Là où les jeunes cœurs s’abîment [Calel, Ilan]

An 16 du Cycle 11 Mois de Karfias, second mois d'hiver, première ennéade, Panahos   

Malgré le vent mugissant, les venelles de Thaar étaient débordantes d'activités. Des marchands dressaient paresseusement leurs étals alors que le jour peinait à poindre, s'interrompant par moment afin de s'emmitoufler dans leur lourde cape de fourrure. Ils s'ignoraient tous ostensiblement, dardant leur regard mauvais sur l'homme qui deviendrait leur principal concurrent aussitôt la journée entamée.

L'air cinglait violemment le visage du mercenaire qui, parcourant les rues d'un pas lent, avait rabattu sa capuche sur son visage. Sa barbe courte était taillée, fine et élégante, et des mèches argentées venaient colorer ses cheveux noirs, lui conférant un air intemporel. Ses yeux d'un blanc laiteux, grisâtres, balayaient constamment les alentours avec un air las.  Car en effet, le mercenaire était fatigué. Et la cause était la jeune fille qui trépignait derrière lui, poussant des exclamations surprises alors qu'elle identifiait un mets qui lui paraissait savoureux.

- Nehl, Nehl, s'exclamait-elle en le retenant vainement par l'extrémité de sa cape, regarde ! Elle pointait du doigt un épais fruit charnu aux relents entêtants. On peut en prendre un ? Juste un. Allez !

Elle arbora une moue boudeuse, suivant le mercenaire qui n'avait pas daigné lui répondre. Le semi-elfe était habitué à la présence de la jeune fille. Il lui jeta un regard à la dérobée, constatant que son expression boudeuse s'était soustrait à un air plus espiègle.

- Pas de ça Ceralyn, lança-t-il en remarquant qu'elle brandissait son bâton de bois pour lui tâter le bas du dos.

Elle le rangea aussitôt, prenant une mine effarée, comme si elle était choquée qu'il puisse penser cela d'elle. Un mince sourire traversa furtivement le visage de Nehril : Ceralyn n'était plus la fillette pleurnicharde qu'il avait recueillie il y avait de cela des années. Les cauchemars qui la tenaient éveillé la nuit s'en étaient allé. Malgré cela, Nehril restait anxieux. De la voir à nouveau déambulé à ses côtés dans la ville où elle avait perdu parents et foyer. Le mercenaire eut une brève pensée pour la naine qui l'avait aidé à la sortir des décombres : une vieille femme acariâtre mais au cœur d'or. Quel était son nom déjà...Grimieldarc ?

- Nous y allons pas vrai ? Nous y allons vraiment ? répétait Ceralyn avec l'excitation que l'on peinait à retrouver chez une jeune fille de seize ans.

La fillette avait gardé ses manies infantiles malgré son âge plus avancé. Son côté ingénu lui avait souvent valu d'insistants regards lubriques mais Nehril s'assurait toujours de remettre en place les inopportuns. Et ce dernier n'y allait pas de main morte.

- En effet Ceralyn, nous y allons, lui répondit-il avec un sourire plus franc qu'il lui dédiait particulièrement. Le moment est venu pour toi d'acquérir ta première lame. Rien de très extraordinaire, mais elle aura le mérite de remplacer cet affreux bâton d’entraînement.

Les yeux de la jeune fille s'écarquillèrent.

- Oh non, je veux conserver celui-ci aussi !    

Le mercenaire ne répondit rien. Il se souvint qu'il avait taillé ce bâton par une nuit d'orage, alors que la pauvre fille était tourmentée par ses cauchemars. Qu'il lui avait promis que bientôt, ce serait aux cauchemars de la fuir.

Nehril arriva finalement à destination : une solide bâtisse où résonnait le fracas de l'acier, le martèlement régulier du fer qui s'abattait sur une surface métallique et le cliquetis du soufflet qui délivraient ses ultimes râles. Le mercenaire avait entendu parler de cet établissement : une solide forge particulièrement reconnue à Thaar mais dont il avait toujours craint d'en franchir le seuil. Le fait de ne pas rouler sur l'or y contribuait grandement, et le mercenaire savait que plus la renommée d'un établissement était intense, plus les pièces qui changeaient de main étaient lourdes.
Cependant cette fois-ci, le mercenaire avait suffisamment mis de côté pour offrir un présent à sa jeune protégée. Il franchit dès lors la lourde porte en bois et pénétra dans la demeure.
L'odeur était particulièrement forte : un mélange de cuir vieillit et de fragrance de souffre. Nehril plissa ses yeux pour s’accommoder à l'obscurité ambiante, avant de se rendre compte qu'un homme le contemplait derrière un comptoir. Une cicatrice lui barrait le visage, visiblement ancienne, et une courte barbe encadrait son visage. Ses cheveux étaient rejetés en arrière, et le mercenaire distingua une longue natte qui disparaissait dans son dos. Ayant fini son examen, et vérifiant par réflexe les recoins de la pièce, Nehril s'approcha de lui.

- Bonjour brave homme, il me faudrait une lame pour la jeune fille ici présente, lança-t-il d'une voix ferme, habituée à traiter avec les commerçants de quartier. Approche-toi, Ceralyn.

Conscient qu'il devrait évaluer la jeune femme avant de lui proposer une épée, il la poussa du bout des doigts devant lui. Ceralyn leva ses grands yeux verts en direction du forgeron, retirant sa cape avec un petit rire avant de la jeter dans les bras de Nehril. D'un mètre soixante trois, la jeune fille portait une longue robe blanche, coupée court afin de permettre à son corps de se déplacer avec plus d'aisance. Cette dernière était serrée au niveau de la taille, soulignant sa silhouette élancée et ses formes élégantes.
Le mercenaire avait cédé le jour précédent pour cette robe, la jeune fille se plaignant sans cesse de sa tunique en cuir qui l'engonçait et des douleurs qu'elle ressentait aux pieds dans ses nouvelles bottes. S'étant aperçu que Ceralyn avait grandi depuis lors, il avait rapidement demandé d'autres vêtements afin de remplacer les anciens. Mais aujourd'hui était un jour exceptionnelle : la jeune fille pouvait se montrer coquette.

- C'est drôlement grand ici ! Vous avez forgé toutes ces armes ? fit-elle en lui décochant un sourire éclatant.

PNJ:

La forge était encore dans l’ombre. Les échoppes alentours ouvraient seulement leurs portes, installant leurs étals, retirant rideaux et volets, faisant un coup de propre pour se tenir prêt à accueillir le client. Calel, de son côté, avait remis son fourneau à chauffer. Le temps que brûlent les nouvelles bûches qu’il avait lancé sur les braises restantes de la veille, il avait entrepris de faire le point sur les commandes qu’il avait traité et celles qu’ils pourraient/devraient réaliser ce jour-là. Il était penché sur son registre posé à un coin du comptoir à l’intérieur de son atelier, appuyé sur une main, l’autre tenant une plume.

Depuis l’extérieur, il fallait un petit temps d’adaptation pour parvenir à le distinguer dans le noir. Aussi avait-il vu le demi-elfe et sa fille arriver avant même que ceux-ci ne l’aient aperçu. Il les accueillit d’un “Bonjour” afin de leur signaler sa présence et de les aider à le trouver. Achevant d’écrire sa note, il écouta ce qui les amenait puis posa sa plume dans le pli du registre avant de s’approcher. Les deux mains sur le comptoir, il observa la jeune fille qu’on lui présentait, non pas comme un homme regardait une femme mais bien comme un artisan devant fournir un matériel adapté à une cliente. Il fallait reconnaître que l’écart d’âge entre lui et Ceralyn ne passait pas inaperçu. Même s’il ne les faisait pas, sa quarantaine d’années passée se remarquait dans ses cheveux poivre et sel et les quelques rides qui ornaient son visage paisible et arborant un discret sourire.

-Eh bien nous allons voir ça. Répondit-il simplement avec un accent tout péninsulaire avant de s’enfoncer dans son atelier. Laissez-moi juste une minute, que je finisse de m’installer.

Dans le coin au fond à gauche se trouvait un escalier en angle droit qui permettait d’accéder à l’étage supérieur. Calel atteignit une petit poignée qui pendait sur le mur en face du comptoir et tira dessus, ce qui, curieusement n’eut aucun effet immédiat.
Pendant ce temps, Ceralyn observait le résultat de son travail exposé sur les murs de gauche et dans plusieurs râteliers. Il y avait des armes, des armures mais aussi des outils et de la vaisselle en métal. Tout était assez bien organisé et rangé, les matériels neufs étant disposés d’un côté tandis que les travaux de réparation avait leur place propre de l’autre. Sa charge de travail était évidente mais il trouvait encore le temps de tenir son établissement en ordre.
Amusé par la curiosité et l’attitude assez infantile de l’adolescente, Calel se retourna vers elle et lui répondit d’un sourire.

-En effet. Vous avez de la chance, j’ai encore du stock du tournoi. Tout n’est pas parti, surtout le matériel pour femmes.

Tandis qu’il parlait, un grondement avait commencé à raisonner au fond de la pièce et s’intensifiait rapidement. Très vite, on put distinguer qu’il s’agissait en fait de pas très rapprochés qui frappaient les marches. Quelqu’un descendait à toute vitesse, comme s’il était pressé… ou tout simplement plein d’énergie.
Ilan apparut au tournant de l’escalier et s’arrêta net.

-Tu veux que je t’aide à ouvrir ? Demanda-t-il dans sa langue natale.
-Oui, s’il te plaît.

Le jeune garçon de quinze ans sauta les dernières marches qui le séparait de la terre ferme puis rabattit sa capuche sur sa tête d’un seul geste. Chacun alla se placer à un bout à l’autre de la pièce sans même qu’ils aient besoin de se concerter. Calel saisit une chaîne raccordée à une poulie près du comptoir et Ilan fit la même chose sur le même mur au fond de la pièce. Après un échange silencieux, ils se mirent à tirer sur la chaîne d’un même mouvement et le mur de droite, en bois, se souleva lentement vers l’extérieur. Lorsqu’il fut parfaitement à l’horizontal, Ilan bloqua sa chaîne puis alla disposer les cales pour maintenir le système en place.
A présent, l’atelier était deux fois plus grand. A l’intérieur se trouvait le fruit de son travail, tout ce qui avait réellement de la valeur. Le mur quant à lui servait d’abri contre le soleil et la pluie pour lui permettre d’accéder au fourneau situé sous un appenti ouvert sité à quelques mètres de la maison. Deux morceaux de bois placés astucieusement permettaient de maintenir ce nouveau toit en place. Tout en sécurisant l’installation, l’adolescent aborda la nouvelle idée qui lui était venue, toujours en péninsulaire.

-Je travaille sur un système de poulies qui se permettrait d’ouvrir tout seul. Mais pour le moment, le seul que j’ai trouvé demande d’être dehors.
-Donc, quand il pleut, il faudrait que je me mouille pour pouvoir ouvrir ? Je serais au bout du mur en plus j’imagine ?
-Oui, je sais… C’est pour ça que j’y réfléchis encore…

Ilan savait que son idée était loin d’être parfaite. Ainsi positionné, le mur servirait de toboggan pour l’eau menant droit sur son père. Déjà mouillé par la pluie, il se retrouverait trempé jusqu’aux eaux… Il devait trouver comment faire depuis l’intérieur.

L’adolescent était entièrement vêtu de couleurs claires, plus proches du crème que du blanc. Son visage était caché par une capuche et il conservait la tête incliné vers le bas pour qu’on ne puisse pas voir ses yeux. Seuls dépassaient de cet enchevêtrement de tissus ses mains et son visage dont on ne voyait que la moitié basse, allant du nez jusqu’au menton. Ainsi, on distinguait sans mal que sa peau était plus blanche que sa tenue. Il était déjà assez grand, presque autant que son père qui dépassait le mètre quatre-vingt. Sa carrure était plutôt fine, ce qui n’avait rien d’anormal pour un adolescent en pleine poussée de croissance.

Une fois l’installation en place, Calel lâcha la chaîne à son tour et saisit un bâton en bois et une craie avant de s’avancer dans l’extension de son atelier maintenant ouvert. Rien n’empêchait d’accéder à ce nouvel espace, aucune barrière n’avait été installée afin que les clients devant essayer leur matériel puisse entrer.

-Par ici Mademoiselle ! Appela-t-il la jeune fille. Il attendit qu’elle le rejoigne à l’abri du soleil et lui indiqua ce qu’elle devait faire. On se tient bien droite, les bras le long du corps et on ne bouge plus.

Calel avait cette façon de s’exprimer à la fois dynamique et posée, à la manière d’un artisan qui aimait son métier et la relation avec la clientèle tout en se montrant très professionnel. Lorsque la jeune fille fut en position, il plaça le bâton le long de son bras et y fit deux marques à la craie : une au niveau de la pointe de son oreille et l’autre au milieu de la paume de sa main. Puis il retira le bâton et se dirigea à nouveau à l’intérieur de son atelier.

-Tu sais déjà te battre ou tu débutes encore ?

Tandis qu’elle lui répondait, il commença à regarder ce qu’il avait en stock et dont la taille correspondait à la longueur qu’il avait tracé sur le bâton. Il s’autorisa à prendre des lames un peu plus courtes, plus adaptées à une novice. Pendant ce temps, Ilan alla vérifier l’état du fourneau. Constatant que les premières bûches étaient plus qu’entamées, il prit les gants qui étaient coincés dans sa ceinture et les enfila pour rajouter du bois afin de s’assurer que la température grimpe rapidement.

Le forgeron fit quelques allers-retours, venant placer dans un râtelier libre à l’extérieur le fruit de ses trouvailles. Ainsi, un échantillon d’armes de différentes tailles et formes se forma rapidement sous le regard de la jeune fille. Certaines étaient droites, d’autres présentaient une courbe plus ou moins importante. Bien qu’il soit né en Péninsule, Calel avait appris à s’adapter à la diversité qui existait en Ithri’Vaan. Il avait sélectionné cependant des modèles plutôt simples, réservant les armes plus élaborées à des personnes beaucoup plus expérimentées car elles demandaient un certain savoir-faire pour être manipulées efficacement.
Lorsqu’il en eut sorti six ou sept, il montra le râtelier à Ceralyn d’un geste de la main.

-Vas-y. Prends-en une et essaie de la manipuler. Elles ne sont pas très coupantes pour le moment. Puis, se tournant vers le demi-elfe, il ajouta une précision. Je les affûte au moment de la vente.

Un guerrier ou deux qui avait peur de se faire arnaquer lui avait déjà fait la remarque que ses armes n’étaient bonnes qu’à couper du beurre et il avait dû les rassurer. Il ne voyait pas l’intérêt de les rendre tranchantes si elles ne sortaient pas de son magasin. C’était du temps perdu s’il ne trouverait peut-être pas d’acheteur avant des mois, la lame ayant le temps de s’émousser de nouveau… Depuis, il rassurait ses nouveaux clients dès le départ pour couper court à tout malentendu.

Ceralyn ne restait pas en place. Elle flânait le long des étagères garnies d'objets étranges, folâtrait autour des râteliers imposant tout en poussant régulièrement des exclamations intriguées. Un simple claquement de langue de la part du semi-elfe mit un terme à son exploration, et elle suivit Calel d'une démarche légèrement dansante. Elle observa du coin de l’œil le jeune garçon qui vint assister le forgeron, et elle lui fit un petit signe de main avant de disparaître dans un gloussement.

Lorsque Calel l'appela pour prendre des mesures, elle s’exécuta aussitôt. Excitée à l'idée de bientôt posséder sa propre arme, elle resta d'un calme surprenant durant son examen. Elle le suivit docilement lorsqu'il lui présenta les différentes lames qu'il disposa ensuite sur un râtelier.

- Tu sais déjà te battre ou tu débutes encore ? lui demanda le forgeron.

La jeune fille gonfla ses joues pour se donner un air important.

- Je sais me battre ! J'ai déjà appris l'Aigle-qui-siffle et les Yeux-qui-dorment ! fit-elle d'une voix fière.

Elle mima grossièrement un mouvement à deux mains avant de faire un bond gracieux sur le côté. Elle leva ensuite les deux bras comme si elle attendait des applaudissements.

- Elle connaît quelques bases, lâcha placidement Nehril qui venait d’apparaître dans un coin de la pièce. Ses yeux argentés détaillaient Ceralyn avec un air réprobateur. S'en rendant compte, elle se renfrognât et fit aussitôt la moue.

Calel lui présenta ensuite un assortiment de lames qui lui fit oublier la remarque du mercenaire. Elle attendit l'autorisation du forgeron pour s'en saisir d'une. La lame courbe attira le regard de Ceralyn et elle s'en empara avec une expression ravie. L'épée lui semblait agréable en main. Elle la fit danser prudemment sous le regard attentif de Nehril, enchaînant quelques figures entrecoupées d'éclats de rires.

- Une autre, commenta le semi-elfe en plissant les yeux.

Ceralyn lui lança un regard intrigué, mais obéit, connaissant l'expertise de son protecteur en matière de lames. Sa propre épée pendait négligemment dans son dos, une large lame imposante qui brillait d'un faible éclat. Tandis qu'elle faisait son choix, le mercenaire se tourna vers le forgeron. Il lui désigna le jeune homme encapuchonné d'un mouvement de tête.

- Votre apprenti ?

- Celle-là Nehl ! s'exclama subitement la jeune fille en brandissant une épée dans sa direction.

Le semi-elfe détourna son regard de Calel pour l'examiner. La pièce était fine, élégante, et l'acier semblait de très bonne qualité. La lame arborait une teinte grisâtre plutôt sombre, virant à certains endroits sur du noir. Une fine ligne parcourait son fil, lui conférant un air exotique, presque unique. Ceralyn la fit alors virevolter dans sa main, étonnée par sa légèreté. Elle s’emmêla rapidement dans ses figures et l'épée finit par rebondir sur le sol dans un cliquètement métallique. Nehril claqua aussitôt sa langue tandis qu'il la foudroyait du regard.

- Combien pour cette lame ?

Ceralyn ramassa l'épée au sol et la reposa précautionneusement sur son présentoir. Elle tenta ensuite de se soustraire au regard flamboyant de son protecteur en s'enfonçant discrètement dans le magasin. Elle tomba aussitôt sur le jeune homme encapuchonné.

- Pourquoi caches-tu ton visage sous cette capuche ? l’interrogea-t-elle en se penchant en avant afin de distinguer ses traits. Quelqu'un aurait manqué ta coupe de cheveux ?

PNJ:

Calel regarda la jeune fille faire des gestes un peu étranges pour expliquer les bottes qu’elle avait apprise. Leurs noms dans sa bouche lui donnait un air encore plus enfantin et immature. Personne n’applaudit sa prestation comme elle l’espérait. Même Ilan qui avait observé une partie du spectacle la regardait d’un air perplexe sous sa capuche.
Le forgeron ne fut pas très surpris de voir le demi-elfe reprendre la jeune fille sur ses capacités martiales. Elle avait l’air très… enthousiaste et trop sûre d’elle. Cela contrastait avec la froideur apparente de celui qu’il imaginait être son père. Mais, s’il était là, prêt à faire des frais l’équiper, c’était bien qu’il devait tenir un temps soit peu à elle.
Ainsi, Calel avait essentiellement sorti des lames un peu plus courtes par rapport aux mesures qu’il avait prises, comme il était habituel de le faire pour les novices. Il observait la jeune fille se précipiter pour en prendre une et “jouer” avec. Le demi-elfe était de bon conseil. Il n’eut besoin que d’un peu d’observation pour se rendre compte que la courbure de l’épée ne convenait pas à Ceralyn. Le forgeron la rangea, ainsi que celles qui avaient également un forme inhabituelle et pouvant perturber l’équilibre de l’adolescente. Puis il revint auprès de ces clients, se postant les bras croisés pour observer la jeune fille faire un nouvel essai.

-Votre apprenti ?

Calel posa un bref regard sur Ilan qui, s’étant occupé du fourneau, venait de passer devant eux pour aller chercher les outils de son père dans l’atelier. Le péninsulaire revint ensuite sur le mercenaire.

-J’aimerais bien, mais non. Ce n’est que mon fils. Ajouta-t-il avec ironie avant qu’un sourire amusé se dessine sur son visage.

A peine eut-il répondu que la jeune fille interpella son père et le forgeron de remarquer qu’elle avait une bien curieuse façon de l’appeler. Peut-être l’avait-il recueillie, à moins qu’il ne soit que son maître d’arme. Toujours était-il qu’elle lui montra une épée qu’elle ne tarda pas à faire tomber, provoquant un rire de sympathie chez l’artisan.

-Ca va, tu ne risques pas de la casser celle-là. Elle est enrichie en béryllium, c’est ce qui lui donne cet aspect sombre et qui la rend plus légère. On en trouve plus facilement que de l’Onous’Delab.
-Combien pour cette lame ?
-Celle-la est à douze souverains.

Pendant ce temps, Ceralyn rangeait la lame sur le râtelier et entrait dans le magasin. Quittant la lumière pour se glisser dans l’ombre, elle ne vit pas l’adolescent tout vêtu de blanc en train de revenir, une lourde sacoche à la main. Elle manqua de lui rentrer dedans. Il s’arrêta net et eut un mouvement de recul. Il s’excusa. Si elle ne pouvait pas le voir depuis l’extérieur, lui avait une grande partie de son champ de vision masqué par sa capuche. Et c’était encore plus vrai lorsqu’il passait près des clients car il baissait alors la tête pour être certain de ne pas être vu.

-Pourquoi caches-tu ton visage sous cette capuche ?

Le jeune homme détourna la tête à mesure qu’elle se penchait pour tenter de le voir, fuyant son regard et l’empêchant de voir plus haut que l’arrête de son nez.

-Quelqu'un aurait manqué ta coupe de cheveux ?

Ses lèvres s’étirèrent en un sourire amusé mais ce fut sa seule réaction à ce qu’il prenait pour une plaisanterie.

-Je me protège du soleil. Répondit-il avec bien moins d’accent que son père.

Il savait pertinemment que ce n’était pas très cohérent étant donné qu’il ne s’était à aucun moment placé sous les rayons du jour. Cependant, ce n’était pas entièrement faux étant donné la pâleur de son teint car même des rayons reflétés par le mur d’en face pouvaient chauffer sa peau.
Calel écouta l’échange d’une oreille. Alors que son fils essayait tant bien que mal de se défaire de la petite curieuse, il releva son regard pour observer celui du demi-elfe. Il avait remarqué cette teinte particulière qui les ornait, entre le blanc et l’argenté.

-Tu peux te montrer Ilan.

Le jeune homme tourna sensiblement la tête vers son père, écoutant sa suggestion, mais il ne sembla pas vouloir s’exécuter. Le forgeron s’y attendait un peu et, sans quitter le mercenaire du regard, il poursuivit.

-Je pense que tu devrais voir les yeux de cet homme. Tu comprendras.

Calel adressa à Nehril un sourire afin qu’il comprenne qu’il n’y avait aucune offence dans ses propos. Il ne cherchait qu’à rassurer un garçon habitué à se cacher depuis la naissance. La première fois que quelqu’un du quartier l’avait vu, c’était par erreur. Depuis, les voisins lui avaient vite fait comprendre qu’il n’avait pas à craindre les jugements des autres ici et, quelques années plus tard, il était presque à l’aise le visage visible devant ceux qui le connaissaient. Mais il se cachait toujours des inconnus.
Après une hésitation, Ilan tourna enfin la tête en direction du demi-elfe avant de la relever pour pouvoir voir celui qui se tenait à seulement quelques pas de là. Ceralyn et Nehril purent alors enfin voir son visage. Si sa peau était blanche, ses cheveux, ses sourcils et ses cils étaient immaculés. Ses iris, elles aussi dépourvues de tout pigment de couleur, ne laissaient apparaître qu’une teinte d’un rouge sang, sa cornée lui donnant un aspect transparent. En dehors de cela, c’était un jeune homme en pleine adolescence. Sa mâchoire se dessinait pour se faire en angle droit. Il était assez grand pour un garçon de quinze ans et expliquait la sécheresse de sa silhouette. Son corps avait commencé par pousser et s’épaissirait plus tard.

Ilan devait reconnaître que les yeux du mercenaire étaient assez inhabituels. Après plus de cinq ans passés à Thaar, il parvenait à reconnaître les races et leur mélange. Il savait donc à quelle association de sangs il avait affaire. Et lui ? Le prendrait-il pour un demi-drow ? Un expérience ratée ? Ou connaissait-il les fils de la lune ?

Le regard du mercenaire se fit progressivement plus froid alors qu'il détaillait la peau immaculée du jeune Ilan. Les yeux argentés croisèrent les pupilles rougeâtres du jeune homme et il observa sa chevelure d'albâtre sans un mot. Un silence inconfortable s'abattit entre eux avant qu'un cri émerveillé ne franchisse les lèvres de Ceralyn.

- Nehl ! Nehl ! fit-elle en tournant autour du jeune homme avec un air excité. Regarde ! On dirait presque tes cheveux !

Elle saisit une mèche d'Ilan entre ses deux doigts et lui lança un sourire éclatant.

- Ils sont doux ! C'est une bêtise de les garder caché sous cette horrible capuche, commenta-t-elle en levant un doigt pour le morigéner.

Elle se pencha ensuite en avant et planta un doigt dans sa joue avec un petit rire. Un bref sourire vint effacer le masque impassible de Nehril. Toutefois, lorsqu'il se tourna vers Calel, toute trace d'amusement avait disparu de son visage.

- Ces traits physiques..., lâcha-t-il d'une voix sourde, la ressemblance avec les fils de la lune est frappante.

Il eut un petit rire sans chaleur.

- Les gens du commun le prendrait aisément pour un drow, ajouta-t-il sur un ton ironique. Pivotant à nouveau en direction d'Ilan, il claqua une nouvelle fois sa langue afin d'intimer à Ceralyn de le laisser tranquille. Mais il n'en est rien, bien évidemment, fit-il en s'adressant cette fois-ci à Calel. Les imbéciles de cette cité craignent ce qu'ils ne comprennent pas. Et pire, ce qu'ils ne reconnaissent pas. L'ont-ils associé à l'un ces sombres personnages ?

Ceralyn pencha la tête sur le côté et jeta un œil en direction d'Ilan, comme si elle espérait de lui qu'il lui fournisse des réponses.

- Tes yeux..., fit-elle en fronçant les sourcils. On dirait deux gros rubis ! Elle battit des mains avec ravissement. Dis donc, tu es vachement grand aussi ! remarqua-t-elle subitement. Tu as quel âge ? Elle se dressa sur la pointe des pieds afin d'essayer d'atteindre le sommet de son crâne.

Le regard du demi-elfe se fit de plus en plus glacial et Calel regretta pendant un instant d'avoir dit à Ilan qu'il pouvait se montrer au grand jour. Le jeune homme soutint son regard mais il avait l'impression d'être transpercé de part en part par un jet de glace. Seul l'enthousiasme de l'adolescente rompit le silence plus que pesant qui s'était installé. Ceralyn glissa deux doigts sous sa capuche pour caresser ses cheveux avant qu'il ne se dégage d'un mouvement de tête. Il n'était pas très habitué à ce qu'on l'approche, et encore moins de cette manière. Cependant cela n'empêcha pas la jeune fille de venir tâter sa peau à l'aide de son index. Il s'esquiva encore et, cette fois, il la contourna pour aller vers le fourneau, comme il avait prévu de le faire la minute d'avant.

-Je t’ai dit que je me protégeais du soleil. Lança-t-il en espérant se débarrasser de la jeune fille ainsi.

De son côté Nehril s'était penché vers Calel qui fut rassuré de voir le mercenaire ne pas faire erreur sur la personne. Au moins, il ne le prenait pas pour un sombre et critiquait presque ceux qui commettaient cet impair. Du fait de son apparence, l'adolescent pouvait facilement être pris pour un sang mêlé au premier abord mais le forgeron avait eu raison de penser que le semi-elfe ne s’y tromperait pas. Il en avait certes les teintes mais il n’en possédait ni les traits, ni la carrure et, même si sa capuche les cachait, ses oreilles étaient parfaitement rondes.

-Il n'y a qu'un non-Sombre pour le reconnaître comme un des leurs. Répondit-il finalement, exprimant ainsi qu’ils étaient encore trop nombreux à son goût à faire l’amalgame.

Se retournant après avoir posé les outils de son père, Ilan se retrouva de nouveau nez à nez avec Ceralyn. S’éloigner ne l’avait pas débarrassé d'elle pour autant car elle s'était mise à le suivre comme son ombre. Elle s’extasiait sur son apparence qu’elle trouvait intrigante et magnifique à la fois, ignorant que cette absence de coloration de sa peau et de ses yeux était un calvaire quotidien pour lui. Lorsqu’on le ne prenait pas pour une engeance drow, il devait malgré tout rester cacher pour éviter que sa peau ne brûle après quelques minutes au soleil.

-Tu as quel âge ?
-Quinze ans.

Devant l'agitation de la jeune fille, il eut un mouvement de recul. Apparemment, rien, pas même les claquement de langue de son père, ne parvenait à la calmer. Avoir quelqu'un qui gigotait comme ça devant lui avait quelque chose de dérangeant qu'il ne s'expliquait pas vraiment. Il baissa la tête et les yeux, plus par réflexe que pour vraiment éviter d'être vu.

-Tu peux te calmer ? Désolé, je suis pas tellement habitué à provoquer l'enthousiasme.
-Nous venons du Nord de la Péninsule, là où les superstitions sont très fortes. Renchérit Calel, s'adressant d'abord à Ceralyn puis à Nehril. Nous étions tolérés dans notre village parce que les habitants nous connaissaient avant la naissance d’Ilan mais les choses ont changé après le décès de mon épouse. Il nous a fallu des années pour arriver ici. Les gens du quartier nous ont bien accueilli mais nous devons encore nous montrer méfiants concernant les réactions de ceux que nous ne connaissons pas.

Nehril hocha la tête et ses traits se détendirent. Son visage se fit plus avenant malgré la froideur persistante de son regard.

- Pourquoi vous installez dans une cité telle que Thaar ? lança-t-il d'une voix rauque en surveillant Ceralyn du coin de l’œil. Les villages ne manquent pas le long de la côte, et les gens du commun, même embourbé dans leurs superstitions douteuses seraient bien plus enclin à accueillir un forgeron de votre mérite.

Se désintéressant de la conversation, Ceralyn se pencha légèrement, désormais pleinement consciente que sa présence pouvait rendre mal à l'aise Ilan. Elle décida de changer de sujet de conversation, car même si les traits physiques du jeune homme étaient particulièrement étonnants, elle se doutait que pour ce dernier, ce genre de discussion était tout sauf agréable.

- Tu souhaites devenir forgeron Ilan ? s'enquit la jeune fille en promenant une main le long des épées. Tu as déjà forgé certaines de ces lames ?

Ceralyn fit quelques pas avant de lui décocher un sourire radieux.

- Tu n'as jamais eu envie de partir à l'aventure ? Au nord, au sud, en quête d'aventures ?

PNJ:

Calel tourna son regard vers le demi-elfe. C'était vrai, ils auraient pu aller vivre en campagne mais il savait par expérience que c'était tout ou rien dans ces cas-là. Les petites communautés pouvaient être salutaires mais aussi très néfastes suivant l'ambiance qui s'y trouvait. Et, même dans un village serein, la moindre goutte d'eau pouvait faire l'effet d'une tempête. Dans une ville, au moins, ils n'étaient qu'une goutte d'eau parmi tant d'autres qui se mêlait aux autres pour former un lac qui, certes, avait ses turbulences mais n'en demeurait pas moins uniforme.

-Nous passons plus inaperçu dans une cité telle que Thaar. Sans compter que nous nous sommes très bien intégrés dans ce quartier. Tout le monde nous connaît et veille sur Ilan.

De son côté, Ilan essayait de se détendre en voyant que Ceralyn se calmait un peu. Se montrer honnête lui avait peut-être enfin permis de réaliser l'effet que son attitude produisait sur lui... Elle changea alors complètement de sujet de conversation et ses épaules se décrispèrent instantanément.

-Je suis manuel mais pas forgeron, non.

On pouvait dire que cette fille avait l'art de passer du coq à l'âne... A peine avait-elle posé sa première question qu'elle enchaînait sur une autre qui n'avais pas grand chose à voir avec la première.

-Je suis né au Nord de la Péninsule, j'en ai traversé la moitié, j'ai passé un an sur un bateau qui s'est fait attaquer par des pirates avant qu'on débarque ici. Je crois que j'en ai vu assez pour mon âge...

Puis il désigna la peau de son visage.

-Sans compter que je ne peux pas rester au soleil. Ça commence mal pour un aventurier... Mais toi, j'ai l'impression que ça te plairait.

Un mince sourire vint traverser le visage blafard du mercenaire.

- En effet, fit-il en haussant brièvement les épaules, les dangers du quotidien sont toujours plus prévisible que ceux d'un environnement étranger. Il se frotta pensivement sa barbe drue. Qu'en est-il de sa mère ?

Ses yeux d'argent balayèrent la forge dans l'espoir d'y remarquer une quelconque trace de présence féminine. Ne distinguant rien, il craignit aussitôt de s'être mêlé de ce qui ne le regardait pas. Mais le forgeron particulièrement affable avait pour don d'aiguiser sa curiosité. Il pressentait que ces deux individus dissimulaient un sombre secret. D'ordinaire il s'en serait moqué éperdument, mais le manque de contact social durant les dernières ennéades l'avait rendu particulièrement bavard.  

De l'autre côté de la forge, Ceralyn arborait un air plus résolu que le jeune Ilan.

- Oui, j'aimerais bien continuer à voyager, répondit-elle en poussant un léger soupir. Je suis originaire de Thaar tu sais ? De mauvaises choses me sont arrivées aussi, mais je me dis qu'il ne faut pas que je me morfonde. Le monde est si vaste, si beau ! Nous sommes encore trop jeunes pour qu'on nous dise ce qu'on peut ou ne pas faire.

Un sourire plus triste, plus serein, vint effriter le masque enjoué de la jeune fille. Elle parut soudainement plus âgée, plus marqué par son passé.

- Si le soleil te blesse, tu peux voyager de nuit, continua-t-elle. Si la solitude te pèse, tu peux voyager avec d'autres personnes. Nehril me prend pour une fillette capricieuse, mais je ne le remercierais jamais assez de ce qu'il fait pour moi. M'emmener avec lui dans ses voyages, reprit-elle après une pause, j'ai l'impression de me sentir en vie à nouveau.

Il était rare que cette petite famille attire l’attention de cette manière. Ils étaient plus habitués aux regards soupçonneux et à la curiosité malsaine. Cependant, cela ne correspondait pas à l’attitude du demi-elfe et de sa fille. Lui était véritable intéressé tandis qu’elle ne cherchait qu’à faire connaissance. Et Calel de regarder les deux jeunes, heureux de voir son fils pouvoir discuter simplement avec quelqu’un de son âge (ou presque).

La dernière question de Nehril attira de nouveau le regard du forgeron. Il n’y avait pas si longtemps, cela aurait provoqué une grande vague de tristesse en lui. A présent, parler d’Eloïse le rendait seulement nostalgique que cette époque si heureuse à ses côtés. Elle aurait été fière de l’intelligence de son fils.

-Elle repose dans notre village en Péninsule. Nous sommes partis après son décès. Sans elle, nous n’avions plus notre place parmi eux.

Ilan posa sur la jeune fille un regard plus doux que ce à quoi elle aurait pu s’attendre. Elle aimait bouger, se battre, découvrir de nouveaux paysages. Mais il ne ressentait pas ce besoin. Il avait voyagé déjà et cela ne provoquait pas chez lui le même enthousiasme que chez elle.

-Grand bien te fasse si tu aimes explorer le monde mais je suis un peu plus casanier. Je ne suis pas en aventurier mais un inventeur. Je préfère passer des heures à croquer mes idées plutôt qu’à marcher.

Le mercenaire hocha la tête avec raideur. Il s'abstint de tout commentaire, persuadé que la valeur du silence prévalait sur celles de paroles inconsidérées. Après un moment, il pivota en direction de Calel et fit tinter sa bourse de cuir. Plongeant sa main gantée dans l'ouverture, il en sortit douze souverains qu'il lui tendit.

- Je vous remercie pour votre histoire Calel, fit Nehril en lui adressant l'un de ses rares sourires. Et également pour cette lame, c'est la gamine qui va être contente.

À ces mots, Ceralyn se matérialisa subitement aux côtés du forgeron.

- Elle est vraiment belle ! s'exclama-t-elle en se penchant en avant pour examiner une nouvelle fois l'épée. Cela vaut vraiment douze souverains ?

Nehril claqua sa langue afin de lui intimer le silence. Il ne souhaitait pas que le forgeron décide d'augmenter la valeur de l'arme. D'autant plus que ses ressources s'amenuisaient progressivement, principalement dû aux envies gloutonnes de la jeune fille.

Imitant maladroitement le semi-elfe en claquant plusieurs fois sa langue, s'y reprenant à plusieurs reprises pour parvenir à émettre une sonorité décente, elle se tourna vers Ilan.

- On n'a pas eu l'occasion de bien faire connaissance Ilan, fit Ceralyn en se tenant à une distance respectable du jeune homme. Je sais que j'ai l'air un peu extravertie, mais franchement qui s'en souci ? Elle lui adressa un sourire radieux. Je passerais de temps en temps à la forge pour que tu me racontes tes inventions !

Elle jeta un œil en direction de Calel et de Nehril afin de savoir s'ils émettraient une objection. Le mercenaire aux yeux d'argent sourit à Ilan et lui claqua l'épaule.

- Je te la confie gamin, lança-t-il tout heureux de pouvoir épargner à ses oreilles les babillages incessants de la jeune Soryngar. Si cela ne vous dérange pas, ajouta-t-il en se tournant vers Calel.

Les yeux de Ceralyn scintillèrent lorsqu'ils croisèrent ceux du forgeron. Elle pencha la tête sur le côté en lui décochant une moue adorable.

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Calel recueillit les pièces du mercenaire et n'eut pas le temps de faire un pas pour les déposer dans la caisse que la jeune fille se tenait à côté de lui. Il commençait à comprendre la réaction de son fils de tout à l'heure... Elle était gentille mais un peu envahissante par son enthousiasme. Il se contenta de lui répondre par un sourire, profitant de la réprimande de son "père" pour éclipser la question. Elle en valait plus en réalité mais il n'avait pas besoin de gonfler les prix pour rentrer dans ses frais... Il se contentait donc de rester dans la limite basse du marché pour ne pas attirer l'attention des autres forgerons, ou même de quiconque.
Une fois délesté de l'argent du demi-elfe, Calel récupéra l'épée sur le râtelier et se dirigea vers la meule pour l'aiguiser comme convenu. Pendant ce temps, Ceralyn revint auprès de son fils. Il fut amusé de la voir se décrire comme "extravertie". C'était peu de le dire...
Ilan passa une main à l'arrière de sa tête. Il n'était pas habitué à avoir de la visite... Et encore moins avec quelqu'un qui voulait "faire connaissance". Il ne savait pas vraiment comment répondre. De toute façon, il avait l'impression que, quoi qu'il dise, elle viendrait quand même... Le corps du garçon vibra sous le coup à l'épaule du mercenaire. Il savait qu'il n'avait fait que se montrer amical mais les gens ne l'approchaient pas en général. Alors le toucher... Il massa son épaule endolorie tandis que son père répondait à la question qui lui était posée.

-Ceralyn est la bienvenue ici. Au moins, je pourrais voir comment elle traite son arme. Taquina-t-il.

Puis il posa le regard sur Ilan. Il était certes un peu perturbé par la situation mais le forgeron trouvait que c'était une bonne chose. Depuis le temps qu'ils vivaient ici, le garçon blanc n'était pas vraiment parvenu à se lier aux autres. Il faisait parte du quartier, c'était vrai, mais il ne s'était pas fait d'amis dans le voisinage. Jonas tenait beaucoup à lui mais c'est l'ami de son père avant tout. Le voir s'attacher à quelqu'un comme cette jeune fille ne pourrait que lui faire du bien. Elle était peut-être même la personne la plus indiquée pour cela avec sa manière d'aller droit au but. Elle saurait sans doute brusquer Ilan pour le faire sortir un peu de sa coquille...

Nehril remercia le forgeron avec un nouveau sourire. Comme Calel, il regrettait depuis plusieurs années que la jeune Soryngar n'ait pas de contact avec les autres enfants de son âge. Un peu de jeunesse et d’innocence lui changeraient du caractère morne et acariâtre du vieux semi-elfe.

Ceralyn battit des mains avec excitation et saisit celles d'Ilan.

- C'est donc décidé Ily ! fit-elle en lui trouvant naturellement un diminutif. Elle plongea son regard olive dans le sien tout en le gratifiant d'un sourire enjoué. Elle sauta autour de lui tout en tenant toujours ses mains en riant.

Le mercenaire eut un petit rire affectueux alors que son visage impassible s'effritait progressivement. Il prit la lame que lui présentait Calel et la cala sous son épaule. Il serra ensuite les avant-bras du forgeron tout en hochant la tête.

- Si à l'avenir vous avez quelques problèmes de « voisinage », fit-il avec un sourire entendu, vous savez où me trouver. Pivotant en direction d'Ilan qui n'arrivait pas à s'arracher de l'étreinte de Ceralyn, le semi-elfe reprit. Prends soin de toi, Ilan. Ne laisse pas les gens retreindre tes possibilités d'avenir. Sois le forgeron qui forge, non le métal qui subit ses coups.

Ceralyn s'immobilisa enfin, et se précipita vers Nehril afin de saisir son épée.

- Paix fillette, lâcha le mercenaire en la tenant hors de portée, il faut d'abord lui trouver un nom avant de pouvoir la manier. Adressant un ultime regard au père et à son fils, Nehril franchit le seuil de la forge.

- À plus tard Ily ! lança-t-elle en lui décochant un clin d’œil. Son rire résonna un moment avant de se noyer sous le tumulte du passage.

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