Je voudrais déjà être roiiii - Ssol'riss Ulnen

Première ennéade de Karfias de l’an 17

Myr’Hennis ne quittait que rarement sa tente, après tout il y était très bien, l’intendance était proche, Ssuorr se trouvait donc à portée de main lorsqu’il avait faim, si jamais la soif le prenait dans son étreinte aride il dépêchait un esclave lui chercher un rafraîchissement. Les intendants, sous la direction du cuisinier personnel du Grand Architecte, avaient, parce que le Grand Architecte en question était vachement pénible lorsque ce n’était pas le cas, constitué une petite réserve d’alcool en tous genre qu’ils tentaient tant bien que mal de garder hors d’atteinte de la piétaille. Refournir ce stock était parfois toute un aventure pour le petit homme qui régalait les papilles des eldéens les plus haut placé du siège. Il devait sortir du camp pour aller dans les villes alentours, non seulement c’était parfois risqué car il n’avait rien d’un guerrier mais en plus de ça la garde de Myr’Hennis était restée au Puy, il avait donc toutes les peines du monde pour obtenir une escorte. Lorsque le petit homme bedonnant venait demander le soutien de son maître, ce dernier lui répondait que lui aussi avait des problèmes mais qu’ils étaient bien plus importants mais que de toute façon il ne pourrait pas les comprendre.

Pourtant Ssuorr était certain qu’il pourrait parce que d’ordinaire les problèmes de Myr’Hennis étaient… inexistant aurait-il dit s’il ne craignait pas pour sa vie ou bien lorsqu’il en avait c’était généralement ceux qu’il avait créé tout seul comme un grand. Mais en tant que personne importante le Grand Architecte se devait de passer pour quelqu’un de débordé sinon les gens se mettent à se poser des questions et ensuite ses fonds s’en trouvaient réduits ainsi il devait collecter ses fameuses taxes d’habitation dans le Prime Quartier. Les primas n’étaient pas contents ce qui les poussaient donc à comploter et lorsque tout le monde complote ce n’est jamais bon, surtout pour Myr’Hennis, alors ce dernier pouvait dire sans craindre de se tromper ou d’être tourné en ridicule parce que c’était la stricte vérité qu’il était essentiel à la stabilité du Puy, au sens propre comme figuré. Bon, là il n’y avait pas de primas et c’était bien son problème car il ne pouvait décemment pas justifier ses dépenses outrancières, à coup sûr Ssuorr ne comprendrait pas, lui qui était non seulement un humain mais aussi un esclave.

C’est donc dans la tente qu’il partageait avec la seule triumvir présente au siège, l’une des plus grande du camp, qu’il réfléchissait en parcourant de long en large le parquet, enroulant et déroulant distraitement une mèche de ses cheveux d’argent. Malgré ses défauts, le cuisinier était pourtant un génie et il permettait au Grand Architecte de déguster de délicieuses gaufres du Puy garnies de miel. Un de ces délices attendait justement dans une petite assiette sur son bureau, à moitié mangée, maintenant un plan de Sol’Dorn en place, l’autre extrêmité du plan était tenu par un journal en cuir qui semblait particulièrement ancien ; on aurait presque cru qu’il risquait de tomber ne poussière d’un moment à l’autre.

Sol’Dorn. Plus d’un an que je suis arrivé à Sol’Dorn et je suis déjà frustré. On me voit trop, on sait trop ce que je fais, on sait la plupart du temps où je suis, et quand je m’absente trop longtemps on se pose des questions. Et moi, je m’émousse. Tu essaies souvent de me pousser et je t’écoute parfois, mais je possède trop de secrets pour tous les risquer ici où tous les yeux sont braqués. Mais j’ai pris une décision à laquelle tu t’es opposé, et elle me donnerait une excuse. Une excuse pour disparaître, pour réapparaître, et surtout, pour aller voir ce dont on me parle. Les prêtres venus avec moi ne sont pas aussi débrouillards qu’ils le sont au Puy, et quand on leur enlève des passages secrets ou leurs habitudes ils ne sont plus assez. Il faut que je me rendre à Sol’Dorn, et il me faut un allié, un allié comme Myr’Hennis Vect, le Grand Architecte du Puy, qui devait posséder plus que ce que son titre l’indiquait. S’il ne veut ou peut aider je m’en irai simplement, mais pour une fois, j’essaierais de demander, dans cet environnement où je ne pouvais tout faire seul.

Je n’ai aucune difficulté à trouver la tente malgré tes tentatives pour m’écarter du chemin. Ce camp situé au sud de la ville étant à peu de choses près le seul endroit qui avait eu droit à ta présence à travers moi, tu dois bien savoir que je le connais par cœur.

Le soleil est assez bas pour que je puisse me déplacer simplement dans mon habit de Haut-Prêtre de Toi et lorsque je me présente à l’entrée de la tente on ne me pose pas de question alors qu’un homme y disparaît. On me laisse entrer sans me prendre ce bâton que jeu heurte régulièrement sur le sol et on me guide doucement vers l’endroit où je devrais trouver mon hôte. En me retournant sur ce moment plus tard dans la journée, je te remercierais de ne pas m’avoir rappelé que quelqu’un en moi devait être mis au courant que cette tente abritait une certaine triumvir qu’il connaissait bien. Au lieu de ça, tu me dis que ça sent bon, et je ne sais même pas quoi te répondre, étonné que je suis d’apprendre que tu utilises également mon odorat comme si c’était le tien. L’odeur de gaufres ne me fait pas oublier pour autant l’existence de Krish Al’Serat et les questions qui se posent à son sujet, mais j’étais là pour autre chose, et si j’apprenais quelque chose, ce serait par hasard.

J’arrive derrière un Myr’Hennis qui ne semble pas montrer que ma présence a une quelconque importance. « Grand Architecte. » Je dis, simplement, avec une certaine déférence qui t’étonne. Je reste appuyé sur mon bâton et incline un instant la tête vers ce qui ressemble à un plan que je sais avoir aperçu en entrant, ainsi qu’une gaufre. Ma tête se redresse et sur le masque, deux étoiles qui semblent tirer vers le violet restent fixées sur le grand eldéen. « Tesso m’envoie recueillir ce que vous voulez bien lui offrir de cette Cité qu’il connaît mal. » Là où d’autres de moi savent quémander, Ssol’riss Ulnen lui se retrouve rarement dans cette position, et il essaie de s’appuyer sur Toi comme il le peut. « Cette fois il demande, mais il n’oublie pas comment offrir. » A part un maigre sourire qui apporte un peu de chaleur à la moitié non dissimulée de mon visage, je reste de marbre.

Myr’Hennis haussa un sourcil en voyant le haut-prêtre de Tesso rentrer, il s’était attendu à ce qu’il se fasse annoncer comme le font la plupart des gens qui arrivent ici, qu’ils veuillent une audience avec la triumvir ou le Grand Architecte. Mais ce dernier n’en fut pas tant surpris que ça, en tout cas la surprise ne dura guère longtemps, après tout c’était l’apanage du clergé du Menteur, quoi de plus normal ? Cependant si Ssol’riss avait pu passer les gardes sans difficulté il avait manqué sa vocation, une carrière dans la Doth’ka aurait pu révéler un potentiel ô combien plus dévastateur. A moins que les gardes n’aient simplement pas jugés bon de le prévenir parce que c’était un haut-prêtre qui venait. Et ça, Myr’Hennis ne savait pas vraiment quoi en faire. Devait-il supposer que le prêtre avait le bras terriblement long, si c’était le cas s’en était terrifiant, Ssol’riss était-il une sorte d’éminence grise ? Voyait-il le triumvirat comme une poignée de marionnettes qu’il était content de faire danser tant qu’il jouait dans les ombres ? Il y avait d’autres possibilités mais Myr’Hennis les fit disparaître en secouant légèrement la tête.

« Haut-prêtre, que me vaut le plaisir de votre visite ? » Il se retourna complétement vers son invité et haussa un sourcil en suivant le regard du prêtre. « Mais c’est avec plaisir que j’offrirai à Tesso ce que j’en sais. » Un sourire en coin souleva les lèvres du Grand Architecte avant de disparaître une seconde plus tard. « Malheureusement je ne connais pas la cité aussi bien que notre cher Puy. » Il fit quelques pas en direction de la table et prit entre ses longs doigts fins une coupe à moitié vide de Shyk'na qu’il allège d’une autre gorgée avant de la poser de l’autre côté de la table, vers le prêtre. « Si vous avez soif… » il n’avait pas soif mais suivre les traditions n’est jamais une mauvaise idée et même si le haut-prêtre n’allait sûrement pas penser que la coupe n’était pas empoisonnée, au moins il en avait la confirmation. Ensuite Myr’Hennis se tourna vers la carte au centre de ladite table et il fit signe à Ssol’riss de s’approcher si ce dernier ne l’avait pas déjà fait. « Si Tesso l’exige, qui suis-je pour refuser une offrande ? » Avec quelqu’un d’autre il aurait d’abord discuté d’un prix mais il comme tout bon drow qui se respecte Myr’Hennis craint les dieux et même si Tesso n’est pas le plus menaçant du Panthéon il reste une divinité. « Mais avant tout je me dois de vous prévenir : jen e suis pas certain de l’exactitude de mes informations, la cité est millénaire et laissée hors du contrôle du Puy depuis bien trop longtemps, mes archives ne sont plus à jour et sans mes gens pour vérifier mes théories… » il leva les yeux pour regarder ceux du prêtre afin d’être certain qu’il comprenne bien, si ses informations s’avéraient erroné au moins Ssol’riss fut prévenu ; Myr’Hennis tenait à ne pas en être tenu pour responsable auprès de Tesso. Il prit une inspiration avant de reporter son attention sur la carte.

« Cela dit j’ai quelques pistes et des suppositions. Pour certaines je suis certain de leur véracité à… disons… quatre-vingts pourcent, quatre-vingt-dix pour l’une d’entre elles. »

Il se tourna de la carte pour chercher le journal qui tenait un des coins de la carte et après l’avoir remplacé par un livre pour que la carte ne s’envole pas au premier coup de vent, il l’ouvrit, chercha la page qu’il voulait puis le posa sur le bureau et en lut une partie puis regarda la carte. Il chercha une autre page puis regarda à nouveau la carte. Il recommença une poignée de fois avant de finalement lever les yeux vers son invité comme s’il venait de se rappeler qu’il était là. De son long index il pointa sur la carte une section du rempart.

« Il y a sûrement un passage ici, j’ai étudié les murs pendant le voyage et le siège, en rentrant dans la ville pour assister aux délibération j’ai pu étudier les murs, si vous… si je cherchais un moyen de rentrer dans Sol’Dorn discrètement je chercherais par ici. C’est le plus probable. Si je cherchais d’autres endroits j’ai bien une ou deux autres possibilités mais c’est moins probable et si j’étais vraiment désespéré il y a bien les passages antiques que j’ai pu trouver dans mes archives mais il faudrait une intervention divine pour que ces passages-là ne soient pas scellés ou piégés. »

Les yeux presque invisibles sous le masque ne cessent de sonder le Grand Architecte à chaque instant où ils le peuvent. Je ne peux qu’observer cet eldéen autour duquel semble graviter des éléments clés du Puy au-delà de sa fonction, cet eldéen qui est si dur à suivre lorsqu’il ne veut pas l’être, cet eldéen qui juge bon de me prouver que le verre qu’il me propose est inoffensif. Je sais que rien ne peut réellement me garantir l’absence de tout poison mais je me livre à lui depuis que je suis entré dans cette tente et l’insulter maintenant peut être plus dangereux encore qu’un poison qu’il n’a pas de raison de m’administrer. Tu restes muet et je saisis la coupe en inclinant légèrement la tête en guise de remerciement. Je la coupe à mes lèvres pour les y tremper avant d’avaler une gorgée de son contenu. Je le laisse me guider vers la table accompagné par trois coups de mon bâton sur le sol.

Je souris quand il mentionne la fiabilité de ses informations et je sais que tu souris aussi, je t’entends même rire de multiples voix que je reconnais et ne reconnais pas. Je ne peux m’empêcher un commentaire d’une voix solennel, déclarant ce qui pouvait être perçu comme une évidence pour certains, mais qui est loin de l’être pour tous. « Le Menteur lui-même ne garantit pas la vérité, il ne pourrait l’attendre des autres. La véracité d’un secret ne dépend que de lui-même, pas de celui qui le dévoile. » Tu prêches un converti en exprimant d’une voix pensive que les mensonges peuvent être source d’encore plus d’informations que des vérités, mais je n’ajoute rien à ce qui a été dit. Les prêtres ne sont pas souvent appréciés lorsqu’ils ne sont capables d’autre chose que de prêcher, et je ne peux savoir si j’ai déjà entamé sa patience.

Je perds l’attention du Grand Architecte alors qu’il se désintéresse tout à fait de mon existence pour se plonger dans ses documents, et les deux scintillements pourpres en profitent pour parcourir le reste de la pièce avec grand intérêt, peut-être dans l’attente de découvrir des traces de sa présence. Tu grommelles un nom, je ne l’entend pas. Lorsqu’il relève les yeux il a des réponses à mes interrogations, et je les mémorise toutes les unes après les autres avec grand soin. Je note également par réflexe et sans savoir si cela me sera utile qu’il est passé de vous à je mais ne m’attarde pas sur un détail qui me semble insignifiant. Tu es légèrement satisfait et je le sens. « Le Silencieux sera satisfait et en Son nom je peux vous remercier. »

Mais tu en veux plus, et je suis prêt à essayer de te l’octroyer, ironiquement en me débarrassant du pouvoir que tu m’octroies. Ma voix perd de son côté mystique et je demande calmement, d’une voix plus chaude. « Je n’oublie pas que peu d’offrandes sont faites à Tesso sans qu’on ne lui demande d’honorer son échange, et il sera honoré, mais si vous me le permettez… » J’attends un instant avant de reprendre. « Ces passages, ces incertitudes, ces… probabilités… Je ne me trompe pas en supposant que certains ont été testés, n’est-ce-pas ? » Il me faut une confirmation pour aller plus loin, et je suis prêt à aller plus loin, je suis prêt à m’engager plus que de raison, simplement pour vaincre cet ennui. Tu ris encore, et tu me soulignes que je suis peut-être déjà mourant.

Un sourcil levé accompagna la réponse de Ssol’riss et Myr’Hennis retint une grimace. C’était vrai que le Menteur portait bien son nom mais s’il donnait des informations qu’il pensait fiable il en attendait des tout aussi exactes. Il espérait sincèrement, pour faire naître entre le haut-prêtre et lui une coopération fructueuse et mutuellement bénéfique, que ce dernier ne se moquerait pas de lui lorsque viendra le temps de payer sa dette. S’il y avait bien quelque chose que l’architecte détestait c’était bien qu’on se moque de lui. Mais il ne répondit rien, à quoi bon ?

Des traces de Krish, le haut-prêtre peut en voir de partout, des vêtements, des objets personnels, des rapports de repentis pour ne citer que ça. Sinon il est possible de trouver divers livres ayant pour sujet l’urbanisme mais aussi quelques-uns traitant de philosophie, il y a même un texte en ancien nisétien posé dans un coin de la table mais à moins de se concentrer sur un ouvrage en particulier le haut-prêtre n’eut pas vraiment le loisir d’en apprendre davantage.

Myr’Hennis hocha la tête, que Tesso soit content c’était bien, après tout plaire aux dieux est toujours une bonne chose à faire mais pour le moment l’architecte voulait surtout contenter le haut-prêtre. D’un nouveau hochement de tête le Grand Architecte invita le haut-prêtre à poursuivre. Il haussa un sourcil, étonné de cette question. Il hésita. Il devait répondre. Mais comment ? Afin de gagner du temps il fit le tour de son bureau pour aller chercher sa coupe. S’il répondait par l’affirmative il perdait un atout, il dévoilait même carrément sa main et perdait un autre levier sur lequel jouer si le haut-prêtre voulait négocier quelque chose mais s’il niait il risquait de s’attirer les foudres de Tesso. Etonnamment la colère du Menteur l’effrayait davantage que celle de Zhak’Bar Meingal ou Valas, elle se trouvait juste en dessous de la peur provoqué par le courroux d’Uriz ou Teiweon. S’il mentait est-ce que le Menteur lui en voudrait ? Il porta la coupe à ses lèvres pour cacher le sourire qui naquit de cette question et gagner une seconde supplémentaire. La coupe toujours dans la main il répondit enfin.

« Vous ne vous trompez pas. Le passage que je vous ai désigné, même si je ne peux pas vous garantir sa fiabilité, existe bel et bien. »

Il se rappelait encore les échecs du contrebandier qu’il avait engagé, il avait convaincu Krish, même s’il n’avait pas eu trop de mal, d’adjoindre au criminel local un membre de la Doth’ka pour l’aider dans sa tâche. « Patron, y’a un mur… » avait dit l’humain, l’air un peu penaud qui n’aidait en rien l’impression de bêtise qui se dégageait de lui. Il était intimidé par la taille de son employeur mais ça devait surtout être la lassitude qu’il pouvait lire dans le regard de Myr’Hennis qui l’inquiétait sans doute plus. Ce dernier lui répondit qu’évidemment il y avait un mur, que c’était le principe même de la muraille mais l’humain n’insista pas et partit tester le prochain emplacement indiqué par le grand eldéen. Après avoir été payé évidemment, ces humains sont d’une avarice sans borne.

« Sa fiabilité n’est pas assuré car il y a de grandes chances qu’il soit surveillé ou alors qu’il débouche sur un endroit suffisamment peu enviable pour que les habitants ne se gênent pas à y mettre des gardes. »

Immobile, ne montrant rien de plus ou de moins que ce que j’ai montré jusque là au Grand Architecte, je ne suis plus vraiment concentré sur ce qu’il dit. J’entends qu’il confirme mes doutes, j’entends que le passage reste risqué, et je te confie cela, le temps d’un instant. Un instant durant lequel je ferme les yeux, un instant durant lequel on ne peut plus que voir les scintillements blancs du masque. Un mort prend ma place pendant cet instant, mais lui aussi reste immobile, et il s’en va, après avoir confirmé ce que j’avais vu. Ce n’est pas la première fois qu’il apparaît, et je sais qu’il réapparaitra, qu’il cherche quelque chose… une excuse ? Toi, tu n’as rien dit, tu sais, tu sais mieux que moi, et il est des moments que tu observes simplement.

Les yeux s’ouvrent à nouveau, et tu me rends ce que je t’ai confié. « Bien. » Je déclare en réponse. C’est particulier. Les rapports qui parviennent à mes oreilles font souvent état d’un Daedhel plein de secrets, et maintenant qu’il est en face de moi, il semble affreusement concilient. Je suis incapable de savoir s’il l’est pour Toi ou si je dois conclure que ce sont des secrets auxquels il ne porte guère d’intérêt. Qu’il me mente ou non, de toute façon, ne change rien, comme je dois souvent me le rappeler. Rares sont les informations que je ne dois pas vérifier, surtout celles que je compte utiliser, et à moins que tu ne m’en donnes l’ordre et que je t’écoute, celle là ne fera pas exception. Au lieu de ça, tu me demandes de m’enquérir sur les passages les plus dangereux, et je souris à pleines dents. Cette demande là je peux l’honorer. « Les passages les plus antiques, ceux qui nécessitent une intervention divine, ceux qui sont piégés, ma curiosité et la sienne exigent que je vous demande de m’en désigner un, le ferez-vous ? »

Ton moment de folie passé, je redeviens le Daedhel, celui qui n’est pas ton vaisseau. C’est la première fois que j’ai un accès direct à Myr’Hennis et je ne veux pas le gâcher, je veux lui laisser un tout petit peu d’espace et voir ce qu’il en fait, avec ton accord. Tu me le donnes, et je m’appuie sur mon bâton, levant la tête pour trouver les yeux du géant. « Le Silencieux n’est plus présent, nous pouvons si vous le souhaitez nous éloigner de Sa curiosité et faire fructifier cette première rencontre sans Son influence. » Tout le monde n’a pas la même définition du mot direct, mais quand on prêche pour un dieu aussi curieux qu’omniprésent, aucun effort n’est trop grand pour rassurer les autres, et c’est le plus direct que je peux faire à cet effet. « Sinon, il reviendra aussitôt que vous me le demanderez et s’acquittera de sa dette envers vous. » L’espace étant donné, ma curiosité reprend le dessus sur la tienne.

Myr’Hennis n’avait pas quitté les yeux de la carte lorsqu’il avait précisé la dangerosité du passage auquel il faisait allusion mais la voix de Ssol’riss lui fit lever la tête et il arqua un sourcil en voyant le grand sourire du haut-prêtre. Il haussa les épaules.

« Et bien… oui je peux mais au mieux vous allez tomber sur un tunnel effondré et au pire dans un piège. » Son avertissement donné il regarda à nouveau la carte. « Elle date de la fondation de la ville, ne faite donc pas attention à la disposition des bâtiments, elle n’est sans doute plus bonne depuis un bon cycle ou deux. » Il chercha de petites marques perdues au milieu des indications sur les remparts et les bâtiments alentour. « Il y en a un là… » il hésita un moment, à quoi bon cacher les autres alentour de toute façon ? Et puis ce signe de bonne volonté ne lui coûtait rien alors autant en profiter.

« Ici et ici. Mon prédécesseur qui a construit la ville n’a pas lésiné sur les passages secrets, c’est à croire qu’il voulait vraiment que les dorniens se sentent comme au Puy. »

Un sourire accompagna sa plaisanterie même si Myr’Hennis se doutait que le haut-prêtre ne savait pas le nombre exact de passage qui trouait le Vatna ce dernier devait savoir qu’il y en avait un nombre invraisemblable. Le Grand Architecte se disait parfois qu’un jour il faudrait qu’il les compte mais finalement il avait mieux à faire de ses journées et il n’avait jamais essayé, enfin si mais il s’était arrêté à la centaine. Il regarda pour la énième fois la carte en se demandant si ça servait à quoi que ce soit qu’il en montre d’autres mais il fut vite interrompu dans sa réflexion. Cette fois Myr’Hennis fut réellement surpris des paroles de son interlocuteur, à moitié penché sur la table il se redressa de tout son long et croisa les bras, ne sachant trop quoi faire de ce qu’on venait de lui dire.

« Est-ce que ça change vraiment quelque chose ? Pardonnez ma franchise, haut-prêtre, mais peut-on réellement cacher quoi que ce soit à Tesso ? N’apprendra-t-il pas ce que je vais vous dire en revenant ? je suppose qu’il a accès à vos pensées et si ce n’est pas le cas, allez-vous refuser de lui répondre s’il vous le demande ? » Myr’Hennis sourit à l’idée d’un haut-prêtre refusant quelque chose à son dieu mais il retrouva rapidement un sérieux de circonstance.

Je ne suis pas surpris de l’entendre me confirmer la présence d’autres passages, et à partir du moment où je lui ai demandé de me donner les plus dangereux je sais que je demande des informations qui n’ont aucune valeur. Il y a certainement perdu des hommes et il ne doit pas penser que j’y accorde énormément de valeur non plus. Et pourtant… Ces pièges deviennent mes pièges au moment où j’apprends leur existence. Pas pour les utiliser moi-même, non, mais pour faire en sorte que dans certaines sphères on murmure leur existence. Tu formules déjà des idées mais je t’ignore déjà, ce n’est pas le moment. Heureusement, je sais encore quel passage il m’a montré en premier.

Lorsque Myr’Hennis remet en doute mes assurances je me remets à sourire. C’est en ne me doutant pas que certains se sont perdus, après tout. La précision de ses questions me donne un moment l’impression d’en avoir trop dit, d’avoir dévoilé ma relation si particulière avec Toi, mais elles sont trop intéressantes pour que je m’en formalise. Forcément le point de vue du Grand Architecte sur Tesso est loin de celui des prêtres habituels, et encore plus loin du mien, mais son originalité est ce qui le rend si intéressant. Je peux m’opposer à toi ou te mentir de la même façon que tu peux t’opposer à moi ou me mentir, aucun de nous deux ne sait ce qu’il en est réellement, et aucun de nous deux ne voudrait savoir ce qu’il en est.

« On le peut lui cacher des choses ou on ne le peut pas, c’est toute la beauté de Tesso. S’il est omniscient, qu’est ce que ça change qu’on lui dise la vérité ou non ? S’il ne l’est pas, pourquoi se priver d’essayer de jouer avec ce qu’il sait ou non quand on sait qu’il fera de même ? » J’étais silencieusement hilare alors qu’il m’avait lancé sur un sujet qui me passionnait. « Quand on ne sait pas ce qui est exactement, si celui que vous servez ment – ou pas, si ceux avec qui vous le servez mentent – ou pas, et si les offrandes qui lui sont faites sont des mensonges – ou pas, tout est une question de choix. Et en cet endroit du temps et de l’espace je choisis, il n’est plus là. Vous pouvez faire le même choix, et ni vous ni moi ne pourrons jamais savoir s’il nous écoutait – ou pas. » Perdant mon sourire je lui servis une moue après une courte pause. « C’est la théorie en tout cas, avant d’en arriver là un prêtre de Tesso doit passer par les dures certitude des chiffres et des échanges commerciaux. »

Myr’Hennis ne put retenir son rire mais il s’arrêta rapidement et reprit une certaine contenance. « Pardonnez-moi, Suliss, j’imagine que c’est ma faute, quel imbécile je suis, attendre une réponse claire d’un prêtre de Tesso, de son haut-prêtre qui plus est. » Le Grand Architecte se pencha pour attraper la coupe posée de l’autre côté de la table et en boire une gorgée. Il dégusta l’alcool pendant quelques secondes avant de reprendre. « J’espère que vous ne le prenez pas mal, je vous apprécie Ulnen, vraiment, un haut-prêtre de Tesso s’il en est. Cela dit, quel est l’intérêt de me dire que le Menteur n’est pas là ? A condition que ce soit vrai, permettez-moi d’en douter, j’imagine sans trop de mal qu’un dieu peut vous cacher sa présence, surtout celui-là, il finira bien par l’apprendre, si ce n’est par vous ça sera par quelqu’un d’autre, peut-être par moi d’ailleurs, qui sait ? » Il termina la coupe d’une traite avant de la tendre en arrière pour qu’un esclave la remplisse à nouveau, changeant d’alcool au passage. Myr’Hennis huma le breuvage et fit lentement tourner la coupe entre ses longs doigts pour l’aérer. « Mais j’ai quelque chose à vous proposer, une proposition qui, je pense, vous intéressera, une proposition à laquelle je vais ajouter une offrande ou deux… si ça ne vous dérange pas bien sûr… » un sourire moqueur passa sur ses lèvres, comme si le haut-prêtre de Tesso allait refuser une offrande. « Le fait que j’ai des ambitions n’est pas vraiment un secret, je ne m’en cache pas, d’aucun diraient que j’ai de grandes ambitions, ce qui n’est pas tout à fait faux non plus, je le reconnais. Cependant le secret concerne la nature de ces ambitions. Bien sûr comme tout le monde je veux m’élever davantage, de nos jours le contexte y est propice. » Son sourire se fit malicieux alors qu’il regardait sa coupe avant de lever la tête pour regarder Ssol’riss directement dans le peu des yeux qu’il arrivait à voir à travers le masque. « Mais je veux surtout réaliser l’Eda Vengeur et qu’y’a-t-il de plus important ? Rien, vous en conviendrez. »

Il prit une nouvelle pause, laissant au haut-prêtre le temps de digérer son monologue pendant qu’il goûtait enfin sa boisson, il l’aurait fait décanter avec plaisir mais il aimait le spectacle et avoir un accessoire aide toujours lors d’une représentation, tant pis si le goût n’était pas aussi bon qu’il aurait pu l’être, sa discussion était plus importante.

« Alors certes je ne suis pas un guerrier, je ne l’ai jamais été et je ne compte pas le devenir mais j’aime à penser que ça ne m’empêche pas d’apporter ma pierre à l’édifice, sans mauvais jeu de mot. Alors comment puis-je aider. Après tout je ne suis qu’un simple architecte, je n’ai pas votre talent pour le renseignement ou le talent des forgerons affiliés aux osts… et bien il se trouve que j’ai à mes ordres des guerriers qui me sont loyaux, maintenant plus que jamais. »

Il préférait dissiper les doutes du haut-prêtre maintenant, après tout l’exécution de son apprenti pouvait laisser supposer que sa garde n’était peut-être pas si loyale que ça. Cela dit, aucun de ses gardes n’était présent à Sol’Dorn, il y avait donc de quoi se poser des questions et même si Myr’Hennis était certain de la loyauté de sa garde, Ashal, le nouveau commandant de cette dernière, avait vite compris pourquoi Vaervy était si paranoïaque et préférait faire comme l’ancienne commandante et ne pas en jurer. C’était, entre autres, pour ça qu’il n’avait pas suivit son maître pour le siège.

« Un jour ou l’autre les osts vont se tourner vers le reste de l’Ithri’Vaan et s’ils ne font pas il faudra tout de même s’assurer que les intérêts du Puy soient protégés. Alors certes… ilta Sesmika Al’Serat a sa corporation mais ça n’est pas suffisant. Je vous propose donc une alliance, que nous mettions en commun nos ressources pour le bien commun afin de se faire une place à Thaar. »

Ce qui est bien avec les rumeurs, c’est que quand l’intéressé vous les confirme par hasard, elles sont plus fiables qu’une vérité seule… ou que l’intéressé joue si bien son jeu que tout le monde tombe dans son piège… Non, je reprends, ce qui est bien avec les rumeurs, c’est qu’elles sont autant d’outils pour manipuler le monde qui nous entoure. Et Myr’Hennis Vect n’y est sûrement pas étranger.

J’écoute tous ses mots avec très grand intérêt sans jamais les prendre pour argent comptant, ce serait sûrement une erreur. Toi, comme pour m’aider à jouer le jeu de ton absence, tu ne t’exprimes plus. Quand il exprime encore des doutes sur mon honnêteté je vois l’idéal de Tesso, quand il exprime son ambition je vois l’idéal d’Isten, quand il parle de l’Eda Vengeur je vois l’idéal d’Uriz. Je suis certain de pouvoir lire en le Grand Architecte tous les idéaux de notre panthéon si je discute assez longtemps avec lui, et c’est plus intrigant encore que ce n’est rassurant. Aucun de ces idéaux n’est un secret, il est si facile d’inventer un personnage qui les respecte tous… Et c’est là qu’interviennent les rumeurs. Si certaines sont vraies, il est plus eldéen que beaucoup de rustres qui ne font que sembler l’être, et je ne peux dire que ce n’est pas intéressant. Il resterait Kiel et Na… Je ne sais pourquoi je me suis embarqué sur ce cheminement qui n’est pas habituellement mien, et j’arrête simplement.

Comme pour encore une fois jouer avec les rumeurs, il confie ensuite avoir des guerriers loyaux. Peu commun pour un Grand Architecte, mais logique quand mon esprit survole les passages secrets – l’objet assumé de ma visite – et le puissant potentiel que la combinaison des deux peut créer.

Arrivé à sa proposition, il va encore un peu plus loin, et je me demande à ce moment là jusqu’où son ambition le mènera. Il prépare le coup d’avance, l’après Sol’Dorn, et je ne pense pas à ce moment là que beaucoup sont au courant de ces mots. Je ne réfléchis pas longtemps et lui sers une réponse honnête et directe, peut-être plus que n’importe quelle réponse que je lui ai fourni. « Puis-je vraiment vous apporter les assurances qui vous conviendraient ? » Il met suffisamment l’accent sur cette confiance qu’il ne peut pas avoir pour que je ne prenne pas de risque, qu’il ne se sente pas insulté. Mais j’ajoute quelques mots, pour faire bonne mesure. « Peut-être préférez-vous attendre que l’occasion pour moi d’aider se présente et étudier mes actes pour avoir la réponse que vous attendez ? » Je ne m’attends pas à ce que la conversation dure bien longtemps après ça mais j’attends avant de t’appeler à nouveau, il ne serait pas à sa première surprise, même si aucun de mes traits ne trahit quoi que ce soit d’autre que des émotions quelque peu chaotiques et désorganisées.

En réalité à ce moment-là seul les deux drows dans cette tente étaient au courant, il n’en avait pas encore parlé avec celle qui partageait sa tente même s’il comptait le faire à un moment ou un autre, il devrait passer par là, même s’il imaginait que ça ne passerait pas très bien. Mais il repoussa la scène qu’il imaginait dans un coin de sa tête, pour le moment il n’y était pas encore, s’en inquiéter n’avait donc pas vraiment d’intérêt. Son sourire revint à la charge, brisant le masque de sévérité qu’il s’était passé sur le visage lorsqu’il parlait de ses plans.

« Non effectivement vous ne pouvez pas mais puis-je vous demander de me faire confiance si je ne fais pas le premier pas ? Et puis qui vous dit que ce n’est pas votre coup d’essai ? De plus je suis certain que vous ne serez pas assez stupide pour me trahir et encore moins si vite. Après tout c’est en travaillant ensemble que vous arriverez à découvrir mes secrets et ma position fait que j’en connais… disons un nombre élevé, sans compter ceux que je vais créer durant notre collaboration, que j’espère, longue et fructueuse. Cela dit, vous ne m’avez toujours pas répondu : acceptez-vous ? » Le Grand Architecte hocha la tête à l’assentiment du haut-prêtre. « Nous discuterons des détails en temps et en heure mais si vous voulez en savoir davantage : vous aurez une base d’opération à Thaar d’où étendre votre influence ainsi que mes agents sur place, la seule chose que je demande en échange c’est que vous partagez avec moi, ou mon représentant sur place, ce que vous apprenez. » Myr’Hennis avala une nouvelle gorgée puis il posa sa coupe et recroisa les bras sur son torse. « Mais vous avez raison, dire que je vous fais confiance serait insulter votre intelligence et maintenant que vous en parlez… » son sourire se fit carnassier, regardant le Ssol’riss directement dans les yeux. « Il y a bien une chose que vous pouvez faire pour m’aider : j’aimerai beaucoup retrouver notre bien aimé triumvir disparu : Urgoll’Ven. Qui de plus apte à cette tâche ô combien importante que vous ? »

Il dévoile beaucoup de choses et je l’écoute, cette discussion est assez unique en son genre. Il ne demande pas, il impose, pas avec des ordres, mais en me montrant qu’il sait des choses, et que je peux être intéressé par beaucoup d’entre elles. Sa posture en elle-même est une menace et il en joue merveilleusement bien. Quand il s’enrobe de tout ce mystère il ne me laisse pas trop le choix, tant que je sais si peu de lui je ne peux pas vraiment le contrarier. Je souris à cette rencontre plus amusante que je ne l’imaginais au départ, et les passages secrets que je suis venu chercher ici s’éloignent peu à peu de mon esprit. Je ne les oublierais pas bien sûr, on ne peut compter sur moi pour oublier des choses, quelle qu’elles soient, mais elle ne représentent plus l’intérêt de cette visite depuis longtemps.

Thaar, joyau de l’Ithri’Vaan. Je n’y suis pas retourné depuis qu’il a disparu, depuis que je l’ai perdue elle. Comme si j’avais besoin d’une base d’opération, comme si j’avais besoin de ses agents… Tu me fais remarquer que sans déplacement officiel il me faudrait compromettre beaucoup trop pour travailler avec lui de cette façon. Je te réponds qu’il n’aura probablement pas de problème à faire des concessions, et puis, comme il le dit lui-même, les détails suivront.

Une moue de dégoût traverse mon visage au moment de mentionner Urgoll’Ven. Il n’est pas la cible de ce dégoût, tous ceux qui sont partis à sa recherche le sont. Les multitudes qui ne reviennent pas ou qui reviennent les mains vides. Son visage exprime autre chose qu’une envie de retrouver le triumvir pour la stabilité du Puy et l’Eda Vengeur. Quelque chose de personnel ? Une envie de Krish Al’Serat ? Mais il ne peut ignorer que quelque part, quelqu’un mu par mes ordres n’a que retrouver le Haut-Prêtre de Zhak'Bar en tête… Je peux continuer longtemps de douter de chaque chose, mais j’acquiesce une nouvelle fois de la tête. Avant qu’il ne me trouve une énième façon de prouver une loyauté que je n’ai pas je lui pose une simple question.

« Voulez-vous faire revenir Tesso pour qu’il s’acquitte de sa dette ou l’ais-je assez bien servi pour que vous la considériez remplie ? »

Il me répond après une courte pause. « Pour être honnête je ne m’attendais pas à ce que vous acceptiez. N’en prenez pas offense haut-prêtre mais si je devais retrouver Urgoll je m’en occuperais seul, je n’aime pas trop me reposer sur autrui et puis je ne voudrais pas abuser de votre gentillesse. Pour votre dette je vous contacterai plus tard, il me faut discuter avec quelques personnes. » Je lui souris alors qu'il joue d'un jeu digne de Toi, j'exécute une petite révérence et reprends le chemin du retour après l'avoir salué par son titre.