Ma peau réclame tes caresses, ne me fait pas attendre -solo

Cinquième ennéade de Barkios,
1er jour,
17 ème année du 11ème cycle

Dès le lendemain du retour d’Ascanio, Caley commençait les préparatifs pour son départ vers Diantra comme il l’avait demandé. À cause des enfants, il y avait une multitude de détails à penser, mais elle ne voulait rien laisser au hasard. Il fallait d’abord réserver un passage pour la Péninsule, puis penser aux gens qui l’accompagneraient, car Ascanio ne voulait pas la laisser partir seule. Il fallait aussi faire les bagages. Caley ne voulait pas trop en apporter, mais si les choses tournaient vraiment mal, c’était peut-être tout ce qu’elle aurait sous la main. Elle choisit donc de façon intelligente en imaginant le pire afin d’être prête à toutes éventualités. Longtemps, Caley s’était débrouillée avec peu de chose, elle pouvait faire des miracles avec presque rien. Ascanio avait fait des choix discutables dans sa vie, mais il avait eu le bon sens d’épouser une femme débrouillarde.

Le cœur gros, elle passa sa dernière nuit avec Ascanio en faisant son possible pour faire comme si de rien n’était. Ce ne devait pas être un moment triste, car ils seront séparés seulement pour une courte période, n’est-ce pas? Caley faisait tout pour s’en convaincre. Vahram comprenait que quelque chose d’anormal se préparait, mais il était heureux de retourner en Péninsule. Il se souvenait de sa vie d’avant et comment elle était plus simple aussi. Il voulait revoir la vieille maison, impatient de la montrer à son petit frère qui n’y avait jamais mi les pieds.

Il fallait six jours pour rejoindre Diantra à partir de Thaar en suivant les voies navigables. Six jours où elle en eut plein les bras avec ses enfants. Entre sa petite princesse qui perçait ses dents et qui le faisait clairement comprendre à tous les passagers du bateau et à Mikayel qui chouinait à cause d’un manque de sommeil, Caley n’avait tout simplement pas le temps de réfléchir. Et c’était tant mieux, car si elle commençait à penser, elle déprimerait et ne serait plus bonne à rien. Dans l’immédiat, ses enfants devaient être sa priorité. Malgré les difficultés causées par les plus jeunes, le voyage se passa sans plus de problèmes. La Péninsule était si différente de l’Ithri’Vaan. L’air y était plus vif, plus pur et plus frais aussi. L’hiver approchait et Caley n’avait pas oublié à quel point il pouvait être mordant. Elle devra être particulièrement attentive à Nayiri et Mikayel qui n’ont jamais connu le froid humide de Diantra.

Évidemment, remettre les pieds dans la capitale lui rappela tout un tas de souvenirs de plein d’époques différentes, aussi bons que douloureux. Elle pensa à ses parents et à tous ces visages familiers qui ont peuplé son enfance. Avec ce souvenir, venait aussi celui qui l’a poussé hors de cette ville. Elle voyait aujourd’hui l’immensité de sa bêtise. Son père ne l’aurait pas mi à la porte pour ça. Pourtant, elle comprenait aussi que cette décision était la première et la plus importante de toute dans la longue liste de choix qui l’on conduite sur la route d’Ascanio. Sa vie aurait été très différente si elle était restée. Aurait-elle été plus heureuse? Impossible de le savoir, mais sa vie aurait été moins rocambolesque, forcément.

L’établissement Vossula était toujours là où elle l’avait laissée des années plus tôt. C’est à cet endroit qu’Ascanio l’avait ramené après leurs retrouvailles inattendues dans les rues de la ville. Même lorsqu’elle était revenue à Diantra à la demande de Tibério, Caley avait tout fait pour éviter le quartier. Ceux qui y vivaient ne s’attendaient probablement pas à ce que ce couple improbable résiste au passage du temps et pourtant, ils étaient bel et bien toujours mariés. L’ancienne rôdeuse et sa petite tribu s’installèrent dans les appartements et elle remit au responsable des lieux une lettre d’instruction de la part d’Ascanio.

« Pour l’instant, il n’y a pas de raison pour ne pas continuer les activités comme d’habitude. Nous évaluerons nos options s’il y a du changement. » Ajouta-t-elle devant les regards incrédules. À partir de maintenant, elle n’avait plus qu’une seule chose à faire : attendre.

1er jour de la 9ème ennéade de Barkios,
17ème année du 11ème cycle

Il n’y a rien de pire que d’attendre sans savoir et c’est ce que Caley était condamnée à faire. Elle regardait les jours passer et s’enchaîner les uns derrière les autres. Rien n’arrivait à lui occuper l’esprit et toutes ses pensées étaient tournées vers Ascanio. Était-il sauf? Avait-il réussi son entreprise? Reviendrait-il la chercher comme promis? Autant de questions, mais aucune réponse. Elle devait attendre le dénouement d’événements qu’elle ne contrôlait pas.

Puis un matin, vint un oiseau. Les volatiles faisaient souvent le va-et-vient entre Thaar et Diantra afin de transmettre les instructions de la maison-mère jusqu’au comptoir. Cette fois, le mot n’était pas adressé au régisseur, mais à Caley. Elle prit la missive et brisa le sceau de cire pour y trouver que quelques mots écris d’une main frénétique.

« Il a des problèmes, venez vite! »

Caley eut l’impression qu’un gros bloc de glace tomba dans son estomac. Elle ne se sentait pas très bien depuis quelques jours, des troubles de digestion qui refusaient de la laisser en paix. Cette fois, elle avait vraiment envie de vomir. Elle fixa la lettre jusqu’à ce que la vague soit passée et qu’elle soit capable d’ouvrir la bouche sans rendre son déjeuner. Pour le régisseur qui se tenait devant elle, Caley semblait parfaitement normale. Elle ne laissait rien paraître de son malaise sauf peut-être son teint qui était un peu plus pâle.

« Je dois partir. Je ne sais pas pour combien de temps, mais je vais tâcher de revenir le plus rapidement possible. »

Son sang-froid l’étonna. Elle avait parlé d’un ton calme et posé, malgré la peur et l’inquiétude qui lui tenaillaient le ventre. Caley ne devait pas lui montrer qu’il y avait un problème. Elle s’apprêtait à lui confier ses enfants. Elle ne pouvait pas savoir comment il réagirait en apprenant qu’il allait peut-être perdre son travail très bientôt. Ce n’était pas une chance à prendre. Caley devait agir comme si tout était sous contrôle.

« Il y a un problème? »

« Non. Il me faut simplement prendre en charge quelques affaires tandis qu’Ascanio met la touche finale à son projet. Vous savez comment il peut être. Il veut faire tout un tas de choses en pensant qu’il va y arriver tout seul et finalement il a besoin de bras ainsi qu’une tête supplémentaire. » Elle sourit. Comment arrivait-elle à sourire? Elle ne le savait pas. C’était comme si son corps et son esprit s’étaient déconnectés l’un de l’autre pour ne garder que les fonctions essentielles, comme si elle était une spectatrice dans sa propre tête.

« C’est vrai qu’il est parfois brouillon... » Osa-t-il dire sans vouloir trop s’avancer non plus. Un autre sourire, cette fois pour rassurer le régisseur, lui montrer qu’elle n’est pas choquée par sa remarque.

« Vous prenez les enfants avec vous? »

Caley hésita. Au départ, elle pensait les laisser tous les trois, mais elle pensa à Vahram. Elle ne craignait pas vraiment pour sa propre sécurité, mais il y avait de fortes chances qu’elle se retrouve complètement seule et l’idée d’avoir au moins son garçon à ses côtés lui donnerait la force d’affronter ce qui l’attendait là-bas. Caley refusait de se bercer d’illusions. Il sera peut-être déjà trop tard pour Ascanio lorsqu’elle débarquera du bateau, mais elle devait quand même faire le voyage.

« Vahram va venir avec moi. Il faut le préparer à son avenir et toutes les occasions sont bonnes pour ça. Les petits resteront ici. La saison n’est déjà pas très propice aux voyages et ils sont si jeunes. Je préfère éviter les déplacements inutiles. »

C’était une raison suffisamment bonne pour éviter d’éveiller les soupçons.

« À quel moment pensez-vous partir? »

« Dès que possible. »

Avant la fin de la journée, ils étaient partis.