Comment juger un daedhel ? | Loeth, Haly et Nera

Neuvième ennéade de Verimios,
De la dixième année du onzième cycle.

Ce moi avait été chargé en émotions pour Anorn. Le retour de son frère l’avait libéré d’un poids et il était revenu bien en charge de ses fonctions. Alors il avait fait quelques visite, organisé des rencontres et n’avait finalement pas vraiment profité d’Aldartha. Ce dernier avait pu être présent pour ses fils et avait, d’une certaine manière, soulagé Arwain. Tant qu’il ne reprenait pas vraiment bonne mine, la question de repartir en Quatrième Saison ou d’être présent dans le palais officiellement, n’était pas d’actualité. Aujourd’hui, il avait donné rendez-vous à trois elfes et la Haute-Prêtresse de la Mère. Il n’était dans cette affaire rien d’autre que l’organisateur, voire le médiateur. Il n’avait aucun pouvoir de décision et s’il avait voulu assister à cette réunion c’était uniquement pour savoir ce qui allait s’y dire ou conseiller tout au mieux. Mais il n’avait pas voix dans ce procès, car il se déroulait sous la direction directe du culte. Tant mieux, parce qu’il n’aurait sans doute pas été si clément. Un ancien adversaire, qui avait détruit et blessé nombre d’elfes, demandait maintenant l’asile. Impensable.

Il avait demandé aux elfes les plus éminents du culte, non pas seulement la Haut-Prêtresse mais aussi ceux qui avaient un réel avis à donner, de lui accorder une entrevue. Une fois obtenue, courant neuvième ennéade, il avait prévenu Neraën, Halyalindë et Loethwil. C’étaient eux, les premières victimes du sombre qui voulait devenir elfe. Anorn n’était pas à l’aise avec cette idée. La dernière fois qu’un drow avait résidé au sein de la Prime Forêt, les choses avaient très mal fini. Mais heureusement pour cet énergumène, il n’était pas en charge de tout ceci. S’habillant simplement d’une robe au tissu léger, il tira ses deux mèches de devant vers l’arrière, où il les épingla simplement. Ils devaient se réunir dans une salle non loin du temple, hors du palais. Tout pour lui rappeler qu’il n’était pas au centre en ce jour. Saluant très respectueusement les membres du culte, il ferait de même avec les autres invités, avant de s’effacer. La suite n’était pas de son ressort. Lui qui ouvrait d’ordinaire les réunions laissait sa place à la Haute-Prêtresse. Ce n’était pas un Haut Conseil et les rôles s’étaient inversés.

Elle avait attendu. Elle avait écouté. Elle avait observé. Bien peu de ceux qu'elle avait tenté de prévenir avaient répondu à son appel. Ceux qui étaient venus étaient soit les plus en paix, soit les plus gravement touché par les évènements d'Eraison et Ellyrion. Dans son altruisme, elle avait commis l'erreur d'expliquer au Capitaine des Auxiliaires la véritable nature de leur hôte. La guerre laissait des marques profondes et repenti ou non, pour ceux qui avaient perdu leur âme sœur, un ennemis restait un ennemis.

Malgré d'autres entretiens moins funestes, c'était donc avec une certaine mélancolie que la Servante avait répondu à l'invitation du régent, entourée de son chapitre de sept prêtres et prêtresses. Il était rare de voir la Haute prêtresse quitter le temple et les jardins sacrés. Encore plus rare de la voir hors des fêtes et des grands rassemblements diplomatiques. Par respect pour l'équilibre précaire que risquait de toucher le sujet dont ils devaient tous s’acquitter, le chapitre et elle s'étaient donc déplacé sous de longues capelines aux capuches profondes. Les Voilés étaient suffisamment nombreux dans cette partie de la cité et le chemin suffisamment court pour qu'ils n'attirent pas trop l'attention.

Arrivés à l'heure dite, ils découvrirent avec surprise qu'Anorn et Halyalindë étaient les seuls présents. Dans la salle ou se dérouleraient les échanges, la Main ôta sa cape, dévoilant sa couronne de vigne sur laquelle poussaient en rang serrés des fleurs aux couleurs estivales et sa simple robe blanche et verte marquée du symbole de la Mère. Se petits yeux vert pâle se posèrent avec une bienveillance teinté de chagrin sur ses deux hôtes tandis que l'un de ses conseillers se portait à sa hauteur pour la débarrasser.

Halyalindë, levée au moment ou elle avait fait son entrée, se plia en deux avec tout le respect du à une foi réelle. Deux pas et la haute femme aux longs cheveux d'un châtain délavé posait une main sur l'épaule de l'ardamirie pour lui signaler qu'elle pouvait se redresser. Elle ne lui accorda pourtant qu'un sourire amical accentuant les légères rides qui marquaient son visage avant de se tourner vers le régent.

- Merci d'avoir organiser cette rencontre mon fils. " Elle avança vers lui pour prendre ses mains dans les siennes. Les yeux expressifs de la prêtresse cherchaient avec douceur ceux d'Anorn. Elle se pencha légèrement vers lui pour ajouter un ton en dessous " La Mère se réjouit de savoir ta famille enfin au complet. Puisse Sa Bénédiction vous apporter la paix que vous méritez. "

Puis ils s'installèrent jusqu'à ce que chacun soit arrivé et prêt à partager son expérience.

- Je vous remercie tous d'être venu aujourd'hui pour discuter d'un sujet qui ne peut être pris à la légère. J'en appelle à la Mère pour veiller sur nos discussion et nous éclairer de Sa sagesse et de Sa bienveillance. " le dos droit, les doigts croisés, elle sourit à l'ensemble des personnes présentes. " Heri Halyalindë m'a demandé il y a plusieurs ennéades de présider au jugement de l'homme qui s'est lui-même choisi le nom de Hecil. Mais je ne peux décemment le faire sans vous entendre à son sujet. J'aurai aimé que plus de victimes de ses actes le rencontre avant que nous en arrivions là, mais il n'est pas bon de repousser ce genre de décision. Aussi, j'aimerai que vous vous exprimiez librement au sujet de la sentence qui vous paraitrait appropriée et de vos motivations. "

Tu soupires bruyamment, massant longuement ton cuir chevelu pour qu’y pénètrent le cocktail d’essences dont ta mère prétendait moitié sérieusement avoir le secret. Tu devrais te détendre, normalement, profiter de l’odeur sucrée, des vapeurs d’eau chaude et de la sensation de libérer ta peau des poussières nocturnes. Se laver devrait être un moment de repos, seulement les choses changeaient, lorsque se laver devenait une part du rituel de préparation à une aussi importante entrevue.

C’était la première fois, la toute première fois, et ce serait très certainement la dernière avant de longs Cycles, que vous vous trouviez face à un tel cas. La Mère s’était attachée à un Drow, l’avait arraché à l’influence de Calimenthar, et lentement mais sûrement, le refaisait sien. Tu en étais persuadé, pour peu qu’on lui offre les conditions nécessaires, et pour peu que l’on sache l’encadrer et limiter les risques, Haldren pourrait un jour trouver une place parmi vous. Peut-être même l’Archimage Noir pourrait-il un jour se prouver un élément précieux. Il avait beaucoup vu. Il avait beaucoup appris. Il avait beaucoup à montrer, et beaucoup à enseigner, tant en érudition qu’en leçons de vie. Il avait tant à apporter à vos sciences matérielles qu’à vos sciences sociales…

Mais qui à part toi serait capable de voir tout cela ? Qui aurait assez foi en la Prime Déesse pour accepter le fait que son amour soit allé jusqu’à lui être offert à lui ? Qui aurait assez foi en la Prime Déesse pour imaginer qu’elle ait pu réussir à le convaincre ? Haldren avait été un meurtrier, un menteur, un esclavagiste et un violeur. Comment prouver qu’il ne l’était plus ? Ne serait-ce pas plus raisonnable que de ne pas prendre ce risque ? Plus raisonnable, certainement oui, et ça Tebryn vous l’avait prouvé. À cause de Tebryn, aujourd’hui tu te retrouverais seul, seul contre le monde, seul contre ton propre peuple, à défendre celui qui fut il y a si peu votre ennemi.

Tu risquais gros.

Pensif, tu trouves un certain réconfort dans l’odeur d’Yriaë, dont tu retrouves encore les traces dans le tissu dans lequel tu te sèches. Yriaë… quand la druidesse se prouvait plus accueillante face à l’ancien Eldéen que les Citadins réputés plus ouverts à l’extérieur que les Ornedhels, la situation devenait vite rocambolesque. Au moins aujourd’hui, tu pouvais te rassurer en te disant que si la ville te condamnait pour ta foi, alors celle que tu aimes serait prête à t’accueillir à ses côtés.

L’écorce de Curulotsë se referme sur tes jambes, tandis que ses tiges les plus fines s’enroulent autour de tes bras et de ton torse pour en épouser les contours. Le fin manteau de toile d’araignée offre une apparence plus habillée à ta tenue, et les ailerons du chapeau sous lequel tu as rassemblé tes cheveux terminent de te rendre présentable. Il est un dernier détail cependant qui manque à ta tenue. Qui te manque du moins. Tu souris, attrapes une chaînette et l’un de tes grimoires vierges. Voilà longtemps que tu n’avais plus eu l’un de tes manuscrits en bandoulière.


Halyalindë, Anorn et les représentants du culte étaient déjà à s’installer au moment de ton arrivée, et ton entrée n’en fut que plus remarquable. Une démarche souple, semblant incroyablement légère pour quelqu’un de ta carrure. Un vêtement particulier, semblant à la fois ne pas savoir ce qu’il voulait être et être exactement ce qu’il fallait. Un regard d’une tranchante douceur. Des salutations sans mots, tant pour le Régent que pour l’ancienne Protectrice, et tant pour la Haute-Prêtresse que pour le reste des représentants du culte.
Par politesse, tu tombes le chapeau juste avant de prendre place, et à partir de ce moment tu attends. Tu jauges des invités du jour, de ce que semble être leur humeur, et du peu transparaissant à travers le discours de La Main. Tu attends que les mots fusent, que les accusations s’amassent, tu attends de comprendre où ils en sont.

Les convaincre de laisser la vie à celui qui avait fait son nom d’un sobriquet ne serait pas chose aisée.

La Haute-Prêtresse venait d'ouvrir l'ultime discussion qui aurait lieu à ce sujet et le tour de table commençait... Par la femme à sa droite.

Halya avait regardé en silence les arrivants s'installer. Ils étaient peu. Bien moins que ce qu'elle aurait escompté en confiant Haldren à la garde du Culte. Mais peut-être était-ce mieux ainsi ? Le plus étonnant était de voir Estiam à la table. Alors il avait été prévenu. Elle le regarda a peine, refusant de se laisser aller à un surplus d'émotion qui n'avait pas lieux ici. Elle escomptait bien que ce soit le dernier conseil auquel elle participerait. Elle ne voulait plus avoir cette charge monstrueuse sur les épaules.

Mais elle se leva pour s'exprimer à la demande de la Main.

- Je tiens à précisé que j'ai remis cet homme entre les mains du Culte car je ne me considérais pas comme suffisamment objective envers lui. Depuis, j'ai passé du temps avec lui au sein du temple et il m'a aidé à trouver un remède à une infection drow s'étant déclarée sur un groupe de diplomate frontaliers. Je ne vous cacherai pas qu'il n'ait a aucune preuve qu'il n'ait pas pris part à la création de ce mal avant son arrivé pour s'en servir de preuve de bonne foi, mais son comportement et les discussions que nous avons eut m'invitent à croire qu'il est sincère. Je crois réellement qu'il souhaite retrouver ses racines elfiques et qu'il a exercé son libre arbitre pour revenir vers la Mère comme ses ancêtres ont put l'utiliser pour lui tourner le dos." Elle souffla. Le plus dur était dit... " Mais je crois également que quelques ennéades de repentances sincères ne suffisent pas a excuser une vie de destruction, de violes et de meurtre. Nous ne connaissons rien de lui ou de sa vie, rien de ce qu'il a put traversé et rien des alliances et des ennemis qu'il a contracté jusqu'ici. Nous ne le conaissons qu'à travers deux évènements qui ne représentent d'une poussière dans une vie de Mille ans et qui pourtant sont déjà une preuve de barbarie bien plus grande que celle des drows moyens. " Elle passa les doigts dans ses longs cheveux roux, faisant ressortir sans le savoir la mèche blanche qui l'agrémentait depuis Eraison. " S'il peut être la preuve que les drows peuvent nous revenir, il est aussi un danger bien plus grand que Tebryn, et il est encore en phase de transition. L'enfermer ne rime à rien. Ses pouvoirs sont si grand qu'il peut même se téléporter au seuil de la mort, nous en avons eut la preuve a Eraison. "

Bon le plus dur n'était peut-être pas encore dit. Elle avait préféré passer sous silence le culte du Chaos et autres étranges observations qu'elle avait fait durant le peu de temps qu'elle avait passé prêt de lui. Il ne fallait jamais qu'il sache quelle sentence elle demanderai pour lui. Elle avait même un goût de bile dans la bouche rien qu'à la pensée de prononcer ces mots.

- J'ai envie de le passer par le fer moi-même... Et très honnêtement, je n'en reviens pas moi même de ce que je m'apprête à dire... mais je crois qu'il ne faut pas essayer de le brider magiquement. Il faut l'accueillir parmi nous à bras ouverts tout ne lui demandant que d'apprendre notre façon de vivre, de penser et de voir le monde." Non. Elle ne pensait pas que quelques ennéades permettent d'effacer des siècles de mal. " Si nous préférons lui faire payer ses actes passés que de l'aider à les comprendre et à les accepter comme nous le faisons pour les nôtres, est-ce encore de la justice... ou est-ce de la vengeance. Il est certain à mon sens qu'il ne peut pas être laissé seul en liberté pleine et entière. Il doit choisir lui même de respecter nos règles en comprenant leurs fondements, leurs raisons d'être. Plus tard il pourra peut-être nous apporter quelque chose, mais nous ne devons pas l'accueillir en pensant avoir quelque chose à y gagner. Ce n'est pas la façon de penser que nous enseigne la Mère. Nous devons l'accueillir avec bienveillance comme nous guiderions un elfe qui s'est égaré. Nous devons apprendre à le connaitre, mais surtout, il faut qu'il devienne l'un des nôtres de fait et de cœur, ce qui n'a jamais été demandé à Tebryn. Il faut qu'il comprenne quel mal il a fait et que nous apprenions exactement quels ont été ses actes pour le réhabiliter. "

Veille du jugement, suite au repas avec Anornedellon

Comme lors de nombre de débuts de nuits, le calme régnait dans le Premier Sanctuaire de Kÿria. Les animaux diurnes s'en étaient retournés à leurs terriers, les Elfes à leurs lits et le Chant lui-même se faisait plus doux. Un calme serein prêt à apaiser n'importe quel coeur, n'importe quelle conscience pourvu qu'elle le désire. Pourtant, un sursaut fragile put se faire ressentir chez ceux possédant le don d'écoute. Un sursaut empli de plusieurs émotions, dont une colère retenue.

Le Souffle passa silencieusement, sans perdre de temps à chercher qui il devait rencontrer. Sa marque avait changé depuis cet évènement mais pas assez pour qu'il ne la reconnaisse pas en entrant dans le lieu. Alors, sans faire plus attention à la différence flagrante qui se trouvait chez l'individu, il s'approcha de celui qui était auparavant appelé Haldren Baenfere, faisant en sorte d'arriver dans son dos. Le fin bruit d'une lame sortant de son fourreau se fit entendre de l'ancien drow mais n'eut-il pas le temps de réagir que le froid de l'acier caressait son cou. Très bien maîtrisée, l'épée n'avait aucunement fait couler le sang. Ce fut une voix glaciale et tout aussi contrôlée qui prit le tour.

"Comment se fait-il que vous puissiez vous trouver en un tel lieu ?
Haldren poussa un soupir de résignation.
- Vous êtes le troisième en quelques jours à m'agresser ainsi de dos. Loethwil et Halyalindë ont réagi de même... cela sembre montrer une intéressante systémique comportementale"

Discretement l'hybride avait preparé un sortilège de bouclier au creux de sa main, prêt à le lancer si le nouveau venu se montrait agressif

"Pour répondre à votre question, je suis ici sur autorisation de la Main... temporairement bien entendu.
L'elfe ne bougea pas d'un pouce.
- Je m'étonne que vous n'ayez tout simplement pas été tué suite à ce que vous avez fait à Eraïson. Je ne resterai pas ; dites ce que vous avez à dire avant que je ne reparte pour le tribunal.
- Très drow comme attitude" répondit sèchement Haldren. "Jugement expéditif, refus de la remise en question."

L'hybride se leva et s'éloigna de Neraën.

"Eraïson... toujours Eraïson. Si pour vous je me réduis à cette erreur, à cette journée terrible où j'ai été la cause de centaines de morts, alors tout ceci est inutile."

*Soupir de lassitude*

"Trois mille drows sont morts à Yutar voilà quelques ennéades. Massacrés par les noss. Appelez-vous leur chef un meurtrier ?
- En quelque sorte il l'est. Il n'empêche que les vies que vous avez détruites, d'une manière ou d'une autre, touchent de trop près des personnes comme Halyalindë et moi.
- C'est vrai" reconut Haldren "mais vous dire que je regrette ne les fera pas revenir, hélas.
Il regarda longuement Neraën.
- Pas plus que vos regrets ne feraient revenir ces drows tués au combat au long des siècles. Certains d'entre eux me touchaient de près."

Une étincelle de colère brilla un instant dans le regard de l'hybride

"Me croyez-vous insensible à la douleur ? J'ai vu des amis, des frères, mourir broyés comme de vulgaires rats sous la poigne des golems. J'ai serré dans mes bras une amante qui agonisait, une flèche elfe plantée dans le ventre. J'ai contemplé la tête tranchée de mon ancien mentor plantée sur un pieu a l'orée des terres stériles. J'ai vu tant d'horreurs que je m'y suis habitué, et je vous ai haïs pour cela !"

La voix de l'hybride s'était faite rageuse puis se calma.

"Il m'a fallu un cycle entier pour comprendre que la haine engendre la haine, la souffrance plus de souffrance, que la vengeance satisfait un temps mais ne guérit pas. Je ne vous hais plus, Neraën, ni vous ni aucun elfe."

De la tristesse avait remplacé la colère .

"Huit millénaires de guerre... combien de souffles coupés ? J'en ai assez de cette folie destructrice que ni elfes ni drows ne savent arrêter. Haïssez-moi si cela vous soulage, allez cracher votre haine au tribunal si vous pensez agir pour le bien de l'Anaëh ainsi. A votre place autrefois j'aurais surement agi ainsi... cet aveu pourra peut être apaiser votre conscience."

Haldren tourna les talons et s'eloigna.

"Mais alors votre guerre sera éternelle. La mienne est déjà terminée.
L'elfe rengaina sa lame.
- Tu ne me connais pas. Tout ce que tu as vu de moi est un ennemi se ruant sur un focaliseur pour arrêter ta folie."

L'elfe partit alors, tournant les talons sans plus regarder celui qui avait changé de peau.

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Lendemain

Il n'avait pas dormi, n'avait pas su trouver le sommeil. Son coeur lui dictait de quitter cette cité qui le détruisait toujours un peu plus pour se perdre au plus profond de la Prime Oeuvre ; son esprit savait quels dangers hébergeait l'Anaëh et qu'il se devait, une nouvelle fois, de rendre le meilleur jugement possible. Alors il était retourné non loin des noss avec qui il était venu dans le protectorat et était resté toute la nuit au bord du lac Uraal, à méditer et à essayer tant bien que mal de faire en sorte que les souvenirs ne l'assaillent pas.

Il avait tellement souffert de ces guerres, que ce soit la bataille de ce lac où il y avait perdu son meilleur ami, Eraïson où il avait perdu tant des siens et toute sa stabilité, la guerre civile d'Eteniril qui avait découlé d'Eraïson...

Rage. Mal-être. Peur. Effroi. Tristesse. Tous ces mots semblaient ne rien être comparé à ce qui triturait son coeur. Surtout après la courte discussion qu'il avait eue avec lui, surtout après ce qu'il avait pu ressentir de lui à ce moment-là. Le protecteur avait dû juger des siens, il avait même dû juger un enfant... mais il doutait qu'il ne vivrait pas pire le lendemain, et il en était las.

"Il va être temps que tu y ailles. Ceux de la ville semblent avoir besoin de ton avis.
Neraën se tourna vers l'elfe qui s'était avancé vers lui.
-Sylv'dren...
- Dis-toi qu'au moins ce sera terminé et que tu pourras te préoccuper d'affaires bien plus importantes.
- Tu as déjà fait mieux, franchement.
- Tu n'écoutes pas les sonorités. Aurais-tu besoin que je chante pour t'en rendre compte ?
- La sagesse Linwë est toujours la bienvenue à mes oreilles, tu le sais déjà."

Sylv'dren eut un fin sourire et vint à la hauteur du citadin, regardant le grand lac de la même manière que l'autre le faisait. Puis, doucement, il laissa un chant échapper de ses lèvres, incompréhensible aux oreilles de Telenwë. Seuls l'air et les sonorités comptaient. Telenwë ferma les yeux et l'écouta, laissant son propre esprit être bercé par la mélodie. Quelque part au fond de lui, un noeud fortement serré se défaisait petit à petit.

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Il ne manquait plus qu'une personne, un témoin invité pour cette audiance. Un citadin qui arriva seulement quelques courtes minutes après Estiam. A son entrée nombre d'yeux se portèrent sur lui, ne s'attendant certainement pas à voir arriver un elfe dont la tenue citadine laissait à désirer, mal en point à certains endroits bien que les manches aient été retroussées à cause de cela, aux oreilles percées et au visage orné de quelques peintures apparemment noss. Une ligne bleue tombait de son oeil gauche alors courbe formant un S en miroir passait par l'oeil droit, points rouges débutant au bas de sa mâchoire pour terminer tout à gauche de son front. L'elfe s'inclina respectueusement devant le régent mais plus encore devant la Main et, sans prendre garde au fait d'être dévisagé de pied en cape il alla s'installer à la place qui semblait devoir être la sienne. A Halyalindë, il prit le temps de lui offrir un sourire amical et sincère, espérant intérieurement que ce qu'ils allaient vivre ne serait pas trop dur pour elle. Concernant Estiam, il mit un temps certain à le reconnaître...

La Main ouvrit le débat. Halyalindë fut la première à donner son avis. Désormais assis, Telenwë gardait la tête baissée, les yeux perdus dans le vide, à écouter et réfléchir à tous les éléments qu'il n'avait pas forcément. Le silence vint. Au bout d'un moment, il releva la tête : c'était à lui de prendre la parole.

"Il a changé depuis Eraïson. Son essence-même ne semble plus être la même, sans parler du fait qu'il ressemble désormais à un elfe. Il dit s'être rendu compte de sa folie et que la haine et la vengeance ne menaient pas à des résolutions de conflit, du moins pas comme nous l'entendons. J'ai ressenti qu'il était sincère... cependant je n'arriverai certainement jamais à lui pardonner, que ce soit pour moi-même ou pour tous ceux qui sont morts à cause de lui et qui étaient sous ma protection."

Il laissa le silence revenir.

"Notre Mère a fait de lui un frère retrouvé, je ne suis rien pour aller contre Sa volonté. Qu'il apprenne à nous comprendre à être une personne nouvelle, qui Lui correspondrait. Mais qu'il apprenne aussi de son passé en aidant les familles de ceux qui ont perdu un être cher par sa faute, qu'il voit dans leurs yeux la haine, l'amour ou la compréhension. Que le temps puisse ainsi l'intégrer aux nôtres..."

Il arrêta alors de parler, la gorge serrée d'avoir tant dit. Il était incapable de faire plus long, incapable de tout expliquer alors qu'il le devrait certainement. Et tous ceux qui le connaissaient pouvaient voir cette difficulté en lui malgré le masque et la voix de glace qui étaient sa protection.

Scrutatrice. Ce n’est qu’ainsi que l’on pouvait qualifier ton oreille. Attentive à la moindre vibration parasite, au moindre changement dans le timbre de la voix, au moindre étranglement, à la moindre once de colère retenue. Partagée. Entre le discours des uns, des autres, et la réaction, si fébrile soit-elle, rendue en écho par l’ersatz de végétation qui s’immisçait jusqu’à l’intérieur du temple, relayant péniblement les mélodies de l’Estel.
Plus que de raison, tu étais pendu à ton environnement sonore, anxieux à l’idée de prononcer le moindre mot de travers lorsque viendrait ton tour de parole, anxieux à l’idée de trahir la Parole de l’Anaëh, si profondément résolu à la retranscrire avec la plus grande des précisions que tu t’en retrouvais à trop entendre, à verser une part de ton oreille aux flux, et un son de plus dans ton univers, les chaînettes à ton oreille gauche tintaient, embuées de même presque invisible halo de lumière que celui qui traversaient tes lignes de force.

Anxieux, tu l’étais jusqu’à ce que les mots ne s’alignent, ne s’enchaînent, et continuent de couler comme un flot ininterrompu d’excuses sans pardon et de baumes sans apaisement. Tes sourcils se sont d’abord levés, puis tes paupières sont descendues, appuyant des deux fentes qu’étaient devenus tes yeux un sourire empreint de tristesse.
Tu comprends maintenant. Du moins, intellectuellement, tu comprends. Tu réalises maintenant l’effort que cela représente, tant pour Halyalindë que pour Neraën, que de laisser cet être marcher au sein de leur foyer. Sans la rage de l’Ardamirie grondant par-dessus ses mots, sans l’échaudement venant avec les jugements hâtifs, aujourd’hui qu’elle avait eu le temps de réfléchir, et de commencer sa digestion, tu arrives à l’entendre. Ou peut-être n’arrives-tu à l’entendre que parce qu’aujourd’hui, son avis rejoint le tien. La légèreté de cœur en moins.

Tous ne peuvent être délivrés de la Tourmente. Seulement d’autres que toi en auraient eu besoin.

Après que la gorge de Neraën se soit resserrée et que le silence soit retombé. Après que les regards se soient tous dirigés vers toi, le temps de les jauger, tu te levas pour prendre ton tour de parole. Aux quelques mimiques du visage que seuls ceux qui te sont proches connaissaient, l’on pouvait deviner que ton attention n’allait pas qu’aux paroles prononcées de lèvres d’elfes. Aux quelques gouttelettes, étincelles et amas de poussières prenant aussi vite forme auprès de toi qu’ils se désintégraient, l’on pouvait constater ton état de concentration. Pourtant d’entre tous, tu étais le seul à sembler véritablement détendu. À vrai dire, après avoir tant entendu, tu étais le seul à véritablement être détendu. Cela ta voix le retranscrivait bien. Légère comme avant un soir de repos et claire comme un carillon de jour de fête.

- En vérité, je dois avouer que quand je suis entré, c’était convaincu d’être le seul à préconiser la clémence. Tu souris en direction d’Halyalindë, te voulant réconfortant, puis de même vers Neraën Et donc je me retrouve maintenant sans réellement grand-chose à ajouter. Qui… ou quoi qu’il ait pu autrefois être, La Mère a accepté de reprendre celui que l’Elda a connu comme Haldren en son sein. La Mère lui a offert d’être renouvelé tant en son corps qu’en son Souffle. Alors qui serions-nous pour nous y opposer ? Ta paume cherche ton épaule par réflexe, habitude d’y trouver Ilweran, avant que faute de le trouver, tes bras ne se croisent sous ta poitrine Hecil est comme un enfant vieux d’un Cycle entamant la traversée de l’adolescence. Il a besoin qu’on lui construise un monde, qu’on l’accueille et qu’on l’éduque. Sans non plus tomber dans l’indolence, il faut qu’on lui offre une place, et des attaches assez fortes pour qu’il supporte le poids de ses erreurs passées.

Ton visage se referme légèrement, car c’est finalement là qu’est le point le plus sensible. S’il était comme un enfant d’un Cycle, les dégâts qu’il a causé durant ce Cycle étaient loin d’être semblables à ceux que causeraient des jeux d’enfants. Nombre d’elfes en étaient marqués à vie. Peu d’elfes le lui pardonneraient. Heureusement, peu d’elfes savaient. Parce que si Hecil était sincère dans sa démarche, alors ce sont les rancunes qu’il attisait, et non pas son pouvoir, qui étaient le plus grand des dangers.

- Seulement, ça, il ne pourra pas le faire tant que ceux qui savent n’auront pas au moins fait un pas vers le pardon, Ton regard se porte sur tes deux comparses, cherche Anorndellon de loin à l’occasion, car s’il n’est que médiateur, tu es certain que son point de vue est bien moins doux que le vôtre parce que sans ça il sera coupable de vivre. Je sais ou presque ce qu’il représente pour vous. Je sais La Tourmente dans laquelle il a, directement ou pas, plongé l’Anaëh. Je sais les vies qui ont été détruites à cause de lui, et tout ça, lui aussi aura bien assez tôt fait de le réaliser. Alors si nous, qui savons qui il est, continuons de cultiver ce souvenir, et que c’est à contrecœur qu’il est accueilli, le risque est trop grand tes sourcils se froncent et pas seulement pour vous. Si la frustration n’a pas d’elle-même raison de votre Souffle, lui finira bien par la ressentir. Et même s’il est sincère, qui sait ce qu’il pourrait arriver s’il n’est qu’à moitié accueilli, rendu coupable d’exister, et déchiré entre son désir de retrouver ses racines et la douleur que sa simple présence inflige à ceux qu’il veut ses frères ? Qui sait ce qu’il pourrait arriver si avec tout ce pouvoir il cédait lui à la frustration ?

C’est un jeu dangereux que tu joues, car des deux alternatives pouvant découler de ton discours, il n’y en a qu’une seule en réalité que tu considères acceptables : celle où tous survivent. Malgré tout, s’il fallait en arriver là, entre les anciens de ton peuple et le dernier venu, tu sais à qui va ton allégeance. C’est juste après t’être rassis que tu clos ton intervention de quelques mots.

- J’ai foi en le jugement d’Ï Emël, mais pour que son inclusion ait la moindre chance d’être concluante, il ne faut pas qu’à « bras ouverts » soit une demi-mesure.

Halya s'était peu à peu cachée derrière un mur d'indifférence comme elle était parfois obligée de le faire lorsqu'elle était Protectrice. Les entendre ainsi parler des volontés de la Mère la mettait hors d'elle. Comment pouvaient-ils se montrer aussi orgueilleux ? La Mère l'a retrouvé. La Mère l'a changé. La Mère le veut parmi ses enfants. Ils niaient à la fois le libre arbitre dont Kÿria leur avait fait cadeau par l'intermédiaire d'Elenwë et la grandeur des Dessins de l'Aînée.

Comment pouvaient-ils prétendre connaitre les volontés Célestes et comprendre les actes de Dieux ? Que savaient-ils tous de ce qui s'était passé dans la tête de cet homme millénaire ? Que savaient-ils de ses capacités à se camoufler ou à mentir ? Non. Halya n'était pas certaine qu'il ai déjà réellement changé. Son apparence ne prouvaient rien.

Ce comportement était puérile. Plutôt que de choisir en leur Souffle et conscience, ils se cachaient derrière une sorte un peu plus grandiloquente de "c'est Maman qui l'a dit alors c'est vrai". Bon sang. S'ils partaient comme ça, alors Haldren seraient intouchable sous peu. Halya se promis de le garder à l’œil aussi longtemps que nécessaire. D'autres y trouveraient peut-être à redire mais s'il restait, elle s'improviserait même son professeur si elle le devait.

Mais lorsqu'Estiam avança dans ses propos...

- Tu ne sais pas plus ce que la Mère veut que ce que nous avons vécu, Estiam. " lança-t-elle en appuyant sur le prénom de son vieil ami une fois qu'il eut fini. Elles se retint d'ajouter qu'au vu des milliers de vies dont il avait le sang sur les mains et de la façon dont il avait quitter les Cités pour les Noss, sa voix n'était certainement pas la plus éclairée. " Et ce n'est pas le sujet."
- Du calme ma fille. " sourit la Servante en posant une main apaisante sur le bras de l'ardamirie. " Cette discussion doit rester sous de bienveillantes hospices." Elle fit un signe de tête au mage avant de continuer " Bien fou seraient ceux qui prétendraient savoir ce que désir la Mère, mais Heru Lœthwil ne pensait pas à mal en parlant de ce que nombres ont vécu en partie à cause d'Hecil.  De plus ce que l'Anaëh et ses habitants ont vécus à cause de notre hôte est justement la principale occupation de ces discussions. " Puis elle se tourna plus franchement vers le semi-Noss, gardant le sourire bienveillant et la voix calme qui semblait capable d'apaiser toutes les situations.  " Je pense cependant que vous en  demandez trop, mon fils. Toute blessure a besoin de temps celle d'Hecil comme les nôtres. Vous conviendrez, j'en suis sûre, qu'Heri Halyalindë et Heru Neraën font déjà preuve de raison et d'une bienveillance qui force le respect. Avant toute chose, j'aimerai donc vous remercier tous les trois. "

Tandis que le regard profond de la Main passait sur chacun des participants avec une tendresse et une fierté toute maternelle, personne ne rompit le moment de silence. Les remerciements sincères de la Haute-Prêtresse détendirent légèrement Halya qui avait pourtant du mal à garder les détails de ce qu'elle savait au sujet d'Haldren, en bien comme en mal.

- Cependant... " glissa la voix douce avec une once de peine dans la voix. " Vous n'êtes pas les seuls à vous être exprimé sur la question. Si ces autres n'ont pas pu ou pas voulu être ici aujourd'hui, je suis dépositaire de leur colère et de leur douleur. J'ai pu échanger avec mon confrère du clergé de Tari a ce sujet et la part émergée de l'iceberg que représente Hecil est déjà riche en actes abominables. Vivre dans un bienheureux mensonge serait pire pour lui que de voir la peine réelle qu'il a engendré au cours de sa vie." Elle avait eut l'occasion de plonger son regard dans le sien lorsqu'il avait compris que les deux gamins qu'il venait de sauver étaient peut-être orphelins par sa faute... " Sa nature n'est pas mauvaise, mais nous ne pouvons lui épargner peine, frustration et douleur dans son chemin vers la paix et le bonheur. Mais, avant d'exprimer ce à quoi le Pergaën et moi-même avons pensé, j'aimerai que tous s'expriment de façon plus précise sur ce que chacun voudrait mettre en pratique concernant Hecil. Quelle sentence ou quelle dispositifs seraient les bons ? "

D'un geste de la main elle encouragea les autres à prendre la parole.

Tu ne sais pas plus ce que veut la Mère que ce qu’ils ont vécu. Ta vue n’est pas plus affûtée que ton ouïe. Tu n’es pas plus sensible à la Symphonie que tu ne l’as été à son état dans les mouroirs. Tu n’as été ni dévoué à La Mère, ni dévoué à ta sœur. Tu n’es après tout qu’un insensé hypocrite refusant sa propre réalité. Tu soupires, exprime d’un regard ton exaspération devant la ténacité de la rancœur de l’Ancienne Aigle, avant d’arracher tes pupilles aux siennes pour les poser sur la maîtresse de cérémonie. Au moins La Main aura su contenir les paradoxales inimitiés, recadrer le débat avec toute l’efficacité de ceux qui savent lire sur les regards les risques de déviation.

- Il ne s’agit pas de de faire de sa vie un bienheureux mensonge. La vérité il la connaît, et il aura forcément à composer avec. Tes yeux vont agripper ceux de tes frères d’armes Seulement de ne pas s’ériger en une muraille de plus après l’avoir autorisé à vivre.

Tu laisses passer quelques secondes de silence, durant lesquelles tu continues de jauger le reste de l’auditoire, en profitant pour réfléchir à une véritable solution pratique. Parler de réintroduire l’ancien Eldéen à sa part elfique était une chose. Parler de le conduire à travers son deuil des atrocités qu’il a pu commettre en était une autre. Mais la manière de guider un être aussi dangereux à travers votre monde en s’assurant qu’il veuille véritablement en faire partie, et ce jusqu’à ce qu’il en fasse partie… s’il on voulait le faire consciencieusement, voilà qui se prouverait un sacré challenge.

- Je reste convaincu que c’est d’enseignements qu’il a le plus besoin. Son temps en tant que pupille du clergé de Kÿria semble déjà lui avoir fait du bien, alors pourquoi ne pas simplement continuer ainsi, et au fur et à mesure, sous l’égide de différents guides de confiance, lui faire découvrir notre culture, lui présenter nos différentes institutions et l’aider à se trouver une place. Tu baisses les yeux Avec un peu de chance, se sentir faire partie de quelque chose de plus grand que lui, et en position de rendre une fraction de ce qu’il a pris serait l’occasion non seulement pour Hecil d’alléger ses peines, mais pour ses victimes de trouver quelqu’un qui puissent leur apporter un peu de réconfort, vu qu’inévitablement… il partage un peu des leurs.

Tout au long de l'échange que suivit sa prise de parole, Telenwë resta comme une statue de pierre qui avait pour seul don de pouvoir respirer doucement. Sa tête était légèrement baissée vers le bas, ses yeux se posaient sur quelque chose d'invisible et ses mains étaient jointes, comme s'il réfléchissait. En réalité, la situation faisait que son esprit se réfugiait là où il se sentait mieux, le plus complet possible : la Symphonie. Elle était lointaine, fort heureusement moins qu'à certains endroits de la cité, mais il trouvait en elle ce dont il avait besoin au niveau des sensations. Peut-être même des conseils. Ses yeux ne voyaient pas ; ses oreilles restaient pourtant attentives à ce qui se disait autour de lui, guidant en partie ses réflexions.

"Les enseignements ne se font pas que par des cours. Ce n'est pas en continuant à vivre dans des temples qu'il apprendra réellement l'impact de ses acts et qui sont les Daedhels. Avec tout le respect que je vous dois à toi et tes pairs, Main."

Il releva enfin ses yeux bleus sur les autres, le visage fermé et très calme. Le noeud qui avait enserré sa gorge quelques minutes auparavant semblait s'être en parti défait, sa voix était plus assurée. Sa main droite vint se poser sur la dague qu'il portait à la ceinture, caressant avec tendresse la poignée ainsi que son pommeau. Un geste que beaucoup ne comprirent pas ; Halyalindë savait de quoi avait été faite cette dague et ce qu'elle représentait pour le protecteur.

"Lui faire comprendre notre propre essence serait effectivement l'un des meilleurs moyens d'arriver à un résultat concluant allant dans notre sens. Hecil, comme vous l'appelez, pourrait devenir un trop grand danger s'il n'était sur un moyen terme pleinement intégré. Lui ouvrir grand nos bras, à nous qui avons tant vécu par sa faute, n'est pas imaginable : on ne peut empêcher les émotions profondes d'être et obliger une personne à faire contre ce qu'elle ait."

Il fit une pause de quelques secondes, le temps de réordonner ses pensées et de se reconcentrer sur ce qu'il pouvait ressentir de l'extérieur, avant de reprendre en posant ses yeux sur ses deux comparses puis sur le clergé ci-présent.

"Si révéler à tous sa première identité amènerait la haine et possiblement la mort, il serait plus qu'hypocrite de notre part de vouloir le bercer de la douce illusion que son passé ne sera plus jamais pris en compte. Je propose donc qu'il soit accompagné, par les personnes que vous sentirez comme appropriées, dans différentes étapes de la vie d'un Elfe. Des enfants sont orphelins par sa faute ? Qu'il soit à leur écoute, apprenne d'eux, les aide à subvenir à leurs besoins et à grandir. De nombreuses familles ont perdu des leurs en Eraïson ? De même, qu'il les serve dans l'humilité et l'ignorance de qui il est ; il y verra le vide, le désespoir de certains, la colère, la haine, le pardon, l'amour... De même il peut aider dans des maisons de soin, même si ses compétences ne sont pas dans ce domaine. S'il est bien celui qu'il dit être devenu, il comprendra ce qu'il a instauré. Et si sa volonté de vivre en elfe au sein de l'Anaëh est belle et bien forte, alors il en sortira mûri et intégré à la société ; sinon sa haine reviendra et il nous faudra alors agir en conséquence.

Pour ce qui est de lui faire prendre conscience qu'un Elfe fait partie d'un tout, j'attendrais avant de lui faire ressentir d'une manière ou d'une autre la Symphonie - si jamais on va jusque là. Pour cela je demanderais l'aide d'ornedhels, ils sont les plus à même de lui expliquer qui est réellement l'Anaëh. Il est d'ailleurs important qu'Hecil ne s'arrête pas aux citadins, d'ailleurs. Nos frères vivent également au coeur de la forêt et s'il veut être des nôtres, alors c'est dans son intégralité qu'il doit apprendre à connaître la famille que nous formons."

- Les traditions ornedhels sont trop chaotiques pour un esprit en quête de paix. Je ne pense pas que lancer dans l'océan un enfant qui prend sa première leçon de natation soit une bonne idée... " fit remarquer Halya, acerbe. L'ouvrir à l'Anaëh et le présenter aux Noss... Et puis quoi encore ? " Donnons lui d'abord la stabilité qu'il demande. Apprenons lui au sein des des communautés de prêtres et de mages qui pourront à la fois, le comprendre et lui enseigner. Il trouvera de lui même un travail et une nouvelle façon de vivre avec le temps. "

La Haute prêtresse les regarda successivement. Plongée dans d’intenses réflexions. Au vu des tensions, lancer un débat pour essayer de trouver une solution qui conviendrait à tous serait délétère. Ils ne pouvaient pas passer des mois à trouver un consensus. Cette fois, il lui faudrait prendre le rôle de mère et accompagner ses oilles avec bienveillance.

- Je vous remercie de vous être exprimé avec sincérité. Comme cela m'a été demandé et que cette question ne peu être laissée en suspens, je vais néanmoins tranché seule."

Des avis qu'elle avait reçu en plus de ce du jour, beaucoup étaient pour refuser le repentir d'un être qui avait fait tant de mal. Les drows, dans la vision populaire, étaient au delà de toute rédemption. Au delà de tout pardon. Que la Mère en pardonne certains ne signifiaient pas que les elfes doivent en faire de même et si certains daedhels passaient la Tourmente pour vivre paisiblement dans l'éternité suivante, grand bien leur fasse. Les plus véhéments ne voulaient prendre aucun risque. Il avait déjà pris des milliers de vies. Des milliers contre une seule mort. C'était bien peu.

Alors que faire...

Lancé de dé:

Elle ne voulait pas mettre en colère les foules... Mais la Mère apprenait à offrir assistance, bienveillance et amour à tous ses enfants, même à ceux qui s'étaient perdus en chemin... Surtout à ceux qui s'étaient perdus en chemin. Qu'elle le veuille ou non, elle n'était que la Servante d'une Déesse d'Ordre et de pardon. En s'agenouillant devant Kÿria, cet homme était passé d'ennemis à frère. Il avait retrouver le chemin de sa véritable maison et le fils prodigue qu'il était devait être accueilli à bras ouvert.

Tout en sachant que très peu seraient ceux qui accepteraient ce choix, elle posa calmement les mains sur le bord de la table. Il était possible que ce qu'elle s'apprêtait a faire lui coute l'oreille de beaucoup de mondes. Peut-être même qu'elle devrait renoncer à sa fonction, mais c'était ce qu'il convenait de faire. En agissant ainsi, elle agissait selon les Voies.

- Hecil vivra désormais parmi nous comme l'un des notre et sera libre de ses déplacements au sein de l’œuvre. " Sa voix était calme mais elle restait prête à demander le silence si jamais l'un de ses hôtes s'égayait. " Il pourra choisir de dire ou non la vérité sur sa véritable identité, il pourra choisir son lieu de vie et le travail qu'il exercera pour s'intégrer dans la société. La seule restriction qu'il aura a ce sujet est qu'il devra, dans un premier temps, choisir un travail qui le mènera a être en interaction avec les autres. Un prêtre lui sera également attaché jour et nuit pour l'aider à trouver son chemin parmi nous, comme il est coutume de le faire lorsque les nôtres sont déboussolés. Chaque jour, il recevra les enseignements de base que les enfants apprennent normalement avant leur Choix. Lorsqu'il sera arrivé au bout du cursus, il pourra passer la cérémonie du Choix et être considérer comme un elfe à part entière. Étant donné son érudition, cela ne devrait lui prendre qu'une poignée d'années."

La sentence était tombée. Bien trop légère pour le régent et pour beaucoup d'autre, c'était à craindre. La Haute Prêtresse regarda successivement les personnes attablées, attendant la première pierre.