Un messager pour demande express [Vripos]

L’hiver se terminait et laissait place au printemps. Une sérénité toute relative planait dans la pièce ou Oschide s’évertuait à écrire ses dernières demandes. Il avait écrit ces fichues lettres toute la journée et son poignet commençait à le faire souffrir, mais il ne pouvait se permettre de repousser encore et encore une lettre fameuse requête en particulier.  Une demande était facile lorsqu’on était capitaine et que l’on agissait au nom de la couronne. Mais une demande à son père, c’était une toute autre paire de manche. Avant de se concentrer pour choisir ses mots avec prudence, Oschide fixait longuement la petite chandelle qui n’avait cessé de brûler depuis la nuit d’avant. Sur le point d’être consumée entièrement, le capitaine fut comme absorbait par cette fascinante flamme. Voilà qu’il repoussait une fois de plus l’échéance et repoussait une fois de plus sa lettre.

Pourtant, une fois lancé, il ne s’arrêta plus et fit attention d’utiliser les mots les plus judicieux. La requête était pourtant simple : Demander un soutien en homme à son père pour renforcer son corps expéditionnaire et également, tenter de faire suite à leur courte discussion avant qu'il ne prenne son poste de capitaine. Une fois terminé, Oschide plia le petit parchemin et mit de la cire, puis scella le tout avec le sceau de la couronne royale. Sans qu’il n’ait pu y prêter attention, la nuit avait remplacé les doux rayons de soleil. Plusieurs heures s’étaient écoulées avant qu’il n’ait pu réussir à écrire cette lettre et il en ressortit exténué.

« Garde ! »

Un garde ouvrit alors la porte et vint le saluer dans la foulée.

« Capitaine ? Que puis-je faire ? »

« Trouvez-moi un messager sur le champ ! »

« A cette heure-là ? »

Oschide ne répondit pas et adressa comme seule réponse un regard froid. La lettre devait partir au plus tôt et arrivait chez son père dans les plus brefs délais. S’il devait payer un messager encore plus pour qu’il ne traîne pas, alors il le ferait sans hésiter. Mais encore fallait-il qu’il y en ait un de compétant présentement à Diantra. Pour cela, il était moins sûr.

Il ne fallut pas beaucoup de temps au garde pour trouver quelqu’un. Pendant cette petite attente, Oschide en avait profité pour remplir des formulaires sans importance et la porte s’ouvrit. Le garde rentra, accompagné d’un garçon qui ne devait avoir qu’une quinzaine d’années voire peut être un peu plus. Ce gamin semblait visiblement exténué, ses traits été tirés. Alors que le garde lui avait adressé un bref salut, le jeune n’en fit rien et se contenta tout simplement de parler sans que le capitaine ne l’y autorise.

« Bon... qu'est qui faut, et puis je aller dormir avant parce que la, je suis trop crevé pour reprendre la route »

Les yeux d’Oschide s’écarquillèrent, médusé par ce qu’il venait d’entendre. Son regard se porta alors de nouveau vers le garde encore en train de récupérer son souffle. Ses yeux pointés vers le pauvre bougre se firent alors complétement glacial et pourvus d’une animosité grandissante.

« C’est une mauvaise plaisanterie ? », demanda Oschide en faisant mine de garder son sang-froid, « Je vous pose une question ! Est-ce une plaisanterie ? ».

Le garde donna l’impression qu’il ne savait plus où se mettre. Oschide n’avait pas prêté d’attention au gamin et se contentait tout simplement d’attendre une réponse du garde.

« Non, capitaine, j’vous assure… Ce gosse m’a montré son sac remplit d’lettre et comme vous en aviez demandé de toute urgence, j’ai pris c’ui là ».

Le capitaine n’eut même pas l’envie de répondre quoique ce soit au garde. Ses yeux fixèrent alors le jeune garçon qui devait surement attendre une réponse de sa part. L’idée de lui donner un courrier d’une telle importance lui parut complétement folle. Il tenta d’imaginer la tête que ferait son père s’il voyait arriver un tel messager pour lui délivrer un message de la sorte.

« Vous ! Écoutez-moi très attentivement », il s’apprêtait à ne pas mâcher ses mots, «  Les règles de bien séances veulent que vous vous présentiez avant d’ouvrir votre bouche. Que vous usiez d’une formule de politesse qui ne doit pas vous être inconnu et qui est un simple « mes salutations ». Même un « bonsoir » m’aurait contenté, mais vous venez à moi  la mine décrépie et vous me dites que vous devez aller dormir parce que vous être fatigué ? », Oschide mit la main à l’oreille comme s’il voulait que le petit répète sa phrase, « Ais-je bien entendu ? M’avez-vous vraiment dit cela ? ».

Visiblement la fatigue avait eu raison de lui et ses nerfs commençaient à lâcher sans que le petit n’ait pu répondre. Il fit le tour de sa table remplie de parchemins et alla se mettre en face du gamin.  

« Ecoute-moi bien petit, si tu as la prétention de te faire appeler « messager », je te conseille de changer tout de suite de discours. D’arrêter de te comporter de la sorte envers des clients et surtout, de ne plus jamais parler sur ce ton là avec moi ou avec n’importe qui d’autre ! ».

Il s’était mis à le tutoyer volontairement afin que ces mots aient bien plus d’impacts. Si le petit voulait transporter cette lettre et toucher la solde prévue, il devrait faire des efforts et vite.

Contre toute attente, le langage du petit avait changé. Etait-il atteint de bipolarité ou alors son sermon avait-il correctement marché ? il n’aurait su le dire. Lui, la seule qui lui importait en ce moment précis était de trouver un moyen d’expédier sa lettre au plus vite sans passer par les messagers royaux. Oschide ne plaisantait pas avec ça, il savait qu’on l’épiait, qu’on tentait dans son dos de récolter des informations concernant sa prochaine mission. Ennemis, amis, curieux ? Les suspects étaient nombreux, mais au moins ce gamin comme messager, personne ne se rendrait compte de l’importance de la lettre. Fallait-il encore que le jeune messager puisse sortir du fort sans être vu.

Oui, finalement, ce jeune homme lui serait d’une utilité et il n’aurait pas besoin de le renvoyer. Le capitaine était reparti s’asseoir et fixait de nouveau le jeune dans les yeux. Une bourse remplie de pièce qu’il avait déjà préparé attendait sagement sur son bureau. Son regard heurta la petite bourse et se remit vers lui.

« Je préfère cette attitude. J’ignore si tout ce que vous dite est vrai, mais de toute façon, je n’ai plus vraiment le choix ».

Oschide prit alors la lettre cachetée dans sa main et la mit face à la lumière d’une chandelle pour tenter de voir l’intérieur.

« Cette lettre est à remettre au régent d’Ydril, Arichis d’Anoszia. Inutile de vous préciser qu’elle est importante et que tout échec de votre part sera sanctionné », son ton se raffermit, « Si vous échouez, si la lettre n’est pas remise, il n’y aura aucune cachette capable de vous aider, je peux vous le garantir ».

Il avança la main pour donner la lettre et la tendit au messager. Une fois qu’il la récupéra, Oschide prit la petite bourse et fit mine de la soupeser pour s’assurer que le compte y était.

« Une moitié ici, le reste à la livraison », il lui donna la bourse, « ne me décevez pas ».

Encore une lettre qui partirait sans qu'il sache si on la recevrait bien. Cela lui rappela les échanges qu'il avait eu avec une amie qu'il n'avait pas vu depuis des années. Elle lui manquait, seuls les dieux pouvaient savoir à quel point elle aurait pu lui être la bienvenue dans un moment pareil. Du réconfort, voilà ce dont il avait besoin, où d'une gifle pour le stimuler. Mais non, il n 'y avait plus eu de nouvelles depuis un moment déjà. L'idée de la savoir morte l'envahit et il craignit que le petit le voit, mais ne fit rien paraître. D'un geste de la main, il demanda au jeune de prendre congé.

"Puisse les dieux être à vos côtés, cette lettre m'est vitale", murmura-t-il.