peu trop sa faiblesse.

Aliénor se sentit piquée au vif ; que la guerrière sorte de sa condition était fréquent, mais elle se permettait à présent de l'humilier devant le chevalier de Montvif !

« Je dois rentrer », s'excusa-t-elle auprès du chevalier. Et, entraînant la guerrière avec elle, contint sa colère assez longtemps pour la laisser s'exprimer une fois qu'elles furent suffisamment éloignées : « je n'ai pas besoin de vous pour me dire qui est la faible et qui est la forte ; vous n'avez aucune empathie, aucune attache, et, je gage, aucun ami. Ne venez pas me dire que vous savez ce que c'est que d'affronter la tristesse et de réprimer des sentiments. Vous ne connaissez rien de tout ça, et ne savez rien du tout d'ailleurs, puisque vous n'êtes rien. » La colère apaisée, elle inspira profondément, expira, puis ajouta : « j'ai reçu des nouvelles troublantes en lien avec mon défunt frère. Je dois partir dans le sud. Je pense que c'est le moment où nos chemins se séparent. »