[Ellipse] Porteur d'un message... | Nakor-Fenris

Hiver - Début Karfias
An 12:XI

Campement Celimë

-Telsorn Fenris.

L'Aigle releva la tête de sa carte à l'écoute de son prénom. Il n'était marié que depuis quelques ennéades et il avait rapidement dû retourner sur le terrain... Il avait eu du mal à se sortir son union de la tête, ainsi que la nuit de noces et les jours qui avaient suivi en compagnie de sa toute jeune épouse et de leurs proches. Eux qui avaient souhaité un petit mariage ne pouvaient pas dire qu'ils avaient obtenu satisfaction... Pourtant, cela resterait gravé à jamais dans la mémoire de Fenris comme ce qu'il considérait pour le moment comme étant le plus beau jour de sa vie.
Mais sa vie aux côtés d'Halyalindë lui réservait encore bien des surprises...

Levant les yeux, l'ex-cavalier découvrit une femme qui approchait de la tente d'Etat Major dans laquelle il étudiait la sécurisation de leur frontière avec les patrouilles et structures provisoires mises en oeuvre, cherchant à perfectionner toujours un peu plus leur fonctionnement. N'ayant pas de grade, la nouvelle venue le salua puis commença son rapport.

-Un groupe a été détecté et intercepté à l'Ouest. Ils essayaient de pénétrer un peu plus loin dans Anaëh. L'un d'eux s'est désigné comme étant le responsable du groupe et dit avoir un message.
-A destination de qui ?
-A la Main de Kÿria.

Fenris acheva de se redresser, sa curiosité piquée au vif. Qu'est-ce que des étrangers pouvaient bien avoir à demander à une si haute autorité de leur clergé ?

-De qui vient la lettre ?
-Un certain Nakor.

Cette fois, il haussa un sourcil. Ce nom, il le connaissait pour l'avoir déjà entendu durant les quelques décennies qu'il avait passé à l'Académie de magie d'Alëandir. Si ses professeurs n'aimaient pas beaucoup le personnage, il était malgré tout parvenu à obtenir quelques informations sur lui. Aussi l'Aigle savait-il qu'il s'agissait d'un humain plusieurs fois centenaire et mage. Le fait qu'il écrive à un membre du clergé Ilethien était à la fois inattendu et surprenant.
Sans demander plus d'explications, il s'éloigna de la table pour prendre son épée et commença à l'attacher à sa ceinture tout en suivant la femme qui lui montrait déjà le chemin.

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Fenris mit pied à terre et flatta l'encolure d'Inysiëis. La jument Mathandil à la robe isabelle ne bougea pas d'un pouce alors que personne ne la tenait. Elle n'avait même pas de rennes, ni même de licol. La selle servait davantage au confort de l'animal et de son cavalier en plus de transporter un peu de matériel mais elle ne disposait pas d'étriers et n'étranglait pas la monture. Le militaire adressa quelques mots à son amie équidé pour lui demander de l'attendre puis se dirigea vers le petit groupe d'intrus. Ceux qui avaient été sommés de s'arrêter pour rester sur place. Deux patrouilles s'étant arrêtés en les trouvant, ils étaient encerclés par une vingtaine d'hommes et de femmes. Les guerriers gardaient la main sur le pommeau de leur arme tendit que les archers avaient déjà une flèche encochée, même si elle pointait faire le sol.
A l'arrivée de l'Aigle, certains d'entre eux adressèrent un signe de tête respectueux envers lui qu'il leur rendit sobrement. Aussi jeune était-il pour les responsabilités qui lui incombaient, Fenris n'était ni angoissé ni orgueilleux. Il ne cherchait pas particulièrement à faire ses preuves et se contentait d'assumer sa charge et ses décisions parlaient d'elles-mêmes.

-Je suis le Telsorn Fenris Nöldorion. Je suis en charge de la sécurisation de la frontière Ouest. Qui est votre représentant ?

Contrairement à ses frères et sœurs, il n'avait ni les bras croisées ni la main à l'épée. Ses bras demeuraient le long de son corps dans une posture ouverte. S'exprimant en Olyian, le ton de sa voix n'avait rien de sec. Son regard était posé et passait d'un individu à l'autre sans faire montre d'une quelconque expression négative. S'ils ne venaient qu'apporter un message, il n'avait pas de raisons de se montrer vindicatif, même si la conversation se solderait malgré tout par un ordre de partir plutôt ferme.

Fenris se tourna légèrement vers celle qui était venu le chercher pour lui adresser un regard en coin. Elle avait oublié de lui préciser que le responsable de ce groupe parlait leur langue. Elle comprit aussitôt le message et fit une grimace d’excuse. Ce n’était qu’un détail et l’ex-cavalier ne lui en tiendrait pas rigueur mais cette jeune guerrière sortait tout juste de l’Académie militaire après une courte instruction. Elle était douée au combat mais avait encore beaucoup à apprendre. Fenris ne répondit rien et se tourna à nouveau vers les intrus.
En l’absence d’accent notable aux oreilles du Telsorn, il conclut que le mage était autrefois l’un de ses frères, même si celui-ci oublia soigneusement de le préciser dans sa présentation. Mais un elfe qui avait renié leur culture et avait quitté Anaëh n’aurait pas plus de considération à son retour qu’un parfait étranger. Si le jeune Nöldorion restait parfaitement neutre, cela se lisait dans les regards de ses hommes.
A l’écoute du nom de l’archimage Noss, Fenris nota l’information disant que Loethwil s’était donc rendu en Aduram dernièrement. Qu’avait-il bien pu aller faire là-bas encore ? Après le carnage de Yutar et les assassinats de Thaar, il ne cessait d’inquiéter… Mais personne n’avait de contrôle sur lui. Les Taledhels encore moins que les autres, et ils ne pouvaient que se contenter de surveiller ses allées et venues chaque fois qu’ils obtenaient des informations. Et, en la matière, le Telsorn était tout indiqué pour les obtenir.

-Les routes ne sont plus sûres n'est-ce pas Fenris Nöldorion ?

L'interpellé haussa un sourcil pour toute réponse. Pourquoi pensait-il qu’il avait connaissance de la sécurité des routes en dehors d’Anaëh ? Il aurait fallu qu’il sorte de la prime forêt pour cela… Dans le cadre de ses fonctions, il était déjà arrivé qu’il s’éloigne de ses abords mais jamais au point de ne plus entendre la Symphonie. Il était donc bien mal placé pour abonder dans son sens. Il le laissa achever son propos sans rien dire mais sa proposition concernant l’organisation pour la suite le fit réunir ses mains dans son dos dans une profonde expiration.

-Qu’en dîtes-vous ?
-Non. Répondit-il paisiblement, laissant un silence planer avant d’expliquer la raison de sa réponse. Comme vous l’avez remarqué, la sécurité a été renforcée, nos frontières ayant été récemment étendues. Il me faudrait une excellente raison pour vous permettre d’entrer sur nos terres, même avec une escorte composée de Taledhels. Puis-je voir ce message ?

Sans attendre la réponse du mage, la jeune guerrière qui se tenait un peu en retrait de Fenris s’avança pour s’arrêter à deux pas d’Alfirin et tendit la main dans sa direction. Le Telsorn ne lui avait rien demandé mais elle n’avait pas l’intention de laisser son supérieur s’approcher si près des intrus.
Le regard qu’elle posait sur le mage ne lui donnait pas vraiment la possibilité de refuser.

Fenris balançait mentalement la tête de droite à gauche devant l'attitude du mage. Il ne doutait pas un seul instant qu'Alfirin pensait que ses frères et sœurs avaient l'esprit trop fermés mais ce n'était pas faire preuve d'ouverture que de s'entêter de la sorte. Il y avait des règles et il ne pourrait passer outre, quelque soit le motif de sa visite. S'il commençait à perdre sa patience, ce n'était pas le cas du jeune Aigle qui se montrait parfaitement calme alors que son interlocuteur était presque en train de le traiter d'idiot. De plus en plus de Taledhels autour d'eux fronçaient les sourcils en l'entendant parler et resserraient leur emprise sur leurs armes. Ils ne bougeraient que si le mage montrait le moindre signe de concentration ou reportait son attention sur un autre objet qu'il portait, en dehors de son message.
Se voyant parfaitement ignorée, la jeune guerrière baissa le bras et tourna la tête vers Fenris, attendant un ordre de sa part. Celui-ci toisa son regard mais ne fit rien, revenant à Alfirin. Il voulait savoir s'il était "habilité" à lire cette lettre et apte à en comprendre la teneur. Eh bien il allait lui répondre, mais avec moins de vivacité que son interlocuteur.

-Je suis habilité à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de nos frontières. Je suis sûre que la Main de Kÿria ne m'en voudra pas d'avoir épluché son courrier dans ce but. Me pensez-vous à ce point sot pour ne pas savoir faire la différence entre une simple prise de nouvelles et une affaire de culte d'importance ?

Le Telsorn lui adressa un sourire cordial alors qu'il lui posait cette dernière question, lui rappelant ainsi poliment qu'il venait de lui manquer de respect mais qu'il ne lui en tenait pas rigueur. Malheureusement, il avait conscience que ce ne serait pas cela qui convaincrait de bien vouloir coopérer. Le mage se bornait à vouloir respecter les consignes de son maître. Il ne semblait pas comprendre que ce n'était pas à lui qu'il fermait la porte, mais à tout le monde.

-Je me vois dans l'obligation de me montrer plus clair. Reprit Fenris, élevant légèrement la voix pour être sûr d'être entendu mais sans pour autant en assécher le ton. Vous n'êtes pas les premiers à vous présenter à nos portes en espérant pouvoir les passer, donc le traitement dont vous faites l'objet aujourd'hui n'est en rien personnel. Que vous soyez elfe ou non, ancien Anedhel ou né en Ithri'Vaan, venu avec de bonnes ou de mauvaises intentions, comprenez que nos frontières sont fermées. Personne n'entre sans autorisation. Puisque personne hormis votre Maître ne connaît le motif de votre venue, il semblerait que le seul qui puisse vous la donner à l'heure actuelle ce soit moi. Donc, de deux choses l'une. Soit vous nous remettez votre missive afin que nous la faisions porter à la Main de Kÿria par nos propres moyens, soit vous faites demi-tour et repartez en quête d'un service de pigeons voyageurs. Si votre requête est urgente, vous choisirez sans doute la première option mais sachez que je lirais effectivement cette lettre. Non par curiosité mais pour décider si elle sera transmise par la voie normale ou si je dois faire affréter un messager sur faïra. C'est à vous de choisir.

Fenris inclina légèrement la tête pour appuyer ses derniers mots. Il n'y avait aucune agressivité en lui, que ce soit son ses yeux, l'expression de son visage ou sa posture. Il savait qu'il était souvent difficile pour ceux de l'extérieur de comprendre qu'ils ne pouvaient pas librement fouler leur sol. Beaucoup invoquait leur sang elfe sans comprendre que cela ne changeait rien à l'affaire. Souvent, le ton montait et si l'intrus leur tenait tête, cela pouvait rapidement dégénérer. Or, ce n'était pas ce que voulait le Telsorn. Il préférait encore que tout se termine le plus calmement possible. Aussi se montrait-il ferme mais pas belliqueux, sans compter que sa proposition était plus qu'honnête. Si le message était véritablement urgent, un de ses messagers le porterait à la Haute Prêtresse bien plus vite que s'il y était allé à pied lui-même. Et si Nakor leur avait effectivement donné pour consigne que les choses se passent au mieux, Alfirin finirait par accepter. Il n'était pas dans son intérêt d'employer la force, toutes les hautes autorités, y compris la Main de Kÿria, leur fermeraient définitivement la porte.

Contrairement à ce que je vieux magicien pensait, Fenris n’éprouvait aucune haine pour ceux qui se trouvaient en dehors de leurs terres, ni pour ceux qui l’avaient quittée. Il nourrissait même une certaine curiosité à l’écart du monde extérieur qui passait aux yeux des siens pour une façon d’apprendre à connaître son ennemi. En réalité, tous les sujets l’intéressaient, mais pas au point de quitter sa terre natale. Quant à sa tolérance quant à ceux qui choisissait de partir, n’avait-il pas épousé une femme qui s’était secrètement éloignée d’Anaëh durant plusieurs décennies avant d’y revenir ? Il était un des rares à être au courant mais cela n’avait jamais affecté ses sentiments pour elle. La preuve : il lui avait dit oui lorsqu’elle l’avait demandé en mariage.
Mais s’il renvoyait l’image d’un elfe fermé à l’éventualité de pénétrer sur leurs terres, alors c’était qu’il jouait parfaitement son rôle. Il n’afficha aucune réaction alors qu’Alfirin ne cachait pas sa déception de ne pouvoir entrer sur leurs terres mais il ne pouvait pas faire d’exception. Le mage ne semblait pas parvenir à comprendre que cette lettre était peut-être justement sa porte d’entrée. Non pas en l’apportant lui-même à destination mais parce que son contenu était susceptible de lui permettre d’obtenir une autorisation. Il lui envoya finalement la missive, sans même se soucier de la jeune femme devant lui qui attendait toujours qu’il la lui remette. Il attendit que tous les étrangers reprennent la route pour défaire le cachet et la parcourir. Découvrant l’écriture de Nakor, il passa sur sa bien longue description de ses précédents rapports avec leur peuple, survola le récit de ses derniers exploits pour en arriver aux quelques lignes qui décrivaient enfin son problème. Fenris retint un haussement de sourcil à l’évocation d’une malédiction de leur Mère.
Achevant de lire la lettre, il releva les yeux vers Alfirin qui s’éloignait toujours entre les arbres. Il vouait une telle adoration pour son maître que la marque dont l’archimage était affublé ne devait pas avoir un impact trop important sur lui. Il ne risquait apparemment rien. S’il devait passer par ici, en revanche… La situation serait bien plus compliquée à gérer.

Fenris referma la lettre et la glissa à l’intérieur de sa veste. Elle serait remise à un messager dès son retour au campement. La réponse parviendrait peut-être à Nakor avant même qu’Alfirin ne soit rentré chez lui suivant l’importance que la Haute Prêtresse accepterait d’y accorder. Si le sujet était si urgent aux yeux des deux mages du Firmament, n’était-ce pas ce qui comptait ? Que le problème soit traité au plus tôt ?