S'éteint le feu du Dragon[Solo et Ellipse]

3ème jour de la 1ère Ennéade de Karfias, Xème année du XIème Cycle

Un rat se faufilait à travers les planches de bois. Ce furent ses couinements qui réveillèrent tant bien que mal la fille aux cheveux de feu, qui gisait sur le plancher miteux tel un cadavre. Émerger fût bien difficile pour l'adolescente, elle avait l'impression d'avoir dormi depuis des siècles. Ses yeux s'adaptèrent en revanche bien vite à la luminosité locale, quasi inexistante. Relevant son buste pour atteindre une position assise. Elle tentait de reprendre ses esprits, de comprendre où elle se situait et se remémorer les derniers moments de conscience avant tout ça.. La pièce tanguait très légèrement de gauche à droite, d'arrière en avant..Le bois grinçait..L'humidité puante remontait jusque dans ses narines pour son plus grand dégoût. Elle avait deviné dans quoi on l'avait embarquée. Enfin littéralement seulement.

Devant elle se dressait un escalier, ainsi se dressa-t-elle tout autant. Une grosse trappe qui laissait échapper un grain de lueur le surplombait. La jeune fille avança pas à pas en direction de cette lumière prometteuse, chaque mouvement lui demandant un effort considérable. Atteignant le sommet, elle ouvrit la trappe pour sortir au grand jour. Éblouie par la lumière, submergée par le bruit des vagues et des ordres oraux donnés de tout part, elle prit un long moment pour s'y repérer, les mains devant le visage afin d'y voir quelque chose. Lorsqu'elle put enfin ouvrir pleinement les yeux, elle découvrit le navire qui voguait vers une destination inconnue. Sur le pont, deux chevaliers de Naëlis qui la fixaient du regard, sans bouger.

-Où m'emmenez-vous ? Que se passe-t-il ? Où est Altiom ? Damons ?

La panique lui montait à la tête. Qu'est-ce qu'elle foutait là ? De ses derniers souvenirs, elle écrivait des lettres depuis ses quartiers de Peyredrac. Et ses pensées allaient directement à Altiom.

Les gardes restèrent impassibles. Pas un mot ne sortit de leur bouche, ce qui frustra grandement la Vicomtesse.

-Répondez chevaliers. rajouta-t-elle sèchement. Sans réaction. Que signifie cette mascarade ? Glenn Hereon sera ravi d'apprendre que...

Et soudain elle comprit. Son cœur rata un bond, l'Archontesse d'Ydril fut paralysée. Elle se souvenait enfin : Damons, ce traître, l'avait visitée dans ses quartiers au beau milieu de la journée, lui annonçant que Naëlis avait défait le blocus de Soltariel et que les renforts arrivaient, alors qu'elle avait déjà prévue de mourir l'épée à la main avec son fier cousin. Il s'agissait uniquement d'un subterfuge dans lequel elle tomba naïvement, faut de confiance, pour se retrouvée anesthésiée quelques secondes plus tard.

-Vous comptez me livrer à la justice royale, ENFLURES ? hurla-t-elle à l'un des chevaliers tout en l'agrippant. Glenn...Damons... FOUTUS TRAÎTRES ! J'AURAI VOTRE PEAU, littéralement, JE VOUS FERAI ÉCORCHER ! Prise d'une crise de panique, l'adolescente commençait à se mouvoir sur tout le bateau à la recherche d'un visage familier. Altiom. Elle avait besoin d'Altiom. Ou D'Eris. Qu'avaient-ils fait à ses compagnons ? Au moins peut-être mourrait-elle aux côtés de son cousin, exécutés par les Nordiens. Où est Altiom ? Vous l'avez capturé n'est-ce pas ? Pourquoi ne pas nous livrer en même temps ?

Une fois de plus, les chevaliers restèrent de marbre. Mais une voix d'homme inconnue vint répondre à sa question :

-Seul Altiom paiera pour cette défaite.

Elle se retourna pour faire face à un homme assez grand et barbu, habillé comme un intendant. Elle ne l'avait jamais vu, mais elle se fichait bien de qui il était. Pour l'heure, des milliers d'autres questionnements l'assaillaient. Elle était complètement paumée.

Aléandra se tourna du côté de la terre ferme, observant au loin les falaises du Calmerèse, et Marcalm-La-Blanche, sa propre ville, qui s'éloignait, disparaissant dans l'horizon. Elle restait là, à contempler une dernière fois ce qu'elle avait gagné et puis perdu. Une dernière fois ce paysage magnifique pour lequel on s'était battu, pour lequel on avait mourru. Tout lui avait été arraché : ses parents, son frère, Altiom, Peyredrac, Ydril, Marcalm, la joie et l'honneur. Elle ignorait ce que Glenn Hereon, roi de Naëlis et des fourbes, prévoyait pour elle. Tout ce qu'il lui restait désormais : d'infinis remords et l'épée de son père pour y mettre fin. Elle sortit la lame de son fourreau et la pointa contre son foie, au grand désespoir des personnes autour qui l'encerclèrent en lui conjurant de lâcher son arme et de revenir à la raison. Aléandra n'entendait rien, ses pensées parasitaient les bruits extérieurs. Elle contemplait son propre visage dans le reflet de son arme. Une petite mèche blanche contrastait avec sa chevelure rousse flamboyante. L'hiver arrivait. Elle éclata de rire.