Dans un coquet nid d'oisels

3^ème jour de la 1^ère énéade de Karfias, 11^ème année du 11^ème cycle.

« N'y a-t-il pas plus belle récompense, en vérité, que de voir notre Sire enfin serein, jouissant de la sureté de ses terres et de la compagnie des siens ? », avait lancé Aymeric à son entourage, tandis qu'il pénétrait dans une des salles du palais royal. C'était ici que quelques jours par énéade, l'homme honorait son seigneur d'une visite. Quoique présider aux destinées du Royaume requît toute son attention, Aymeric s'était résolu de payer au Roy ses assiduités, lui apportant habituellement un petit cadeau : quelque friandise ou bien un jouet. Quoiqu'il ne fut la nourrice de sa Majesté, le duc demeurait persuadé de la nécessité de pareilles entrevues : elles étaient le gage d'une future entente avec Bohémond, avec qui le régent serait amené à composer bien vite. Autant, dès lors, s'assurer que l'enfant soit habitué à sa présence, quand bien même celle-ci demeurait fugace. Bien sage aurait été celui capable de deviner les pensées du tout jeune Roy, dont les yeux placides et le mutisme coutumier faisaient douter d'un esprit sain. Le monarque était semblable à ces petits capucins que les marins ramenaient d'Estrévent, dont le regard traduit une intelligence que la bouche refuse à exprimer. Lorsqu'Aymeric venait lui apporter quelque figurine en bois - parfois un elfe, un nain ou un chevalier - il n'était pas rare que le petit Roy se tint caché dans une pile de coussins. Le régent avait vite compris ce manège ; il posait alors le jouet devant lui, reculait d'un pas et attendait, jusqu'à ce qu'enfin Bohémond ne fasse irruption de ses cachettes pour s'emparer du butin, restant parfois dehors pour jouer avec, regagnant parfois la sureté de son antre. Les Cinq seuls savaient combien de figurines en bois se trouvaient désormais sous les coussins du salon.

Le Roy, du reste, ne se trouvait pas seul durant les absences d'Aymeric. C'est que ce dernier avait rassemblé, dès lors qu'il avait obtenu la Régence, une petite cour autour du monarque. La ruine de Diantra dissuadait la noblesse de s'empresser autour de Bohémond - à moins que ce ne fut son très jeune âge. Cependant, le duc de Serramire avait très vite mandé l'arrivée de sa propre maison, du moins en partie, pour tenir compagnie au Roy. Quoiqu'il ne fut encore très effectif, Bohémond préférant l'isolement de ses retraites moltonées à la compagnie d'autres enfants, le geste n'était pas innocent ; pas plus que la présence des filles de Blanche aux côtés de leur demi-frère, ou encore de la parenté plus large du Roy, venue d'Ancenis et de Hautval.

Ainsi, s'il accommodait son Sire à sa présence et à celle des siens, Aymeric gardait ainsi sous une cloche de verre les plus jeunes oisillons de la maison à la chouette - ce qui avait valu au coquet salon, comme on le disait parmi la valetaille, le nom du "nid d'oiseau" par égard aux blasons des deux familles. Cette chasse gardée, hélas, n'en était pas restée une quand avaient rappliqué les plus anciennes chouettes des Ancenis - nulle autre que la moniale Aemone, emmenant dans ses serres ses petits enfants.

« Assurément, votre Altesse ; je prie les Cinq qu'ainsi, mon fillot apprenne à connaître ses parents comme des amis, et non le seul souvenir de rébellions », avait répondu la vieille ancêtre, ne manquant pas de faire grincer les dents à son interlocuteur. Elle était un chancre dont on ne peut se débarrasser ; son âge et son nom lui avaient ouvert les portes du palais, où elle tisserait assurément sa toile, derrière l'apparence d'une bienveillante mamie gâteau. Obligé de la tolérer, Aymeric attendait ainsi le jour où Tari enfin se déciderait à emporter la moniale dans son séjour aqueux. Ce n'était pas pour aujourd'hui - cependant, au delà de sa propre mort, Aemone ne manquait de rappeler au duc une réalité : Bohémond avait sa parenté au sein des Ancenis, et lorsqu'il grandirait, à n'en pas douter le Roy saurait trouver en eux un appui certain contre la présence influente de son Régent.

Ce dernier, cependant, avait d'autres chats à fouetter pour le moment : en sus de l'aïeule, Aymeric s’apprêtait à traiter avec la petite fille. Mandant la présence de Madeleyne, Aymeric avait prétexté pour cela le désir du Roy de retrouver ses cousines et son jeune cousin. S'il escomptait d'Adèle, de Judith et de Gilbéron une présence discrète - les drôles seraient probablement ignorés du reste par Bohémond -, Aymeric attendait beaucoup de sa rencontre avec la seconde fille de Raymond d'Ancenis, dont il ignorait encore si elle serait accompagnée de son intriguant époux, Gaston Berdevin.