Sur le chemin de pavés [Solo]

Le ciel était d'un beau bleu clair immaculé en ce dixième jour de marche à travers la Route du Méroca. Le soleil tapait fort et la chaleur ralentit ses pas. L'elfe sylvain n'avait croisé que peu de gens depuis son départ et les quelques-uns le dévisagèrent, le regardant comme un étranger, un sauvage. Les résidents de Quatrième Saison n'étaient pas favorables aux Noss et celui-ci le savait par les enseignements du Maître Hibou alors, s'y étant préparé, ne les regardait pas lui-même et passait son chemin. Durant son long parcours, il se nourrit de quelques baies trouvées aux abords de la route, de gâteaux au racine fourrés et de quelques gorgées d'eau tiède emplissant sa gourde qu'il remplissait au fur et à mesure à quelques points d'eau environnant la route. Les nuits, en retrait, sur la terre, n'étaient des plus confortables et rassurantes, ne dormant que très peu, et la fatigue le tiraillait. Pourtant, il n'était encore qu'à mi-chemin de Faelodën, à dix jours de marche plus précisément. Il n'y arriverait pas en continuant ainsi, il en était persuadé. Au fin fond de la Prime Forêt, il aurait bien pu survivre des mois mais du côté du sentier artificiel tout était inerte, la nature accablée et triste. Un léger son tintant derrière lui chatouilla ses longues oreilles et, s'en retournant, aperçut une roulotte tractée par deux grands chevaux bruns et arpentant les pavés du chemin de pierres fractionnées. A son bord, une famille d'elfes tranquille. Une petite bambine s'amusait avec une poupée un peu chiffonnée, à l'arrière du chariot, et en face d'elle était assise sa mère confectionnant quelques friandises à base végétale. A l'avant, un jeune garçon surveillait la route auprès de son père qui, lui, dirigeait l'infrastructure roulante. Ils étaient habillés de façon modeste, certainement des citadins, se disait l'elfe sylvain en les regardant s'approcher. Quand enfin le chariot s'arrêta prés de lui, Padävi leva le regard, une main posée à son front pour y contrer les lueurs éblouissantes du soleil.

« Bonjour, voyageur ! Où faites-vous donc route comme ça ? » commença le père d'un large sourire.

Padävi ne dit mot, bifurqua sa tête vers l'horizon coupant le chemin de pavés orangés devant lui, puis releva les yeux vers l'elfe citadin.

« Faelodën, monsieur.
— Ouh, c'est loin, très loin ! Vous ne comptez tout de même pas y aller à pied ? »

Le jeune explorateur haussa les épaules, un peu fatigué, se disant en lui-même ; « pourquoi pas ? »

« Allons donc, montez, jeune homme ! Ne soyez pas timide, nous y allons nous aussi ! Nous revenons d'Actellys où nous y avons vendu du bric-à brac artisanal. Notre ferme se trouve à l'entrée de Faelodën. »

Padävi regarda les deux grands chevaux bruns muselés, et bien que ne cautionnant pas ce genre de pratique esclavagiste dut se rendre à l'évidence ; en dix jours de marche, une opportunité comme celle-ci ne pouvait se refuser car trop affaibli. Il soupira de fatigue, hésitant quelque peu.

« Galaël, aide donc le voyageur à grimper ! » dit le père à son fils qui lui tendit le bras.

L'Ornedhel la lui attrapa et s'assit sous la toile d'ombrage à côté de la femme confectionnant quelques gâteaux de fruits et de feuilles d'Armoise aux pucelles. Elle lui sourit et l'en offrit un. Padävi l'a remercia par un sourire croisé et goûta le délicieux met.

« C'est succulent…, merci beaucoup, essaya-t-il de dire un peu gêné en mangeant.
— De l'abricot écrasé avec de la pâte d'Agaïsta Ynuelth, toute la famille en raffole ! »

La petite fille, en face de lui, le regardait fixement, obnubilée par son regard vairon.

« C'est bleu et c'est vert…, dit-elle à sa mère en pointant du doigt Padävi qui en sourit.
— N'embête pas le monsieur, Loulä », gronda la maman d'un ton léger.

La bambine lui tendit sa poupée chiffonnée, à quelques centimètres de son nez.

« C'est Nïnï !
— Nïnï…, répéta troublé le jeune elfe en regardant l'être désarticulé pendouiller le long du bras de la gamine.
— Nïnï ! reprit-elle avec insistance en rapprochant celle-ci du visage de Padävi.
— Enchanté, Nïnï. »

La petite elfe se mit à rire, folle de joie.

« Moi, c'est Loulä !
— Enchanté, Loulä ! » suivit le jeune homme en hochant la tête.

Le voyageur en rit, ne sachant trop quoi dire et se présenta à son tour.

« Padävi, prononça-t-il en se montrant lui-même du doigt.
— Padällï !
— Non, Padävi.
— Padällï ! » s'efforçait-elle de dire une seconde fois.

Quelques sourires s'échangèrent ainsi, puis tout le monde se présenta. Il y eut peu de questions, quelques remarques amusées durant le trajet, notamment des origines et du parcours de l'elfe voyageur, et aussi des animaux.

« Mais tu sais, Padävi, continua d'une discussion tranquille Siväné, le père, nos chevaux sont heureux, nous les nourrissons bien, nous les aimons comme faisant partie de notre famille.
— Oui, mais ne seraient-ils pas mieux en liberté, comme nous tous ? s'en suivit l'elfe sylvain sans y attendre de réponse, mais à simplement faire réfléchir son interlocuteur.
— Hum, je pense qu'ils se suffisent à cette vie.
— Peut-être voudraient-ils, comme vous, fonder une famille eux aussi.
— Mais…, commença la petite en mâchouillant la longue oreille de sa poupée, Timë et Mavï sont des garçons. Ça va pas deux papas ! »

Tout le monde se mit à rire, sauf la bambine formant une drôle de baboue, et la route continua ainsi en direction de Faelodën.

Durant huit jours, la roulote de la famille Yunsë traversait la Prime Forêt sur le chemin orangé. Le père, toujours au commande du chariot, aimait siffloter quelques airs de chansons elfiques semblant connus en les grandes cités d'Anaëh pendant que Galäel, son fils, fier d'être à ses côtés, scrutait la route de ses yeux d'aigle. A l'arrière, sous l'ombrelle, Vassïlla s'occupait de nourrir tout le monde et fut bien moins encombrée à la surveillance de sa petite fille ayant trouvé en Padävi un protecteur vigilant, un grand frère de cœur. Les deux elfes étaient souvent, en pleine journée, à marcher derrière le convoi de bois. Loulä avait trouvé sa place, assise sur les épaules du jeune elfe qui s'amusait à lui faire peur mais s'y résigna bien vite à la témérité de la bambine.

« Plus vite, Padällï ! Plus vite ! » s'écriait-elle en lui tapotant la tête, les yeux emplis de merveilles.

Et l'elfe se mettait à courir autour du chariot, allant de plus en plus vite sous les cris d'euphories de la petite Loulä sans jamais qu'elle ne cesse de vouloir arrêter, si bien que Padävi devait souvent se reposer. Mais grondé par celle-ci, il s'en voyait bien vite reparti de plus belle.

« Doucement, ma puce, tu vas tuer Padävi ! » répétait souvent Siväné de son rire communicatif.

Et le soir, l'adorable fillette discutait de tout et de rien avec son nouvel ami, du ciel et des lunes, des étoiles et des constellations, et plus rien ne pouvait l'arrêter à part le sommeil. Padävi, à cela, la regardait s'endormir en souriant avant de discuter de choses et d'autres avec le couple.

« Elle t'aime beaucoup, tu sais, avoua avec douce sincérité Vassïlla.
— Je sais, en sourit Padävi en replaçant Nïnï la poupée dans les bras de Loulä endormie.
— D'ici un ou deux jours, nous arriverons à destination, commença le père à l'avant, si tu le souhaites, mon grand, tu pourrais travailler à la ferme, nous avons toujours besoin de quelqu'un.
— Comme ça, ça me fera moins de travail ! s'exclama Galaël l'air enthousiaste.
— Ouh, non, non, fiston ! Et puis quoi encore ! » s'interloqua Siväné en frappant gentiment la tête de son fils.

L'elfe sylvain, ému, y songea, les yeux rivés vers le ciel étoilé, le regard orné de scintillantes perles.

« Nous sommes tous égaux, Noss ou pas, nous ne sommes pas comme tous ces citadins, c'est bien pour ça que nous nous sommes installés un peu à l'écart, continua le père pour le rassurer, espérant qu'il accepte la proposition.
— Je ne sais pas…, c'est gentil…, balbutia l'elfe.
— Tu as une famille Padävi, elle attend ton retour lorsque tu auras trouvé ce que tu cherches, nous le savons. Si ce n'est pas pour cette fois, ça le sera pour une autre. Notre porte te sera toujours ouverte, fut les mots rassurants de Vassïlla qui l'apaisa comme si elle était sa propre mère, le fixant intensément de son regard compatissant.
— Réfléchis-y, mon grand », en conclut Siväné d'un clin d'œil complice.

Cette nuit là, Padävi eut du mal à trouver le sommeil tant il s'interrogeait de son avenir, et comme à chaque réveil de Loulä en plein milieu de la nuit, elle se rapprocha instinctivement de l'elfe et se blottit contre lui en compagnie de sa poupée.

« Moi, je veux que tu restes », échappa-t-elle somnolente comme si cette phrase sortait d'un rêve.

Padävi la serra contre lui et s'endormit.

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