Qui a dit que les négociations étaient rébarbatives ? [Selendil / Fenris]

Troisième ennéade de Favrius
An 10 du XIème cycle

Daranovar. Fenris ne se souvenait pas y avoir déjà mis les pieds, ni même campé dans les environs. Il n'était pas vraiment habitué aux paysages montagneux qu'il n'avait fait que voir de loin ou depuis la route. Ici, il pouvait observer ces pics de roche à loisir. Et, pour une fois, la première depuis plusieurs années, il pouvait véritablement prendre le temps de faire une pause sans ruminer de sombres pensées. Pas d'urgence, pas de situation de vie ou de mort, pas de danger imminent pour lui, un de ses proches ou qui que ce soit d'autre.

Certes, il y avait toujours la sécurité de l'Annon à organiser, mais cela pouvait bien attendre quelques minutes qu'il rassasie ses yeux.

Posté sur un balcon du palais, le dernier né des Nöldorion se tenait droit, les mains dans le dos. Il respirait paisiblement, humant l'air humide de l'automne qui s'annonçait, les épaules relâchées. Il écoutait les bruits de la ville où régnait une agitation plus que palpable, de la nature imbriquée en elle et, au-delà de l'enceinte de la cité, la Symphonie qui lui chatouillait l'oreille et le coeur. Il était jeune et avait pourtant presque oublié ce qu'était la paix...

Venu en cette cité pour des raisons officielles, il portait l'uniforme. Les Aigles n'en avaient pas de prédéfini, chacun adaptant sa tenue à sa manière de combattre. Fenris avait opté pour une cuirasse légère rehaussée de métal sur le haut du corps, les épaules et les bras. A son côté ne trônait plus qu'une seule épée là où autrefois il en portait deux dans le dos. Sa seconde arme, il l'avait en lui désormais. Sa magie faisait partie intégrante de sa façon de se battre. Alors pas de seconde lame, pas de bouclier mais une main libre pour pouvoir manier son Art.
Seul point commun entre tous les Telsorn, la référence à un aigle intégré dans la tenue qu'il portait. Pour Fenris, il s'agissait d'ailes en relief sur ses palières. Et, sur son cœur, le symbole des Nöldorion.

Derrière lui, la porte s'ouvrit et l'ex-cavalier se retourna pour faire face à celui qui venait d'entrer.

-Heru Selendil je présume ? Il attendit sa réponse puis continua tout en s'inclinant. Telsorn Fenris Nöldorion. Je suis en charge de la mise en place de la sécurité de l'Annon suite à la reprise récente de la région.

Certains arbres voyaient déjà leurs feuilles se jaunir. La brise légère, mais plus froide que celle d'il y a quelques mois annonçait un automne qui s'approchait à grands pas. Cependant, la présence de conifères, plus importante que celle des résineux permettait d'entretenir l'espoir de quelques jours d'été dans un futur tout proche. Cependant, le temps avait changé en ce mois de Favriüs, et chacun l'avait senti. Les activités semblaient avoir perdu de leur intensité et la puissante cité de Daranovar semblait plonger dans un certain sommeil. Mais en réalité, nul sommeil n'arrivait. La caserne bruissait toujours du son des armes, du fracs des épées sur les boucliers et du cri des elfes qui s'entraînaient chaque jour, donnant leurs énergie autant que leur temps pour la protection de cette cité qu'ils aimaient plus que tout. Ni les forgerons et les artisans, dont les échoppes ne s'ouvraient plus tellement sur les rues en raison du froid qui arrivait, ne s'étaient arrêtés de battre le fer ou de travailler les divers matériaux qu'ils avaient à disposition. Pourtant, alors que Selendil marchait dans les rues, non pas désertes, mais plus calme que le mois dernier, le temps était agréable. Il ne pleuvait pas, et seule une légère brise soulevait de temps à autres la chevelure lisse et impeccable de l'elfe. Bientôt, il arriva à destination. Le palais. Où résidait un invité pour le moins... Spécial. L'arrivée d'un soldat de l'armée royale avait été remarquée en toute la cité, et il fallait bien admettre que ce genre de visites n'arrivaient pas souvent dans la fier Daranovar, retirée dans ses montagnes.

Selendil traversa les couloirs du palais, croisant quelques gardes et autres fonctionnaires liés à l'administration de la cité. Ici, il était connu de tous. L'intendant, connu pour sa vigueur et sa vivacité, ainsi que pour sa réactivité à trouver des solutions aux divers problèmes qu'on pouvait lui apporter rester apprécier par un très grand nombre. Il ne tarda guère à trouver celui qu'il cherchait. Le Telsorn admirait la vue, l'air calme, les mains jointes dans le dos, comme apaisé par le calme de la cité guerrière. Paradoxe lorsque l'on passait à la mentalité Daranovan et à sa culture. Une culture guerrière pouvait-elle apporter un tel calme? Visiblement, ils y parvenait. Quoique la cité bruissait d'une joute organisée en cette magnifique soirée à laquelle Selendil ne s'était pas rendu pour pouvoir discuter avec le jeune elfe qui présuma bien.
- C'est bien moi en effet. répondit simplement le grand blond, légèrement plus grand en fait que le Telsorn. Ce-dernier se présenta d'ailleurs. Selendil assimila rapidement son nom, son visage, et sa fonction. Membre des aigles, il venait d'être nommé à la protection de l'Annon, tout récemment reprise par les forces elfiques. Selendil hocha gravement la tête, sachant pertinemment ce que cela signifiait aussi. Nombre de leurs frères étaient tombés au combat, et les elfes, depuis quelques années, avaient reculé. Selendil rêvait de ce temps où la gloire des leurs resurgirait pour illuminer Miradelphia. Mais pour l'heure... Ils devaient se contenter de protéger leurs terres et de récupérer ce qui leur avait été pris. Il s'inclina légèrement, respectueux devant ce soldat membre de la plus prestigieuse force armée de l'Anaëh.
- Enchanté de faire votre connaissance... Telsorn Fenris. Les Nöldorion étaient connus pour être proche du pouvoir royal et pour occuper également des postes d'importances, ainsi, ils intégraient les familles les plus connus et les plus prestigieuse. Veuillez me suivre. La vue sur ces montagnes est certes des plus belle, mais pour discuter nous serons plus à l'aise ailleurs.

Selendil entraîna alors le soldat à travers une aile du palais. Tout en parcourant les allées du palais, tout en sachant où il allait, l'Intendant demanda alors:
- Comment se présente la situation en Annon... Commandant? Je présume puisque vous avez été nommé responsable de la mise en place la sécurité là-bas. Il lui adressa un regard comme pour appuyer ses dires. Il ouvrit alors une grande porte donnant sur un espace plus calme. Une petite table et quelques chaises trônaient sur un grand tapis. Selendil demanda rapidement à un elfe passant par là qu'on lui fasse porter de quoi boire et manger un peu. Il ne tarda pas à rentrer et à prendre place sur une chaise, lissant sa tunique bleu aux ourlets d'or qui, quoique simple, reflétait également un certain raffinement. En général, Selendil était vêtu simplement, mais il savait de temps à autres prendre des vêtements plus "luxueux". Il invita le soldat à s'asseoir également. Je nous ai fait porter de quoi nous restaurer un peu. Fit alors Selendil tandis qu'un elfe apportait tout cela sur un plateau avant de s'éclipser après un remerciement d'un signe de tête de Selendil. L'Intendant détailla la soldat de son regard glacé. Il détailla son équipement, son visage, jaugeant en même temps le personnage qui lui faisait face. Le Nöldorion semblait cependant plus mâture que ce que son âge voulait bien le laissait faire croire. Finalement, Selendil enchaîna, n'ayant pas pour mauvaise habitude de tourner autour du pot, sauf lorsque la politique l'exigeait, mais en général il avait horreur de cela... Comme nombre de Daranovans.
- Alors... Que nous vaut le plaisir de votre passage ici? Je me doute que vous n'êtes pas venu simplement pour admirer les splendides montagnes de Daranovar. je me trompe? Fit Selendil dans un léger sourire.

Fenris suivit son hôte, non sans avoir préalablement sourit, amusé par sa remarque au sujet de la vue qu'il admirait. Il y jeta même un dernier coup d’œil avant de s'enfoncer à nouveau dans le bâtiment. Il regrettait presque de devoir quitter ce paysage, sachant qu'il n'aurais sans doute pas beaucoup d'autres occasions de l'observer. Avec les récents évènements concernant Halie puis Eorim, il avait jouis de beaucoup de liberté depuis qu'on lui avait proposé une place chez les Aigles. Les raisons étaient certes exceptionnelles mais il ne pourrait prendre de permission que pour des circonstances bien particulières pendant longtemps. Et sa mission du jour ne lui permettait pas de demeurer bien longtemps en Daranovar.

Sur le chemin, Selendil voulut prendre quelques nouvelles de la région. Le cavalier aurait pu passer quelques heures pour n'évoquer que les grandes lignes tant il s'était produit de choses en seulement quelques mois, tant ils avaient fait de choses et tant il y avait encore à faire... Alors il dut se contenter de seulement survoler le sujet.

-L'urgence est déjà en oeuvre. Quant au reste, nous avançons à pas de fourmis. Et "Telsorn" suffira. Je coordonne, je mets en place... Mais, lorsque tout fonctionnera parfaitement, je repartirai vers une autre mission.

Fenris entra dans la pièce qu'on lui indiquait et la parcourut du regard pendant que Selendil s'attardait un instant dans l'entrebâillement de la porte. Il s'assit lorsqu'on l'y invita, comme la bienséance le lui avait enseigné, et s'installa confortablement au fond de son siège, non sans avoir détaché le fourreau de son épée auparavant. On apporta de quoi boire et manger, des mets communs comme ce qui devait probablement être une spécialité de la région. Une fois seuls, l'Intendant choisit d'entrer directement dans le vif du sujet. Qu'à cela ne tienne, ils gagneraient du temps habituellement dévolus aux ronds de jambes.

-Pour reprendre le sujet que vous évoquiez tout à l'heure, la sécurité est déjà mise en place dans la région via des patrouilles mais la situation actuelle ne peut être que temporaire. Nous ne pouvons pas retourner dans la forteresse d'Ellyrion pour des raisons évidentes et il serait mal avisé d'intégrer celle de Yutar. Il nous faudra du temps pour l'explorer en toute sécurité et analyser ce qu'elle renferme, sans compte qu'elle a été conçue pour faire face à Anaëh et non pour la défendre. Entre cela et nos frontières plus avancées, nous avons besoin de nouvelles structures. Il marqua une pause avant d'ajouter, un sourire en coin. Et qui de mieux que des artisans daranovans pour nous aider à les concevoir.

Tout pays avait ses experts, il suffisait simplement de savoir à quelle porte frapper. A l'ombre de ces montagnes vivaient les meilleurs constructeurs de bâtiments destinés à l'armée. Autant même préciser "à la défense" puisque les elfes n'étaient pas connus pour attaquer les premiers. Les Noss contredisaient légèrement la règle avec l'assaut sur Yutar mais c'était l'exception qui la confirmait finalement.

Le soldat avait répondu à sa première question rapidement. Il y avait peut-être trop de choses à dire sur le sujet, si bien que le mieux avait été, pour lui, de survoler rapidement le sujet. Le plus urgent avait déjà été mis en place, mais le reste avançait pour lui à pas de fourmis, soit pas assez rapidement. Trop lentement était en fait le terme adapté. Selendil l'avait déjà remarqué, les elfes pouvaient parfois faire preuve de vivacité, mais parfois, il leur fallait des années pour faire des choses qui pouvaient en prendre beaucoup moins. C'était peut-être ce qui leur avait coûté le recul de leurs terres, et de leurs forces. Mais le Daranovan ne releva pas. Quand à Fenris, il effectuait sa mission... Avant de partir pour une autre. Un soldat visiblement fidèle et loyale, et déjà, Selendil commençait à l'apprécier rien que pour cette qualité. Cependant, si il était là, ce n'était pas pour discuter des voyages de l'Aigle. Oh non. Même si cela aurait pu être intéressant, les deux elfes savaient très bien pourquoi il était là, et pourquoi ils se rencontraient. Par chance, il ne s'agissait pas de politique, ce qui était un bon point. Quoique dans chaque décision, il y ait toujours un peu de politique. Cependant, le mieux était encore d'écouter la demande du Telsorn.

Loin de manquer à ses devoirs, Selendil invita le capitaine à le suivre et le fit entrer dans une pièce plus agréable pour converser où il s'assura de faire porter de quoi se restaurer un peu en boisson et en nourriture. Le soldat se cala confortablement dans son siège de même que Selendil qui ne tarda guère à attaquer dans le vif du sujet. Il n'avait pas pour habitude de se laisser aller aux politesses d'usages, perte de temps à son goût selon les situations qui se présentaient, et dans ce cas là, inutile de s'attarder en politesse et toutes autres marques honorifiques. Les deux elfes se respectaient, du moins Selendil le pensait, et ils avaient autre chose à faire que de se perdre en éventuelles courbettes et jeu de mots inutiles, à savoir lequel des deux maniait l'art de la langue mieux que l'autre. Et pour son plus grand plaisir, Fenris ne tarda guère à répondre alors que l'Intendant s'emparait de quelques baies histoire de grignoter un peu tout en l'écoutant.

Le jeune capitaine reprit en annonçant que si des patrouilles avaient déjà été mises en place, sans doute les cités situées non loin de la nouvelle frontière avaient jointes leurs forces aux forces royales, Les forteresses d'Ellyrion et de Yutar, deux importantes forteresses désormais aux mains des elfes, ne pouvaient être intégrées de nouveau. Quelle ironie... Alors même que les elfes reprenaient Ellyrion, il ne pouvait pas encore s'en approprier les murs. Quand à Yutar... La conquête de la forteresse Drow était en soit une bonne nouvelle, mais aux vues de ce qui s'était passé, inutile de dire qu'il serait très risqué d'y pénétrer sans une bonne escorte et de bons magiciens. Et visiblement, le cas d'Ellyrion était un peu similaire. Autrement dit, la frontière était désormais pourvue de deux forteresses absolument inutiles pour le moment. Et c'était la raison de la venue du capitaine. Avec la frontière qui s'étirait, il fallait songer à la défendre. Et quoi de mieux alors que de bonnes structures défensives? Selendil voyait très bien où son acolyte voulait en venir, et celui-ci ne cacha pas que les artisans daranovans seraient, pour cette tâche, les mieux impliqués et les mieux placés pour la réaliser. Le blond eut également un petit sourire, reconnaissant que sa cité abritait des architectes et des bâtisseurs de talent. On parlait des nains dans le domaine de la construction, arguant qu'ils étaient extrêmement doués, ce qui était sans doute vrai bien que l'Intendant ne l'ai jamais vérifié, quoique lu dans les livres, mais les elfes avait aussi un savoir-faire plutôt impressionnant et savait faire preuve de talent dans ces domaines là également. Finalement, l'intendant ne tarda guère à répondre:

- Il est vrai que les Daranovans sont doués dans la conception de structures défensives. Il n'y a qu'à voir les murs de notre cité... Termina l'elfe, songeur, son esprit parcourant les puissantes et solides murailles de sa cité avant de revenir ici, dans la pièce. En soit, il n'avait pas répondu à la question. Ce qu'il ne tarda pas à faire. Vous arrivez à la vérité un peu tard. Il eut un autre sourire en coin avant de reprendre. Non que nous ne puissions rien faire pour vous, mais plutôt parce que c'est déjà fait. Selendil s'arrêta pour reprendre tranquillement son souffle et continua. Certains ici, notamment le général Artiön, ont déjà pris l'initiative d'envoyer sur la nouvelles frontière des soldats, des vivres, du matériel, et... Des artisans. Je suis moi-même dans la combine puisque j'ai participé à l'organisation de ce premier convoi. Ce qui signifiait donc, en sous-entendu, qu'il y allait en avoir d'autres. L'intendant crut bon de continuer et d'en dire un peu plus à son invité. Lorsque la nouvelle de la prise de yutar nous ait parvenu et que l'envoi des forces royales dans la région s'est fait, nous nous sommes préparé à contribuer à l'effort commun si je puis dire. Les artisans sur place vous donneront satisfaction, j'en suis sûr. Je pense que vous aurez largement assez d'architectes. Quand aux soldats présents sur place, ils seront remplacés plus ou moins régulièrement, il faut que j'étudie la question avec notre général. De même, je ferais en sorte de faire parvenir les convois de vivres et de matériel nécessaires afin que, premièrement, les daranovans ne soient pas un poids, et deuxièmement, pour que vos troupes, et tout elfe présent sur les lieux, puisse bénéficier de notre aide. Selendil s'arrêta le temps de mâcher une baie avant de reprendre. En plus de vivre, c'est du matériel et des outils de construction que je ferais parvenir à la frontière pour que tous les artisans sur place puissent bénéficier des outils nécessaires à la réalisation de ces projets. En clair, Selendil affirmait l'entier soutient de la cité des armes dans les projets à la frontière, en coopération avec l'armée royale. L'intendant termina finalement. Daranovar tentera de répondre présent pour les demandes que vous enverrez, mais je ne peux pas promettre que nous répondrons "oui" à tous ce que vous demanderez. Je peux seulement vous promettre de faire de mon mieux pour renforcer notre royaume. Une nouvelle fois, le blond affirmait sa volonté de voir son peuple renforcé et protégé. Il s'arrêta là, ayant dit le plus important, et... l avait sans doute répondu à de nombreuses questions du capitaine. Il n'en doutait pas.

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