Vous la voyez traverser la forêt toute seule en pleine nuit?

Au début de la septième ennéade de Bàrkios de l’an 17 : XI.
Le lendemain matin de l'entrevue entre Calemirhel, Artiön et Aegden.
Dans la caserne de la milice d'Alëandir.

Le lendemain de l’entrevue entre la Bienveillante Main et le roi des cités d’Anaëh, la première avait parlé de l’entretien avec son époux et notamment les informations qu’elle avait pu rajouter à celles qu’elle avait déjà. Calemirhel avait également dit que le commandant de la milice d’Alëandir s’était porté volontaire pour assurer sa protection. Ce qui avait étonné Eryvïnn, ce dernier se disant que son supérieur devait avoir bien des choses à faire avec Naélis car il lui semblait bien qu’Aegden s’était porté volontaire pour la campagne à venir. Mais sans doute savait-il bien ce qu’il faisait alors il se contenta d’hocher la tête en entendant la nouvelle.

Toutefois lorsque le milicien demanda si son épouse savait qui allait s’occuper de son escorte, elle répondit qu’elle n’en savait rien. Sans doute le commandant ne s’en occuperait pas seul et avec un peu de chance il n’avait pas encore monté son équipe. Alors Eryvïnn, le lendemain, en rejoignant Elauthin pour leur tour de garde il s’enquit d’où se trouvait leur supérieur.

« Aucune idée. » Répondit son collègue en haussant les épaules. « Il doit être sur l’un des terrains d’entraînements. Je crois que c’est aujourd’hui que les nouvelles recrues sont arrivées, peut-être qu’il supervise leur entrainement. Pourquoi tu veux le voir ? »
« J’ai une question à lui poser. »
« J’imagine bien. Ça te dit d’être plus précis? »
« Quand tu seras prêt Elauthin, on va être en retard. »
« C’est booon, il ne me reste que mon plastron à mettre et… » le soldat n’eut pas le temps de terminer sa phrase avant d’être interrompu par son camarade.
« Dépêches-toi alors. » Eryvïnn regarda l’autre milicien se dépêcher de mettre le reste de son armure avant de sortir de la caserne pour commencer leur tour de garde dans la capitale.
« Alors, qu’est-ce que tu lui veux à Aegden? Tu veux monter en grade ? » L’intéressé ne répondit pas tout de suite, se contentant de sourire.
« Non, du tout, j’ai une faveur à lui demander. »
« Tu comptes me dire ce que c’est un jour? »
« Quand tu seras plus patient. » Répondit le vieil elfe, laissant une partie de son agacement poindre dans sa voix.

Pour le reste de leur ronde, Eryvïnn prit un malin plaisir à toujours dévier le sujet de conversation lorsqu’Elauthin demandait pourquoi il voulait voir le commandant. Ce qui agaçait le plus jeune curieux et amusait le plus vieux mais mis à part ça, comme d’ordinaire, leur patrouille fut calme, la routine en somme. Alors, lorsqu’ils se séparèrent une fois de retour à la caserne Eryvïnn lui donne une bourrade dans l’épaule.

« On se revoit plus tard, faut que je trouve Aegden. » Avant de partir le sourire aux lèvres avant que la fameuse question ne passe les lèvres de son collègue. Finalement il trouva le commandant dans l’armurerie en pleine discussion avec diverses personnes, dont, forcément au vu de l’endroit, le quartier-maître. Alors il attendit que la discussion se termine avant de s’approcher dudit commandant pour éxecuter un salut militaire dont il avait pris l’habitude durant son long service dans l’armée royale.

« Commandant, j’ai appris que vous allez escorter sa Bienveillance durant sa mission pour retrouver l’Arc de Kÿria et j’aimerais me porter volontaire. »

-Remplacer, entre autres, ces lames-ci oui.

Le commandant prit l’une des épées que l’autre désignait et la fit tenir en équilibre sur sa main. Celle-ci pencha dangereusement et il fallu qu’il la rattrape normalement pour qu’elle ne tombe pas dans un tintement métallique. Ce n’étaient que des épées d’entrainement mais elles semblaient relativement usées, il était grand temps de retrouver du neuf tandis que de nouvelles recrues étaient enfin arrivées.

-Je peux essayer d’en réhabiliter le maximum de ce type. C’est plus compliqué que de repartir de zéro mais moins on gâche de métal mieux ça sera. Celles trop abîmées, je pense que moi comme les autres forgerons, on serait ravis de les fondre pour en faire autre chose. Idem pour les éventuels armes d’hast et les arcs.

-Il faudra faire un inventaire complet de ce qui est abîmé, ce dont on a besoin, ce qui est récupérable ou non dans ce cas.

-C’est déjà fait Aegden. L’elfe en charge, entre autres, de la gestion de l’armurerie eut un sourire en coin, mettant en évidence un rouleau parcheminé parmi ceux qu’il tenait. Il ne te reste qu’à donner ton aval.

- Ah, moi qui pensais devoir retourner l’entièreté de la salle…Plaisanta-il. Dans ce cas il faudra juste me dire combien de temps tu penses devoir prendre Varno.

Le forgeron acquiesça, assurant qu’il essaierait de déterminer une durée précise le plus rapidement possible et la discussion s’en continua doucement vers son terme. Il fut dans le même temps décidé d’effectuer des réparations sur les mannequins d’entrainement et les quelques rares structures çà et là sur le terrain d’entrainement.

Au bout d’un moment, Aegden remarqua un quatrième elfe un peu plus loin. Celui-ci restant en retrait, il était évident qu’il avait quelque chose à demander à l’un d’entre eux. Heureusement pour lui, il n’eut pas à patienter longtemps avant que le forgeron et le quartier maître prenne finalement congé.

Aegden avait machinalement rendu son salut au soldat avant que celui-ci n’explique sa présence.Sa demande fut reçue par un haussement de sourcil du mainyth. Il était surpris d’une telle demande si tôt à vrai dire, même venant du compagnon de la principale intéressée…

-Je n’ai pas encore décidé qui m’accompagnerait dans cette mission. Répondit-il en toute franchise. Et je n’ai aucune raison de te le refuser bien entendu Eryvïnn. Aegden parlait tout en rangeant à nouveau machinalement une arme ou un outil par-ci, par-là. Pourtant, je me doute que ta demande n’est pas tout à fait désintéressée. Il y a quelque chose en particulier qui te préoccupe ?

Il tira nerveusement sur les attaches de son manteau lorsqu’un sourcil de son supérieur s’était haussé mais la réponse fut accueillie par un certain soulagement. Au moins il avait une chance, surtout si Aegden n’avait pas de raison de ne pas accéder à sa demande. Il retint cependant un soupir, alors que le commandant reprenait la parole, Eryvïnn le suivait machinalement des yeux. Il ne savait pas vraiment s’il devait l’aider ou non et encore moins comment ranger les diverses armes sans s’attirer l’ire de l’armurier. De plus, ne sachant pas quelle épée, quelle lance, quelle armure, allait être fondue pour être reforgée il n’avait pas envie de ralentir la procédure. Parfois il était mieux de ne rien faire plutôt que de risquer d’empirer la situation.

« Vous avez raison. » Concéda-t-il en hochant la tête. Restant parfaitement droit et immobile comme une statue, il attrapa une main dans son dos grâce à l’autre et se racla la gorge. « C’est ce voyage qui me préoccupe. Je vous fait confiance, à vous et quiconque vous choisirez, pour protéger la Main mais… il s’agît de mon épouse et on est jamais mieux servi que par soi-même. »

C’était une information qui devait être connue par la majorité de la ville. Après tout ni Calemirhel ni lui-même ne l’avait caché et puis cela faisait presque neuf siècles qu’ils avaient célébrés leur mariage. Ce qui jouait probablement dans la décision d’Aegden et le soldat n’avait pas envie de jouer là-dessus pour obtenir une place dans la mission à venir mais c’était la raison pour laquelle il se portait volontaire.

« J’ai passé la majorité de ma vie à servir dans l’armée royale et j’ai eu le loisir de voyage aux quatre coins de l’Anaëh ce qui sera sans doute utile lorsque nous quitterons le protectorat. Cela dit ce sont aussi ces déplacements répétés qui m’ont poussé à m’engager dans la milice ; pour rester dans la ville et être à ses côtés plus souvent alors vu que vous allez l’escorter, la protéger, j’aimerais vous accompagner. »

Aegden fronça les sourcils. Quelque chose clochait dans le discours de l’ancien membre de l’armée royale. Ses motivations ne lui semblaient pas vraiment positives même s’il semblait bien vouloir faire.

-Non on n’est pas mieux servis que par soit même. En tant qu’elfe d’arme tu devrais le savoir mieux que quiconque.

Aegden cessa un instant ce qu’il était en train de faire et fixa son interlocuteur.  Le visage grave, ce n’était pourtant pas un sermon qu’il lui faisait, mais un simple rappel de leurs valeurs les plus élémentaires.

-Je comprends que tu veuille la protéger Eryvïnn. Crois-moi, je sais ce que c’est de savoir les êtres qu’on chéri le plus loin de nous, et d’avoir l’impression de ne pas pouvoir les protéger. Il soupira. Il faut simplement que tu fasses confiance aux autres. Réellement confiance.

Et pour Aegden, la confiance passait aussi parfois par un certain lâcher prise. Il était aussi conscient que c’était là de belles paroles, faciles à dire et moins à faire. Malgré tout il savait que son interlocuteur était capable de comprendre.  

-En plus de ça, justement parce que nous ne sommes pas des soldats de l’armée royale, nous ne pourrons pas dépasser les frontières d’Alëandir. Ça sera aux autres protectorats de prendre le relais.

C’était en effet bien plus facile à dire qu’à faire, faire confiance. Eryvïnn allait dire quelque chose mais il se ravisa, fermant alors la bouche. Il avait déjà fait confiance à la milice d’Alëandir. Il aurait bien voulu dire quelque chose finalement mais la suite du discours d’Aegden lui serra la gorge, empêchant les mots de passer. Alors il baissa la tête.

« Je confierais aveuglement ma vie à n’importe qui dans la milice d’Alëandir ou l’armée royale mais pas la sienne… je ne peux pas. » Il prit une inspiration puis une autre afin de se calmer, de maîtriser les émotions qui commençaient à prendre le dessus. « Ce n’est pas contre vous ou n’importe qui d’autre d’ailleurs ; je ne veux pas remettre en cause vos capacités mais je sens que… je sais que je ne peux pas me permettre qu’il lui arrive quoi que ce soit, surtout si je suis loin. » Le soldat déglutit. « Pour être tout à fait honnête je ne sais pas si j’arriverais un jour à faire suffisamment confiance à quelqu’un pour lui laisser la garde de mon épouse, fut-ce le roi ou le Poing. »

Il savait surtout que si jamais il arrivait quelque chose à sa bienaimée, il n’y survivrait pas, surtout s’il était loin lorsque ça arrivait. Toutefois la dernière chose qu’avait dit le commandant l’interpella. Il était vrai que si elle comptait aller jusque dans le protectorat de Daranovar ce serait à la milice locale qui s’occuperait alors de son escorte et même s’il se trouvait à ses côtés, une fois à la frontière il devrait l’abandonner. Ce qui, évidemment, ne lui convenait pas surtout que le danger risquait d’être plus important sur les terres du protectorat voisin que sur celles d’Alëandir, les noces et les citadins se combattant régulièrement. Toutefois oseraient-ils s’en prendre à la haute-prêtresse de Kÿria et son escorte ? Peut-être pas mais Eryvïnn était bien loin d’être prêt à prendre le risque. Surtout que sans savoir où pouvait bien se trouver l’Arc, il n’était pas à exclure qu’il se soit retrouvé entre les mains des clans habitant la région.

« Et si Calemirhel demandait, une fois arrivée à la frontière, que l’on poursuivre notre mission sur le territoire daranovan ? On pourrait continuer à l’accompagner, non ? »

En cas de réponse positive de la part d’Aegden il n’aurait plus qu’à trouver une façon de convaincre son épouse ce qui, pensait-il, ne serait pas d’une difficulté prodigieuse.

Aegden resta silencieux tout le temps que l’autre renchéris. Il l’écoutait patiemment, et cela se voyais que quelque part il comprenait ce qu’Eryvïnn exprimait. Il comprenait et même s’il savait que ce n’était pas forcément un bien pour le reste de la communauté, il savait ne pas pouvoir faire grand-chose pour le soldat. Les elfes étaient ainsi faits. Leurs sentiments étaient parfois trop forts pour qu’on puisse les raisonner d’une quelconque manière.  

Cependant ça l’attristait tout de même un peu de savoir le mari de la Main incapable, malgré lui, de faire confiance à d’autres vis-à-vis de son épouse.  Il n’était pas Guide, Aegden ne savait pas quoi y faire pour l’aider mais il avait le sentiment qu’Eryvïnn gagnerais à en parler à la bonne personne.

Perdu dans ses pensées, les dernières questions le ramenèrent à la réalité assez vite.  La pointe de ses oreilles s’agita un instant.

-Je ne sais pas ce qui la pousserait à faire ça a vrai dire. Il lança un regard de travers à son interlocuteur. Mijotait-il quelque chose ? Probablement… Il hésita par conséquent à finir ce qu’il avait commencé de dire. Mais je crois que rares sont les elfes à vouloir s’opposer à sa volonté si elle ne leur semble pas totalement aberrante. Il s’agit de la plus proche d’I Mingely après tout…

Il aurait pu s’arrêter là et simplement répondre à la question de son interlocuteur cependant sa conscience le poussa à revenir sur les points précédents.

-J’aimerais quand même que tu en parles avec elle. Ajouta-t-il donc. Inutile de me rapporter votre discutions bien entendu. Je ne voudrais juste pas avoir à composer avec un groupe qui fonctionne mal, que ce soit par manque de confiance, par la vexation de l’un ou l’autre - je ne dis pas que ça sera le cas mais ça arrive-, ou autre. De mon côté je  tiendrais compte de ta demande.