Sixième ennéade de Verimios
De la neuvième année du onzième cycle
Palais d’AlëandirCette ennéade était la bonne. Il le savait, il le sentait. Leurs enfants s’agitaient. Le corps d’Arwain changeait imperceptiblement. Sans le flux, il ne l’aurait sans doute pas remarqué. Mais elle se préparait. Elle même disait le sentir. Assise dans un large fauteuil, elle le détaillait de bas en haut. Il laissait ses yeux balayer sa silhouette et ses vêtements, détailler les trais de son visage. Lui regardait son ventre. Rebondi. Qui protégeait leur descendance. Qui l’avait laissée grandir. Et qui leur livrerait bientôt. Il serait alors temps de devenir parents. Temps de les nourrir, de les soigner, de les faire dormir. De les protéger. De les éduquer. Il y avait peu pensé ces derniers temps. Il ne voulait pas encombrer son esprit avec un futur dont il n’était pas certain. Parce qu’au fond de lui, il craignait que leurs enfants leur soit retiré aussitôt qu’il les leur serait donné. Même s’il était le mieux placé pour faire accoucher sa femme, même s’il était un des meilleurs dans son domaine, il craignait que quelque chose se passe mal. Ils étaient bien trop précieux pour qu’ils les perdent. C’était hors de question qu’il leur arrive quelque chose.
- N’y pense pas, Anorn. Tout va bien se passer. Je le sais. Ses sourcils avaient du le trahir en se fronçant. Son front avait du se plisser un instant. Il savait qu’il ne faisait plus attention quand il était avec elle. C’était là le véritable confort. Pouvoir se détendre, se laisser s’évader. Sans tenir à tout prix l’image qu’il renvoyait.
- Les dieux peuvent être capricieux. Tu sais que ça me briserait le coeur d’en perdre ne serait-ce qu’un des deux. - Moi aussi Anorn. Evidemment. Mais tu sais bien que c’est peu probable. Tu es là, je les sens bien vivants et j’ai été suivie de près par la Haute Prêtresse de Kÿria. Je sais que tout va bien se passer, il n’y pas de raison. Il n’y avait pas de raison. C’est vrai. Mais il n’y avait pas besoin de raison. C’était une des principales choses qu’il avait retenu des mouroirs. Il n’y avait pas de raison pour que ça arrive. Et parfois, ça arrivait tout de même. Souvent à vrai dire. S’approchant d’Arwain, il passa une main sur sa joue avant de l’enfouir dans ses cheveux. Elle passa une main derrière sa cuisse. Ses yeux dans les siens, elle lui sourit.
***
Un mouvement un peu trop brusque le réveilla. Les yeux grands ouverts, Arwain fixait la tâche humide qui s’était dessinée sur les draps. Elle n’osa pas tourner la tête vers son époux quand il lui demanda, encore à moitié endormi, si tout allait bien. Comme elle ne répondit rien, il se leva précipitamment. Allumant les bougies, une douce lumière éclaira la pièce. Ecartant les draps pour elle, il vit ce qu’elle avait vu depuis un moment déjà. Il passa une main sur son visage. Il se figea un instant.
- On y va. Il passa un bras sous son épaule et l’aida à sortir du lit. Une main crispée sur son ventre, elle dut attendre qu’une contraction passe pour pouvoir avancer. Elle sentait que celles ci étaient différentes des autres. Pas encore trop intenses, pas encore trop douloureuses, mais elle savait qu’elles ne passeraient pas si vite. Que même si elles disparaissaient, resterait toujours leur trace jusqu’à ce que la prochaine arrive. Ils avaient préparé une pièce, pour qu’elle accouche dans les meilleures conditions. Elle était proche de leur chambre, parce que c’était là qu’Arwain passait la plupart de son temps ces derniers jours. Quand ils passèrent la porte, un garde accourut.
- Réunis les guérisseurs et les prêtres, ceux dont je t’ai donné le nom. Vérifie ce que je t’ai demandé de vérifier. Que quelqu’un était bien au chevet d’Aldartha. Il avait peur que Kÿria lui donne des enfants pour que Tari puisse lui enlever son frère. C’était inconcevable. Il ne saurait être sans lui. C’était impossible.
- Ca va aller… Ca va aller. - Evidemment ça va aller Arwain. On est bientôt arrivé, ne t’en fais pas. Souffle. Bientôt, il lui demanderait sans doute si elle voulait qu’il soulage sa douleur. Sans pour autant l’effacer. Mais s’il pouvait l’exempter d’une souffrance qu’il ne saurait mesurer. Avant qu’ils en arrivent là, ils devaient déjà franchir la porte de la pièce qu’ils avaient préparés. Et le chemin paraissait soudainement à Arwain bien plus long que dans ses souvenirs.