L'humain à la bière [Glinaina]

Oui, Neleth était sédentaire. Le plus sédentaire des langeciens. Mais un sédentaire pensant ! Alors lorsque quelque chose titillait son esprit, il n’arrivait pas à passer à autre chose. Ce n’était tout de même pas une marmite bouillante et remplie à ras-bord, prête à se renverser en sautant d’elle-même sur le sol. Non. Un esprit agité dans un corps calme. Mais un esprit qui n’en démordrait pas. Un esprit qui l’emmenerait là où il veut aller. Et au diable les casaniers ! Neleth irait et le temps finirait par eroder son envie de "préférer rester à Langehack".

Tout avait commencé par un semi-elfe un peu taquin qui ne pouvait pas s’arrêter de critiquer négativement le spectacle qu’il venait de regarder. SON spectacle. D’ordinaire, ces gens là n’avaient pas d’arguments. Ce qui n’était pas le cas de ce petit personnage beau-parleurs. A vrai dire, il n’avait qu’un mot dans la bouche : Aduram ! Et il avait passé des minutes entières à vanter la beauté des ruines elfiques qui couvaient en son centre. A langehack, on ne connaissait pas bien l’histoire d’Aduram, c’est qu’on avait même du mal à situer cette forêt. Certains ne savaient même pas que c’était le nom d’une forêt. Ils connaissaient juste le fameux bois d’Aduram. Un bois que les bourgeois des hauts quartiers langeciens s’arrachaient sous forme de meubles.

Mais si Neleth était en bordure de cette forêt étrange, ce n’était surement pas pour aller se couper une branche. C’était surtout à cause d’un défi. Un défi lancé par la troupe qui avait joué dans cette pièce que ce semi-elfe n’avait pas aimé. « Lave notre honneur ! Vas’y ! » Avaient-ils crachés tous en cœur. Puis, Denna s’était interposée alors qu’ils lancaient un jeu à boire afin de forcer l’Homme de théâtre à y aller. Elle avait prit sa main et avait dit : « Si tu perds, je viens avec toi ! Hors de question que Langehack soit privé d’un Senjak ! ». Puis, Neleth avait perdu, il n’avait pas réussis à finir la dernière pinte.

Il était duelliste et se disait que ce n’était pas si grave que ca. Il avait essayé de se rassurer en se disant que ce n’était qu’une forêt. Forêt dont il ne connaissait rien mais forêt qu’il pouvait apprendre à connaître. Et c’est ce qu’il fit pendant la traversée marine du marquisat de Langehack à la cité de Naélis : Il passa son temps à lire un livre édité par la péninsule et parlant d’Aduram. Une sorte de guide touristique des terres de Naélis. Il y apprit que la forêt était inhospitalière, que les ruines elfiques n’étaient que des légendes. Qu’on parlait d’habitants qui avaient été attaqués par des bêtes.

« Ouais, en gros, ya des ours quoi. » Se rappelait s’être exclamé Neleth ayant mécompris et sous-estimé la signification d’inhospitalier.

C’est ainsi qu’arrivé à Naélis, il décida que c’était trop dangereux d’emmener Denna là-bas. Qu’elle serait mieux derrière les murs protecteurs de Naélis. Alors, pour parfaire à son plan, il décida qu’il était préférable de la semer. Ce qui n’était pas compliqué en soit. Et qui fut même plus facile qu’il n’y croyait. Neleth profita de la première occasion pour la faire boire, mais sachant qu’elle le connaissait sur le bout des doigts, il s’assura d’acheter un truc qui fait dormir et qu’il versa dans sa pinte. Elle, trop enthousiaste à profiter d’un peu d’aventure, euphorique à l’idée de visiter Naélis, s’était bien faite avoir. Car au petit matin, plus de Neleth. Disparu ! Et il avait pris bien soin de profiter qu’elle dorme pour faire le voyage entre-temps. Oui, c’était comme ca que Neleth était arrivé, seul, en bordure d’Aduram. Ne restait plus qu’à suivre la vieille carte du bouquin et il aurait des histoires à raconter.

Mais avant de s’enfouir dans les méandres des bois, le duelliste s’assura de ramener quelque chose à son amie qui l’attendrait de pieds ferme. Et la seule chose qui était capable de faire décroiser les bras d’une Denna furieuse était une fleur. La plus belle des fleurs. C’était son nouvel objectif. Et la raison qui l’amena à s’engouffrer un peu plus dans l’orée des bois.

Tel un promeneur cherchant des champignons, l’Homme de théâtre mis bien une heure avant de trouver cette satanée fleur. C’était l’été et même si la forêt cassait la lumière, cette dernière était bien trop clairsemée. Il fut donc heureux de l’avoir enfin trouvé car sa chemise blanche et son pantalon serré en toile noire commençaient à lui coller à la peau. La main sur la calotte de son chapeau de cuir pour ne pas qu’il tombe, il alla cueillir délicatement une grande fleur aux doux pétales couleur turquoise. Denna préférait le pourpre mais quelque chose en cette fleur lui plaisait. Et il était bien incapable de savoir quoi.

Jusqu’à ce que, ayant trop chaud, il décide de se servir de son chapeau comme éventail. Un éternuement plus tard, sûrement à cause du pollen, il décida qu’il était temps de reprendre la route vers ces fameuses ruines elfiques ! Fatale erreur que d’avoir remué l’air. Dix pas plus loin, il fut pris d’hallucinations. Croyant entendre des voix, il se dirigea vers elle avec la fâcheuse impression d’être bourré. Titubant, les muscles relâchés, il alla même jusqu’à lâcher la fleur. Ce qui le sauva, assurément !

« Ola ! Qu’est ce que vous faites ici !? »

Demanda-t’il a une bande d’ours rassemblés en cercle, dressés sur leurs pattes arrières en train de chanter une chanson à propos d’une bière de chasseur.

« Nous sommes les plus grands ours buveurs de bière.
Toujours les derniers à encore grogner droit !
Hmm… il vient d’arriver, notre festin de roi !
Fuit ! Court ! Avant qu’on ait envie d'un humain à la bière. »

Neleth regardait ces ours chanter. La scène était issue de son esprit mais il était bien incapable de s’en rendre compte. L’hallucination était vicieuse. La fleur avait émit des spores qui lui montaient à la tête. Inconsciemment, le subconscient d’un esprit bien trop créatif avait tout crée. Et ses défenses affaiblies ne distinguaient plus le vrai du faux.  

Prenant les paroles avec sérieux, il commença à fuir. Une main sur le pommeau de sa rapière, l’autre retenant son chapeau de cuir à rebord sur sa tête. Harcelé par les branches dans sa course effrénée, il essaya tant bien que mal de se frayer un chemin au beau milieu de la verdure. Mais l’hallucination s’estompait déjà. Et peu à peu, l’interrogation le pris. Pourquoi courrait-il ? Il n’en savait rien. Dans le doute, il continua à courir. Jusqu’à ce que la nature décide de lui faire un croche-patte. Et qu’il se prenne le bout de la botte de cuir dans une racine. S’ensuivit une chute mémorable le long d’une interminable pente. Roulade après roulade. C’est couvert de feuilles, surtout sur la cape en laine feutrée marron foncée, qu’il finit en bas de la pente.

Sonné mais rien de cassé.Il roula sur le dos pour regarder la cîme des arbres d'un air dépité. Il souffla en regardant son chapeau pendant à une branche, bien plus haut, à un homme et demi de hauteur, en train de le narguer. Les cheveux bruns long et lisse en broussaille. Il se rappela avoir vu une femme pendant sa chûte. Et se rappela qu'il n'avait pas vraiment eu le temps de crier quelque chose d’intelligible. Aussi, sans bouger, il la chercha du regard.

C’est ainsi que lui souriant en coin toujours allongé sur le dos, après être resté bien quelques minutes au sol, qu’il s’exclama :

« Salutations ! Drôle d’entrée, n’est-il pas ? Hmm… hmm ! Ca vous dérange si je vous fais la courte-échelle pour que je puisse récupérer mon chapeau ? »

Avant de finalement montrer d’un doigt ganté de cuir le dit couvre-chef en cuir. Chapeau arborant fièrement une fibule en étain où il y avait une rapière et un lys se croisant par-dessus un demi-soleil. Une plume d’oie, dont la pointe était ancrée, ornait l’autre côté. Elle était habilement fixée pour qu’elle ne puisse se sauver. Un chapeau à rebord que l’Homme de théâtre à l’accent Suderon prononcé, marqué par ses roulages de R, n’était pas décidé à abandonner. Puis, avec l'aide ou sans l'aide de la dame, il se redressa sur son séant pour finalement se relever. Bien décidé à récupérer ce chapeau turlupin.

Neleth compris bien vite que ce n’était pas juste une dame mais toute une compagnie qui était présente. Une compagnie fort aimable, étant donné que l’un d’entre eux venait de tenter de déloger son petit coquin de chapeau. Ecoutant sa question, il roula sur le côté pour passer sur le ventre et pouvoir se redresser. Il frotta ses vêtements pour faire déguerpir feuilles et brins d’herbes puis secoua sa cape avant de finalement aller ramasser le dit chapeau pour le revisser sur son crâne. Présentable, il lança un grand sourire moustachu à Glinaina décidé, enfin, à lui répondre :

« Et bien oui, je vais très bien. Je ne suis pas perdu ! Je sais où je suis ! Pardis. Je cherchais juste une fleur pour une amie. Et… je suis tombé sur une bande d’ours bourrés qui voulaient déguster un humain à la bière. Repéré, je me suis sauvé tel un voleur courant sur les toits. Sauf qu’il n’y a point de toîts ici et plutôt des racines. L’une d’elle, taquine, m’a fait un croc-en-pieds et je me suis retrouvé ici, à rouler bouler jusqu’en bas. »

Il avait narré ses aventures en joignant le geste et les mouvements, son talent théâtrale hurlait aux spectateurs qu’il était né sur les planches. Il prit aisément possession des lieux. N’hésitant pas à se mouvoir et prendre de la hauteur pour mimer jusqu’à l’escapade. Et une fois qu’il eut fini, il revint se planter à droite de Glinaina pour laisser un silence s’installer. Puis, il soupira profondément d’aise avant de conclure :

« Merveilleuse aventure. J’adore cette forêt ! Elle est à la hauteur de mes espérances ! Je vais pouvoir en tirer une scénette qui émerveillera les yeux des tous petits comme des plus grands. »

C’était à son tour de poser des questions. Aussi, croisant les bras, il porta l’une de ses mains à son menton avant de plisser les yeux, observant la compagnie à cheval en demandant :

« D’ailleurs, où allez-vous donc ? Affublée d’une telle escorte, vous devez être sur le point de faire quelque chose d’exceptionnellement épique! Ma proposition va vous sembler étrange mais je suis venu ici pour découvrir la forêt d’Aduram et en apprécier les secrets. Cela vous dérange si je vous accompagne ? »

Demanda-t’il sérieusement. Avant de finalement se présenter dans une révérence théâtrale chapeautée :

« Je suis Neleth Senjak. Je suis un compositeur Langecin de pièces de théâtre. Vous avez forcément dû entendre parler de moi. »

Suite à cette présentation, il se redressa et remis son chapeau à rebord sur son crâne avant de finalement reporter son attention sur Glinaina. Lui jeta un regard plein d’espoir. Espérant qu’elle accepte qu’il se joigne à eux. Il n’avait pas de cheval mais était certain qu’ils trouveraient un moyen et que ceci n’était qu’un détail.

Neleth écouta attentivement la réponse de son interlocutrice car le regard qu’elle lui portait exigeait une extrême attention de sa part. Et même s’il n’y avait pas de boutades, il se demandait si elle le prenait vraiment au sérieux avec ses ours. N’ayant pas de réponses, il classa cette information sans suite dans son esprit pour pouvoir se concentrer sur la suite. Quand à la suite, elle lui proposa gentiment de l’escorter à l’extérieur de la forêt, chose qu’il se voyait mal de refuser même s’il ne cacha pas une certaine déception sur son regard. Il était venu pour voir la forêt pas pour rentrer à Naélis bredouilles. Il comprit toutefois le danger même s’il avait du mal à imaginer les bestioles dont elle parlait. Il se demanda si elle ne le faisait pas exprès, juste pour lui faire peur. Car oui, peut être que tout ça n’était que des paroles pour le tester, voir s’il allait se dégonfler, jauger son courage. Car après tout, ça n’avait aucun sens que de faire une simple promenade affublé d’une telle escorte.

Aussi, il observa la longue procession qui suivait la jeune femme et remarqua qu’il n’y avait ni barde, ni scribe. Aucune personne ici ne semblait être apte à couler sur le parchemin les hauts-faits de cette procession. Aussi, attrapant la plume juchée sur son chapeau, il fit des arabesques dans l’air en la tenant par la pointe et s’exprima :

- Ha, c’était donc ça qu’ils entendaient par hostile dans le livre. Et bien, j’avoue avoir sous-estimé cette forêt, en même temps, ils ne sont pas précis dans les livres. Mais ne me sous-estimez pas, je suis aussi un duelliste confirmé ! Je sais me battre en équilibre sur un tonneau roulant.

Il expira un instant avant de continuer, on sentait bien la déception dans sa voix. Après tout, sa ballade à lui tournait court et il avait de quoi être déçu. Il ne croyait pas vraiment à ces histoires de monstres, ils n'existaient que dans les livres pour faire peur aux enfants. Mais il avait encore espoir de la convaincre de l'emmener, aussi essaya-t-il de présenter des arguments solides pour se rendre indispensable :

- Mais bref… j’accepte votre proposition. Je veux bien rentrer à Naélis sous votre protection. C’est quand même dommage. Je ne vois ni Barde, ni Homme capable de retranscrire vos faits d’armes par la parole. Si ce n’est qu’une simple promenade dans une forêt aussi hostile, il va y avoir forcément quelques faits d’armes. Vous allez être bien embêté si il vous arrive quelque chose d'extraordinaire et que vous n'avez aucun témoin lyrique pour le retranscrire à sa juste valeur. Je vous jure sur la tête de ma compagnie théâtrale, poussières de rêve, que je peux faire vœux de silence ! Après tout, pour retranscrire, il ne faut pas s’immiscer dans les hauts-faits et donc se taire.

Il avait fini. Il rangea sa plume en la repiquant dans son chapeau à rebord et s’approcha de la procession pour grimper sur un cheval qui l’attendait. Une fois en selle, il se laissa guider en disant :

- Promis. Je me tais et je suis les directives. Un Langecin n’a qu’une parole !

Et sur ces mots, il finit par se taire. Ayant hâte de voir un peu plus de la forêt même si ses projets premiers allaient tourner court. De toute façon, il n’avait plus vraiment besoin d’y rester longtemps. Son but était de passer un peu de temps avec cette femme car elle semblait bien connaître la dite forêt et avait sûrement bien des histoires à lui raconter. Aussi, il était prêt à lui obéir au doigt et à l’œil. Hors de question de laisser la chance s’envoler entre ses doigts.