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 Flux et reflux (Daneva) [Terminé]

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Chadden Charis
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MessageSujet: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeLun 4 Aoû 2008 - 17:36

Tout ce qui était dans le flot
est dans le reflux.



---

- Où vas-tu ? " lui avait demandé, un jour, un enfant aux yeux graves et sérieux qui le regardait tandis qu'il taillait un jouet dans un morceau de bois tendre.

Il n'avait su répondre. Non pas qu'il ne se soit jamais posé la question, bien au contraire ; mais le voyage et l'errance étaient tant inscrits dans sa nature, désormais, qu'il ne pouvait imaginer l'horizon que comme une suite d'escales sans lendemain. Partout familier, mais nulle part attendu. C'était ainsi depuis des années. Ainsi va le vent qui jamais ne s'arrête pour regarder par-dessus son épaule. Mais où va le vent ? Où vont les vagabonds ?

*Et surtout, que cherchent-ils ?* songeait le jeune homme en arpentant le pont craquelant du navire, à mesure que la traversée le rapprochait de l'Île de Nelen. *Probablement de nouveaux territoires sur lesquels poser leur empreinte, leur souffle. Mais après ?*

Chadden s'accouda un bref instant contre la rampe du gaillard avant et pencha la tête pour contempler l'eau, loin en-dessous. L'étrave fendait les flots dans un grand vacarme, séparant la mer en deux lignes d'écume bien distinctes qui finissaient cependant par se rejoindre au-delà de la poupe. Depuis potron-minet, le navire voguait sur une mer docile, voiles sans cesse gonflées ; et pourtant, la côte ne serait probablement pas en vue avant le crépuscule.

Mis à part sa propre personne, ils étaient rares à faire la traversée. Il y avait un groupe de trois jeunes hommes - ceux-là restaient entre eux et discutaient à voix basse - , un Elfe au port de tête hautain mais aux habits misérables, et une femme, très jeune, accompagnée par deux enfants. Le regard de Chadden accrocha un instant cette dernière alors qu'elle se tenait sur le pont à bercer contre son sein l'un de ses petits, visiblement malade. Il se demanda fugitivement quelle raison pouvait bien pousser une jeune mère et ses rejetons à quitter toute terre connue, tout éventuel foyer, pour y préférer une île réputée dangereuse ; la réponse s'imposa à lui comme une évidence. *Ils fuient.* La guerre, la misère, ou bien quelque obscure affaire de famille - la réponse était toujours la fuite. Quitter le continent pour aller, dans un élan de désespoir, tenter sa chance ailleurs. C'était cela, l'ombre qu'il devinait tout au fond des prunelles de la jeune femme : un mélange de crainte, de tristesse, d'espoir insensé. Et s'il avait scruté attentivement le regard des autres passagers, peut-être y aurait-il vu, pour chacun d'entre eux, une ombre semblable.

*Et toi, Chadden, que fuis-tu ?*

---

Le Sang-Mêlé referma lentement les yeux, tête levée vers le ciel et gorge griffée par les embruns. Pour une première traversée, il s'était attendu à éprouver plus d'exaltation que cela ; tout ce qu'il parvenait à ressentir, au milieu des craquements innombrables du navire, du claquement ample des voiles et des cris joyeux des marins, c'était de la tristesse. Probablement parce que l'idée de la mer le renvoyait irrémédiablement à cette vieille chanson maintes fois écoutée dans le village où il avait grandi - une complainte que marmonnaient à voix basse les Anciens assis sur le pas de leur porte, tandis que leurs yeux presque aveugles fouillaient le ciel.

Le reflux est venu vers moi comme une mer ;
la vieillesse m'a jauni
et bien que je m'en afflige
elle s'approche joyeusement de sa proie.

La vague du flot
et la seconde, celle du reflux ;
elles viennent toutes à moi
de façon que je les reconnaisse.

Le flot de la vague,
que le silence de ma cellule ne l'atteigne pas !
Bien que mon escorte soit grande dans l'obscurité
une main s'est posée sur eux tous.

Ceci est beau pour une île de la grande mer :
le flot vient après son reflux ;
mais moi, je ne m'attends pas
à ce que le flot vienne après que le reflux m'a touché.


Les cris et l'agitation lui firent rouvrir les paupières. Des marins allaient et venaient avec agilité dans les haubans, désignant une dentelle de terre à l'horizon. Nelen. Chadden se retourna, le temps de jeter un rapide coup d'oeil à l'arrière ; mais il ne put apercevoir aucune trace des terres qu'il avait quittées. Ne demeurait que la vaste mer, immensément grise, déjà recouverte par la brume du soir tombant.

C'est tout juste s'il y a aujourd'hui un endroit
que je reconnaîtrais.
Tout ce qui était dans le flot
est dans le reflux.


---

Le crépuscule tombait en effet lorsque les flancs du navire effleurèrent le port. Sans attendre l'arrêt complet de l'embarcation, des hommes d'équipage sautèrent à quai et se hâtèrent d'amarrer le bateau à l'aide de lourdes cordes, leurs pieds glissant sur les pontons mouillés. Au loin dansaient les lumières du village. Tout autour s'étendait l'ombre de l'île, sauvage, écrasante. Intimidante.

Chadden mit pied à terre à la suite des autres passagers. Ils se dispersèrent tous, sans un mot : les hommes, l'Elfe, la femme et ses enfants - tous avalés par les rues boueuses de Nelen. Lui, il préféra s'attarder un peu. Marcher le long du port, enjamber les noeuds de cabestan qui pourrissaient sur leurs anneaux. Et puis descendre vers la plage, là-bas. La ville pouvait attendre.

Dos à l'île, le jeune homme s'emmitoufla dans sa pelisse que le vent gonflait par intermittences, dévoilant parfois le renflement d'un fourreau. Une brise agressive portait l'odeur acide et écoeurante du varech, à laquelle s'ajoutaient, presque imperceptibles, d'autres parfums plus riches, plus exotiques, ramenés du coeur de l'île. Il regarda le soleil décliner. Songea rapidement aux jours à venir. Il commencerait par se familiariser avec le peuple de l'île, prendrait probablement quelques informations concernant les fameux "Silencieux", rendrait deux ou trois menus services. Puis repartirait. Après cela, qu'est-ce qui aura changé ? Sans doute rien. Les années passant, Chadden s'était persuadé que sa vie d'errance n'avait qu'un seul véritable but : connaître le royaume d'un bout à l'autre afin de pouvoir apporter son aide là où elle était nécessaire - même s'il avait parfaitement conscience que l'utilité de son bras ne serait jamais qu'anecdotique. Cependant, à mesure que les routes succédaient aux routes et les villages aux villages, le doute commençait à s'installer. La frustration, aussi, de ne pouvoir agir plus - ou agir mieux. En un sens, si son vagabondage lui apportait la liberté, il l'astreignait aussi à la solitude... et à l'inutilité.

Alors, oui... Peut-être bien que ce soit-disant but n'était en vérité qu'un prétexte. Un prétexte à la fuite en avant, incessante.

*Que fuis-tu ?*

Chadden soupira et tourna sèchement les talons. Ce genre de questionnement n'avait pas lieu d'être : il s'agissait là d'un luxe qu'il ne pouvait pas se permettre. Balayant ses doutes d'une pensée, il s'apprêta à remonter vers le village.


Dernière édition par Chadden Charis le Lun 1 Nov 2010 - 8:08, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeJeu 7 Aoû 2008 - 11:04

Le bateau ne tarderait plus. Profitant de l’air salé de cette agréable soirée sur l’île de Nelen, Daneva observait l’astre solaire achever sa course journalière en réfléchissant à toutes ces choses effrayantes qui menaçaient sa vie. Elle était accoudée à la rambarde tressée du long balcon de bois de son bureau, et nourrissait ses yeux du panorama superbe qui s’étalait devant eux. Le bâtiment offrait en effet une vue d’ensemble sur la Baie des Embruns et la ville elle-même. Le port s’était agrandi depuis l’arrivée des Silencieux, il était désormais fort de trois solides pontons qui avançaient loin dans la baie. Y étaient amarrés une demi douzaine de bateaux, de tailles diverses… Derrière eux, en eaux plus profondes, mouillaient deux des trois caravelles qui avaient permis aux membres de la guilde de faire la traversée une semaine plus tôt. La troisième… Dane s’empara de la longue-vue suspendue à un poteau derrière elle et s’en servit pour scruter l’horizon. Un sourire éclaira brièvement son visage. Une voile blanche, au loin… Elle n’était sûre de rien, pourtant l’impatience faisait déjà battre son cœur à un rythme effréné.

Ils seraient là dans une heure ou deux, le vent soufflait fort. Il faisait voltiger l’impressionnante chevelure de la jeune femme, qui laissait les mèches fouetter son visage sans faire mine de les retenir. C’était agréable, au fond, de ressentir quelque chose après ces longues journées à se rendre malade… Ses récentes découvertes ainsi que les importantes décisions qui en découlaient lui donnaient le courage de résister au destin funeste qui lui était pourtant promis. Elle souleva sa fine chemise de dentelle pour passer une main sur la peau tendue de son abdomen et sourit à nouveau, un exercice que les commissures de ses lèvres devaient redécouvrir… Oui, elle allait se battre, mais pas seule. Elle ne pouvait rien contre une guilde entière. Il serait bientôt là, il lui avait dit qu’elle pouvait compter sur son soutient. A vrai dire, il ne lui avait rien promis, et ne serait sans doute pas présent dans les délais, mais Daneva refusait d’abandonner cet espoir. Elle attendait le retour de la caravelle depuis la veille avec une impatience nerveuse, et ne cessait de retourner le problème dans sa tête.

Il fallait reprendre la guilde en main, annoncer la vérité et tenter de résister à la déferlante qui s’ensuivrait à coup sûr. Si elle y survivait… L’immensité des possibles avenirs qui s’offraient alors à sa personne la faisait frémir. Elle n’osait imaginer « l’après », alors que depuis la mort de Calis elle se pensait condamnée… C’est qu’elle n’avait alors plus envie de lutter ; désormais la situation était très différente.

...

Daneva descendait l’étroite allée qui joignait le bâtiment administratif au village. Elle était très escarpée… Quelques marches avaient certes été aménagées ici et là par les pêcheurs du temps où ils avaient encore le droit de l’emprunter, mais elle restait dangereuse et quelqu’un de peu attentif aurait vite fait de s’y casser une jambe. Concentrée sur les siennes, la jeune femme sautait de rocher en rocher, s’aidant de ses mains lorsqu’elle s’y voyait contrainte. Ses lèvres étaient résolument closes pour dissimuler ses mâchoires serrées à l’extrême. Depuis la première dizaine de mètres, la douleur était revenue… De telles acrobaties étaient déconseillées lorsque l’on sortait d’une telle convalescence, mais Dane n’avait pas le choix. De plus, elle n’avait pas pour habitude de ménager son corps. Sa poitrine se soulevait à intervalles rapides et sa peau s’était couverte d’une fine pellicule de sueur lorsqu’elle posa le pied sur la première surface plane depuis là haut. Devant elle, les premières habitations de Nelen se dressaient timidement. Quelques enfants détalèrent à sa vue, braillant, et Dane pressa le pas malgré sa fatigue.

La caravelle était amarrée, on pouvait apercevoir son grand mat au dessus des toits. La Silencieuse croisa quelques uns des siens et leur adressa un signe de la main, auquel ils répondirent d’un air surpris. On n’avait pas beaucoup vu la jeune femme ses derniers jours. L’un d’eux se leva, manifestant le désir de s’entretenir avec elle, mais elle fit un signe négatif de la tête avant de poursuivre sa route d’un pas pressé. Pas maintenant… L’angoisse nouait sa poitrine à tel point qu’elle sentait son menton trembler dès qu’elle commettait l’imprudence de desserrer quelque peu les dents. La nuit était presque tombée, le soleil avait disparu de l’étendue pure qu’était le ciel de cette soirée mais sa lueur prodiguait encore quelque lumière sur l’île, de moins voyait-on encore où l’on posait ses pieds.

Daneva arriva sur le port alors que les passagers débarquaient. Il étaient bien peu nombreux, en vérité, ce voyage servait surtout à approvisionner l’île en denrées alimentaires, en ressources diverses et surtout à transporter ce qui restait du matériel des Silencieux. Un elfe descendit le premier, la jeune femme reconnu de loin le style typique de cette race, aussi s’en désintéressa-t-elle immédiatement. Suivirent une femme et deux jeunes enfants. Eux aussi, elle les laissa vaquer à leurs occupations sans leur accorder plus d’attention. Apparurent ensuite trois jeunes hommes, qui, dès qu’ils aperçurent Daneva, se dirigèrent vers elle à grand pas.


-Daneva !

Ils firent cercle autour d’elle, coupant court à ses observations. Elle fut bien obligée de faire face à trois de ses meilleurs éléments, ne pouvant pas les ignorer sans manquer à son devoir.

-Qu’en est-il ?
-Nous avons tout ramené. Comme convenu, les marins de Taanis ont été payés. Certains ont préféré rester à nos services.
-Et c’est un sacré coup de chance ! Nous serions incapables de manier de tels engins…
-Pas de problèmes particuliers ?
-Ydril est folle de rage, nous avons volé trois vaisseaux de qualité.
-Qu’ils viennent donc les récupérer… Des nouvelles de Diantra ?
-Le roi a réussi à enrayer l’épidémie, les cas sont de moins nombreux. J’ai deux rapports des observateurs que vous avez laissé là bas, il semblerait que rien de gène nos plans.
-Parfait.

Ils discutèrent encore un moment, et Dane donna les directives nécessaires au déchargement. Les trois hommes prirent congé. La jeune femme se retrouva seule face à la passerelle qui avait permis aux passagers de débarquer.

-Okän, attend !

Le plus grand des trois hommes tourna la tête, puis les talons pour revenir vers elle au pas de course. Il l’interrogea d’un regard fatigué.

-Y avait-il un homme avec vous sur le bateau, qui aurait fait la traversée ?
-Hum… Assez jeune, silencieux, aux yeux très clairs ?
-C’est cela !
-Il y avait en effet un tel passager, mais nous ne lui avons pas adressé la parole. Il doit être descendu après nous…

Daneva remercia l’Alpha avant de le laisser retrouver ses collègues à l’auberge. Elle se tourna vers Nelen, les poumons emplis d’une grande gorgée d’espoir. Il était donc venu… N’osant y croire tout de suite, elle fouilla des yeux l’environnement de plus en plus sombre qui l’entourait, et finit par apercevoir une silhouette immobile sur la plage, emmitouflée dans un lourd manteau. Aussitôt, le corps de la jeune femme se mit en mouvement, elle détala comme l’aurait fait un chat qui a aperçu un rat.

-Valkayre, Valkayre !

Un éclat de rire tinta dans l’air alors qu’elle galopait vers son ami, foulant le sable. Le premier depuis des lustres... Alors, il se retourna, et elle stoppa sa course à quelques mètres de lui, le sourire chaleureux disparaissant peu à peu de son visage. Ce n’était pas Valkayre. Elle ne tenta pas de dissimuler sa déception, fronçant les sourcils, tentant d’assimiler cette nouvelle.

-Oh, je… Excusez ma méprise.

Elle baissa les yeux vers les vaguelettes qui dansaient à quelques centimètres de ses pieds, terriblement peinée. Ainsi il n’était pas venu. Elle allait devoir se débrouiller seule. A cette idée, son cœur se serra et elle pinça les lèvres, en proie à une féroce agitation. Cela n’allait pas être facile. Ses yeux cherchèrent du réconfort dans le ciel, quelques secondes, jusqu’à ce que la présence de l’inconnu lui revienne. Elle posa donc son regard sur lui, le dévisageant enfin. En effet, ses prunelles avaient une teinte remarquable, d’un gris profond. Daneva n’en avait jamais vu de semblables, c’est pourquoi elle resta aussi longtemps à les observer sans ciller.


Dernière édition par Daneva le Mar 11 Nov 2008 - 9:04, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeDim 10 Aoû 2008 - 20:26

Le sable, fin et léger comme une poussière, s'éleva en nuage autour de ses bottes lorsqu'il se retourna. L'esprit encore ailleurs, accroché à des idées et à des songes - d'anciens passés, d'hypothétiques avenirs. Devant lui, plus en amont : Nelen, avec des rues qu'il devinait sinueuses et pleines d'enfants pieds nus, des habitations branlantes à l'organisation aussi chaotique que celle d'un campement de réfugiés. En un sens, c'était exactement cela. Il n'imaginait pas que la ville ait pu être construite selon les plans froids et les quadrillages qu'utilisent les colons lorsqu'ils s'installent sur des terres nouvelles ; non, Nelen était chimérique, désordonnée et tentaculaire. Toujours prête à l'expansion, à l'évolution. En un mot : vivante.

Bien sûr, le jeune homme n'avait pas manqué de remarquer ce grand bâtiment, là-bas, qui paraissait dominer toute la ville naissante et la gouverner de son ombre. Toutes les questions qu'il aurait pu se poser concernant le pouvoir en place sur l'île - quel qu'il soit - trouvaient très certainement leur réponse là-bas, mais il n'était pas encore temps de prendre de tels renseignements. Cela viendrait cependant. Il suffisait d'être à l'écoute, de saisir quelques menus détails au détour d'une conversation - des petites indications bénines que l'on laisse échapper sans y penser. Les gens sont parfois prodigieusement bavards avec les voyageurs. Parce que les voyageurs ne s'attardent pas. En l'occurrence, quel que soit le secret qu'on leur confie, il disparaît avec eux une fois qu'ils ont repris la route ; et c'est comme si le secret n'avait jamais été divulgué, n'est-ce pas ?

- Valkayre, Valkayre ! "

L'appel fusa soudain, vibrant de joie et d'espoir. Il fallut un petit instant à Chadden pour comprendre que ce nom, à la fois cinglant et musical, s'adressait à lui. Peut-être sa carrure ou ses habits avaient-ils prêté à confusion, sans parler du jour déclinant ; s'apercevant de son erreur, la femme qui l'avait hélé ralentit le pas jusqu'à s'arrêter non loin de lui.

Grande, élancée, faite pour la course, la danse ou la guerre - ou les trois. La chevelure longue comme une bannière, l'oeil vif, et l'expression qui passa rapidement de l'enthousiasme à la surprise, puis à la déception. Il vit le sourire quitter ses lèvres, ses prunelles s'éteindre sensiblement, tout son visage s'assombrir enfin quand il fut clair que Chadden n'était pas l'homme qu'elle attendait.

- Excusez ma méprise, dit-elle avant de baisser le regard - cependant pas à la manière de ces jeunes filles pudiques toujours prêtes à rougir face à n'importe quel homme ; il semblait évident qu'elle ne faisait pas partie de cette espèce-là.

- Il n'y a pas de mal. "

Chadden se permit de la détailler attentivement, sans voiler d'aucune manière son observation : Mains, visage, atours, armes visibles, attitudes, tout ces petits détails qui en disent tant sur les gens. A peine achevait-il de tracer du bout des yeux un rapide portrait de celle qui lui faisait face, qu'elle planta de nouveau son regard dans le sien. Franc, direct. Probablement un peu curieux.

Il sourit. Referma sur lui sa pelisse agacée par le vent, posa une main distraite sur le flanc de cuir de sa gibecière. Lorsque sa voix s'éleva de nouveau, elle n'avait perdu ni son calme, ni sa profondeur, ni sa douceur distante, un peu froide.

- Je vous souhaite de trouver celui que vous cherchez. "

Et comme il n'y avait selon lui plus lieu de s'attarder, il fit un pas en avant, s'apprêtant à passer sur le flanc de la jeune femme pour rejoindre les habitations - notamment une hypothétique auberge où passer la nuit.
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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeLun 11 Aoû 2008 - 19:50

L’homme sourit, sans doute un peu gêné par l’attitude de Daneva. Qu’importe, ce n’étaient pas de telles préoccupations qui la freineraient de quelque manière que ce soit. Elle quitta le gris profond de ses yeux pour s’intéresser rapidement au reste. Rien de remarquable, à première vue… Il ressemblait à n’importe quel voyageur faisant étape dans un quelconque village bordant la grande route.

La jeune femme était préoccupée par l’absence de Valkayre, son esprit s’agitait au fond de ses orbites à la manière d’un lézard affolé. Elle était bel et bien seule aux commandes désormais, il fallait qu’elle reprenne les choses en mains. Et si il y avait bien une chose qui l’insupportait, c’était que les choses ne se passent pas comme elle l’aurait souhaité. Par son détachement apparent, l’inconnu qui avait causé la déception de la jeune s’attirait peu à peu la suspicion de cette dernière. Un voyageur, oui, mais pas un réfugié.

Lorsqu’il prit congé, elle fut prise d’une impulsion soudaine et lui saisit le poignet sans préavis afin de le forcer à se tourner vers elle. Au regard de tous les événements récents, elle devait surmonter sa peine et se montrer curieuse…


- Attendez un instant.


Ses compagnons de voyage devaient déjà être en train de subir l’interrogatoire rigoureux des Silencieux chargés de l’accueil. Autant ne prendre aucun risque, Daneva se chargerai de celui-ci

- Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? Que venez-vous faire sur mon île ?

Le ton n’était même pas poli. Il était pressant, impératif, et semblait servir à poser une question qui ne souffrirait pas beaucoup d’attente. Le voyageur devait cependant veiller à bien choisir les mots de sa réponse, les espions envoyés par la Marine Marchande avaient été nombreux à débarquer ces derniers temps. Dams en avait débusqué deux, l’Epine un troisième. Daneva doutait que le colis contenant les restes de ces imprudents soit déjà arrivé à destination – Meca – c’est pourquoi elle envisageait toujours aussi sérieusement l’arrivée d’autres indésirables. La Compagnie avait engagé un conflit avec la puissante guilde de pirates depuis leur arrivée sur Nelen. Ils n’avaient pas tenu leur parole, ils devaient donc en assumer les conséquences. Il était plus que temps que les Silencieux reprennent dans l’intrigue Miradelphienne la place qu’ils méritaient.

Pour le moment, la sanguine Daneva ne se montrait pas menaçante, pas
vraiment. Elle avait lâché le poignet de l’homme, mais s’était déplacée de façon à se trouver entre le village et lui. Il n’y avait pas d’ordre plus explicite… Il ne pourrait aller chercher une chambre à l’auberge qu’une fois qu’il aurait satisfait la curiosité de son interlocutrice.

Un tel comportement de la part d’une femme qui venait de l’aborder en riant devait sans doute le déstabiliser un peu, si il n’était pas ce qu’elle croyait qu’il était. Il devrait vite comprendre qu’à Nelen, Dane était souveraine et avait tous les droits. Bien sûr, il ne devait pas encore avoir saisi son véritable statut, mais cela viendrait vite. Il n’avait pas l’air de quelqu’un d’idiot. C’était justement ce qui le mettait présentement en danger…

Dane jeta un coup d’œil à son habit. L’obscurité était désormais plus que pesante, mais elle remarqua que le manteau d’élargissait de manière explicite au niveau des hanches… Des armes, sans doute. L’homme ne semblait pas vouloir les cacher, sans les exhiber de façon éhontée… Autant de signes qui indiquaient à la jeune femme qu’elle avait affaire à quelqu’un qui savait se battre. Elle-même, bien qu’encore très faible suite à ce qu’elle avait fait de sa vie durant ces derniers jours, savait aussi y faire. Seule la dague marquée d’une croix se balançait à sa ceinture, mais il aurait été stupide de penser qu’il s’agissait là de la seule arme qu’elle portait…
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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeMar 12 Aoû 2008 - 21:35

Quelques secondes avaient suffi à la jeune femme pour qu'elle se reprenne. La brève contemplation presque fascinée qui l'avait figée face à lui, regard contre regard, cessa bien vite. Une autre facette du personnage se dévoila alors au Sang-Mêlé : quelque chose de vif, de rude, d'autoritaire. De presque farouche, aussi. Il crut voir, l'espace d'un instant, une étincelle de peur au fond des prunelles de son interlocutrice - mais peut-être n'était-ce qu'un mirage induit par l'obscurité. Ou bien... Peut-être montrait-elle les dents dans l'unique but de masquer cette même peur.

Un geste, et la main de la jeune femme fut sur son poignet, interrompant son pas. Il baissa vers cette main un regard métallique, d'une froide curiosité, avant de s'intéresser aux questions lancées - sur un ton aussi vif et aigu qu'une lame de couteau.


- Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? Que venez-vous faire sur mon île ? "


*Son île ?* Chadden pencha la tête de côté, sans sourire, et jugea du regard l'expression de l'inconnue. Oui, certes, c'était là l'attitude d'une femme habituée à commander - et habituée également à ce qu'on lui obéisse. Curieusement, le ton incisif qu'elle venait d'employer le ramena plusieurs années en arrière, lorsqu'il était encore un jeune soldat soumis aux ordres de ses supérieurs.

Même si soumis, dans son cas, restait un bien grand mot...

Le jeune homme s'autorisa quelques secondes de silence avant de secouer le visage de droite à gauche, lentement, puis de dégager sa main, tout aussi lentement. Sans violence, en douceur. L'expression qu'il se composa resta lisse, neutre, assez peu lisible ; d'autant plus que la nuit tombante tendait à découper ses traits en vagues clairs-obscurs, suivant l'aplat d'une joue, l'arrondi d'une pommette ou la courbe des lèvres. Pas de sourire sur ces dernières, toujours pas. Mais pas non plus de pli de menace au milieu du front, ni de sourcil arqué. Et la voix resta égale lorsqu'il répondit, calme et claire, presque apaisante, détachant bien chaque mot.

- Mon nom est Chad. Je ne suis qu'un simple voyageur. Je vais là où vont les gens du peuple, dans l'unique but d'apporter mon aide lorsqu'elle est nécessaire. Rien de moins. Rien de plus. "

Somme toute, c'était l'exacte vérité ; une vérité qu'il avait d'ailleurs l'habitude d'énoncer lorsque l'on se montrait méfiant à son endroit. Parfois, les mots, le regard, l'attitude suffisaient à convaincre. C'était un art qu'il avait affiné avec le temps et l'expérience : s'aider d'un ton calme, d'une immobilité mesurée et d'un regard franc de manière à signifier "je ne vous veux aucun mal", sans toutefois le dire explicitement.

Malgré tout, Chadden était loin de savoir quels doutes la jeune femme nourrissait à son égard.

Et loin de se douter, aussi, que sa maîtrise de lui-même, l'impassibilité de sa réponse ou de son attitude, jouaient plutôt en sa défaveur.
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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeVen 15 Aoû 2008 - 13:42

Il ne cilla pas. Ce comportement était étrange, de la part d’un inconnu. Peu d’hommes seraient à ce point restés de marbre face à Daneva. Elle le considéra un instant, semblant jauger ses capacités. Elle s’était attendu à quelque chose de plus… Explosif. Au lieu de cela, elle se retrouvait à converser avec une statue, qui consentit enfin à répondre à ses questions.

La jeune femme l’écouta sans broncher, pesant ses mots, réfléchissant, l’observant. Dans sa position, aucune erreur ne lui était permise. Il fallait se montrer méfiant à l’extrême en ces temps de tension… Et puis cela faisait trop longtemps qu’elle n’avait eu l’occasion de faire preuve d’autorité, cela lui manquait. Bien sûr, si l’homme avait été un espion de la Marine Marchande, il ne l’aurait pas avoué dans pareilles conditions. Un simple voyageur ? Il y en avait. Par contre, Nelen, destination des « gens du peuple », c’était assez douteux. On ne recevait ces jours-ci que de rares fuyards, et des Silencieux revenus de mission ou bien rejoignant enfin la guilde après avoir manqué le départ commun. Apporter son aide… Là, c’était trop beau pour être vrai. Dane avait pour conviction que les hommes ne faisaient jamais rien contre rien. Cupidité ? Passion ? Ou bien… Simplement remplir une mission.

Tous les membres de la Marine Marchande devaient se faire tatouer la poitrine du sceau de la guilde – pratique bien stupide, en vérité. Il était alors très facile de les débusquer… L’espion que l’Epine avait démasqué avait cependant fait preuve d’intelligence, un luxe pour ces imbéciles ! Lorsque l’on avait écarté les pans de sa chemise, il avait dévoilé un torse parfaitement vierge de toute marque… L’astucieux Silencieux, persuadé de l’identité de son suspect, avait alors frotté la peau pour découvrir que le tatouage était en réalité dissimulé sous une fine couche de poussière collante couleur peau.

A ce souvenir, Daneva porta la main à sa dague, s’en empara afin de la brandir devant l’inconnu. C’était un geste tranquille, mais empreint d’une réelle fermeté, fermeté traduite par le regard de la jeune femme.


-Très bien, Chad, je ne vous crois pas.

Elle fit un petit geste vertical du bout de la lame, toujours aussi sereinement.

-Déshabillez-vous.

Une glaciale bourrasque de vent salé vint ajouter à son ordre une touche de moquerie. Très encourageant… Daneva ne bougea pourtant pas, le bras tendu, attendant que le « voyageur » s’exécute. Il ne lui inspirait pas confiance, il était trop sûr de lui, il avait l’air trop pacifique. Le genre d’espion un peu trop parfait… Ils étaient sans doute assez stupides pour avoir envoyé encore un homme récolter des informations. Tant pis pour eux, ils en perdraient donc un de plus !
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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeSam 16 Aoû 2008 - 12:34

- Déshabillez-vous."


Une telle demande était pour le moins inattendue, et cette fois-ci Chadden haussa les sourcils sous le fait d'une surprise sincère. Un instant, il jaugea de nouveau la jeune femme, sans s'attarder sur la dague qu'elle brandissait devant lui. Autoritaire, catégorique : oui. Elle n'avait pas l'air de plaisanter.

Plusieurs choix s'offraient à lui. Chadden pouvait tirer à son tour l'arme du fourreau, réponse compréhensible à la menace d'un fer dressé contre sa personne ; cependant, c'eût été là trahir toutes ses intentions pacifiques. S'il se fiait à l'allure, au regard et à la voix de celle qui lui faisait face, à ce qu'il devinait en elle de dur et de charismatique, c'était très probablement quelqu'un d'important. Elle avait même parlé de l'île comme de sa propriété. Tirer l'épée et se battre contre une autorité locale aurait été une monstrueuse erreur.

Il pouvait également refuser. L'injonction était si saugrenue et si... déplacée, en somme, qu'il était difficile de prendre au sérieux un tel ordre. Mais s'il refusait, la femme chercherait probablement à l'y forcer. Il perdrait du temps et attiserait plus encore les soupçons qu'elle gardait vis à vis de lui.

Car il était clair que la femme le voyait comme un potentiel ennemi. Chadden ne savait pas pourquoi, et ne voulait pas le savoir ; tout ce qu'il désirait, c'était que son interlocutrice le laisse en paix et cesse de le considérer comme une menace. Et pour cela, ne subsistait qu'une seule et unique solution : coopérer.

Ces quelques réflexions s'étaient succédées rapidement dans l'esprit du jeune homme sans que son visage ne trahisse quoi que ce soit ; enfin, sans rien dire, et sans détacher ses yeux de ceux de Daneva, il bougea.

Ce fut d'abord la gibecière, dont il laissa glisser la courroie accrochée à son épaule jusqu'à ce que le sac de cuir tombe à terre, dans le sable. Ensuite, une main se leva, détacha calmement la fibule d'argent qui retenait la pelisse dans laquelle il était tout entier drapé ; l'épaisse fourrure glissa à ses pieds avec le bruit lourd d'une étoffe qui s'effondre. Puis, les sangles de cuir croisées sur sa taille, retenant chacune un fourreau, détachées l'une après l'autre ; l'une après l'autre, les armes rejoignirent le sable, tintant discrètement dans leur gaine souple. Ne subsista qu'un simple couteau de chasse, glissé dans la ceinture, pour tout armement. Du gilet de cuir qui ne le couvrait qu'à moitié, il écarta les pans ; enfin, la chemise de lin noir fut délacée jusqu'à laisser voir, dépouillée de toute protection, la texture plus pâle de la chair.

Chadden n'avait hésité dans aucun de ses gestes. Et dans les yeux clairs ne se lisaient ni embarras, ni délectation ni même aucune sorte de colère quand il ouvrit les bras, offrant sa peau nue comme s'il ne craignait pas la morsure de l'acier.

- Est-ce suffisant ? " murmura-t-il alors, avec un sourire non dénué de cynisme.

Il fallait peut-être se montrer très téméraire pour se livrer ainsi, sans défense, face à une personne armée ; cependant, malgré son calme apparent, Chadden restait en alerte. La jambe droite s'était légèrement calée en retrait, prête à servir d'appui pour une attaque ou une riposte. Les yeux cillaient normalement mais surveillaient avec attention les moindres gestes de la jeune femme, si infimes soient-ils. Dans l'obscurité qui allait s'épaississant, il voyait parfaitement. Il saurait réagir à temps si l'occasion - malheureuse - devait se présenter. En théorie, la femme n'avait aucune raison de l'occire sans préavis, surtout s'il s'agissait effectivement d'une autorité reconnue à Nelen.

Du moins l'espérait-il.
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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeDim 17 Aoû 2008 - 10:10

Attentive, Dane avait observé l’homme alors qu’il réagissait enfin à son injonction. Il avait semblé réfléchir quelques instants à l’attitude à adopter, et son choix, finalement, démontrait bien qu’il s’agissait de quelqu’un d’intelligent. En effet, refuser d’obéir aurait été une grossière erreur – et le résultat n’aurait pas été différent : Dane aurait fini par voir la peau nue de sa poitrine. Ses gestes avaient alors été tranquilles, son visage terriblement impassible. Daneva se méfiait particulièrement des gens qui arrivaient à ce point à dissimuler leurs émotions, elle les pensait capables des pires traîtrises… De plus, il était toujours frustrant pour quelqu’un qui a l’habitude d’un statut de maître de ne pas percevoir quelque chose d’aussi important que l’humeur d’un interlocuteur.

La jeune femme ne bougea pas, son bras tendu ne tremblait pas. Elle assista silencieusement à la mise à nue de Chad, qui ne semblait décidément pas inquiet. Qu’importe, elle saurait bientôt… Les gestes de l’homme étaient consciencieux, presque mécaniques, et les voiles tombaient sur le sable les uns après les autres. Enfin, la peau fut visible… Aucune trace de tatouage, mais cela n’était pas surprenant : un espion n’ayant pas pris de précautions concernant ce gênant détail n’aurait pas accepté de dévoiler ainsi sa poitrine.


- Est-ce suffisant ?
- Pas tout a fait.

Abaissant son arme, Daneva s’approcha de lui, et leva son autre main. Sans hésiter, elle passa ses doigts sur la peau dénudée, frottant du pouce à intervalles réguliers afin d’estomper une éventuelle couche de poussière dissimulatrice. La peau était ferme, trahissant des activités physiques intenses, mais ce n’était pas vraiment l’objet de sa quête… Quelque peu déçue, elle se rendit compte que ses efforts étaient vains. Il fallait se rendre à l’évidence… Soit la Marine Marchande, se rendant compte de son incommensurable stupidité, avait arrêté de faire tatouer ses espions, soit le dénommé Chad était vraiment un innocent voyageur aux intentions pacifiques. La deuxième option était de loin la plus probable.

Dane pinça les lèvres, et recula. D’un geste résigné, elle rengaina son arme et soutint le regard de Chad.


-De toute évidence, je me suis trompée…

Elle ne s’excusa pas. Les excuses de tout à l’heure avaient été une erreur, une faiblesse induite par la déception provoquée par l’absence de Valkayre. Daneva n’avait, somme toute, rien à se faire pardonner, de son point de vue. Elle se montrait méfiante vis-à-vis des inconnus, comme la plupart des gens un tant soit peu malins, et se devait de protéger sa guilde des intrusions indésirables qui pourraient lui nuire. De fait, elle n’avait fait que s’assurer des véritables intentions du voyageur – quoique rien n’avait encore été prouvé, sinon qu’il n’était pas membre de la Marine Marchande.


D’un geste vague de la main, elle désigna le village, derrière elle.

-Les chambres de l’auberge sont peu coûteuses, mais inconfortables. Bienvenue à Nelen.

Bien, il n’y avait plus rien à dire. Il fallait informer les autres que cet individu avait été contrôlé. Sans plus de cérémonie, Dane tourna les talons. Le paysage sombre tourna… Les lumières du village dansèrent devant ses yeux, et la familière sensation de décrochage envahit une nouvelle fois l’ensemble de ses sens. Pas maintenant, pensa-t-elle… Mais elle ne pouvait pas empêcher son corps de souffrir des récents événements et de son état. Sans qu’elle ne puisse l’empêcher, elle tomba à genoux sur le sable. Par réflexe, ses deux bras étaient venus enserrer son ventre dans une étreinte protectrice. Elle aurait voulu lever les yeux vers l’homme qu’elle venait d’importuner, mais dès que l’idée l’effleura, même le sable disparu pour ne laisser place qu’au néant de l’inconscience.
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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeDim 17 Aoû 2008 - 16:16

Fugacement, Chadden se demanda si tous les étrangers qui posaient le pied à Nelen avaient le droit à un tel traitement, ou bien si la frustration de s'être trompée de personne enjoignait la jeune femme à se montrer particulièrement méfiante envers lui - comme pour faire passer l'ampleur de sa déception. Elle le regarda faire sans broncher jusqu'à ce qu'il s'expose à son regard, la peau griffée par les vents vifs de la côte. Là, elle leva la main vers lui. Le jeune homme retint un geste de recul, ce qui se traduisit par un frémissement perceptible lorsque les doigts de Daneva entrèrent en contact avec sa peau ; mais il ne se déroba pas, et ne dit rien.

Le geste de la jeune femme n'avait rien d'une caresse. Méthodique, elle semblait chercher à découvrir quelque chose sur sa poitrine, quelque chose qui l'aurait confondu en tant qu'ennemi si l'inspection de Daneva l'avait révélé. A défaut d'être inquiet, Chadden se contenta de patienter, suivant les gestes de son interlocutrice du bout des yeux - et prenant bien soin d'inscrire avec attention son image dans sa mémoire, jusqu'au moindre petit détail caractéristique.

Les bras le long du corps, le jeune homme ne quitta pas son allure de statue lorsque Daneva s'éloigna de lui. Le visage fermé, elle rangea son arme au fourreau. Peut-être déçue.

- De toute évidence, je me suis trompée… "
- Oui, renchérit-il tranquillement en se penchant pour attraper ses affaires et couvrir de nouveau sa peau contre les assauts froids, salés, de la brise maritime. Une fois de plus. "

Bast, il n'allait pas lui en tenir rigueur - et exiger réparation aurait été déplacé, n'est-ce pas ? Avec un léger haussement d'épaule, Chadden laça de nouveau sa chemise, rabattit son gilet sur ses flancs, récupéra ses deux fourreaux puis s'attacha à s'envelopper dans sa pelisse. Il scellait la fibule sur son col lorsque la jeune femme désigna le village en amont, d'un mouvement rapide, imprécis.

- Les chambres de l’auberge sont peu coûteuses, mais inconfortables. Bienvenue à Nelen. "
- Merci. Ce sera parfait. Je doute que quiconque vienne ici pour le confort ou le luxe. "

A présent qu'il était toléré sur l'île, restait à gagner la confiance de certains habitants. Pas tant que Chadden cherchât à se constituer un réseau d'alliés ; ce genre de choses ne l'intéressait pas, non plus que les querelles de guildes desquelles il se tenait toujours à l'écart. Tout ce qu'il souhaitait, c'était connaître et se faire connaître tout juste suffisamment pour pouvoir revenir si l'envie l'en prenait un jour.

Le jeune homme se pencha, récupéra sa gibecière qu'il épousseta distraitement pour la nettoyer du sable qui y adhérait. Son interlocutrice, considérant sans doute que la discussion - *ou l'interrogatoire...* - était close, fit volte face, dans le but probable de rejoindre à son tour la petite ville en expansion.

Mais quelque chose n'allait pas.

Tout juste après s'être retournée, la jeune femme se figea. Un très bref instant - puis ses jambes cédèrent sous elle, la jetant à genoux dans le sable. Il la vit ceindre sa taille de ses propres bras comme sous le coup d'une douleur soudaine, violente, puis s'effondrer totalement, sans connaissance.

Autant Chadden pouvait prendre le temps de réfléchir dans certaines occasions, autant dans d'autres, il savait se montrer réactif. Laissant choir sa gibecière, le Sang-Mêlé s'approcha de Daneva, s'agenouillant à son côté, puis la fit basculer sur le flanc avec précaution ; deux doigts s'appliquèrent contre la gorge, sur la ligne du cou, de manière à prendre le pouls de l'inconsciente. Au moins respirait-elle. Restait à s'assurer que rien ne l'en empêcherait dans les minutes qui allaient suivre.

Faisant fi d'éventuels observateurs - même si la plage semblait déserte - et du qu'en dira-t-on, Chadden s'appliqua à défaire les vêtements de la jeune femme, déliant et repoussant ce qui couvrait son torse. Si corset il y avait, il le dénouerait également, avec vivacité. Il fallait qu'elle respire et que rien ne l'entrave. Certes, la fraîcheur de l'air était un risque à ce qu'elle attrape un autre mal, mais il n'avait pas le choix.

Par chance, la mer était toute proche ; Chadden se servit de l'eau salée pour humidifier le front et les tempes de Daneva, espérant que le contact froid l'aiderait à reprendre connaissance. Comme il s'agissait d'à peu près tout ce qu'il pouvait faire pour l'instant, le jeune homme resta à genoux aux côtés de celle qu'il veillait, non pas inquiet - il ne la connaissait pas assez pour cela - mais un peu dans l'embarras.

- Vous m'entendez ? "

Si cela suffisait à lui faire reprendre ses esprits, peut-être qu'il pourrait à la rigueur l'aider à rejoindre le village, ou toute autre bâtisse. *Quoique passer par Nelen dans son état, s'il s'agit effectivement d'une personnalité locale, ce n'est pas une bonne idée. Il n'est jamais sage de se montrer dans un état de faiblesse lorsqu'on est quelqu'un d'important.*

Mais si cela ne suffisait pas... Eh bien, Chadden se résignerait à aller chercher de l'aide. Même s'il s'agissait d'une inconnue - et malgré l'attitude méfiante, autoritaire, qu'elle avait eu à son endroit - il ne pouvait pas décemment la laisser dans cet état.
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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeLun 18 Aoû 2008 - 11:01

Les nuées sombres voltigèrent un temps indéfinissable dans l’esprit de Daneva. Elles la tourmentaient, l’appelaient, semblaient vouloir s’accrocher aux lambeaux de sa pensées, jusqu’au moment où un son étrangement lointain se fit entendre. Ce n’était qu’un vague grognement, paroles indéfinissables, pourtant cela suffit à tirer la jeune femme de sa torpeur noire. Elle ouvrit les yeux pour les poser sur un visage qu’elle ne reconnut pas. Il s’agissait d’un homme, un jeune homme dont les yeux clairs luisaient sous l’éclat bleuté de la lune. Ce n’était pas la première fois qu’elle le voyait…

Un coup de vent plus violent que les autres fit frissonner tout son corps. Le coeur au bord des lèvres, Daneva se redressa sur les coudes et se rendit compte avec stupeur que sa poitrine était nue, offrant au regard une peau frémissante qui paraissait immaculée sous l’astre nocturne – dont la faible lueur dissimulait efficacement les restes d’hématomes jaunâtres, vestiges de ses récentes et néfastes aventures. Les deux pans de sa chemise de dentelle blanche gisaient de part et d’autre de ses hanches, et elle avait senti le corset de cuir qu’elle aimait porter en dessous s’enrouler dans son dos lorsque ce dernier s’était soulevé. Son épais manteau semblait abandonné sur le sable, à quelques pas. Figée devant sa propre nudité, Dane se considéra quelques secondes en battant des paupières, puis releva les yeux vers l’homme qui était accroupi à coté d’elle. Alors, elle se souvint. Il s’appelait Chad, il était arrivé par le dernier bateau en provenance du continent, elle l’avait prit pour Valkayre, puis pour un espion de la Marine Marchande. Retrouvant quelque peu ses esprits, elle lui jeta un regard courroucé avant de rabattre furieusement les pans de sa chemise contre sa peau pâle.


-Mais que... ? Qui vous a permis de me dénuder de cette façon ?

Ses doigts s’emmêlèrent lamentablement dans les ficelles alors qu’elle bataillait ferme pour réajuster son corset ; pourtant elle s’acharna jusqu’à obtenir un nœud dont elle pouvait raisonnablement espérer la résistance. Son esprit endormi tentait en même temps de se souvenir de ce qui était arrivé juste avant qu’elle ne tombe. Elle prenait congé, et puis tout avait basculé… Lasse, elle ne tenta même pas de refermer les boutons de sa chemise, s’en sentant incapable pour le moment. Tout était encore flou autour d’elle, elle avait l’impression d’être de nouveau sur la caravelle et de tanguer au gré des vagues puissantes qui heurtaient la coque du navire. Ses yeux revinrent se poser sur le visage doux de l’inconnu qui l’avait vraisemblablement aidé à reprendre connaissance. Il aurait pu passer son chemin, après ce qu’elle lui avait fait subir… Pourtant la jeune femme restait méfiante.

-Ecartez-vous, je vais bien.


Elle devait bien avouer une certaine honte de paraître aussi faible devant cet homme. Elle était sensée incarner la force, le courage et la robustesse si elle voulait prétendre être à la tête d’une guilde d’assassins… Au lieu de cela, elle donnait l’image d’une faible créature sans résistance en proie à un mal mystérieux qui semblait la terrasser de manière implacable. Qui, parmi ses hommes, la respecterait si elle n’était même pas en état de tenir une arme fermement plus d’une dizaine de minutes sans tourner de l’œil ?

D’un mouvement décidé, elle se releva en prenant appui sur une main, et finit tant bien que mal en position verticale. Intérieurement victorieuse, elle allait pour lancer à Chad quelque chose comme « Je n’ai pas besoin de vous » lorsque son équilibre lui fit de nouveau défaut. Elle vacilla, les jambes tremblantes. Pour éviter une deuxième chute, son réflexe fut d’agripper fermement les épaules du voyageur – qui avait eu l’excellente idée de se lever en même temps qu’elle.

Vaincue, Dane expira longuement en observant le sable à leurs pieds, puis releva les yeux afin de soutenir une nouvelle fois le regard de Chad. Elle ne l’avait pas lâché, de peur de s’effondrer à nouveau. Cette incapacité à se comporter comme la fière jeune femme qu’elle était d’ordinaire la rendait folle de rage, mais elle ne pouvait faire autrement que de subir cet état. Son manteau ne protégeant plus le haut de son corps – la chemise ouverte et le corset n’étant, quant à eux, pas une barrière convenable contre le froid – Dane devait serrer les dents pour les empêcher de claquer. Il semblait tellement loin, le manteau… Malgré elle, ses yeux fatigués devaient exprimer à sa place le grand état de faiblesse dans lequel elle se trouvait. Elle n’aurait jamais du quitter ses appartements.


Dernière édition par Daneva le Lun 15 Sep 2008 - 1:02, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeSam 23 Aoû 2008 - 19:53

Les quelques attentions, certes très rudimentaires, portées par Chadden à l'inconsciente étendue sur le sable semblaient avoir suffi. La jeune femme battit des paupières, avec l'air à la fois cotonneux et égaré de ceux que l'on a tirés brutalement du sommeil. A ses côtés, le Sang-Mêlé redressa un peu le dos, secrètement soulagé : il n'aurait pas besoin d'aller chercher de l'aide au village en amont.

Avec ses esprits, la jeune femme retrouva également la conscience du monde extérieur. D'abord, le visage penché sur elle, que ses iris accrochèrent le temps de mettre un nom sur les traits mangés par la pénombre nocturne - le soir, désormais, était bel et bien tombé. Puis, la morsure froide du vent piqueté d'embruns. Une caresse peu agréable, rude, qui la renseigna sur un détail d'importance : sa semi-nudité.

- Mais que... ? Qui vous a permis de me dénuder de cette façon ? "

C'était adorable, cette manière qu'elle avait eu de couvrir sa pudeur avec l'air farouche des demoiselles surprises dans leur intimité - mais le voyageur, que la vue de la chair pâle, délicate, ne semblait pas troubler outre mesure, se contenta de hausser les épaules d'un air indifférent.

- La permission, je l'ai prise. Vous étiez sans connaissance, il fallait m'assurer que rien ne vous étouffait. "

Et il ajouta, avec un sourire en demi-lune où se lisait l'ironie plutôt que la joie :

- Je saurai désormais, si la chose se reproduit, que vous préférez que l'on préserve votre dignité et non votre santé... "

Elle s'attachait à présent à refermer ce qu'il avait pris soin de défaire, autant pour se protéger du froid que pour retrouver un semblant de contenance. Oui - il voyait ses doigts s'agiter sur les lacets, vifs comme les pattes d'une araignée prise de peur. Chadden ne fit pas un geste pour l'aider. Non plus qu'il ne protesta lorsqu'elle se releva, avec la fierté caractéristique des gens qui ne supportent pas d'être surpris dans un quelconque état de faiblesse. Il se contenta de suivre le mouvement, debout près de son flanc.

- Ecartez-vous, je vais bien. "

Ce qui suivit était hautement prévisible. Les jambes de la jeune femme, encore éprouvées par le malaise précédent, protestèrent et refusèrent de la soutenir plus longtemps. D'instinct - et parce qu'il s'y attendait, bien sûr - Chadden lança le bras pour enfermer la taille de Daneva, solidement, et l'empêcher d'embrasser le sable une fois de plus ; dans le même temps, elle avait eu le réflexe salutaire de s'accrocher à son épaule.

- Vous voyez bien, murmura le jeune Sang-Mêlé en secouant la tête, que vous n'êtes pas en état. Laissez votre fierté de côté un instant. Juste un instant. Je ne suis rien pour vous. Vous n'avez rien à me prouver. "

Ce disant, il se pencha sans la lâcher, de manière à l'enjoindre - en douceur, bien sûr, mais fermement - de se rassoir à même le sable. Elle était toute contractée de froid sous le vent vif, mâchoires serrées, la peau hérissée de chair de poule. Sans un mot, Chadden prit le temps de récupérer le manteau de la jeune femme pour l'enrouler de nouveau autour de ses épaules, d'un geste presque paternel ; et comme si cela ne suffisait pas, il dégrafa sa propre pelisse, et couvrit Daneva d'une protection supplémentaire. Elle sentait l'ambre et le cuir, cette pelisse, et le vent, et l'herbe de prairie, par dessus l'odeur fauve de la fourrure.

- Maintenant, reprit Chadden une fois qu'il se fût installé en face d'elle, à genoux sur le sol, nous allons attendre un peu, jusqu'à ce que vous vous sentiez mieux. Après, vous aurez le choix. Soit vous m'envoyez chercher une personne en qui vous avez confiance, qu'elle puisse vous veiller à ma place et vous apporter aide et soins... Soit je vous raccompagne moi-même chez vous, par la route que vous m'indiquerez. "

Toujours cette même voix égale, calme, dont la douceur ne saurait masquer une certaine dureté. Patiemment, Chadden attendit la décision de la jeune femme.
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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeMar 26 Aoû 2008 - 8:17

- Vous voyez bien que vous n'êtes pas en état. Laissez votre fierté de côté un instant. Juste un instant. Je ne suis rien pour vous. Vous n'avez rien à me prouver.

Il n’avait pas tord. Pourquoi s’entêter à paraître forte alors qu’elle n’en avait pas les moyens ? Il n’était pas Silencieux, donc pas impliqué dans les tortueuses intrigues qui régissaient la guilde, et donc peu sensible au fait que la dirigeante montre autant de signes de faiblesse. Il ne savait d’ailleurs sûrement pas qui était réellement son interlocutrice, ni ce qu’elle représentait sur l’île. Tant mieux. Même si ces attentions attentives le méritaient, Dane ne se présenterait pas, du moins pas tout de suite. Elle le préférait inconscient de l’identité de la personne à qui il prodiguait ses soins. Pourquoi ? Un besoin de sincérité, enfin… Depuis qu’elle était à la tête de l’organisation, Daneva ne savait plus vraiment qui, parmi ceux qui l’entouraient, agissaient avec spontanéité. L’hypocrisie ambiante avait fait d’elle quelqu’un de méfiant, qui n’accordait plus sa confiance aussi facilement qu’avant. Un bien ou un mal ? Une mesure de prudence, plutôt, mais la trêve était agréable. Pour Chad, ce soir, elle était une inconnue. Certes autoritaire, mais une inconnue.

Sans résister, elle le laissa l’asseoir sur le sable. Il avait remarqué qu’elle était frigorifiée, et l’aida à remettre son manteau dans un silence qu’elle apprécia particulièrement. Ses lèvres tremblaient, ses mâchoires étaient crispées… Sa voix aurait vacillé, et elle détestait s’entendre parler de cette façon. De toute manière, qu’y avait-il à dire ? Surprise, elle le vit détacher une nouvelle fois sa pelisse avant de la lui enrouler autour des épaules, lui offrant ainsi une protection supplémentaire… Et de fait, se privant lui-même de cette agréable palissade contre l’air mordant de la plage.

Dane allait protester. Elle inspira afin de prendre la parole, mais l’odeur de l’habit la dissuada d’aller plus avant dans cette entreprise. Cette bouffée d’air chargé d’effluves lointains eut un effet insoupçonné sur sa conscience. En réalité, l’espace d’une poignée de secondes, elle voyagea. Elle retourna sur le continent… Sous elle se mouvait en rythme le dos puissant de son étalon, Iio. Derrière elle, sur la croupe du cheval, la chaude et rassurante présence de Calis. Il avait passé ses bras autour de la taille de la voleuse et la serrait contre lui, tant pour rester en équilibre que pour satisfaire un autre besoin plus abstrait que celui de la ressentir si proche. Devant eux s’étalait la verdoyante plaine d’Atral, infinie sous le ciel pur et dégagé comme il l’était durant l’été. Il n’y avait plus rien, sinon ce galop effréné sur la lande, ces éclats de rires, cette insouciance, ce plaisir immense d’être deux.


Il fallait que Dane remercie la nuit et l’obscurité qu’elle apportait pour cacher le trouble qui la prit à la gorge à cet instant. La fin de l’inspiration fut comme la fin d’un rêve. Les yeux humides d’émotion, la jeune femme resta muette afin de se remettre discrètement, mais offrit à son interlocuteur un sourire. Un vrai sourire, sans ironie aucune ni sous-entendu. Il ne se rendait sans doute pas compte du cadeau qu’il venait de lui faire.


-Merci, dit-elle alors que sa respiration reprenait un tempo plus lent et paisible.

C’était un double remerciement, mais il était peu probable qu’il en saisisse la nuance. Dane se recroquevilla et enfoui sa tête dans la fourrure afin de respirer une nouvelle fois cette odeur particulière, sans toutefois réussir à replonger dans ce surprenant état d’hébétude. Quelle idiotie d’agresser les gens de la sorte… Daneva faisait beaucoup d’erreurs ces derniers temps, il fallait que cela cesse. Soupirant, elle releva les yeux vers lui afin de l’écouter parler. Ses paroles étaient sages, ou du moins raisonnables. Dane ne pourrait pas remonter seule jusqu’à son bureau, et dormir au village était proscrit. Voyant qu’il attendait une réponse, elle secoua doucement la tête.

-Je ne veux pas que l’on me voie dans cet état. Surtout pas en ce moment.

La seule personne en qui elle avait confiance était Sin, mais hélas elle l’avait envoyé dans les tréfonds obscurs de l’île, pour une raison tout aussi sombre. De fait, elle s’était privée du seul soutient sûr qu’elle possédait sur l’île. Oui, beaucoup, beaucoup d’erreurs… Damps ? Elle n’avait pas confiance en Damps. De ce qu’elle savait, il était bien assez fourbe pour profiter de sa faiblesse et se débarrasser d’elle avec plus de facilité qu’il ne l’aurait cru. Toujours cette histoire de méfiance. Quant aux autres, il ne fallait même pas y penser.


Dane leva les yeux en tournant la tête vers la gauche. Le bâtiment administratif dominait la baie des Embruns, majestueux. Le chemin qui y menait, elle l’avait dévalé tout à l’heure avec l’aisance d’un chat blessé. Grimper cela dans l’autre sens, de nuit, et dans cet état lui paraissait infaisable… Elle se retourna une nouvelle fois vers Chad, le jaugeant.

-Vous avez déjà fait beaucoup pour moi ce soir, alors que rien ne vous y obligeait.

Elle resta pensive quelques secondes. Recevoir de l’aide gratuitement l’indisposait. Elle aimait garder un certain pouvoir sur les choses, et se sentir dépendante de quelqu’un qu’elle connaissait aussi peu la rendait mal à l’aise.

-Il y a des chambres vides là-haut, reprit-elle en désignant de la main la lointaine construction. Spacieuses, confortables. On y est tranquille, et à l’abris de ce qui rôde à Nelen. Si vous voulez bien m’y accompagner, il est fort probable que l’on vous laisse en occuper une.

Sa bouche se tordit en une petite grimace qui dû rester indécelable dans l’obscurité.

-Le chemin est long, et escarpé. Pour être honnête, je n’y arriverai pas sans vous.

Les forces lui revenaient peu à peu, elle le sentait, mais ce ne serait pas suffisant. Elle ne pouvait pas se permettre de prendre le risque de chuter dans une ravine et d’y passer la nuit. Même si on la retrouverait le lendemain, l’accident pourrait être fatal à ce qu’elle avait désormais de plus cher.
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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeDim 31 Aoû 2008 - 20:51

De deux choses l'une. Soit la jeune femme rejetait son aide une fois de plus, auquel cas Chadden s'en irait sans insister - eh, quoi, il n'allait tout de même pas supplier pour aider quelqu'un ; même la prévenance avait des limites - soit elle prenait conscience qu'il n'y avait rien à craindre du voyageur pour le moment. Avec une certaine satisfaction, et tandis qu'il l'aidait à s'asseoir, Chadden nota que l'inconnue avait opté pour la seconde solution.

Plusieurs fois déjà, durant ses longues pérégrinations de ville en ville, il avait prêté main-forte à des gens contre leur volonté ; ce n'était pas raisonnable de sa part, parce que ces gens-là trouvaient ensuite toujours un prétexte pour vous le reprocher. Tendre la main à ceux qui sont dans le besoin est une mission délicate, surtout en temps de guerre. Parce que la méfiance est le maître-mot. Et parce que personne ne peut seulement imaginer que l'on veuille aider les autres sans rien attendre en retour. De fait, si vous refusez les gages que l'on vous offre en guise de remerciement - quels qu'ils soient - vous attirez encore plus les soupçons.

L'aide, après tout, n'est qu'une banale affaire de troc. Un échange de bons procédés. La coutume ancestrale et rassurante du "prêté pour un rendu".

Chadden, les yeux mi-clos, observait la jeune femme à genoux sur le sable et supportait avec stoïcisme les assauts du vent. La langue acérée de la brise lui piquait la nuque, s'insinuait dans le gilet et dans le lin qui couvraient sa peau, et agitait mollement la longue natte qui battait son dos. A vrai dire, il n'en avait cure.

Elle, face à lui, se taisait pour le moment, le nez dans la fourrure sombre, rêche, de la pelisse dont il avait encerclé ses épaules. Elle avait abandonné la colère outrée au profit d'une expression plus absente, plus rêveuse. Plus triste ? Peut-être. Chadden, s'il l'avait voulu, aurait pu tenter de lire tout ce que trahissait le visage de la jeune femme, du moindre tressaillement de sourcils jusqu'aux plis des lèvres ; mais le regard gris traversait Daneva plus qu'il ne l'observait.

C'était peut-être le bruit lent et lancinant du ressac dans leur dos, comme le refrain d'une très vieille berceuse... Ou peut-être l'obscurité tout autour d'eux, ou encore la raison de sa présence ici, à aider une inconnue de plus - cent, cinq cents, mille visages différents - par des gestes et des attitudes maintes fois répétées - cent, cinq cents, mille fois la même méfiance, la même main tendue, le même échange pour gagner une confiance éphémère. Quelle qu'en fût la raison, l'espace d'un instant, Chadden n'habita plus son corps.

*Que fuis-tu ?*

En réponse à cette question autrefois lancée, innocente, par un enfant aux yeux graves, monta l'écho d'un ancien souvenir. Celui d'un récit entendu dans une taverne - la centième ? la cinq-centième ? la millième ? - conté par un barde qui lui avait paru très jeune, et dont la voix était limpide et claire comme une voix de femme.

--

" Mon histoire est celle d'un homme qui n'a plus de nom aujourd'hui. Un jour, la fiancée de cet homme partit en voyage dans un pays lointain pour ne plus jamais en revenir. Eperdu de chagrin, l'homme dont je parle se lança à sa recherche, sur toutes les routes du monde, et dans tous les pays du monde ; à chaque personne qu'il croisait, il demandait ce qu'il était advenu de sa fiancée et, pour être sûr qu'aucun détail important n'avait échappé à son interlocuteur, il lui demandait aussi de lui donner sa mémoire. L'homme errait et errait, et emmagasinait sous son crâne la mémoire de tous ceux qu'il croisait ; dans chacune de ces mémoires, il cherchait une trace de sa bien-aimée disparue sans jamais rien y trouver. Mais la mémoire, comme la connaissance, est une source qui assoiffe bien plus qu'elle ne désaltère. Bientôt, l'homme ne sut plus vraiment pourquoi il volait la mémoire de tous les gens qu'il croisait, tant cela lui était devenu tout simplement vital ; et bientôt, tout entier perdu dans sa quête, il oublia jusqu'à son nom.

Maintenant il erre encore, sur toutes nos routes et dans tous nos pays, mais il ne sait plus depuis longtemps qui il était ni qui était sa fiancée perdue ; il n'est plus que Mémoire, et Mémoire a toujours faim. "


--

Pris de frissons, Chadden reprit conscience de ce qui l'entourait. Il secoua la tête pour chasser un malaise inexpliqué et considéra la jeune femme qui lui faisait face.

- Il y a des chambres vides là-haut. Spacieuses, confortables. On y est tranquille, et à l’abri de ce qui rôde à Nelen. Si vous voulez bien m’y accompagner, il est fort probable que l’on vous laisse en occuper une. Le chemin est long, et escarpé. Pour être honnête, je n’y arriverai pas sans vous. "

Il lui sembla que l'inconnue avait dit autre chose auparavant, mais les mots avaient alors glissé sur son esprit sans laisser de trace. Chadden se contenta d'acquiescer d'un geste bref du menton, en espérant que son petit instant d'absence soit passé inaperçu.

Déjà, la réflexion froide et analytique reprenait le dessus concernant les réactions et les propos de celle qu'il avait décidé d'aider. Premier point, le fait qu'elle accepte sa compagnie et qu'elle lui propose implicitement un prix en échange du service rendu - territoire de négociation tout à fait familier à Chadden. Il ne refuserait pas cette "récompense". De toute façon, on l'a vu, les gens se vexent ou se méfient lorsqu'on les aide gratuitement - ils supposent toujours que leur bienfaiteur leur réclamera un prix plus tard, autrement plus élevé.

Second point... Le bâtiment dans lequel la jeune femme voulait être reconduite. Chadden l'avait remarqué un peu plus tôt : il s'agissait de la haute bâtisse qui semblait tenir tout le village dans son ombre. Rien d'étonnant. Il avait déjà pressenti que la jeune femme possédait une certaine autorité sur l'île, vu ses manières et le ton qu'elle employait lorsqu'elle s'exprimait. En vérité, Daneva n'avait pas vraiment besoin de se présenter : Chadden se faisait déjà une idée assez précise de ce qu'elle pouvait être.

Et cela n'atténua en rien ni son expression ni sa propre attitude.

Il se redressa. Tendit la main à Daneva pour qu'elle fasse de même, l'épaule prête à fournir un autre appui.

- Alors, nous avons assez attendu. Vous devriez pouvoir vous relever, maintenant. Je vais vous raccompagner, pour le reste... Nous aviserons plus tard. "

Mieux valait se mettre en route dès à présent. Aux dires de la jeune femme et selon ce qu'il avait pu lui-même observer, le chemin qui menait jusqu'au bâtiment n'était pas des plus aisés - sans compter le fait qu'il faudrait contourner le village pour plus de discrétion. Un vrai petit périple.

- Nous irons à votre rythme. Et si jamais vous ne vous sentez pas bien une fois de plus, n'hésitez pas à me dire d'arrêter. Mieux vaut passer pour une faible femme un court instant, plutôt que de rouler dans les rochers sans que j'aie pu vous retenir, ajouta-t-il avec une pointe de cynisme. Ce serait dommage, n'est-ce pas ? "
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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeJeu 4 Sep 2008 - 10:04

Il était bon ce moment passé sur le sable à renifler l’odeur d’ailleurs, tellement bon que Daneva s’y perdit. L’homme lui rappela qu’ils devaient y aller, et se leva avant de lui tendre la main. Encore engourdie, elle fixa ses doigts quelques secondes avant de s’en emparer, décidée à présent à profiter de l’aide de l’inconnu. Une fois debout, elle porta ses mains à son col pour dégrafer la pelisse et la rendre à Chad. Le voir ainsi en petit gilet alors que l’océan expirait continuellement son haleine glacée, faisant voltiger sa propre chevelure, la faisait trembler davantage. Dire qu’elle l’avait obligé à se dévêtir quelques instants auparavant…

-Reprenez ceci, l’éreintante marche qui nous attend me réchauffera bien assez.


Frissonnante, Dane resserra les pans de son manteau et tenta un pas en avant. Rien d’exceptionnel ne se produisit. Encouragée, elle en fit un autre, puis un autre avant de s’estimer en meilleure forme. Ce ne serait peut être pas si difficile... Quoi qu’il en soit, elle ne pourrait pas se passer de la présence de Chadden jusqu’à être arrivée là haut.


- Nous irons à votre rythme. Et si jamais vous ne vous sentez pas bien une fois de plus, n'hésitez pas à me dire d'arrêter. Mieux vaut passer pour une faible femme un court instant, plutôt que de rouler dans les rochers sans que j'aie pu vous retenir. Ce serait dommage, n'est-ce pas ?

- Vous n’imaginez pas à quel point, grommela-t-elle.

Le village était comme une tâche de lumière dans l’immense obscurité du relief qui s’élevait derrière lui. Le bâtiment administratif était plus à l’est, en retrait et en hauteur. Pour parvenir au point de départ du chemin qui y menait, Chad et Daneva devraient contourner les habitations de pêcheurs sur la droite. Ce qu’ils firent. Dane avait l’impression que son équilibre avait été modifié, elle ne tenait plus aussi bien sur ses jambes qu’avant, et ressentait souvent le besoin de s’accrocher à l’épaule de l’homme qui l’accompagnait. Fort heureusement, le campement établi par les Silencieux s’étendait au sud-ouest du village et donc pas sur le chemin des deux randonneurs nocturnes.

- Qui va là ?

Daneva sursauta. La voix avait émané des ombres de façon surprenante, la jeune femme n’avait pas décelé la présence de l’homme embusqué dans les buissons. Mais qui pouvait bien s’amuser à pareille occupation ? Un Silencieux, à n’en pas douter. Malgré tout – ou d’autant plus – la prétendue seconde porta la main à sa ceinture et dégaina son arme. D’un signe de tête, elle fit comprendre à Chadden qu’il ne devait pas se montrer menaçant.

- Daneva. Montrez-vous.


L’homme émergea de sa cachette et l’éclat de la lune révéla un visage, qui n’était pas inconnu à la jeune femme. Elle ne rengaina pas pour autant.

- Roc ?
- Pardonnez-moi… Je ne vous avais pas reconnue.
- Je m’en remettrai. Que fais-tu ici ?

Dans l’obscurité, elle le vit froncer les sourcils.

- Je veille sur votre quiétude, bien sûr. On ne m’a pas dit que vous étiez descendue… Je vous pensais là haut. Vous vous sentez mieux ?

A moitié rassurée, Dane jeta un coup d’œil autour d’elle. En effet, ils venaient d’atteindre le portique qui marquait le début du chemin.

- Je vais mieux, merci de t’en inquiéter… Mais est-il besoin de garder le sentier ? Certains ont déjà essayé d’atteindre le bâtiment ?
- Vous ne savez pas ? Mis à part quelques pêcheurs avinés de temps à autre, un tueur a déjà été arrêté il y a moins d’une semaine à l’endroit où nous parlons. Il s’est tué avant que nous n’ayons pu l’interroger, mais son torse était tatoué d’une rose des vents. Silence. Qui est-ce ?
Perturbée par ce qu’il venait de lui apprendre, la jeune femme mis quelques secondes à réagir. Elle se tourna alors vers Chad et le dévisagea pensivement.

- Chad. Un ami, et invité. Il me raccompagne là-haut…

Elle vacilla, et dû faire un effort pour ne pas, encore une fois, poser une main sur l’épaule de ce dernier. Roc ne devait pas se rendre compte que sa supérieure était encore en état de faiblesse… Surtout pour ce qui était prévu.

- Nous montons. Sois présent demain, pour la réunion.

Un dernier signe de tête, et Daneva se remit en route, entraînant Chadden à sa suite. Elle était préoccupée… On avait tenté de la tuer. Ce n’était pas la première fois, loin de là, mais cet acte traduisait le désir d’une autorité plus importante – celle de la Marine Marchande. Il était possible aussi que la guilde rivale teste les capacités défensives de la Compagnie, cependant c’était inquiétant. N’importe qui pouvait avoir échappé à la vigilance de l’officier, en bas, et attendre la jeune femme sur le chemin. Repensant aux deux longues lames de son compagnon, Dane jeta un coup d’œil vers lui.


- Vous savez vous battre, Chad ?
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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeMer 29 Sep 2010 - 1:41




L'obscurité s'épaississait.


Malgré les feux de la ville, plus en avant dans les terres - lueurs lointaines et dansantes, de vraies lucioles, brasillant au rythme d'un pouls qu'il n'était pas possible de saisir d'ici ; malgré la lune qui donnait au sable la couleur du lait renversé et à la peau celle de l'ivoire polie, bientôt, distinguer formes et couleurs releva de la gageure pour les yeux des simples êtres humains. La nuit est une mosaïque floue. Ce devait être beau à voir, s'était plusieurs fois dit Chadden auparavant, lui qui n'avait pas la chance - toute relative - de profiter de la pénombre puisque ses yeux à lui la fouillaient parfaitement. Beau, certes, mais contraignant. Distances faussées, gestes qui ne sont pas tout à fait ce qu'ils semblent être, regards perdus, sourires fendus ; l'obscurité est un royaume de pièges et de mensonges. Et si l'on ajoutait à cela fatigue et vertige, ah... Pour sûr, sans son aide, elle ne risquait pas d'aller bien loin.

Rabattant sur ses épaules la pelisse rendue, il gardait les yeux sur sa protégée. Un pas. Deux pas. Elle avait la démarche fragile, maladroite, des enfants qui apprennent tout juste à marcher. Ou des oiseaux qui ne savent pas encore voler. L'image lui tira un sourire, qu'elle ne vit probablement pas. Oui. L'obscurité avait parfois du bon, en effet.

Un autre pas. Il avança d'autant. Resta derrière, sans oppresser, tout en demeurant prêt à lui offrir le soutien qu'elle demandait lorsque sa main tâtonnante s'élevait en sa direction. Il guetta ses pas. Suivit son chemin. Se tint attentif à toute variation de rythme, et à toute dissonance dans son souffle. Ce n'était pas même du zèle, non. C'était plus proche de l'état d'esprit de certains hommes de main consciencieux, appliqués à leur tâche. En d'autres circonstances, il aurait peut-être fait un bon garde du corps.

Ils n'allèrent pas vers le village, préférant la grande ombre de l'éminence sur laquelle se dressait l'autre bâtiment, monstre assoupi. Tout en observant et notant dans sa mémoire le chemin que la jeune femme lui faisait prendre, Chadden restait également vigilant en ce qui concernait les environs proches, sensible jusqu'au silence. Ce fut sans doute pour cette raison, alors que la route décrivait une courbe vers la silhouette d'un portique, que sa main se rabattit contre son flanc, tranquillement, jusqu'à frôler l'un de ses fourreaux.


- Qui va là ? "


La jeune femme à ses côtés sursauta. Sa main à lui ne se contenta plus de frôler, elle se referma. Trouva sans peine le contact un peu rugueux, familier, de la garde annelée, promesse d'acier et de sang versé, mais son fer resta au fourreau - contrairement à celui de sa protégée qui, lui, glissa hors du sien avec un sifflement léger.


- Daneva. Montrez-vous."


Le signe de tête qu'elle lui adressa fut superflu ; il hocha cependant sensiblement la sienne pour signifier qu'il avait compris, sans pour autant relâcher la garde de son arme. Demeura silencieux, aussi. Le reste de l'échange ne le concernait en rien, ce qui ne l'empêcha pas d'y être attentif sans rien montrer d'autre qu'une tranquillité neutre et indifférente, lointaine.

Outre le nom qu'il pouvait désormais associer au visage de son hôte, Chadden retint quelques autres informations intéressantes la concernant. Souffrante. Influente. Menacée. Aye, il aurait été tellement plus simple de n'avoir affaire qu'à une jeune pêcheuse à son débarquement en Nelen, plutôt qu'à cette figure trouble apparemment impliquée dans diverses intrigues dont il ignorait totalement l'ampleur encore. Plus simple, mais les facéties du hasard sont parfois bien plus amusantes.

Elle congédia l'homme, finalement, et leur route reprit au-delà du portique. La démarche de Daneva avait changé. Son silence aussi, plus lourd et plus soucieux. On le serait à moins, après de telles nouvelles... L'inquiétude de la jeune femme se cristallisa dans le regard qu'elle lui porta et, enfin, dans la question qui lui fut posée.



- Vous savez vous battre, Chad ?"



Piège. Fugacement, cette demande trouva écho dans les souvenirs d'un passé plus lointain. Des rangs de jeunes gens d'extractions diverses, depuis le fils de paysan jusqu'à celui du modeste bourgeois. Vous savez tenir une arme, soldat ? Les regards incertains. Le claquement des bottes sur le sol. Le tintement des fers dans des mains malhabiles, l'odeur de paille des mannequins d'entraînement. Vous êtes courageux, soldat ? Les cris des professeurs. Les regards d'aigle, sans merci. Les ordres aboyés. Les ordres.

Vous savez vous battre, soldat ?


Il secoua la tête.


- Je sais, dit-il en pesant chaque mot, me défendre, et défendre ce qui vaut la peine de l'être. C'est beaucoup. C'est suffisant."


Le silence qui suivit en disait long, également. Non pas qu'il répugnât à croiser le fer ; sa réticence avait d'autres motifs, que Daneva saurait sûrement saisir avec la subtilité nécessaire. Il ne souhaitait pas que sa réponse soit un prétexte à l'enrôler dans un affrontement dont il ne savait rien.

Se battre, oui, mais pour une cause qu'il choisirait sciemment.
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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeMer 29 Sep 2010 - 22:26

Même si il était bien gardé en son contrebas, le chemin en lui-même constituait une barrière suffisante pour dissuader n'importe quel promeneur tenant à ses chevilles de grimper. Véritable piste verticale, c'était à peine si il ne traçait pas tout droit jusqu'au quartier général de la guilde. Quand de massives roches qu'il fallait parfois escalader ne barraient pas le passage, il fallait supporter de grimper le dur versant sur des pierres instables qui, traîtresses, roulaient sous les talons. Nombreux avaient été les visiteurs et même les habitués à y chuter, et quelque fois ces accidents s'étaient révélés mortels. Somme toute, le chemin avait sinistre réputation, et on ne l'empruntait que lorsque l'on y était spécifiquement contraint. C'était la raison pour laquelle Daneva avait établi ses quartiers au sommet.

Alors qu'elle et son compagnon d'un soir entamaient la pénible ascension, le mystérieux voyageur consentit enfin à lui livrer sa réponse. Il parlait avec hésitation, comme si il craignait quelque chose venant de sa fortuite protégée. Daneva ne mit pas longtemps à comprendre de quoi il s'agissait. De fait, elle s'arrêta, profitant de cette occasion pour reprendre son souffle encore hésitant. Elle tenta d'attraper le regard de Chad, mais dans l'obscurité les orbites de l'homme étaient invisibles.


- Ne vous méprenez pas sur mes intentions. Vous avez entendu comme moi ce dont on vient de me faire part.Elle porta une main sur sa poitrine et marqua une pause, le coeur au bord des lèvres. C'est seulement si...

Elle fronça les sourcils, comme si le reste de sa phrase lui échappait, et resta ainsi une poignée de secondes avant de faire volte face en catastrophe et de s'éloigner d'un bond. Se jetant en avant, elle agrippa le rebord du petit muret de pierre, eut un haut-le-coeur et rendit le contenu de son estomac. L'incident, douloureux et éprouvant, la laissa tremblante et vidée de toutes forces. Son corps resta tendu quelques instants, puis elle se décida à reprendre une inspiration, et à se retourner après avoir craché avec dégoût.

- Je... Elle se ravisa. Repartons.

Chad devait avoir compris ce qu'elle avait voulu lui signifier. Elle était lasse, les mots ne lui venaient plus. Elle n'aspirait plus qu'à son lit, et à une bonne nuit de sommeil. Quelle honte d'apparaître aussi faible et vulnérable devant quelqu'un, même un inconnu... Elle qui d'ordinaire s'imposait par sa force et se charisme se voyait réduite à l'état débile de malade éplorée. Elle détestait ça, mais n'y pouvait pas grand chose. Ce Chad l'avait convaincue qu'il était inutile de faire la brave, néanmoins... L'obscurité bienvenue dissimulait l'écarlate de ses joues.

Son genou faillit se dérober sous elle lorsqu'elle s'appuya dessus, mais elle tint bon et se hissa fermement quelques centimètres plus haut. Elle se mit à marcher ainsi un moment, puis sentant la présence de Chad derrière elle, assez proche pour la rattraper en cas de chute et assez loin pour ne pas la gêner, finit par prononcer ce qui était évident pour les deux marcheurs nocturnes depuis quelques minutes déjà.


- Je ne serait pas en mesure de me défendre moi-même si un homme malintentionné s'en prenait à moi maintenant.

Elle s'arrêta une nouvelle fois et mit les mains sur les genoux en se pliant en deux. Levant la tête, elle chercha de nouveau le regard de Chad, qui lui fut enfin offert par un éclat de lune compatissant.

- Suis-je considérée comme quelque chose valant la peine d'être défendu ?


Une question lancé d'un ton détaché, qui meublait efficacement le silence oppressant de la forêt alentour. Cependant dans les yeux de Daneva dansait une flamme qui en démentait toute interprétation badine.
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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeJeu 30 Sep 2010 - 8:51




Une ou deux fois peut-être, son pied dérapa sur la pente abrupte, qu'il s'agisse d'une pierre traîtresse ou d'un creux plus sournois dans l'escarpement. Il se fiait cependant à son expérience du Voyage et des routes inhospitalières, des territoires sauvages voire hostiles, pour ne pas laisser un simple chemin défier son équilibre. Et même s'il fallait avouer que son vieux bâton de marche lui manquait, Chadden parvint sans trop de mal à épouser les pièges de la pente. Il avait quelqu'un à veiller, après tout, ce n'était pas le moment de laisser le reste prendre l'ascendant.

Quittant Daneva des yeux un instant, il releva la tête vers le but de leur escalade. La bâtisse, au-dessus. Il en examina les formes et les contours, jaugea sa hauteur, sa prestance, ainsi que le chemin qu'il leur restait à parcourir, approximativement. Cela devait aller. Sans qu'il puisse s'en empêcher, le regard du Sang-Mêlé dériva par la suite vers le ciel, et vers les étoiles piquetées dans sa noirceur. Leur éclat le ravissait. Toujours. Lointain et froid, lumière d'os et de marbre. A sa semblance, peut-être. Il arrivait parfois que cette contemplation le fascine assez pour qu'il s'y perde des heures durant, à apprendre par coeur leur configuration et à les nommer à voix basse, en leur promettant que, oui, un jour, il créera des parures pour chacune d'entre elles.

Le caillou roulant sous sa semelle le rappela au monde terrestre. Il s'arrêta. Daneva avait fait de même, et ses yeux que la pénombre rendait aveugles fouillaient son visage.


- Ne vous méprenez pas sur mes intentions. Vous avez entendu comme moi ce dont on vient de me faire part. C'est seulement si..."


Quelque chose la coupa dans son explication. Il vit son expression pâlir, sentit sa gorge se nouer. Dans un sursaut, elle se détourna - il avança d'un pas, dans le cas où sa manoeuvre la ferait trébucher et rouler plus bas sans qu'il puisse la retenir - puis s'accrocha aux pierres inégales du muret comme un marin malade. Lui se stoppa, quand il constata que l'image était décidément très appropriée à l'état de sa protégée.

Arquée, elle toussa. Il ne fit pas un geste, fixant le dos courbé, les épaules raidies. Il n'y avait guère que le léger raclement de ses bottes sur le sol et le son bruissé de la pelisse qui trahissaient sa présence. Venir à elle en cet instant, dans l'immédiate suite d'un moment de faiblesse aussi criant, aurait été perçu comme une humiliation. Chadden commençait à cerner le caractère de la jeune femme et, à ce niveau, il était quasiment certain de la justesse de son analyse.


- Repartons ", dit-elle, et comme l'ombre qu'il avait décidé d'être ce soir pour elle, il obéit.


Chadden ne s'attarda plus sur les étoiles, et ses yeux ne quittèrent plus le dos de sa protégée - qui avançait à nouveau, péniblement, courageusement. Il craignait trop qu'elle ne s'effondre, et n'avait pas l'intention de laisser les dents des rochers la broyer en contrebas.


- ... Je ne serai pas en mesure de me défendre moi-même si un homme malintentionné s'en prenait à moi maintenant.
- Je le sais, oui, murmura-t-il. J'ai saisi la nuance de votre question. "


Comme leur trajet s'interrompait encore - et le souffle court de Daneva indiquait que ce n'était clairement pas un luxe - le Sang-Mêlé contourna légèrement sa protégée par le flanc, pour l'observer à nouveau.


- Suis-je considérée comme quelque chose valant la peine d'être défendu ?"


Il rendit regard pour regard, sans répondre dans l'immédiat. A la place, il se rapprocha encore. Leva une main, dégageant celle-ci des replis de la fourrure rabattue sur son flanc, et la tendit, calme, vers le visage de la jeune femme. Si tant est que Daneva ne se dérobât pas, c'est à tâter délicatement la gorge qu'il s'appliqua, sous la ligne du menton ; puis, avec la même douceur attentive, ses doigts montèrent aux joues, aux pommettes, aux tempes enfin, avant d'achever leur inspection sous le pli des yeux. Eprouvant très légèrement la peau, il l'étira juste assez pour observer la dentelle sanguine dont s'orne l'oeil à ce niveau, puis hocha la tête.


- Essayez la sauge pour vos malaises. En infusion, les fleurs et les feuilles, trois fois par jour. Vous pouvez essayer la mélisse ou la verveine également, mais dans ce dernier cas, n'utilisez que les fleurs. Vous devriez prendre soin de vous, mieux que ça, vu votre état d'épuisement."


Harassée, oui, mais elle ne semblait pas réellement malade. A moins que... Le vertige soudain sur la plage - et ce geste qu'elle avait eu avant de s'effondrer en enlaçant sa taille. Il avait cru à la manifestation d'une douleur violente, mais la réalité était peut-être toute autre.

Il fronça les sourcils.


- Hmmm. Evitez la valériane en contrepartie, par mesure de précaution. J'ignore si vous disposez d'un apothicaire ou d'un guérisseur, mais je suppose qu'il vous dira la même chose que moi. "


Un temps.


- Je ne répondrai pas à votre question, parce que la réponse va de soi. A moins que vous ne me pensiez assez inconstant pour ne pas aller au bout de mes décisions - mais je crois que je me vexerais si c'était le cas. J'ai dit que je vous accompagnerai, jusqu'en haut. Je le ferai. Quel que soit l'obstacle. "


Haussant les épaules par la suite, il pivota sur ses talons, indiquant qu'il était prêt à reprendre la route si elle se sentait d'attaque. Ils ne devaient plus être très loin, à présent.
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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeJeu 30 Sep 2010 - 21:09

Un frisson secoua Daneva alors qu'elle regardait toujours son interlocuteur. Son buste s'était lentement redressé et sa respiration, toujours haletante, ne sifflait néanmoins plus. Pour quoi devait-elle passer ?

En tout cas, Chad se rapprocha d'elle. Plus par réflexe que par méfiance, elle fit un pas en arrière, mais le bruit de pierres roulant sur les autres la ramena à la réalité : il n'était pas dangereux, et qui plus est reculer de nouveau aurait été inconsidéré. Surprise, elle constata qu'il avait levé la main vers elle, s'apprêtant à la toucher. En temps normal, elle aurait sans doute armé son bras pour lui envoyer son poing dans la figure en hurlant de rage, cependant, était-ce le froid, la lassitude ou l'étrange aura paisible qui émanait de l'homme, elle ne trouva pas la foi d'agir de telle façon. Au lieu de cela, elle se raidit tout en retenant son souffle et suivit la main des yeux jusqu'à en loucher. Le contact de ses doigts sur sa gorge, même si ils lui en rappelaient d'autres placés à cet endroit pour une toute autre raison, fut plus doux que ce à quoi elle s'attendait. Inconsciemment, elle relâcha sa respiration avec lenteur, comme un animal qui sort prudemment de sa cachette en constatant que les alentours sont sûrs, mais ne put réprimer un autre frisson qui cette fois roula jusqu'en bas de sa colonne vertébrale. Elle ne comprit pas tout de suite la raison de son attitude mais lorsqu'il reprit la parole, rompant l'instant d'hébétude dans laquelle elle était plongée, elle constata enfin qu'elle n'avait eu droit qu'à une formelle auscultation.

Troublée, elle reprit une véritable inspiration sans le quitter des yeux, tout en menant une main sur son coeur qui s'affolait dans sa poitrine. Depuis Kurt, peu de personnes l'avaient touchée aussi directement, de cette façon. Et surtout pas un inconnu. Elle avait craint un instant de devoir revivre cette si humiliante épreuve, à la façon dont les gens ferment les yeux et bandent leurs muscles, tétanisés dans l'attente du coup, mais rien de tel ne s'était produit. Elle n'était pas tout à fait sûre de pouvoir considérer cela comme agréable, néanmoins elle avait survécu. Stupéfaite de cette découverte, elle resta dans cette même posture quelques instants alors qu'il lui donnait des conseils sur quelques plantes médicinales. Le son de sa voix lui paraissait lointain.


- Essayez la sauge pour vos malaises. En infusion, les fleurs et les feuilles, trois fois par jour. Vous pouvez essayer la mélisse ou la verveine également, mais dans ce dernier cas, n'utilisez que les fleurs. Vous devriez prendre soin de vous, mieux que ça, vu votre état d'épuisement. Evitez la valériane en contrepartie, par mesure de précaution. J'ignore si vous disposez d'un apothicaire ou d'un guérisseur, mais je suppose qu'il vous dira la même chose que moi.

Daneva ne fit qu'acquiescer distraitement. Cet homme semblait être de bon conseil, mais la jeune femme n'était pas en mesure de l'apprécier pleinement, toute emplie d'émotions contradictoires qu'elle était ce soir là. Dardant vers lui un regard perdu, elle resserra les pans de son manteau.

- Je ne répondrai pas à votre question, parce que la réponse va de soi. A moins que vous ne me pensiez assez inconstant pour ne pas aller au bout de mes décisions - mais je crois que je me vexerais si c'était le cas. J'ai dit que je vous accompagnerai, jusqu'en haut. Je le ferai. Quel que soit l'obstacle. "

De bon conseil, et d'apparence profondément bon. Si Daneva n'avait pas été si tristement accoutumée à la trahison, elle aurait sans doute fait fi de toute méfiance et se serait montrée bien plus chaleureuse. Elle se contenta néanmoins de hocher la tête gravement et se remit à marcher. De nouveau l'air se fit suffocant sous son manteau, et elle en défit une nouvelle fois le col. Alors que le but approchait, l'escarpement se fit plus raide encore et elle dû s'aider de ses mains pour conserver son équilibre. Les branches des arbres alentour ne permettaient pas une accroche très solide. La plupart n'étaient pas assez robustes pour soutenir le poids d'un homme et ployaient ou se brisaient à la moindre empoignade, et il fallait donc faire doublement attention à son équilibre lorsqu'on n'avait d'autre choix que de s'en servir.

C'est en attrapant l'une d'elles que Daneva sentit la présence de l'intrus en contrebas, dans la ravine. Elle ne cessa cependant pas de grimper, et continua sa route sans sourciller malgré l'adrénaline qui parcourait désormais la moindre de ses veines. Chad l'avait-il remarqué ? Elle n'osa pas se retourner pour l'interroger du regard, mais accéléra le pas de manière significative malgré le souffle qui lui manquait encore. Cela pouvait être n'importe quoi, un animal peut être... Cependant après ce que Roc lui avait annoncé au village, Daneva s'était rarement sentie aussi vulnérable.

Peut être la présence de l'homme à ses coté dissuada la chose de s'interposer, si tant est qu'elle ait eu de mauvaises intentions. Peut être Daneva s'était-elle trompée. Peut être qu'il ne s'agissait que d'un rocher munit d'une paire d'yeux brillants.
En tous cas rien n'arriva. Ils atteignirent le plateau quelques minutes plus tard, le pas rapide et l'ouïe - à défaut de la vue - aux aguets. Daneva tenait à peine sur ses jambes, mais curieusement cette marche forcée l'avait revigorée. Peut être était-ce l'expectative de l'attaque qui l'avait maintenue en forme... Probable en effet, car à la vue de ses quartiers, une centaines de mètres devant, elle tituba. Se rétablissant de justesse, elle se retourna vers son compagnon et tenta de parler. Sa respiration hachée l'en empêcha, alors elle se contenta de fixer sa silhouette rassurante. Elle aurait voulu le remercier.
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Chadden Charis
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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeVen 1 Oct 2010 - 10:13




Dia, qu'elle était tendue ! A la manière de ces orphelins qui ont d'avantage l'habitude des coups de bâton que des quignons de pain et autres sourires affables. Une espèce de terreur primitive qui l'avait contractée toute entière. Un chat sauvage. C'était ça. Un chat sauvage qui se serait retenu, par lassitude, de montrer crocs et griffes. Soit. Il ferait ce qu'il fallait pour l'apprivoiser, le temps d'un soir. A constater de son air perdu, Chadden ne fit pas s'attarder son inspection tactile et, quand ils reprirent l'avancée, il ruminait en silence.

La pente les défiait à nouveau. Si abrupte qu'il leur fallait presque se pencher à angle droit pour contrebalancer sa raideur, quitte à frôler le sol des mains, quitte à chercher un appui bref sur les branchages alentours. Il n'est rien de pire que l'hésitation ou la crispation sur ce genre de terrain. Si un appui se dérobe, mieux vaut toujours accompagner et épouser le dérapage pour se rattraper rapidement ; si l'on cherche à le retenir, c'est la chute assurée. Tout en progressant patiemment, le Sang-Mêlé ne put s'empêcher d'éprouver une certaine admiration pour la jeune femme ; dans cet état, poursuivre l'escalade tenait soit d'une volonté à toute épreuve, soit d'un orgueil proche de la démesure - et c'était probablement un peu des deux.

Bast, si ses forces venaient à faillir, il serait présent, lui. En garde-fou. Et si quelqu'un, ou quelque chose, se risquait à les attaquer...

Un tressaillement. Il huma l'air, légèrement, comme le ferait un animal aux aguets. Daneva avait senti quelque chose, elle aussi ; cela se voyait à la manière dont ses pieds mordaient le sol, ainsi qu'à la façon dont son dos roulait sous l'effort et la tension qu'elle imprimait à son corps. Une mauvaise réaction. Se comporter en proie ne fait qu'inciter les prédateurs à bondir.

Il allongea tout de même sa foulée, pour suivre le rythme de sa protégée. De son côté, discrètement, il alla relâcher d'un cran les courroies qui maintenaient étroitement ses fourreaux contre ses hanches, de manière à ce que les boucles d'argent tintent à chaque pas comme de légers carillons. Signaux explicites. Viens, approche, qui que tu sois, et mon acier sera ravi de goûter ta chair. Pas même besoin de tirer l'arme au clair.

Mais cela ne suffisait pas. Sa plus grande crainte était que Daneva cède réellement à la panique. Non seulement cela pouvait être encourageant pour l'agresseur - si agresseur il y avait bel et bien - mais ce comportement risquait également de mettre à mal le fragile équilibre nécessaire à l'escalade. A trop se concentrer sur des chimères, on perd la maîtrise de ses appuis.

Alors, il se mit à parler. Et ce fut comme si l'espèce de placidité dont il enveloppait auparavant chacun de ses mots venait d'éclater comme une bulle. Sa voix roulait, profonde, chaleureuse. Une voix de conteur, qui sait user de son timbre comme d'un instrument - en variant les nuances, mais pas trop, juste ce qu'il faut, et en économisant régulièrement son souffle pour ne pas tuer son propre récit.


- Cela fait longtemps, disait-il, que je n'ai pas eu la chance de dormir dans un vrai lit. La dernière fois, je crois, c'était du côté d'Arétria, en Sainte-Berthilde, à l'intérieur des terres. Un pas, deux pas. La femme vivait seule, elle s'appelait Fronsine. Elle avait une mâchoire aussi carrée que celle d'un homme, et les yeux noirs comme le plumage d'un merle. Une femme du peuple, rustre et franche, aux sourires vrais, mais toujours un peu tristes. Un pas, deux pas. Elle avait eu deux garçons morts en bas-âge, ainsi qu'une fille, vivante celle-là, et en passe de se marier ; alas, elle était trop pauvre pour lui offrir une vraie dot. "


Sa voix résonnait doucement dans l'air nocturne. Sans étouffer totalement les crissements de leurs semelles ni les sons bruissants de la forêt, elle se faisait fanal, de sorte à vaincre l'oppression du silence.


- Fronsine était venue me trouver alors, presque embarrassée, et m'avait confié qu'elle possédait encore le vieux berceau de bois dans lequel elle couchait ses petits. Elle ne s'était jamais résolue à s'en débarrasser, non, même quand il avait manqué de combustible durant l'hiver. C'eût été, pour elle, trahir le souvenir des enfants qu'elle avait perdus. Un pas, deux pas. Mais elle était vieille à présent, usée, et fatiguée. Il lui semblait bon de transmettre enfin quelque chose à sa fille. "


Le but de leur avancée était proche désormais, on commençait à distinguer l'évasement du paysage, et le plateau où se dressait le grand bâtiment qui surplombait le reste de l'île.


- J'étais capable de travailler le bois, et elle le savait. C'était un beau berceau en vérité, de ceux qu'on ne voit plus souvent maintenant, mais la cage de barreaux était brisée et vermoulue. Elle m'a dit : répare-le. Je l'ai fait. Depuis les poignées jusqu'aux pieds à bascule. Un pas, deux pas. Elle m'a remercié. Et elle a pleuré. "


Sa voix s'éteignit, il s'arrêta. Le chemin escarpé était désormais derrière eux, et la menace potentielle aussi.

Daneva vacilla, reprit bravement son équilibre et pivota sur ses talons, levant le visage vers lui. Sa poitrine se soulevait, erratique. Consumer ainsi ses dernières forces devait l'avoir laissée au bord de l'évanouissement.

Patient et droit, il la laissa reprendre son souffle quelques instants avant de murmurer, avec - de nouveau - cette neutralité de ton si particulière, froide et détachée.


- Voilà. Dois-je prendre congé, maintenant ? "
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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeDim 3 Oct 2010 - 15:08

L'histoire emporta Daneva loin du chemin rocailleux, de la forêt faite de noir et de la terreur qui serrait ses tripes à la façon d'un implacable étau. Tout comme il l'avait fait voyager en lui offrant la chaleur de sa pelisse auparavant, Chad la transporta de nouveau sur le continent en lui racontant Fronsine, ses enfants et son berceau. Et tandis que ses jambes s'affairaient à gravir la pente traîtresse par automatisme, ses pensées voltigeaient en Sainte Berthilde et constataient avec émotion celle de la vieille femme. Elle avait connu beaucoup de voleurs d'assassins, et d'aventuriers en tous genres mais si peu de personnes du peuple, de ces petites gens qui tentaient de vivre leur vie tranquillement, de leurs bonheurs simples et de leurs tragédies. Cette lacune lui semblait ce soir être une plaie béante dans son coeur. Elle le sentit se serrer en apprenant la mort des enfants en bas âge, et faillit poser une nouvelle fois la main sur son nombril, inquiète.

C'est tenue en haleine tant par l'effort physique que par le récit de son compagnon, qu'elle parvint au sommet. Alors qu'ils s'arrêtaient un moment pour lui permettre de se remettre, Chad demanda s'il pouvait la laisser là. Daneva aurait du répondre que oui, qu'elle allait bien, que tout irait bien pour elle ce soir, qu'elle parviendrait à sa chambre sans problèmes et qu'il avait été... gentil ? de l'avoir escortée jusque là, mais rien de tout cela ne franchit ses lèvres. A vrai dire, elle se sentait oppressée par cette obscurité. Elle était malade, aussi. Si elle avait eu de quoi s'asseoir, elle aurait sans doute été tentée de se laisser choir un instant. Et puis rien ne disait qu'il ne lui arriverait rien sur le trajet du bâtiment - qui paraissait si ridiculement court et à la fois si long, désormais.

Peut être aussi qu'elle se refusait à laisser s'échapper ce Chad. Il l'intriguait. Comment le remercier ? Et comment le retrouver par la suite ? Tout ceci était en suspend, elle n'arrivait pas à mettre ses idées en ordre. Quelque chose au fond d'elle lui murmurait de ne pas le laisser partir.


- Si vous le désirez. Elle leva une main pour essuyer les commissures de ses lèvres, trempées de la sueur qui maculait son visage. Mais je vous avais promis une chambre, là haut.

Elle tordit la bouche, cherchant à dissimuler la gène de petite fille qui surnageait parmi les émotions contradictoires qui étreignaient sa poitrine.

- Vous m'avez été d'une grande aide ce soir. Je ne sais comment vous remercier. Vous ne pouvez pas partir comme ça...

Elle se souvint de la façon dont elle l'avait traité, sur la plage, et en frémit de honte.
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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeLun 4 Oct 2010 - 9:26



Chadden détourna la tête quelques instants. Depuis l'espèce d'esplanade sur laquelle ils se tenaient tous deux, il était possible de s'offrir un large panorama du reste de l'île. Il ne s'en priva pas. Il suivit des yeux la frange de la côte, cette dentelle de terre bordée de végétation qui se faisait frontière entre Nelen et les assauts de l'océan. Le village paraissait ridiculement petit, dans toute cette verdure, toute cette exubérance sauvage. Au loin, les innombrables mouchetures blanches et mouvantes que l'on voyait cerner l'île rappelaient la présence des récifs, ces ailerons de pierre traîtres prêts à agripper la coque des navires trop aventureux.

C'était un bel endroit, vraiment. Une part de son âme en frémissait d'aise, séduite tant par la végétation toute-puissante que par le grand roulement de la mer tout autour.

Il se secoua, un peu. Son coeur, fortement sollicité par l'escalade, avait fini par reprendre un rythme normal. D'un geste machinal et habituel, le Sang-Mêlé chercha à fermer ses mains sur le bâton de marche qui, d'ordinaire, l'accompagnait dans ses périples, avant de se souvenir de son absence.

Il soupira.


- ... Je vous avais promis une chambre, là-haut, dit Daneva en réponse à sa dernière interrogation. La jeune femme se remettait elle aussi de la longue montée, mais il la sentait éprouvée rien qu'au son de sa voix et à sa manière de respirer. Vous m'avez été d'une grande aide ce soir. Je ne sais comment vous remercier. Vous ne pouvez pas partir comme ça... "


S'arrachant à la contemplation du paysage, le jeune homme hocha la tête.


- Qu'il en soit ainsi. Je vous aide à faire le chemin qu'il reste à parcourir, et vous m'offrirez une chambre pour la nuit. "


Ce disant, il s'avança à son côté. Offrant son bras en appui, ou prenant calmement celui de Daneva pour l'entraîner si celle-ci montrait quelque hésitation. Après la pente abrupte, ce terrain plat était un véritable soulagement pour le souffle et les nerfs.


- Me remercier... Les mots se suspendirent, rêveurs. Du pain, de l'eau, un peu de gruau ou de soupe, un toit pour dormir au chaud, voilà des récompenses suffisantes. Aye dare, ce qui est vital et nécessaire me suffit. Cependant. Si vous désirez vraiment me faire un cadeau ou un don..."


Il eut un rire, le premier. Bref et léger.


- ... Offrez-moi une histoire. Un conte, une légende, une anecdote, peu importe. Quelque chose qu'il vous plairait de raconter - mais pas ce soir, et pas dans cet état. "


Un regard à sa protégée dans la directe suite de ses propos, et Chadden acquiesça pour lui-même, une nouvelle fois.


- Il doit me rester de la menthe et de la mélisse, oui. Je vous préparerai rapidement quelque chose, si vous le permettez. Pour mieux dormir. "

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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeMar 5 Oct 2010 - 21:04

C'est avec soulagement que Daneva accepta le bras de Chad afin de continuer sa route vers ses quartiers. Le sol était plat désormais, et s'était élargi pour former une sorte de cours, surplombée par le grand bâtiment administratif. Daneva ne tenait plus debout que par miracle, et regardait droit devant elle sans se préoccuper du paysage qui était pourtant d'une beauté à couper le souffle. Le bras de Chad constituait un appui formidable, du seul fait de sa présence. La jeune femme n'avait pas pour habitude de s'appuyer sur les gens... Mais curieusement, la honte qu'elle avait ressentit tout d'abord s'était estompée légèrement. Elle n'était clairement pas en mesure de se débrouiller seule, et cet homme, loin de la juger sur la partie d'elle même qu'elle lui avait tout d'abord imposé, l'avait tout simplement soutenue jusque ici et comptait visiblement continuer un moment. En l'entendant énumérer les ingrédients dont il aurait besoin pour lui concocter une tisane, elle eut un pâle sourire.

- Vous êtes trop généreux avec moi. Vous oubliez que par ma faute, vous avez exposé votre torse nu aux embruns de la mer. En pareille saison, c'est dangereux. Vous n'aimeriez pas vous retrouver dans le même état que moi...

Elle leva un oeil vers lui, la bouche pincée en un rictus presque amusé.

- Je sais pas si j'aurais agis de même avec vous que vous avec moi.

Il fallait bien que l'éprouvant voyage se termine enfin. Il n'y avait personne sous la casquette de planches qui protégeait la galerie d'entrée. Dane jura entre ses dents en constatant la chose : normalement l'un de ses gars aurait du se trouver là, l'oeil vif et les muscles bandés, prêt à défendre la place contre d'éventuels agresseurs. Malheureusement il semblait que la paranoïa de la jeune femme n'était que peu communicative, et surtout que son influence commençait à décliner au sein de l'organisation. Il était grand temps de mettre un coup de pied dans la fourmilière...

Heureuse que Chad ne soit pas au fait de ces tribulations perverses, elle serra son bras un peu plus fort. Au moins, ce soir, elle pouvait oublier tout ça.

La torche qui se devait d'éclairer l'entrée quelle que soit l'heure de la nuit était consumée, plongeant la scène dans l'obscurité. Daneva se tendit comme un arc. Les recoins sombres de l'imposante bâtisse en bois lui donnaient l'impression d'être habités. La fatigue se jouait de ses sens. Elle cru discerner un mouvement et sursauta. Si Chad ne l'avait pas retenue, elle aurait heurté la barrière et se serait sans doute retrouvée à terre. Maudissant silencieusement son état précaire, elle mit vaillamment un pied devant l'autre jusqu'à la porte de sa chambre, qu'elle déverrouilla avec la clef qu'elle portait autour du cou. Les gonds grincèrent, menaçants. La pièce était elle aussi noire comme le fond d'une caverne. Dane mit plusieurs secondes à retrouver un semblant de repères. Elle s'avança avec prudence, les bras tendus et les mains grandes ouvertes sur le néant lui faisant face. Ces dernières finirent par accrocher le dossier d'un des fauteuils qui peuplaient la partie réception de la pièce. En tâtonnant, elle finit par dénicher un chandelier, et à l'aide des quelques braises gisant dans l'âtre, alluma les bougies.

Ces îlots de lumière firent clarté sur le centre de la pièce. Un immense bureau en bois massif en occupait la majeure partie, encombré de documents divers. Devant, autour de la cheminée, un demi cercle de fauteuils confortables se trouvaient disposés, prêts à accueillir les visiteurs. Derrière une tenture qui n'était fermée qu'à demi, on distinguait un grand lit défait. La majorité des meubles étaient d'excellente facture, contrastant avec ce à quoi on pourrait s'attendre en pareil endroit. Sculpté, moulés et vernis, ils auraient davantage eu leur place dans l'un des nombreux salons privés du palais royal. Seulement en constatant le bois clair du bureau, celui plus sombre du lit et le brun orangé du plancher, sans compter les tissus dépareillés recouvrant les coussins des fauteuils, il était clair que l'ensemble n'avait pas été rassemblé ici par soucis d'esthétique. En réalité ces meubles étaient issus de pillages et de troc, et Daneva n'avait fait que piocher dedans pour meubler rapidement ses quartiers en regardant seulement leur utilité et leur solidité.

A bout de forces, elle se laissa choir sur un fauteuil. Chad avait rempli sa mission. Elle était saine et sauve chez elle.


- Les chambres vides sont à l'étage. Si vous prenez l'escalier au fond de la galerie, vous n'aurez qu'à choisir. Nous avons peu d'invités ces temps-ci...


Dernière édition par Daneva le Mer 20 Oct 2010 - 21:59, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeMer 20 Oct 2010 - 21:48




Apprivoiser les gens est un art si difficile, se disait-il à mesure qu'ils avançaient vers leur destination - l'ultime étape après cette petite escale sur le haut plateau. Arrondir les angles, prévoir les accrocs, savoir quand tendre la main, et quand la fermer. Ne pas avoir peur des regards en forme de coups de dents, persévérer, persévérer, jusqu'à ce que l'esprit s'apaise, jusqu'à ce que le corps lui-même, convaincu - et on sait que le corps perçoit la vérité bien au-delà de ce dont l'esprit est capable - se relâche enfin, cède, s'abandonne. Ainsi fait-on la cour aux chats sauvages. Il en avait fallu, du temps et des preuves, et des soutiens et des mains tendues mais, enfin, enfin, elle avait souri.


- Vous êtes trop généreux avec moi. Vous oubliez que par ma faute, vous avez exposé votre torse nu aux embruns de la mer. En pareille saison, c'est dangereux. Vous n'aimeriez pas vous retrouver dans le même état que moi... "


Marchant, il secoua la tête une nouvelle fois, teintant d'amusement son habituel masque de calme et de maîtrise.


- Cent fois déjà, le vent m'a griffé. Cent fois déjà, le froid m'a mordu. J'ai été malade. J'ai guéri. J'ai survécu. Je suis solide, conclue-t-il alors, placide, sans pouvoir s'empêcher de donner à son ton, encore, la nuance du conte. Que me vaudrait d'être solide si je n'étais pas généreux ? "


La réplique suivante de la jeune femme n'amena aucune réponse de sa part. Qu'y avait-il à répondre ? Qu'il s'en moquait, qu'il n'espérait rien des gens, ni d'elle ni d'un autre ? C'eût été trop amer pour une si belle nuit, aussi garda-t-il le silence.

Elle se raidissait contre lui. Ses doigts entraient dans le cuir de son vêtement comme de petites serres d'oiseau. Comme les ergots de cet épervier qui s'était posé sur son bras, un jour. Il y avait longtemps.

C'était étrange ; ne la conduisait-il pas chez elle ? Se pouvait-il qu'elle ait quelque chose à redouter sous son propre toit ? Ou bien, plus simplement, s'agissait-il de ces ombres, de ce flou d'angoisse qui l'avait enveloppée tout au long du trajet et qui, tel quelque poix dont il est ardu de se défaire, rechignait à la laisser aller ? Ses épaules étaient dures, sa nuque trop droite, ses gestes trop brusques - dia, elle faillit même se cogner dans un accès de nervosité supplémentaire. Il n'en dit rien. Ne dit pas non plus que la nuit n'avait pas grand chose à lui cacher, que son épais velours était à ses yeux la plus fine des tulles. Il valait mieux laisser certains mystères à leur place, et certains atouts dans leur manche.

C'est pour cela qu'il ne l'aida pas quand elle tâtonna, frêle et incertaine, dans sa propre chambre, jusqu'aux langues rougies que tiraient quelques braises de l'âtre sous leur manteau de cendres. Les bougies léchèrent l'ombre, la firent ramper sur les murs, sur le ventre lourd des coussins, sur les angles polis et disparates du mobilier, et jusqu'aux pieds du lit, là-bas. On aurait dit une caverne de receleur. Ce n'était pas si étonnant en soi, mais il prit quelques précieux instants à s'en émerveiller, secrètement. Une certaine part de son être ne pouvait pas rester insensible à l'esthétique, après tout, et il y avait de la beauté nichée là.

Elle se laissa tomber, lassée.


- Les chambres vides sont à l'étage. Si vous prenez l'escalier au fond de la galerie, vous n'aurez qu'à choisir. Nous avons peu d'invités ces temps-ci... "


Regard, hochement de tête. L'oeil gris dériva ensuite vers le foyer dans la cheminée, et chercha autour, quelque marmite ou autre récipient de fonte tel qu'on en trouve dans les maisons modestes.


- J'ai proposé quelque chose pour vous aider à dormir. Le voulez-vous toujours ? Il me faudrait de l'eau, et de quoi la faire chauffer. Un geste de la main, avant qu'il ne tapote sa gibecière. Indiquez-moi simplement, sans bouger de là où vous êtes, ou bien refusez. Je ne m'en vexerai pas. "

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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeSam 23 Oct 2010 - 16:52

La lumière vacillante de la flamme des bougies eut sur les nerfs de la jeune femme un effet apaisant. Comme si le cours du temps venait d'être ralenti par quelque volonté supérieure, elle sentit le velours plier sous son poids et lentement l'envelopper de sa chaleur. Ses cuisses fatiguées, ses reins tourmentés, son dos crispé et sa nuque douloureuse s'apaisèrent doucement au fur et à mesure qu'ils s'enfonçaient dans le fauteuil. Une longue expiration termina de vider le corps épuisé de sa tension. Il faisait encore un peu froid, mais moins qu'au dehors et elle n'avait pas la force d'allumer un feu dans la cheminée.

Une partie d'elle-même venait de s'endormir. Néanmoins ce qui restait était éveillé et bien éveillé, aux aguets comme toujours. Elle savait qu'elle ne parviendrait pas à réellement se reposer d'ici l'aube, mais cet état lui était si familier depuis ces dernières semaines qu'elle ne s'en inquiétait plus outre mesure. Son corps suivrait, tant bien que mal. Il faudrait bien...

Chad lui rappela sa proposition de lui concocter une tisane "pour mieux dormir". Pourquoi pas après tout, ça ne pourrait pas détériorer son état. Une petite voix au fond d'elle-même lui cria de se méfier. Boire une infusion préparée par un inconnu ? A quoi cela servait-il de prendre autant de précautions auparavant pour ensuite tomber dans un piège aussi gros ? Cependant Dane secoua la tête pour chasser ces pensées troublantes. Si il lui avait voulu du mal, Chad l'aurait achevée depuis longtemps, quelque part dans les buissons entre le village et sa chambre. Elle était lasse de se méfier des gens, lasse de craindre les coups. Elle avait envie de faire confiance, pour une fois. Chad semblait être quelqu'un de bon, et jusqu'ici il s'était montré à la hauteur de ce présent.


- Je serais heureuse d'y goûter oui. Il y a un bassin un peu plus haut, si vous prenez le sentier derrière le deuxième bâtiment sur une dizaine de mètres, sur votre gauche. Quant au récipient, vous en trouverez dans ce coffre, à coté du bureau.

Du doigt, elle désigna brièvement le gros coffre affaissé placé tout contre les pieds de l'imposant bureau. Il était tard, et aller chercher de l'eau jusqu'à la source ne serait pas une sinécure pour le voyageur par un froid pareil, d'autant que l'obscurité rendait le trajet dangereux. Elle s'attendait à l'entendre retirer son offre, mais il ne fut bientôt plus dans la pièce, armé d'une cocotte ventrue.

Daneva se retrouva seule. Elle déplia lentement ses membres, tel un félin courbaturé, et se leva pour se rendre près de son lit, derrière la tenture, en emportant une bougie qu'elle déposa avec précaution sur le chevet. Face à sa luxueuse armoire à glace, elle observa longuement son reflet dans les miroirs tachetés, et curieusement, elle s'y reconnut. C'était la première fois que cela lui arrivait depuis l'incident. Pendant près d'un mois, elle avait évité son image, et puis elle y était revenue ponctuellement, pour y découvrir une piteuse créature qu'elle n'avait pas eu la force de regarder plus de quelques secondes. Ces cruelles déceptions avaient contribué à sa déprime, mais aujourd'hui il semblait qu'elle ne seraient jamais plus qu'un mauvais souvenir. Bien que malade, elle retrouva dans ses yeux un morceau d'elle même, et cela lui réchauffa le coeur. Revigorée, elle ouvrit les portes et choisit une longue et ample robe blanche. A gestes lents, elle fit glisser ses habits trempés de sueur au sol et se revêtit de l'étoffe immaculée, qu'elle rehaussa à la taille à l'aide d'une large ceinture de cuir à boucle de cuivre.

Lorsque Chad revint, elle s'était finalement décidée à s'occuper de l'âtre. Il la trouva donc agenouillée devant la cheminée, absorbée dans la réanimation du feu. Elle leva néanmoins la tête à son arrivée, soulagée de le voir revenir.
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MessageSujet: Re: Flux et reflux (Daneva) [Terminé]   Flux et reflux (Daneva) [Terminé] I_icon_minitimeDim 24 Oct 2010 - 18:20

~ Azam Ali - From Heaven to Dust ~



Il avait hoché la tête aux indications données, et s'était sans attendre orienté vers le coffre. Un genou en terre, la pelisse ramassée autour de lui comme une flaque de fourrure gris cendre, il ne lui avait pas fallu bien longtemps pour trouver un récipient convenant à ses attentes. Le dos se déplia, les épaules roulèrent quand il se redressa. Il y eut les notes tintantes des boucles à sa ceinture, celles des sangles qui ceignaient ses reins, et celles encore, légères comme des carillons, des petits sequins qui ornaient ses bottes.

Le sang-mêlé jeta un regard par-dessus son épaule. Retraça silencieusement le chemin qu'elle venait de lui indiquer - sa protégée - et acquiesça une nouvelle fois du menton. Il décrivit sa silhouette du bout des yeux, promena son regard jusqu'au feu mort, et partit d'un rire léger, bref, sec, dont il aurait été difficile de déterminer la cause. Enfin, tapotant calmement les deux fourreaux à ses hanches comme pour s'assurer de leur présence - et les sangles tintèrent encore, ting-cling - il assura sa prise sur la cocotte de fonte tenue en main, puis sortit.

Au-dehors, le froid l'accueillit d'une gifle. Tout conditionné qu'il était à supporter les pires variations de température, il frissonna. Rejetant sa natte de côté et ramenant, au contraire, l'ample fourrure sur ses épaules, le jeune homme s'en alla par la route précédemment indiquée, guidé par sa mémoire et par le crissement de ses semelles sur le sol.

Des yeux et des oreilles, du flair aussi, il perça le silence, les ténèbres, le vent chargé d'embruns glacés. Rien. Personne. A part les ombres rampant à terre, les sifflements de l'air dans les branches, plus loin, et les jappements de la bise autour de ses chevilles. Il prit une grande, longue inspiration. Jusqu'à ce que sa gorge le brûle, jusqu'à ce que ses poumons se figent presque, pétrifiés par le froid. Et, alors que ses mains goûtaient à l'eau plus froide encore de la source, il leva les yeux vers les étoiles. Puis chanta pour elles. A mi-voix, et brièvement. Mais c'était suffisant.

Armé de son fardeau, le vagabond finit par rentrer au sein de la demeure - toujours déserte en apparence - de sa "protégée". Si elle disposait de gardes du corps, il ne pouvait que louer leur prodigieuse discrétion. Et blâmer leur inconscience, de laisser approcher de leur maîtresse le parfait inconnu qu'il était.

Haussement d'épaules. Il poussa la porte. Cette fois, la pièce s'était chargée de lumière. Pas encore tout à fait vaincue, l'ombre restait tapie dans les angles ou léchait le pied des meubles, se tenant prudemment hors de portée des craquements de l'âtre.

Il vit en premier lieu les vêtements abandonnés près du fauteuil déserté, puis le regard qu'elle lui adressa, toute à son ouvrage. Marchant d'un pas régulier jusqu'à elle, Chadden posa le récipient rempli d'eau au sol, juste à côté, et se pencha pour lui saisir l'épaule, sans violence.


- Laissez-moi faire, maintenant. Vous voulez bien ? Il ne vous reste plus beaucoup de forces à brûler, et je ne sais qui appeler si vous vous trouvez mal à nouveau. "


Qu'elle se dégage ou non, il ôta rapidement sa main pour la fourrer dans la gibecière attachée contre son flanc, en recherche de matériel. L'oeil gris, pourtant, revenait parfois dévisager la jeune femme, de biais. Ses derniers propos appelaient implicitement plusieurs renseignements qui sauraient peut-être l'éclairer, lui, sur les apparentes lacunes en matière de protection du bâtiment - et de sa protégée, par le fait.

Entre temps, la cocotte et son eau avaient trouvé une juste place au-dessus des braises, et le métal irrégulier luisait déjà de chaleur, agacé par les flammes. Il serait bientôt temps d'y laisser bouillir la petite quantité de plantes que Chadden, avec une précision née de l'habitude, s'occupait déjà de préparer.
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