Rencontre enneigée [PV] [Terminé]

La biche se baissa, pour manger quelques fleurs d'hiver, ces magnifiques fleurs qui n'ont pas de mal à pousser dans ce grand manteau blanc et froid. Elle pouvait l'avoir à cette distance. La biche releva la tête d'un coup. Rizzerdias tendit sa corde, mais un oiseau s'envola et l'animal s'enfuit en gambadant. Elle souffla d'ennui. Le froid était plus intense ce jour-ci, et ses doigts et ses lèvres la piquaient. Elle continua donc à avancer vers une destination qu'elle ne connaissait pas. Juste entraînée, comme ça, par son instinct. Elle marchait tout droit, sans se poser de question. Il fallait qu'elle aille tout droit, quitte à faire demi tour par la suite. Elle n'avait pas de carte, elle était presque perdue, mais elle n'avait besoin que d'elle pour s'en sortir. Alors, elle prit la direction qu'elle pensait être la bonne.

Elle vit un faon, un peu plus loin. Elle n'était pas du genre à tuer les jeunes, mais la faim la rongeait. Elle prit son arc et une flèche. Il mangeait les jeunes fleurs, celles qui n'ont pas encore éclos, celle qui n'ont pas encore vu la vie qu'à peine elles la perdent. C'était le même et triste sort qui attendait ce jeune animal. Il ne faisait attention à rien autour. Elle respirait le moins bruyamment possible. Le froid lui brûlait les yeux et elle ne voyait pas aussi bien que d'habitude. La flèche partit, et le faon tomba sur le côté. Elle s'approcha rapidement, pour ne pas se faire voler la carcasse. Elle prit son couteau et découpa la bête. Une fois le plus gros de la viande ramassé, elle laissa le cadavre là. Les animaux le mangeraient sûrement. Elle continua son chemin, vers l'inconnu.

Elle marchait depuis un peu plus de deux heures quand elle s'arrêta. Elle ne pouvait plus marcher, la fatigue et le froid la retenaient, empêchaient ses membres de bouger. Elle n'avait plus de force, pourtant elle n'avait marcher que très peu de temps. Elle s'assit et fit un feu, juste le temps de cuire de quoi tenir jusqu'au lendemain. Le feu éteint, elle ne tenait même plus assise et s'allongea, ou plutôt tomba de fatigue. Elle se ressaisit et réussit à retrouver assez d'esprit pour s'installer deux cents mètres plus loin sachant que l'odeur de la viande, de la chair cuite attirerait sûrement les bêtes sauvages, enfants de la férocité. Elle se laissa tomber sur le côté et tomba dans un sommeil surréaliste, un sommeil profond et voulu depuis longtemps. La nuit n'était même pas encore tombée, mais elle n'allait pas tarder à venir, à plonger ce beau visage endormi, aux lèvres éclaircies par la froidure, l'air paisible mais en réalité si triste, dans un noir infini.

Elle ouvrit les yeux. Son souffle chaud sortait de sa bouche en formant une fumée dans l'air gelé, une fumée blanche, pleine de fatigue atténuée, mais toujours présente, et d'ennui. Elle se leva avec peine et s'étira. Le soleil n'était pas tout à fait levé, trainant avec lenteur dans le ciel d'un rose oranger. La faim la reprit. Elle avait dû dormir plus longtemps qu'elle n'en avait l'intention. Elle épousseta ses manches, envahies de flocons blancs et durcis, et souffla sur ses mains rouges et endolories. Elle prit ses affaires et l'initiative de continuer toujours tout droit. Elle avançait, sans croiser aucun animal, à croire qu'ils avaient disparus, qu'elle n'était plus sur les terres naines, qu'elle était arrivée en terres inconnues, inhabitées de tout être vivant, avec pour seule compagnie ce silence froid, glacial, un silence de mort, mais une mort paisible.

La neige n'était pas plate, elle était irrégulière, laissant à l'imagination deviner ce qu'elle cachait, pierre, souche, ou cadavre. Elle s'arrêta, debout, et regarda autour d'elle. Du blanc, que du blanc. Ce paysage immaculé, cette glace et cette neige à peine apparues, d'une pureté sans défaut, rien d'autre que du blanc. Cela la fit frissonner. Pas que cette vision l'effrayait, mais elle était anormale. Seuls le vert légèrement bleuté et l'écorce foncée des arbres, cachés en plus grande partie, troublaient l'harmonie de ce rêve sans couleur et infini. Elle se laissa tomber contre l'arbre le plus épais qu'elle ait vu. Elle essaya d'allumer un feu, sans succès. Elle était fragile, elle s'était surestimée. Le froid et la faim, le gel et la famine, et aussi la fatigue allaient avoir raison d'elle. Elle ferma les yeux. Elle sentit le froid parcourir tous les recoins de son être. Elle s'assoupit.

Puis, un bruit devant elle. Elle ouvrit les yeux et prit son arc. Un lapin. Un lièvre plutôt, assez grand. Elle le visa et la flèche atteint son flanc. Elle prit l'animal et essaya d'avancer le plus loin possible. Mais la nuit était déjà. Elle se posa, bu une gorgée d'eau-de-vie, et s'allongea, le corps de l'animal sous son équipement. Les bêtes seraient sûrement attirées, mais tant pis, elle n'avait plus de force. Tout le monde meurt un jour, cela elle l'avait bien compris, et elle avait déjà accepté sa mort. Ses yeux se fermèrent, encore.

[ATTENTION : CE POST CONTIENT DE LA VIOLENCE ET DU SANG.]


Les falaises d’Arkan, montagnes escarpées du nord, théâtre de la bestialité de la nature sauvage. Entre les Bearogs, les loups, les nains et autres bêtes sauvages, la survie peut s’avérer difficile, d’autant plus que la basse température laisse peu de marge d’erreur. En ces heures diurnes, dans les semi-hauteurs, la neige tombait continuellement pour former un linceul immaculé, cachant au candide regard du Soleil les cadavres de la veille, anciennes victimes de la chasse ou de l’instinct de survie des animaux. Les morts gèleraient enfin et trouveraient le repos dans leurs prisons de glace. Les grands et robustes arbres d’un calme plateau allaient bientôt devenir complètement blancs, l’ensemble de l’endroit se trouverait presque unicolore. Mais sur ce plateau se trouvait, à l’abri de la neige, en dessous d’un arbre, un animal encore endormi. C’était un tigre blanc, et il n’allait pas tarder à se réveiller…

Il ouvrit les yeux, se redressa et bailla. Il avait faim, alors il se leva et s’étira. Il retournerait ensuite retrouver sa mère et son frère, après la chasse. L’animal commença alors par chercher des pistes. Il inspira, et en trouva quelques unes. Il choisit de suivre la plus alléchante, et courut. Il passa par d’étroits passages entre des rochers, par des lignes d’arbres sans fin, mangeant quelques petits mammifères lorsqu’il le pouvait, mais cela ne le rassasiant pas suffisamment, il continuait toujours à suivre cette odeur. Il finit par arriver près d’une clairière qui abritait un petit point d’eau. Les arbres autour formaient comme des barreaux et une épaisse prison végétale. Ici et là perçaient de minuscules rayons de lumière, l’obscurité profonde les rendant vifs et presque palpables. Là, buvant doucement et naïvement l’eau fraîche et revigorante du tout petit lac, se trouvait un chevreuil, tout seul. Il ne se doutait de rien, ne faisant qu’apaiser sa soif avec l’eau obscure de la clairière. Le tigre marcha sans bruit, se fondant dans le décor, se mouvant avec grâce vers sa victime, laissant d’imperceptibles traces dans la neige. Le chevreuil finit de boire, sa soif étanchée. Il releva la tête et commença à marcher vers l’extérieur de l’endroit, sans se sentir en danger. Le prédateur accéléra un peu, toujours sans bruit, se rapprochant encore de sa proie. Il finit par être assez proche du chevreuil et se jeta sur lui avec vivacité. Les griffes du tigre se plantèrent sur les côtés de son échine et ses crocs déchirèrent son garrot. Le sang coula le long des plaies et de la nuque, celle-ci s'étant brisée sous le choc. Il se mit à manger sans retenue, ne prenant pas le temps de trouver un endroit plus calme que celui-ci. Il déchiqueta les tripes, dévora le cœur, se délecta des muscles et finit par la chair. Le festin enfin terminé, il traina la carcasse dans un coin et, pas encore rassasié, il continua sa chasse après s'être lavé du sang de sa victime.

Il avait trouvé une nouvelle odeur, beaucoup plus alléchante, et celle-ci lui avait donné faim, au moins dix fois plus faim qu'avant. Il s'imaginait déjà son repas, se lécha les babines d'une façon carnassière, et s'en alla en courant. Il passa un peu moins d'une heure à passer entre des roches grises dans lesquelles était lovée de la neige, dans de grands espaces arides, des plateaux de neige sans fin, des étendues d'arbres sombres et blafardes, jusqu'à trouver un reste de feu de camp aux braises encore ardentes. Pour le tigre, ce n'était pas anodin. Il en avait déjà vu de très loin, près des habitations naines, mais jamais de près, et, il s'en approcha doucement, mais s'arrêta lorsque la chaleur devint trop forte. Il approcha sa patte, lentement, mais se brûla un petit peu, alors il sauta en arrière, de surprise. L'alléchante odeur venait de cette chose, mais une autre s'en dégageait, mais c'était une odeur de peau animale séchée, étrange, jumelée à d'autres odeurs inconnues. Intrigué, il décida de suivre sa piste, et recommença la chasse. Deux cent mètres plus loin, il trouva une trace dans la neige, plus très fraîche mais prouvant le passage de l'étrange animal. Il suivit l'odeur en reprenant sa course, mais, son estomac criant la famine il voulut trouver une proie avant que de partir à la recherche de l'objet de sa curiosité. Il se mouva doucement entre les arbres, ceux-ci formant une sorte de chemin, ou une prison végétale, empêchant la quasi-totalité de la lumière de passer, quelques rares rais dorés transperçant la profonde obscurité de la forêt. Un petit et candide animal avançait doucement, le noir prenant forme tel un démon aux yeux jaunes allant fondre sur lui, ses sujets en ligne formant un couloir, et observant le lapin. Le tigre avança furtivement et s'approcha de lui, sans un bruit. L'endroit pris des airs de cauchemar, mais le rongeur ne s'inquiéta pas. Le prédateur se jeta sur lui et l'immobilisa, arrachant sa tête à partir du buste, écrasant ses poumons et faisant éclater son cœur. Il dévora d'abord ses poumons et ses muscles, puis finit avec les intestins et l'estomac, déchirant toute la chair et la lacérant. Ils enfonça ses griffes dans les yeux et réduit son cerveau en bouillie en appuyant sur le crâne. Une fois son repas terminé, il lécha le sang sur son pelage, mais ceci ne fit que raviver son brûlant désir d'un "dessert".

Il courut à travers la forêt rapidement, sans bruit, jusqu'à se retrouver à un point étrange. Il sentait l'odeur très proche, mais il ne savait pas exactement où elle se trouvait. Il regardait partout, ne trouvant rien, et se camoufla avec la neige au ras du sol, invisible. Il ferma les yeux, et se concentra sur son ouïe. Ainsi lui apparut un autre monde. Un monde de sonorités, de fréquences, de bruits et de précision. Il entendait les cerfs marcher dans la neige, un peu plus loin, les oiseaux battre des ailes, un grouillement imperceptible d'insectes survivant à l'intérieur de certains arbres, mais par dessus tout, il entendit une respiration, toute proche, derrière un gros arbre. Il s'en approcha sans bruit et découvrit une créature très étrange, qui ne bougeait presque plus. Sa peau était presque blanche, elle avait une crinière brune et était recouverte de neige, elle-même recouvrant une sorte de grande feuille marron, celle-ci semblant la protéger du froid. Il s'approcha doucement de sa bouche, il huma son visage et goûta ses lèvres et son nez d'un coup de langue.

Elle rêvait, un rêve profond, un rêve triste. Elle se revit, couchée dans le lit de son frère, se réveillant sans lui. Puis, le bruit au rez-de-chaussée. Elle qui ouvrait la porte, elle revoyait, revivait tout ça, encore. Puis derrière la porte, du blanc. De la neige. Une plaine entièrement couverte de neige. Son frère au milieu, mort. Elle se mit à courir vers lui, mais un animal, un tigre blanc attrapa le corps et l’emmena. Il ne restait plus qu’une tâche rouge, le sang de son bien-aimé, de son amour, rendant impure cette neige au aspect si innocente. La neige se mit à tomber, beaucoup, recouvrant et effaçant entièrement cette trace, comme si la neige, ou la plaine elle-même, voulait faire disparaître cette histoire. Puis, elle se réveilla, sans ouvrir les yeux, sans bouger. Elle était juste revenue dans la réalité.

Soudain, elle sentit une chaleur, un souffle s’abattre sur son visage. Elle murmura le nom de son frère, en bougeant à peine les lèvres, encore endormie. Puis une sensation plus chaude et mouillée envahie sa bouche et son nez, faisant frissonner son dos. Un animal. Elle prit discrètement sa dague, allongée à ses côtés, se reposant avec elle, sous la couette. Mais elle se résigna et lâcha le manche d’argent. Si elle faisait ça, elle allait peut être blesser la bête, cependant si elle faisait ça, elle allait mourir, c’est certain. Mais il ne semblait pas vouloir la manger, ni même la tuer. Il était toujours là, il ne partait pas. Elle ouvrit les yeux, doucement. Un tigre. Blanc. Comme dans son rêve. Un tigre au pelage magnifique, qui brillait autant que la neige sous la lumière de la lune. Elle ne voulait pas l’effrayer, ralentit même sa respiration pour le rassurer. Elle retira sa main de sous le drap fin, qui ne protégeait pas autant qu’elle l’aurait voulu du froid. Elle leva doucement sa main, sans geste brusque, sans trembler, en se demandant qu’elle allait être la réaction de l’animal.

Il avait léché ses lèvres et humé son visage. Doucement, elle s'était réveillée et avait ouvert les yeux, ses pâles joues ayant repris de légères et vives couleurs. Elle avait ensuite doucement levé une main vers l'animal et celui-ci avait commencé à la sentir avec attention tout en la fixant droit dans les yeux de son regard de glace, tel un saphir azuré au plus haut du ciel observant toute la vérité du monde. Son regard était d'un bleu pur et clair, empreint de calme, de sagesse, mais également d'une trace de l'immense férocité qu'il portait en lui, contrairement aux siens, qui étaient d'un vert d'émeraude, comparables à la plus belle feuille d'un arbre. Puis il remonta son museau vers l'épaule, passant par la longueur du bras et s'arrêtant un peu sur le coude. A présent, son visage était proche de celui de l'humaine. Il s'assit, et soutint son regard, avec détermination, courage et respect.

Plusieurs minutes passèrent, puis elle s'assit lentement, sans être brusque. Il se rapprocha encore, son museau touchant presque son nez. Elle resta de marbre, et soutint son regard. Puis il lécha son épaule et son buste, d'un coup, et la mordilla juste assez pour faire couler quelques gouttes de sang. Elle frissonna en réponse à cette action mais ne sut pas comment réagir. Il lécha le sang, doucement, comme on lèche une plaie, se mélangeant un peu à elle dans cet acte symbolique pour lui. Il recula ensuite, et s'assit à nouveau dans la pure neige de cette nuit naissante... La neige se remit à tomber, et il ferma les yeux avec douceur, semblable à un ange félin.

Elle regarda le tigre, aux yeux fermés. Elle porta la main à son épaule qui la piquait un peu, mais il y avait pire comme blessure. Une atmosphère de confiance et de respect pesait dans l'air. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas eu une présence autre qu'une proie ou un prédateur à ses côtés. Il ne l'avait pas attaquée, sûrement par curiosité, et elle se rendit compte qu'elle n'aura peut être pas autant de chance une fois prochaine. Elle continuait de l'observer.

Ce tigre, c'était peut-être celui de son rêve, ou peut-être pas. Pour un chasseur d'un si jeune âge, tous les tigres se ressemblent. Mais il avait quand même un air particulier, il avait un blanc sans tâche, sans défauts, presque pure, qui contrastait avec sa férocité apparente au premier regard, et il semblait légèrement humain. Cet animal lui faisait penser à son frère. Elle hésita puis finalement, prononça le nom de Thyvene, d'une voix légèrement tremblante, de froid et de tristesse. Le tigre rouvrit les yeux et la regarda d'un air interrogatif, se demandant sûrement ce que signifiait le bruit que la jeune femme venait de faire. Elle soupira lentement, et se sentit mieux. Comme si son souffle chaud contenait une grande partie de sa tristesse habituelle, et qu'elle s'était légèrement libérée de ce poids, de plus en plus lourd au fil des années. Elle sourit à la bête, gentiment, d'un sourire qui se veut rassurant mais qui trahit les fausses bonnes humeurs.

Elle mit la couverture sur ses épaules et déplaça lentement son matériel, sans faire trop de bruit, pour récupérer le lièvre mort, en dessous. Elle le prit et regarda la bête. Elle n'allait pas prendre le risque qu'un tel animal mange à côtés d'elle. Il avait l'air confiant, mais il n'aurait pas pu s'habituer aux humains, plus particulièrement à elle, aussi vite. Elle prit le lièvre par les oreilles et le lança, deux mètres plus loin. Elle lança un regard au tigre lui disant que c'était maintenant à lui. La bête alla vers le petit animal mort. Elle, pendant ce temps, essaya d'allumer un feu, et y arriva. Elle ne voulais pas effrayait l'animal et se mit dos à lui pour lui montrer qu'elle n'avait pas peur. Elle prit le peu de la viande du faon qui lui restait, et le fit cuire. Il ne restait pratiquement rien, ce repas ridicule n'allait pas arrêter la faim de lui taillader l'estomac.

L'animal était en confiance. Il avait fermé les yeux, mais guettait tout de même chaque bruit, chaque mouvement, chaque odeur qui émanait d'elle. L'atmosphère de confiance l'apaisait, et il commençait à apprécier cette chose, qui ne lui semblait aucunement agressive. Il se rappela des enseignements de sa mère : la confiance se gagne au prix du sang. Il aviserait, mais l'appréciait déja. L'humaine parla, et cet étrange bruit lui fit ouvrir les yeux, doucement. Elle avait parlé doucement et avec tristesse, mais il ne fut qu'étonné, et il le montra en inclinant la tête sur le côté. Puis, elle soupira et il l'observa attentivement, regarda chaque détail, chaque trait de son visage. Il commença par sa crinière brune, telle l'écorce d'un arbre centenaire un jour de grand soleil, soyeuse mais désordonnée. Son visage avait recouvert de douces couleurs depuis leur rencontre, ses joues avaient rougi, semblables à de solitaires roses perdues au milieu des neiges éternelles, et ses yeux avaient pris un caractère bienveillant, mais néanmoins toujours triste, plongé dans les méandres du passé douleureux. Elle avait les traits purs, sa peau légèrement rebondie, signe des bonheurs vécus et perdus en un instant, réduits en cendres par la fatalité du destin et la dureté de la nature. Son cou et sa gorge paraissaient doux, quoique rougis par le froid et attendris par la jeunesse. Ses bras étaient plutôt musclés, ces muscles souples, faits pour l'utilisation progressive et précise de l'arc ou de la dague, ceux des assassins et des archers, et terminés par une main aux longs doigts soutenue par un rigide poignet. Son torse abritait une ferme poitrine, quelques légers abdominaux et un doux mais maigre ventre cachés par une tunique de cuir et une chemise blanche éclaboussée par endroits de tâches de sang sur la manche. Ses jambes étaient assez solides et musclées, se terminant par de puissants mollets et des pieds fins. Elle était jolie et lui évoquait la nature.

Là, elle bougea et lui jeta un lièvre qu'elle avait déposé sous ses affaires. Il la regarda sans ciller, l'interrogeant du regard sur ses intentions, et elle lui fit comprendre que c'était pour lui. Il comprit et alla le prendre dans sa gueule pour le manger une dizaine de mètres plus loin. Il commença d'abord par lui arracher la cage thoracique et mit le cœur de côté, dans la neige près de lui. Il dévora le reste, arrachant les organes et se délectant de ses petits muscles, de son estomac et de ses intestins. Après son repas, il se lécha là où le sang l'avait éclaboussé, et jeta la carcasse un peu plus loin. Là, il prit le cœur dans sa gueule sans l'écraser ni le déchirer et s'avança vers l'humaine. Là, il lui offrit l'organe pourpre et le déposa devant elle, se couchant près de ses pieds et s'y reposant, se fondant dans la neige. Elle approcha la main de son crâne et la posa avec douceur dessus, mais le tigre grogna légèrement. C'était trop tôt, la confiance n'était pas assez profondément installée...

Elle regardait le cœur du pauvre petit animal, devant elle. Il ne battait plus depuis longtemps, mais il lui sembla à un moment qu'il frétillait encore. Un courant d'air froid, gelé, passa dans son dos et la fit frissonner. Elle restait bloqué sur cet organe rouge tâchant la pureté du sol, sur ce présent sûrement symbolique pour la bête sauvage, mais effrayante pour un humain. Pourtant, elle n'avait pas peur. La vision du reste de la carcasse offerte l'écœurait légèrement, mais elle était loin d'être effrayée. Elle voulut caresser la tête du tigre, mais il grogna. Elle retira sa main, il fallait sûrement encore attendre. Elle se disait que, de toute façon, le tigre serait parti le lendemain matin. Mais cette compagnie lui avait fait du bien, la solitude, son amie de toujours, commençait à la trahir, sa présence qui n'était déjà pas agréable devenait malsaine. Elle répéta le nom de son bien-aimé, mais l'animal ne réagit pas. La fatigue se fit sentir, et elle cligna des yeux lentement. Elle observa le tigre, couché à ses pieds. Il semblait si innocent, affectueux. Puis ses yeux retournèrent sur le cœur, elle n'arrivait plus à en détourner le regard. Ses paupières se fermèrent, lentement, doucement.

Soudain, un bruit lui fit rouvrir les fenêtres de son âme. Le tigre aussi avait réagit, et s'était levé, rapidement, mais silencieusement, et il avança d'un ou deux pas légers dans la direction de la carcasse et s'aplatit dans la neige. Rizzerdias avait prit son arc et une flèche. Elle regarda en direction du lièvre mort, pratiquement entièrement nettoyé de sa peau et sa chair, et se concentra. Elle voyait maintenant clairement la charogne, et un loup qui approchait dans sa direction. Le tigre allait sauter, mais elle fut plus rapide que lui. La flèche partit, passa au dessus du tigre, et se planta entre les deux yeux du loup qui poussa un couinement de chien battu, tout ça le plus prestement du monde, et le tigre regarda avec étonnement le loup mort sans qu'il l'ait touché. La jeune femme vit le tigre se retourner vers elle. Elle soupira d'ennui, et se leva. Elle passa à côté du tigre et regarda le cadavre du loup. Elle arracha la flèche, faisant couler un flot de sang.

Subitement, sa tête lui tourna. Elle ne tenait plus debout et tomba assise, à côté du cadavre, se tenant la tête dans les mains. Des larmes commençaient à couler le long de ses joues pour s'écraser et tremper sa poitrine. C'était trop d'émotion pour elle en une seule soirée. Elle regarda le corps du loup, immobile, paralysé par un sommeil éternel, et sanglota de plus belle.

Elle n'avait pas touché au coeur, mais l'avait toisé pendant longtemps, celui-ci symbolisant certaines choses pour elle, et lui amenant des questions auxquelles elle n'avait qu'une face de la réponse. L'animal était couché contre elle, à ses pieds, depuis quelques temps déja quand était arrivé un loup, attiré par les senteurs de la carcasse du lapin. Malheureusement pour lui, ni la nuit ni le destin ne le sauva de la flèche qui s'était planté dans son crâne quelques secondes plus tard. Le tigre avait déja disparu dans la blancheur de la neige, préparé à l'attaquer, lorsque le projectile avait atteint sa cible et transpercé son front. Le loup s'était écroulé dans la neige et l'avait souillée du pourpre liquide qui s'échappait et coulait de son visage.

C'était la loi de la nature. Que meurent les faibles et survivent les forts. L'humaine s'approcha du corps inanimé et retira la flèche d'un coup sec, faisant gicler le sang hors du crâne. Subitement, pendant qu'elle revenait vers le tigre, elle tomba à terre, assise, se tenant le visage et pleurant sur sa tunique, les larmes coulant dessus comme des diamants se perdant dans la boue du désespoir. Le félin s'approcha d'elle, rassurant, puis il lécha ses larmes sur ses joues. L'empathie entre les deux être était devenue telle qu'ils se comprenaient sans se parler. Il se voulait affectueux et gentil, alors il s'assit près d'elle et posa sa tête contre la sienne, comme un amant, comme un frère. Et ils restèrent ainsi...

Ils restèrent ainsi, la tête collé, pendant un certain temps. Les secondes étaient des minutes, et les minutes étaient des heures. Elle ne savait pas s'ils étaient comme ça depuis une heure, deux heures, ou même la moitié de la nuit. Elle se leva péniblement, et posa sa main sur la tête du tigre. Elle leva les yeux et regarda le ciel. Il était noir, d'un noir profond et intense, dans lequel on apercevait toutes les tristesses et les joies, les horreurs et les bonheurs du monde se reflètant dans cet océan de matière sombre et intouchable. Quelques étoiles brillaient, pareilles à des espoirs lointains, mais cependant présents. La lune, elle semblait toute proche. Il aurait presque suffit de tendre le bras pour l'attraper.

Elle tourna les yeux vers le tigre qui regardait également le ciel. L'astre lunaire brillait dans ses yeux, on aurait dit qu'elle était descendu dans ses yeux. Elle lui sourit de son petit sourire habituel mais ses lèvres étaient devenues moins tristes. "M'aurais-tu décroché la lune ?", dit-elle avec un léger humour, mais l'envie de l'entendre répondre "Oui". Le tigre la regarda, et elle prit cette réponse comme positive. Elle avança, exténuée par la fatigue, et s'allongea sur sa couche, près du feu. Elle sentit l'animal s'étendre contre elle et la chaleur de son pelage la réchauffer. Elle murmura "Bonne nuit, Thyvene...".

Le soleil venait à peine de se lever et elle ouvrit les yeux. La lumière lui brûla les pupilles et elle était obligée de plisser les yeux. Elle s'assit et regarda le gros chat se lever et s'étirer en baillant. Cette vision la fit rire silencieusement. Elle rangeait ses affaires pendant que Thyvene l'observait, assis devant elle. Thyvene, c'était comme cela qu'elle avait choisi de le nommer. Comme son frère. Elle souffla, soupira, comme à son habitude, mais cette fois-ci, de joie. Elle arrivait maintenant à se repérer, et décida de partir vers le sud, vers la forêt d'Aduram, le tigre à ses côtés...