Une fuite en trois actes - Solo

72 de verimios 16:XI

Acte I : La préparation

Assise sur son lit, Liliana réfléchissait à ce qui allait se passer dans peu de temps. Elle savait qu’elle n’avait peut-être pas fait le meilleur choix mais c’était celui qu’elle avait fait alors elle assumait et ne comptait pas se décourager alors qu’une opportunité s’ouvrait devant ses yeux. Elle allait partir sans un mot pour la gouvernante ou Glamdring, et elle allait verser quelques larmes, c’était un déchirement car si abandonner gouvernante et protecteur piquait un peu, abandonner ses frères allait être, pour elle, un coup dans le ventre, une dague en plein cœur.
Elle ferme les yeux avant de se laisser tomber en arrière sur son matelas. Ses cheveux volèrent et s’éparpillèrent tandis que la rapière qu’elle avait pris dans le bureau de son père rebondit un coup, faisait briller la lame légèrement émoussée et remuant, par le même mouvement, une étole prise dans les affaires de sa mère. La nostalgie la frappait alors qu’elle n’était pas encore partie et elle sentit les larmes monter. Elle inspira et expira avec force avant de souffler, elle ne devait pas pleurer, pas maintenant. C’était imprudent de verser des larmes alors elle les ravala alors que quelqu’un frappait à la porte. Trois petits coups résonnant sur la porte en bois massif.

– Entrez

Elle avait parlé d’une voix douce en s’asseyant sur le lit et rabattant une couverture sur l’arme tandis que la porte s’ouvrait dans un grincement significatif. Ce fut la tête de Dastan qui apparue la première puis la silhouette d’Elyan apparut à son tour. Les deux garçons entrèrent et vinrent s’installer sur le lit moelleux avec leur sœur. Trois enfants inséparables et adorables, c’était ce qu’ils étaient.

– Dit Lili, tu me promets que tu vas revenir ? Je veux pas que tu partes moi et puis si tu pars, tout le monde il sera ronchon et on pourra pas aller voir maman parce que tonton Glam et bah il aime pas vraiment aller dans les monastères où on retrouve souvent maman.

Liliana eut un sourire en entendant les mots d’Elyan. Il avait encore beaucoup à apprendre sur le langage mais elle n’avait pas la force de le corriger sur les quelques erreurs, les mots lui serrèrent trop la poitrine et firent naître une nouvelle envie de pleurer mais, encore une fois, elle se retint et attrapa les épaules du plus jeune pour figer son regard clair dans celui de son frère.

– Ecoute Elyan, je te promets de revenir mais seulement si tu promets de ne rien dire à personne sauf à Papa et à Maman quand tu les verras. Et n’oublie pas canaille, tu leur dis juste que je ne suis pas partie pour toujours, que je vais revenir mais, qu’avant de revenir, j’ai besoin de faire quelques choses qui me tiennent à cœur.

Il y avait, dans sa voix, tout un tas de sentiments mêlés. Il y avait de la peur, de la colère, de la tristesse, de la douceur mais aucun ne respirait la joie ou même le bonheur car c’était un peu à contre-cœur qu’elle laissait ses deux petits frères sans protection car, même s’il y avait Glamdring et la gouvernante, elle ne sera plus là pour les couver de son amour à elle, de l’amour d’une Kastelord ou d’une grande sœur peut-être trop protectrice.

– Promis Lili ! Mais tu vas m’écrire hein ? Et tu viendras pour anniversaire aussi pour manger un gât…

– Il suffit Elyan, Lili reviendra quand elle reviendra et si elle nous le promet, c’est qu’elle va réellement revenir d’accord ? Même si elle n’est pas là pour ton anniversaire, pour le mien, pour le retour de Papa ou la visite à Maman, elle reviendra.

La voix de Dastan était plus cassante, plus dure et fit taire Elyan qui acquiesça en se cachant un peu plus dans les bras de Liliana qui sourit. Il était plus jeune mais il semblait souvent être le plus vieux. Il faisait la même taille que Liliana malgré son année en moins. Le départ de sa sœur l’affectait plus qu’il ne le laissait paraître mais il commençait déjà à prendre la cape du maître de famille en l’absence parentale ainsi que celle du maître de maison. Liliana tendit la main et la passa sur la joue de Dastan, main qu’il retira d’un coup, mimant le dégoût. La puberté le frappait et sa sœur leva les yeux vers le ciel face à sa réaction. Elle le trouvait pénible quand il s’y mettait mais elle l’aimait, elle les aimait tous les deux.

– Bref, je crois qu’on devrait parler un peu du plan, il faut être au point sinon tu vas te faire attraper et nous serons tous les trois punis et mon petit doigt me dit que quand les parents l’apprendront, tu te feras quelque peu sermonner.

– Oui, faisons cela. Préparons-nous. Tout doit être parfait les garçons si vous voulez que je sois de retour avant vos noces.

Les trois enfants se sourirent avant d’acquiescer d’une même voix et de s’installer bien en rond sur le lit, la rapière au centre du cercle recouverte par l’étole maternelle. Les trois Kasterlord réunis autour de la douceur de la mère et de la fougue du père, un tableau qui aurait mérité d’être peint par un peintre talentueux. On y aurait ressenti la force des liens les unissant, la pureté de la relation, la sincérité de cet amour fraternel.
Ils parlèrent durant des heures, peaufinant le plan, trouvant des alternatives à chaque fois qu’une chose pouvait causer la perte de la mission. Le débat était animé et silencieux, ils parlaient en jouant à un jeu tous les trois et, lorsque la gouvernante passait pour jeter un coup d’œil à ce qu’il se tramait dans la chambre, elle rencontrait seulement trois gamins se contant des histoires, s’affrontant dans des joutes verbales, jouant aux échecs ou bien aux dés. Elle les voyait s’occuper alors elle passait son chemin, faisant sa vie de son côté sans savoir réellement les intentions des trois jeunes Kastelord.
Le plan se mit en place lorsqu’ils furent tous trois appelés pour le dîner. C’était le début d’une valse dangereuse qu’ils allaient devoir mener d’un pas de maître s’ils ne voulaient pas se faire punir. La fuite de Liliana ne devait pas se voir avant le lendemain matin car, de cette manière, lorsqu’ils verraient la fuite, elle serait déjà loin, la nuit l’ayant avalé dans son manteau ténébreux.

Dastan parle : #90EE90
Elyan parle : #ADD8E6

Acte II : La fuite

Ils mangeaient en silence. Liliana buvait sa soupe tout en jetant des petits regards vers ses frères. Il allait bientôt être temps que chacun se dise au revoir et que Liliana prenne la route tandis que ses deux frères allaient la couvrir juste assez longtemps pour la laisser disparaître dans la nature durant un temps indéterminé. Le repas était calme, trop calme et les enfants sentaient la tristesse tomber sur leurs frêles épaules.

– Je vous trouve bien calme tous les trois. Vous êtes certains que tout va pour le mieux les enfants ?

– Oui, nous allons bien, nous sommes juste un peu fatigués. L’orage de la nuit dernière et la pluie qui tombe depuis le levé du jour nous ont épuisé.

– Mmhh… Je vois. Ce soir, pas de jeu. Vous irez vous coucher directement après avoir bu une tasse de lait chaud chacun.

Le ton était sans appel, mieux valait ne pas contrarier la gouvernante car la pauvre vieille n’était pas si idiote, elle savait qu’une chose clochait mais peut-être songeait-elle que c’était l’attente du père qui les empêchait de dormir. Les trois enfants se regardèrent une dernière fois avant d’avaler le reste du repas alors que la pluie s’intensifiait à l’extérieur, commençant à fouetter les vitres avec plus d’ardeur que la nuée précédente. L’orage était une bonne chose, il allait cacher ses pas, rendant ses traces impossibles à suivre mais il y avait une chance qu’il la rende malade et qu’il lui faille, la tempête passée, se trouver un guérisseur mais elle n’en était pas encore là. Avant, il fallait partir.
Ils finirent tous de manger dans le même silence. Il n’y avait que le bruit des couverts contre le bois brut de la table, celui du feu crépitant dans la cheminée et le claquement des perles de pluie. Pas un mot, pas une parole. Le repas fut rapide et à peine le bouillon était-il bu que le lait chaud arrivait déjà sur la table, prêt à être bu. Ils avalèrent le lait en silence avant de filer vers leurs chambres pour, en théorie, s’y endormir.

Tous trois dans le corridor menant à leur chambre respective, ils se prirent dans les bras une dernière fois, profitant des quelques secondes d’intimité qu’ils avaient avant d’être séparés durant un temps incertain. C’était l’ultime geste tendre, l’ultime caresse. Elle déposa un baiser le front d’Elyan et un sur la joue de Dastan avant que la gouvernante n’arrive dans le couloir, marquant ainsi la séparation du trio. Ils avaient les larmes au bord des yeux mais ils les retenaient, ne les laissant pas couler contre leurs joues pâles. Elles viendraient s’écraser sur les oreillers quand le temps serait venu mais il n’était pas encore là ce moment meurtri. Ils se séparèrent après une dernière étreinte, les larmes au bord des lèvres et le cœur au bord des yeux. La gouvernante prit l’acte pour un simple « bonne nuit » car, à ses yeux, les trois petits ne pouvaient pas faire autre chose que de proférer les banalités du soir, une autre occupation ne leur ramènerait pas leurs parents plus rapidement.

Liliana se cacha sous son édredon. L’été frappait mais l’orage était plus fort que la saison. Le genre d’orage qui étouffait car il faisait chaud et l’eau refroidissait la terre tendre, c’était comme jeter un fer chaud dans une gamelle d’eau froide. De la vapeur s’en élevait et montait vers le ciel, l’effet d’évaporation faisait naître cette humidité lourde, cet air qui collait au poumon plus qu’il aidait à respirer. On étouffait. On suffoquait. Cependant, l’avantage des bâtisses de pierres lourdes était qu’elle conservait le froid et les nuit d’été, lorsque la température baissait pour laisser le vent frais calmer le mistral ardent, il faisait plus frais et il était agréable de coller contre sa peau la fraîcheur sèche d’un drap épais. Liliana s’étendit de tout son long, s’étirant les bras, les jambes, faisant craquer ses épaules et appuyant ses paumes contre ses yeux commençant à vouloir se fermer pour valser dans les bras du dieu-sommeil. Or, elle ne pouvait pas. Dormir. Cette action lui était interdite pour l’instant, pour longtemps, pour un temps du moins.

Il n’y avait pas beaucoup de bruit si on faisait fit du bruit de la pluie et de son ami tonnerre mais le silence n’allait pas durer. Bientôt. Bientôt. Bientôt…

Silence.
Tu n’es plus
Là où tu
Etais.

Mais tu es
Partout
Là
Où
Je suis.
Bruit.

– AAAAAAAAAHHHHHHHHH !

Un nouveau coup de tonnerre résonna, il était plus fort et plus violent que les autres. Il était étrange ce temps. On avait l’impression qu’il faisait en sorte de simplifier les choses pour les trois Kastelord. Elyan se mit à pleurer. Il criait comme si une main sortie de nulle part venait de lui saisir le cœur. Il hurlait à plein poumon, attirant à lui Dastan, la vieille gouvernante et presque toutes les âmes qui vivaient dans la demeure sauf Liliana qui profita de la cohue provoquée par le jeune pour prendre un escalier sombre, escalier des domestiques depuis bien longtemps tombé dans l’oubli.

Il y avait du bruit et du mouvement dans le couloir qu’elle fuyait, en cet instant, comme on fuyait la peste ou toute autre maladie aussi virale. Elle courait, ses chaussures à la main, se cachant dans l’ombre pour fuir la lumière et profitant du tohu-bohu pour n’être qu’une ombre. Lorsqu’elle arriva en bas, à l’entrée des cuisines, elle sursauta quand Dastan saisit son bras pour l’attirer contre lui dans un coin plus sombre encore.

– Tout a fonctionné on dirait. Il n’y a bien qu’Elyan pour inventer une telle histoire de monstre jaillissant de sous son lit pour venir lui dévorer le visage. Dastan parlait d’une voix faible tout en étreignant sa sœur dans ses bras. Il faisait chaud et l’air était humide dans la cuisine. Dastan tenait un verre de lait entre ses doigts. Pour Elyan. Une bonne excuse pour venir te voir une dernière fois. Avant longtemps…

Liliana ne prononça pas un mot, se limitant à la meilleure preuve d’amour. Elle serra son frère contre elle avant de déposer un baiser un baiser sur sa joue et, dans un murmure et trois pas délicats, se glisser à l’extérieur, soufflant un « Je reviendrai. Je vous aime. » qui se fit avaler par la pluie alors que l’enveloppe charnelle de la jeune Kastelord se faisait avaler par la nuit orageuse.

Dastan parle : #90EE90
Elyan parle : #ADD8E6