Choisir son camp [Zaahrian]

« Je t’ai fait mal ? » Demanda Zaahrian en voyant la réaction de Ren. Il était en train de faire son bandage et pendant un moment, il crut avoir trop serré. Il était encore contrarié, mais il ne tenait pas à lui faire mal.

« Vous semblez avoir une bonne différence d’âge tous les deux. J’imagine que tu étais déjà parti de la maison lorsqu’elle est venue au monde. » Maintenant qu’il y pensait, c’était curieux qu’une gamine qui ne l’avait jamais vu cherche à le protéger. « Ne le ramenez pas à la maison, c’est ce qu’elle a dit. C’est une jolie fille. Elle s’appelle Loreta si je ne me trompe pas. C’est elle et non ton frère qui a dit que je devais te ramener vivant. Elle a aussi dit que ce n’était pas grave s’il y avait des dégâts collatéraux tant que ce n’était pas en leur nom. Ton frère essayait de la faire taire dès qu’elle ouvrait la bouche. Hum, elle qui a demandé de te ramener vivant pour ensuite me dire que je ne devais pas te ramener à la maison. Elle aurait pu juste ne rien dire… » Il regarda Ren en réfléchissant. « Peut-être que je devrais essayer de la contacter directement… » Marmonna-t-il plus à lui-même.

-Tu sais que t’es vachement déroutant comme type ? Ne put s‘empêcher de lâcher le bandit. Tu me kidnappe, mais tu veux discuter. Puis tu me plante un couteau dans la cuisse pour me demander si tu m’a fait mal deux minute plus tard. ‘Faut avouer que ça surprend…

Mais la moue qu’il affichait semblait pourtant plus motivée par les maigres informations qu’il venait de lui donner. Loreta… C’était la première fois qu’il entendait son nom. Cela lui faisait un pincement bizarre au cœur. Comme si ça donnait une consistance à ce fantôme.

Enfin…Il aurait tout le loisir de la rencontrer voire de l’interroger à domicile semblait-il... Il releva alors le menton vers son ravisseur.

-Bon bah j’imagine que quand faut y aller faut y aller…Ce n’était pas comme s’il avait le choix à présent. Peut-être avec un soupçon de provocation, quoi que pas bien méchante, il tendit ses mains nouées vers Zaahrian. J’espère que t’es bien payé pour le merdier dans lequel tu t’es lancé l’ami.

Il eut une nouvelle moue, chagrinée cette fois. Ses pensées voguèrent de cette étrange Loreta à Viliam quelque part dehors qui le chercherait forcément, si ce n’était pas déjà le cas. Il espérait presque qu’il ne le trouve pas.

-Quand à mon chef, il sera certainement en colère en apprenant ce qui se passe. Il va me chercher. Mais au fond c’est un type aussi décent que moi. Finit-il d’un soupir résolu. J’espère que vous arriverez à trouver un compromis sans bain de sang.

Parce qu’il ne se faisait aucune illusion. L’un ou finirait par retrouver l'autre, peu importe par quel moyen. Et de là, Nééra savait ce qui se passerait.

Zaahrian vérifia que le bandage était bien en place et qu’il ne bougerait pas pendant qu’il le traînait en lieu sûr. Il se figea à la remarque de Ren bien que ce ne soit pas la première fois qu’il entendait ces mots. Il se redressa lentement, son regard sur Ren. Il ne dit rien, mais un muscle tressaillit dans sa mâchoire. Il pencha légèrement la tête de côté comme s’il réfléchissait. Puis, après ce qui sembla être une éternité, il parla enfin.

« Déjà, au risque de me répéter encore, je ne t’ai pas kidnappé. Si ça avait été réellement mon intention, je n’aurais pas perdu mon temps à t’observer durant des jours pour avoir l’occasion de discuter avec toi. Je t’aurais assommé, fin de l’histoire. »

Il l’aida à se mettre debout en le tenant par les aisselles.

« Les gens sont surpris, car ils ne peuvent pas imaginer quelqu’un comme moi peut réellement se soucier du bien-être des autres. Pourtant, s’ils savaient… »

Il n’était toujours pas décidé de ce qu’il allait faire. Les paroles de la sœur tournaient encore dans son esprit et il avait la certitude que d’amener Ren à sa famille signait son arrêt de mort. Ce type l’agaçait, mais il ne voulait pas forcément le voir mort. On lui avait promis une somme non négligeable pour le ramener. Il n’en avait pas réellement besoin, mais comme il avait donné sa parole, sa réputation était en jeu et ça il ne pouvait pas l’ignorer.

« Écoute, s’il est aussi décent que toi, ça va vouloir dire qu’à l’instant où je vais vouloir lui parler, il refusera de m’écouter. Il va sûrement partir en courant et je vais devoir le rattraper en lui plantant un couteau dans la cuisse afin de pouvoir discuter. Honnêtement, je préférerais qu’il soit juste un peu plus ouvert d’esprit que toi sinon le bain de sang est inévitable. »

Il sourit, mais sans grande conviction.

« J’ai décidé de ce que j’allais faire de toi. La vérité c’est que je t’aime bien et je n’ai pas envie de te tuer. En revanche, j’ai des engagements avec ta famille ce qui me place dans une position délicate. Donc oui, c’est un beau merdier dans lequel je suis, mais c’est dans les situations les plus désespérées que je suis le plus efficace. Du coup, je vais contacter ta sœur et on verra où ça va nous mener. Avec un peu de chance, ton chef nous tombera dessus entre temps. »

Quelques heures plus tard, au tombé du jour

Zaahrian, après avoir laissé Ren en lieu sûr, c’était dirigé vers la demeure de sa famille. Il devait contacter sa sœur, mais ne pouvait pas lui laisser un message au risque que ce dernier ne tombe entre de mauvaises mains. C’est pourquoi il se retrouva à se faufiler dans la maison, évitant gardes et esclaves, à la recherche de la chambre de la jeune femme. Il finit par la trouver et s’y cacha en attendant son retour, espérant ne pas avoir à attendre pendant des heures…

L’assassin dut attendre une bonne heure avant que l’aile du bâtiment dans lequel il s'était caché ne semble reprendre vie. La porte de la chambre de Loreta s’ouvrit alors sur une jeune femme au visage bien plus bouleversé que la première fois qu'ils s'étaient vus. Sans remarquer la fenêtre anormalement entrouverte, elle essuya une larme de son joli visage et, sembla chercher à se reprendre. Quelques secondes passèrent, puis avec une fausse tranquillité, elle vint délicatement s’asseoir à une petite coiffeuse dans laquelle elle se mira…jusqu’à ce que dans le reflet de la glace, l’homme qui s’y reflétait par accident put voir ses grand yeux bleus s’équarquiller de stupeur.

D’un bond elle se retourna et lui fit face. Quelques objets tombèrent et se brisèrent à grand bruit sur le sol, mais pas un cri ne sortit de la bouche de la jeune femme effrayée. Elle recula, pour seul arme un pic à cheveux d'ivoire, terrifiée à la vue de cet homme qu’elle savait dangereux. Et qui surtout n’avait absolument rien à faire là. Lui voulait-il du mal ? Renalt l’avait-il convaincu de se retourner contre eux finalement ? Ou bien en avait-il décidé ainsi seul ?

Au loin, comme seul opposant au silence, il y eut des bruits de pas et des questionnements étouffés, probablement motivé par le bref fracas venu de la chambre.

La surprise de Zaahrian fut probablement égale à celle de la jeune femme. Évidemment qu’elle aurait peur en voyant la silhouette de l’assassin se profiler dans le miroir de sa coiffeuse ! À quoi pensait-il !? Pour sa défense, il n’avait pas prévu apparaître ainsi, mais il avait oublié le miroir, ce qui, en y pensant bien, était une erreur particulièrement stupide de sa part. Le genre que seul un débutant faisait. Il agita frénétiquement les mains pour lui faire comprendre qu’il ne lui voulait aucun mal. Il porta un index à ses lèvres, lui demandant le silence. Sa tête pivota en entendant les bruits venant du couloir. Naturellement, le verre cassé les avait alertés.

« Dites que vous avez vu un énorme rat très moche et que vous avez sursauté. »

À ses mots, il se cacha en espérant que la jeune femme ne le dénoncerait pas. Il n’avait pas particulièrement envie de s’évader d’une maison. Il regrettait maintenant de ne pas lui avoir laissé un mot. Il attendit que la voie soit libre, retenant son souffle. Le calme revint et Zaahrian sortit de sa cachette.

« Je ne voulais pas vous effrayer et vous n’avez rien à craindre de moi. » Assura l’assassin, sa voix à peine plus haute qu’un murmure. Il garda ses mains bien à la vue. « Je viens pour vous dire que j’ai votre frère. Toutefois, compte tenu du mot que vous m’avez glissé lors de votre visite en ma demeure, j’ai cru sage de venir vous parler directement. Je crois pouvoir dire sans me tromper que si je l’amène ici, il n’est pas mieux que mort, non ? »

-Je ne vous ait rien dit. Asséna-t-elle à mis voix, le menton soudain haut, mais le regard se vrillant sans arrêt vers la porte de la chambre. Je ne comprends pas ce que vous me demandez.

Pourtant elle hocha lentement et distinctement la tête un bref instant où elle riva ses yeux bleus à ceux de l’assassin. Son corps semblait exprimer ce que ses lèvres s’y refusaient. Sa peur semblait s’être envolée après une grande inspiration. Ses longs doigts fins quand à eux virent se saisir d’un petit portrait encadré qu’elle détacha de son support. A l’aide d’une mine de plomb, elle gribouilla discrètement quelque chose et le tendit nonchalament, un sourire bien étudié sur son joli visage.

-Elle semble parfaite n’est-ce pas ? Souffla-t-elle encore plus bas.

C’était un portait de famille, dont le fond était identique au morceau qu’elle lui avait tendu l’autre jour.  Il y avait cinq individus dessus, trois jeunes garçon dont une version pré adolescente d'un de ses frères que zaahrian avait déjà rencontré. Ils étaient accompagné d'un homme au visage sévère et d'une femme qui aurait put être Loreta si cela n'avait pas semblé aussi illogique. En y prêtant attention, on pouvait remarquer un bord déchiré, et quelques détails laissant deviner qu’il y avait autrefois une sixième personne sur ce portrait. Au verso trois mot :

Famille. Danger. Silence.

La demoiselle se resaisit rapidement, relevant le menton, presque défiant, affirmant que l’assassin se trompait. Zaahrian vit en elle l’ombre de son frère aîné le faisant sourire malgré lui. Non seulement ils avaient le même sang, mais partageaient aussi le même tempérament. Le regard de la jeune femme alla vers la porte et il comprit. Quelqu’un se trouvait probablement derrière, à l’écoute. Il n’insista pas, mais ne la quitta pas des yeux lorsqu’elle s’empara du portait derrière lequel elle écrivit une note qu’elle lui tendit.

L’expression sur le visage de Zaahrian ne changea pas, mais il plissa légèrement les yeux, la seule chose qui trahissait la tempête faisant rage dans sa tête. Ça ne pouvait pas être simple. C’était sans doute le prix à payer pour son désir de retrouver le chef de l’aile blanche à tout prix. Quelques années plus tôt, il ne se serait même pas posé la question. Il l’aurait capturé pour le livrer à sa famille sans se soucier de ce qui l’attendait. Ce n’était pas sans lui rappeler le jeune Djamel. Comme l’oublier celui-là ? Quelqu’un avait mis un contrat sur sa tête et Zaahrian devait s’en charger. Dans une auberge, il avait rencontré le jeune homme sans connaître sa véritable identité. Ils avaient passé une agréable soirée à discuter avant de terminer la nuit ensemble. Ce n’est qu’au petit matin qu’il apprit son nom et il sut qu’il ne pourrait jamais le tuer. Le seul crime du gamin fut d’avoir un père avec des ennemis puissants. Il n’avait rien de ses cibles habituelles. Il essaya de l’aider, mais Daeron, voyant qu’il mettait trop de temps, avait envoyé Guilin qui n’hésita pas à effectuer le travail. Sa mort fut l’élément déclencheur, ce qui décida Zaahrian à se tourner contre son maître et à le tuer. S’il n’avait pas parlé avec Djamel, il n’aurait jamais su le genre de personne il était vraiment. Même chose pour Ren. Ce dernier l’avait mis en rogne, mais quelque part, Zaahrian l’admirait pour sa défiance et la force de ses convictions.

Aujourd’hui, sa famille l’avait complètement éliminé de leur vie. Il regarda le portrait et l’absence flagrante de Ren, la déchirure qui indiquait qu’à un moment, il avait eu sa place dans cette maison. Sa décision était prise, il n’allait pas l’amener ici. Ça compliquait grandement les choses et il devra trouver le moyen d’éviter les pots cassés, mais au moins sa conscience sera tranquille. Il prit la mine de plomb et écrivit à son tour quelque chose sur le canevas.

« Besoin d’aide ? »

Il ne pouvait décemment pas tuer toute la famille sans un minimum de préparation et l’assistance de Guilin. En revanche, il pouvait faire sortir la jeune femme si elle le souhaitait. Ce serait un voyage sans retour et la fin de la vie luxueuse qu’elle connaissait depuis toujours, mais si elle le demandait, Zaahrian l’aiderait à rejoindre son frère.

Elle retint un bref rire teinté d’une certaine amertume tout en agitant son joli minois. Non. Sa place était ici malgré tout et l’assassin n’y pouvait rien. Tout ce qu’elle désirait, elle le lui avait déjà fait comprendre. Alors, elle lui adressa un nouveau sourire étudié, presque joueur, avant de se détourner. Elle ouvrit un carnet et en sortit une enveloppe dans laquelle une lettre était déjà glissée. Elle brisa soudain le lien du délicat pendentif qu’elle portait et l’ajouta à l’ensemble avant de le tendre au grand homme blond.

-Donnez la lui.Souffla-t-elle si bas que même Zaahrian aurait eu du mal à l’entendre. Le collier est pour vous. En paiement.

Car s’il était là, et s’il lui proposait de l’aider sans rien connaitre d’elle, il semblait évident que l’assassin ne comptait pas remplir sa mission aussi rapidement que prévu.
Mais avant de pouvoir faire quoi que ce soit d'autres, de nouveaux sons à l’extérieur lui firent tourner la tête l’espace d’un instant, puis ses yeux bleus retrouvèrent ceux du mercenaire. Elle fixa la fenêtre entrouverte. Il fallait qu’il parte avant de s’attirer des ennuis…

Sans surprise, elle refusa. Sa place était ici, bien que l’amertume dans son regard n’échappât pas à Zaahrian désolé pour elle. Elle se trouvait à la merci des hommes de cette maison avec un destin tracé et sans possibilité de se faire entendre. Il prit la lettre ainsi que le collier dont la valeur couvrirait probablement presque entièrement ce qu’il aurait dû recevoir en ramenant Ren ici. Mieux que rien. Il la remercia silencieusement au même moment où des bruits dans le couloir indiquèrent qu’il était temps pour lui de partir.

L’assassin se dirigea vers la fenêtre aussi silencieux qu’un chat malgré sa taille, mais juste avant que les ténèbres ne l’engouffrent, il se retourna une dernière fois vers la ravissante jeune femme. Il la regarda dans les yeux et sourit. Dans la pénombre, on ne voyait que le contour de son visage et le faible éclat nacré de ses dents. Zaahrian n’avait pas besoin de parler pour se faire comprendre. Si le jour venait où elle aurait besoin de lui, elle savait où le trouver. Puis il disparut sans laisser de trace.

L’attente fut certainement interminable pour Ren, laissé dans une autre des cachettes de Zaahrian, pieds et poings liés avec un bâillon sur la bouche. C’était l’après-midi et le soleil brillait haut dans le ciel lorsque Zaz lui mit la main dessus, maintenant, il faisait nuit. C’était l’heure des assassins et des voleurs, le moment préféré de Zaahrian. Il avait eu la décence de laisser une lampe à l’huile pour qu’il ne soit pas entièrement dans le noir. Il n’y avait rien à voir sauf le rat tué d’un coup de botte par l’assassin en amenant Ren ici. Les murs suintaient d’humidité, indiquant qu’ils étaient probablement sous terre. Il n’y avait aucun meuble, juste une vieille paillasse moisie jetée dans un coin.

Zaahrian dû se pencher pour passer la porte trop basse pour lui. Il souriait, sachant que Ren rêvait probablement de l’étrangler. Il jeta un sac de toile au sol et observa Ren, les mains sur les hanches.

« Je sais qu’à la seconde où je vais t’enlever ce truc sur la bouche, tu vas me déverser un flot de bêtises à la tête, alors je vais parler et quand j’aurai terminé, je vais te le retirer. Désolé, ce fut plus long que prévu. J’ai discuté avec ta sœur. Enfin, nous ne pouvions pas vraiment parler, car des gens se trouvaient de l’autre côté de la porte, mais nous sommes quand même parvenus à nous comprendre. Je ne vais pas t’amener à ta famille. Donc quand je t’aurai libéré, tu seras libre de tes mouvements bien que j’aimerais vraiment ta collaboration afin de pouvoir discuter avec ton chef. »

Il sortit la lettre remise par sa sœur.

« Elle m’a donné ceci pour toi. Je ne l’ai pas ouverte. J’ai aussi amené ce qu’il faut pour ta blessure. Des pansements propres et un baume à appliquer dessus. Je vais maintenant te détacher. »

Il sortit un petit couteau et s’approcha de Ren. En deux coups, il était libéré. Zaahrian lui donna la lettre et attendit.

« Quand tu auras terminé de lire, pourrais-tu baisser ton pantalon? C'est pour la blessure...»

Contrairement à ce que Zaahrian avait pu imaginer, Ren ne pipa mot lorsqu’il lui ôta son bâillon. Tout au plus lui lança-t-il un regard en biais, indécis. S’il se saisit de l’enveloppe que l’assassin lui avait tendue, c’était avec lenteur, presque du bout des doigts et sans faire mine de la lire.

-Je comprend toujours pas. Ça moulinait à toute allure dans l’esprit de l’ancien fils de marchand. Pourquoi tu te contente pas de prendre ton argent et de filer ? J’veux dire… J’ai compris. Tu veux parler à mon chef. Ça oui d’accord. Mais t’aurais pu faire un pierre deux coup… Il plissa les yeux. Enfin, c’est pas comme si je t’était pas reconnaissant de pas le faire hein. Quoi que j'ai pas tellement apprécié ce sympathique moment dans cette...cave? Du bout du pied, il taquina le ras mort qui lui avait servit d'unique compagnon pendant des heures interminables. Mais c’est bizarre. T'as pas l'air d'un mauvais gars au fond.

Sans accéder à la dernière requête de l’assassin, il préféra tendre une main vers lui, lui demandant en silence de lui donner les potentiels bandages qu’il pouvait avoir. Ren était peut être issus de la bourgeoisie passive des soieries, mais il avait appris à dépendre de lui-même seulement. Il n’y avait qu’ainsi qu’on surviait dans les rues de l’ithri’Vaan.

Zaahrian voyait bien que Ren était perturbé par la situation. Il s’était fait à l’idée d’être livré à sa famille pour se faire dire ensuite que ça n’arriverait pas, que son geôlier avait changé d’idée. Il essayait de comprendre, osant même insinuer que Zaahrian n’était peut-être pas un mauvais gars. Il tendit le matériel de soin à Ren en faisant la moue. « J’aurai essayé. » Dit-il en lui faisait un clin d’œil taquin.

« Je ne pense pas être quelqu’un de bien. Déjà, les gens bien ne tuent pas pour de l’argent alors que c’est exactement comme ça que je gagne ma vie. Je suis capable de tuer violemment s’il le faut. J’ai commis des actes de violence que tu n’imagines même pas et j’ai été formé à ça depuis mon plus jeune âge. » Il parlait calmement de la même façon qu’une personne normale parlerait du beau temps. Il n’aimait pas se remémorer sa jeunesse, ça le déprimait toujours un peu. « Dans d’autres circonstances, tu serais déjà mort. Il n’y a pas si longtemps de ça, je ne me serais même pas posé la question. J’aurais fait ce qu’on m’a demandé en te ramenant à ta famille pour empocher l’argent. Quant à ton groupe et à tes amis, je les aurais simplement éliminés si l’un d’eux avait cherché à te venger. » Il sourit, un peu tristement. L’homme qu’il décrivait n’était pas si loin dans son esprit. Zaahrian était encore capable des pires atrocités. Il le savait. Il le sentait.

« Est-ce que quelqu’un comme moi peut devenir bien ? Je suppose que ça dépend des points de vue. Mon chef de guilde a tout fait pour me briser sans jamais y parvenir. Je prends un malin plaisir à imaginer que s’il était là aujourd’hui, ça le mettrait en rogne que je te garde en vie. C’est peut-être pour ça que j’agis ainsi, juste pour faire chier Daeron même s’il sert de nourriture pour les vers depuis plusieurs années déjà. Ou peut-être que je le fais, parce que j’ai l’impression que tu peux faire une différence dans cette ville, que Thaar a besoin de personnes comme toi et que tu es quelqu’un de bien. Je l’ai vu. Je t’ai vu agir avec les autres… Je n’approuve pas vos méthodes et ce que vous avez fait au marché des esclaves m’a vraiment foutu en rogne, mais je ne pense pas que vous ayez entièrement tords. » Il croisa les bras contre son torse, son regard glissant sur Ren de haut en bas avant de revenir se planter dans celui de l’ancien bourgeois. Il l’observa pendant un moment, comme s’il cherchait à voir quelque chose.

« Cela étant dit, tu n’es pas encore tiré d’affaire. Si je n’arrive pas à faire le boulot, il est fort probable qu’ils engageront un autre assassin. Tu vas devoir réfléchir à un plan et vite. »

-J’te sortirais bien le sempiternel ''tout le monde peut devenir quelqu’un de bien’’ mais j’y crois plus moi-même. Ren soupira, désabusé.

Fut-un temps, lorsque Renalt Ley’Alnen n’était encore qu’un adolescent impulsif et plein de rêves, il avait été assez naïf pour penser qu’il existait une forme de rédemption en chacun. Qu’en voyant le bon chemin, la pire des créatures pouvait essayer de changer et de s’améliorer petit à petit. Mais Ren avait fini par grandir, et à comprendre que le monde n’était pas aussi beau. Parfois, la rédemption n’existait pas. Alors, il fallait éliminer le problème à sa racine.

-Si t’arrive à voir que ce pour quoi on se bat est essentiel, alors t’es peut-être pas perdu. Le bandit acheva de nouer le bandage autour de sa cuisse, non sans une grimace. Ensuite, il releva les yeux vers l’assassin. Laisse-moi partir et je parlerais à mon chef. Je ne te promets rien, Il grimaça, et je vais probablement le mettre en rogne comme rarement pour ça. Laisse-moi te dire que ma soirée est déjà foutue. Mais disons que c’est pour…m’avoir évité de revoir ma famille.  Ne te fait pas de soucis de ce côté-là, j’ai disparu une fois, je recommencerais. D’ici l’ennéade, Renalt sera mort des mains d’on ne sait quels malandrins. Un nouveau sourire éclatant illumina son élégant visage. Ce qui est fort triste car on dit qu’il était fort bel homme. Mais ainsi va la vie.

Zaahrian acquiesça d’un signe de tête. Il était un peu déçu que la rencontre soit retardée, mais il s’y attendait. Il laissait à Ren le soin d’arranger les détails de son côté. Son chef déciderait s’il voulait ou non le rencontrer.

« À partir de là, c’est entre tes mains. Contacte-moi quand les détails seront établis, je ne suis pas difficile à trouver. La seule chose que je demande c’est d’éviter de venir chez moi. Ma maison c’est… » Il grimaça. « Disons simplement que je déteste y conclure des affaires. » Zaahrian évitait autant que possible de parler de sa fille aux étrangers. Il n’était pas prêt à faire confiance à Ren même si l’homme lui plaisait bien. Au moins, il pouvait se consoler en se disant que la journée ne fut pas entièrement une catastrophe. Elle se concluait sur des promesses qui ne se réaliseront peut-être pas, mais c’était un début. Ren était probablement très heureux de sortir de là sur ses deux jambes, échappant ainsi à sa famille et au destin qui l’attendait. Zaahrian s’écarta pour le laisser passer. Une dernière remarque de la part de Ren le fit sourire, le regard pétillant.

« Quelle terrible tragédie. Il était un fort bel homme, je peux le confirmer. »

Il était temps de partir chacun de leur côté, mais avant que Zaahrian prenne le chemin de sa maison, il s’arrêta.

« Une dernière chose. Après l’attaque du marché, je suis tombé sur des gens de ton groupe. J’étais particulièrement en colère, car je venais de voir une dame que j’appréciais beaucoup se faire piétiner par la foule. Alors, j’ai plus ou moins fait une promesse de mort sur leur tête. Donc si, par hasard, on devait t’en parler… Je préfère être transparent et prouver ma bonne foi. Bref, garde cette blessure propre et j’espère te revoir bientôt. » Un dernier sourire ponctué d’un clin d’œil et Zaahrian prit la route en direction des Soieries où l’attendait un bon repas, un lit, mais surtout Aya.

-Les menaces de morts c’est pas ce qui nous manque. Avait nonchalamment répondu Ren en haussant les épaules. Avant de disparaitre tout à fait, le bandit rendit son sourire à l’assassin. On se reverra.

Et puis, s'éloignant les ombres de la rue finirent par engloutir la silhouette boitillante de Ren...

Si Zaahrian ressentait la moindre once d’impatience quand à avoir d’autres nouvelles de la part des bandits, cela ne tarda pas.

Le soleil à peine levé, un jeune garçon dont la sacoche aussi grosse que lui était emplie de papiers en tout genre s’était arrêté à la porte d’une modeste maison des Soieries. On disait que le propriétaire était un assassin reconnu de la ville, un héro même pour certain. Le petit messager s’était empressé de confier une brève missive au premier garde du domaine avant de détaler aussitôt, sans même réclamer quelques pièces en guise de paiement. Savait-on jamais avec ces gens là...

Le destinataire ne pouvait pas se tromper, puisque sur le parchemin enroulé il y avait écrit ''A Zaahrian’’. Il n'y avait pas de sceau en revanche, mais rien qu'un fil pour maintenir le tout en place. Il n'y avait aucun moyen d'être certain que seul le destinataire avait put lire ces mots.

Sur la suite du parchemin qui sentait un peu le tabac froid était écrit un bref messages en quelques boucles fines et délicates.

Zaahrian,

Je ne vais pas y aller par quatre chemins et épargner nos temps à tout les deux. Comme tu peux t’en douter, je sais ce qu’il s’est passé entre toi et l’un de mes hommes. Visiblement tu souhaites discuter alors discutons comme des êtres civilisés.

Au nord du port, le long des docks, il y a un entrepôt dont la face avant est recouverte de dessins. Son toit est en tuiles bleues et brille la nuit tombante. Il est difficile de le rater. Viens à ce moment-là dans deux jours. N’amène personne d’autres auquel cas je le saurais et tu ne trouveras rien qu’un bâtiment vide.

Que Nééra te guide quel que soit ton choix.

Ps: Donne une pièce ou deux au gamin qui te confie cette lettre. C'est un bon garçon qui n'a aucun rapport avec cette histoire.

Le tout était signé d’un V stylisé accompagné de petites vagues pouvant faire penser au dessin simplifié d’une aile d’un oiseau, ne laissant à l’assassin aucun doute quant à l’identité de l’expéditeur. La balle était à présent dans son camps.

Malgré son impatience, Zaahrian était prêt à attendre. Il n’espérait pas de nouvelles avant quelques jours au moins et fut donc particulièrement surpris lorsqu’on lui apporta le message aussi rapidement.

« Tu comptes réellement y aller seul ? » Demanda Guilin alors qu’ils en discutaient au-dessus de leur petit déjeuner. Ils mangeaient peu souvent ensemble, mais le hasard les avait réunis ce matin-là.

« Je n’ai pas trop le choix. Si j’amène quelqu’un, ils ne viendront pas. Ce qui me laisse croire que nous sommes surveillés. En tout cas, ils savent très bien où je vis. »

Il prit une bouchée de pain et de confiture, relisant la lettre pour la dixième fois au moins. L’idée d’être surveillé ne semblait pas trop l’affecter. Guilin se renfrogna.

« C’est un piège. »

« Évidemment. Je serai seul, mais je suis certain qu’il ne le sera pas. Quoi qu’il en soit, j’y vais quand même. Après tout, j’ai demandé cette rencontre. À la limite, tu peux t’arranger pour être au port et intervenir si je ne donne pas de signe de vie au bout de quelques heures, mais je ne veux pas te voir dans cet entrepôt. »

Le ton de Zaahrian n’invitait pas à la réplique, mais Guilin refusait de se taire aussi facilement.

« Tu n’es pas invincible Zaahrian. »

Le blond sourit.

« Je ne le suis pas, mais je suis sacrément doué. Ren m’a vu me battre, il le sait. Même s’ils décidaient de se mettre à plusieurs pour m’avoir, je ne tomberais pas sans en emporter plusieurs avec moi et c’est un sacrifice qu’ils ne feront pas. Non, je vais assumer que leur chef veut vraiment discuter comme quelqu’un de civilisé. Ce n’est pas la première fois que je plonge tête première dans un piège. Tout ira bien. »

Guilin regarda son ami un long moment sans rien dire avant de finalement acquiescer. Il détestait lorsque Zaahrian agissait de la sorte, mais même lui était forcé d’admettre qu’il avait raison.

« Il y a des tavernes près de cet entrepôt. Tu m’y retrouveras après. »

« Excellent ! Peut-être que j’aurai de nouveaux amis avec moi pour célébrer. »

_____

Le soir de la rencontre…

Zaahrian avait réfléchi longuement à la façon dont il allait s’habiller. Au début, il prévoyait y aller modestement, puis il en était venu à la conclusion qu’il voulait les impressionner. Après tout, il jouissait d’une certaine réputation en ville, autant l’utiliser. Sans doute que les gens de l’Aile Blanche ne s’attendaient pas à la vision qu’offrit Zaahrian lorsqu’il entra dans l’entrepôt, indifférent à l’odeur de poisson qui imprégnait les lieux. Il avait choisi une cuirasse neuve dont le cuir luisant et sans éraflure mettait en valeur sa silhouette de guerrier. Elle avait été fabriquée sur mesure et rarement il en avait possédé d’aussi confortables. L’artisan l’avait décoré au niveau de la poitrine d’entrelacs complexes qui remontaient jusqu’à ses épaules et soulignait la musculature qu’elle protégeait. Un motif semblable ornait également le dos en suivant le tracé de sa colonne vertébrale. Sur son torse, il avait passé un baudrier où s’alignait une demi-douzaine de couteaux à lancer. À sa ceinture pendaient son épée ainsi que sa précieuse dague dont il ne se séparait qu’en de rares occasions. C’étaient les armes visibles, mais il en avait d’autres, dont deux petits couteaux cachés dans ses bottes. La lettre ne spécifiait pas qu’il devait être désarmé. L’ensemble était complété d’une cape teinte d’un bleu profond drapée sur ses épaules. Alors qu’il laissait ses cheveux normalement détachés, cette fois ils étaient noués sur sa nuque, offrant ainsi à la vue de tous son visage séduisant et ce demi-sourire qui ne quittait jamais ses lèvres, à la fois charmeur et un brin insolent. Comment ignorer maintenant les oreilles légèrement en pointe qui trahissaient ses origines et par la même occasion expliquaient son physique remarquable et sa grande taille. Étrangement, il semblait même plus grand qu’à l’habitude. Il marchait la tête haute, dégageant une assurance calme. Il s’arrêta en plein centre, là où un trou dans le toit laissait entrer la lumière des deux lunes. Difficile de croire qu’un homme comme lui puisse vivre parmi les ombres et être l’assassin qui en faisait frémir plusieurs, car en cet instant, il était l’image du héros lumineux. Baigné par la lumière des astres de la nuit, il était le champion de Thaar dans toute sa gloire. Il semblait seul, mais Zaahrian savait qu’il ne l’était pas. Il attendit.

Vide, il régnait un silence presque surnaturel sur l'endroit. Au premier abords, bien que l'assassin ne s'y trompait pas, il semblait qu'il y était effectivement seul. Il n'y avait même pas de traces d'une quelconque activité hormis quelques grosses caisses certainement vidées ça et là, une ou deux machines casées, et quelques déchet laissant présumer que l'endroit avait dû servir d'abris de temps à autre...

-Ça fait beaucoup d’armes pour une discussion civilisée…

La voix qui résonna dans le grand vide de l’entrepôt trouvait son origine entre quelques grosses caisses de bois dans le fond, près d’une seconde entrée. Zaahrian devait probablement plisser les yeux et s’avancer un peu pour distinguer la silhouette du bandit appuyé contre l’une d’elle. Pourtant il n’était pas plus caché que cela et semblait simplement l'attendre. De toute façon, l’odeur du tabac qu’il tenait entre ses doigts le trahissait bien assez. Il était évident que le bandit avait déjà eu l’assurance que sa seule requête avait été assurée…D’ailleurs, sur un balcon au-dessus d’eux, l’on put entendre des petits pas rapides l’espace de quelques secondes. Il y avait avec eux une paire d’yeux fidèle et discrète qui n’hésiterais pas à donner l’alerte au moindre signe de danger.

Une seconde passa pendant laquelle le bandit souffla un petit nuage dont la fumée avait une odeur similaire à celle restée sur la lettre. Puis, approchant un peu et en sortant de l’ombre, Viliam toisa l’homme qu’il n’avait eu aucun mal à reconnaitre d’après les mots de son ami. Il était impressionnant, il fallait bien l’avouer. Cela était facile cependant lorsqu’on en avait les moyens… Bel homme, c’était certain. Semi-elfe, comme lui. L’espace d’un instant, Viliam se demanda si l’assassin faisait lui aussi partie de l’immense majorité des sangs mêlés qui n’étaient que le fruit d’une erreur ou d’une passade plus ou moins morale… Malgré ce que l’on en disait, être un sang-mêlé n’avait rien d’une bénédiction dans ces terres maudites. Peut-être y avait-il dans leur origine quelque chose de commun, qui savait ?

Alors que Zaahrian semblait au meilleur de son apparence, véritable statue vivante, Viliam ne semblait pas spécialement changé depuis le jour où il avait déboulé dans sa maison par accident, si ce n’était que cette fois-là, il n’y avait aucunes coupures fraiches sur sa peau brunie. Il était moins grand que l’assassin, mais d’une largeur d’épaule relativement similaires. Ses origines elfiques avaient tendance à se faire aussi absentes que son géniteur lui-même et si ce n’était à la pointe allongée de ses oreilles, on aurait eu du mal à le croire semi-elfe devant Zaahrian. Là où l’assassin était vêtu d’or et de soies, Viliam semblait n’avoir fait que le minimum syndical d’efforts. Ses vêtements étaient propres mais simples. Tout comme ses cheveux sombres étaient laissés libres. Quant à ses joues, elles ne laissaient entrevoir qu’une légère barbe de quelques jours. A son cou était noué le même bandeau blanc que Zaarhian lui avait déjà vu par deux fois. Enfin, entre quelques plis de vêtement, on devinait à sa poitrine une broche dont le centre était un oiseau stylisé aux ailes ouvertes, comme prêt à s’envoler.

Sans se départir d’une forme de nonchalance prudente, le bandit se permit même de tourner le dos au grand blond et tira deux chaises toutes simples jusque sous les lumières des deux lunes avant de faire signe de sa main libre pour lui intimer de s’asseoir sur l’une d’entre elle. Ensuite, il l’imita.

-Bien. Fit-il, la voix et le regard toujours aussi neutres et ne laissant passer aucune de ses réflexions.J’ai cru comprendre que tu voulais me parler. Ton moment est arrivé, je t’écoute.

Car non, cela n’était pas un piège. L’enfant qui les écoutait prudemment ne s’apprêtait pas à massacrer Zaahrian toutes dents dehors, Viliam n’avait sa rapière à la ceinture que par pure mesure de précaution. Pas de gardes à l’horizon, pas de poison dans un verre savamment proposé, pas de couteau prêt à saisir l’assassin dans le dos, rien. Viliam se contentait de le regarder en finissant de fumer le tabac et les herbes séché qu’il tenait.

Il faisait très noir et le silence qui régnait sur la place lui donnait l’impression d’être seul. Ce n’était pas le cas. Zaahrian entendit la voix depuis les ombres avec la nette impression qu’il la connaissait déjà.

« La lettre ne le spécifiait pas et puis nous sommes sur les docks en pleine nuit. Seul un idiot inconscient du danger s’y promènerait seul et sans moyen de défense. »

Et à deux coins de rue plus loin, Guilin l’attendait dans une taverne. Zaahrian espérait qu’il ne s’y attirerait pas d’ennuis, mais l’assassin était de ceux qui, rien qu’en respirant, pouvaient provoquer la bagarre. Combien de fois lui avait-il dit de sourire plus souvent et, surtout, d’arrêter de toiser les gens du regard ?

Il sentit l’odeur du tabac avant de le voir. Sa silhouette se découpait contre le mur, sa posture démontant une certaine nonchalance. Il ne paraissait pas nerveux. Zaahrian entendit ensuite des bruits de pas en hauteur, trop légers pour être ceux d’un adulte. Avait-il vraiment amené un enfant ici ? Certes, un enfant sera plus rapide et plus difficile à attraper qu’un homme, mais ce n’en était pas moins dangereux. Y’avait-il quelqu’un d’autre ? Il se concentra, tendant l’oreille au maximum dans le but de percevoir le moindre bruit qui trahirait une autre présence, mais il n’entendit rien de plus que les pas de son interlocuteur qui venait vers lui.

À son étonnement, il connaissait ce visage. Il était celui qui s’était introduit par accident dans sa maison et celui qu’il avait aussi juré de tuer si leurs routes se croisaient à nouveau. Zaahrian aurait préféré que ce soit quelqu’un d’autre, mais au fonds, il n’était pas non plus spécialement surpris. Il s’en était douté sans le savoir. Il l’observa avec une franche curiosité. Quelque chose chez lui n’était pas sans lui rappeler Guilin. C’était peut-être l’absence de sourire ou sa nonchalance. Quoi qu’il en soit, il n’était pas inquiet. Soit il lui faisait confiance, soit il s’était préparé à toute éventualité. Zaahrian imagina sans peine la présence d’un archer invisible, son arc bandé, une flèche pointée sur lui, prête à fendre l’air et lui percer le cœur à la moindre menace. L’assassin préféra ne pas y penser ; la cuirasse n’était pas là sans raison.

Nullement inquiet, l’homme lui tourna même le dos et tira deux chaises, faisant signe à Zaahrian de s’y asseoir. Il sourit devant l’audace et il s’y installa non sans la faire craquer le meuble d’un autre âge sous son poids. Elle n’allait quand même pas lâcher ? Peut-être qu’il se dériderait un peu à voir l’assassin se vautrer sur le sol. Voilà une façon efficace de faire voler en éclat l’image qu’il montrait depuis son arrivée. Heureusement, elle tint bon et Zaahrian croisa les bras sur sa poitrine. Contrairement à Vil, il ne l’avait pas quitté des yeux. Son entraînement refusait de sous-estimer un homme même si tout dans son langage corporel indiquait qu’il n’était pas une menace. Vil était peut-être aussi bien entraîné que lui bien qu’il en doutât.

« Quelle surprise, avoir su que c’était toi… » Il laissa sa phrase en suspens et sa bouche se courba brièvement, faisant la moue avant de sourire à nouveau. « Oui, je veux discuter. Je veux entendre ce que tu as à dire. Ton groupe commence à faire du bruit. Après ce qui est arrivé au marché, ça n’a rien d’étonnant. Des gens y sont morts, certains étaient innocents malgré ce que tu peux en penser. Je veux comprendre les raisons derrière le geste bien que j’en ai une petite idée. Qu’est-ce que tu espères accomplir en semant le chaos ? »

-Donner une chance à ceux qui n’en ont jamais eu. Comme l'a désiré la Damedieu lorsqu'elle offrit le choix et la liberté à tous. Répondit-il, les yeux brillants de conviction mais aussi eut être aussi d’une certaine colère dirigée vers ceux qu’il considérait l’ennemi véritable. Tu sembles parler du marché comme s’il était une fin en soi. Un soupir et il se pencha un peu. C’était un message. Le chaos est déjà là, Zaahrian et nous ne l’avons pas semé, nous le redirigeons vers ceux qui en sont les auteurs. Le chaos, il est dans chaque rues de la basse ville que les Princes siphonnent sans arrêt, et dans chaque arrière-boutique des bordels des lanternes. L’Itrih’vaan est gangréné et tout ce que nous cherchons à faire c’est d’en stopper la propagation en éradiquant le mal à sa racine. A notre échelle ce n'est peut être encore rien, mais ce n'est que le début. Se recalant sur sa chaise, il laissa passer un silence avant de continuer, la voix toujours froide devant un constat qu’il avait fait mille fois déjà. Des morts il y en aura, des morts innocentes aussi et je le regrette de tout mon Souffle. J’ai une règle et mes hommes sont tenus de la respecter : Nous ne cherchons pas à atteindre la population innocente puisque nous voulons lui profiter à long terme. Nous ne perpétrons ni abus de pouvoir, ni massacre, ni viol. Jamais.

Et sur ces trois points, Viliam était intraitable quoi que l’assassin puisse en penser et son visage s’était fermé rien qu'à l’idée. Si l’un de ses hommes s’adonnait à des pratiques cruelles, injustifiées et dépassait les limites établies, alors il était puni à la mesure de ses actes et réprouvé par l’Aile Blanche. Ni plus ni moins. Ils étaient des hors la loi mais jamais ils ne seraient des meurtriers ou des violeurs. Pas tant que Viliam était en vie pour l’empêcher.

Pour ce qui était des innocents morts sur le marché…Déjà, Viliam doutait de l’innocence de personnes présentes dans un lieu servant à perpétuer autant de souffrance. N’était pas si innocent qui cherchait à se procurer un être humanoïde comme s’il s’agissait de faire ses provisions de légumes… Et dans un second temps, il n’était pas responsable des faits et gestes de tout à chacun justement. Leur mission avait été simple et précise : semer la panique et incapaciter les structures tout en libérant un maximum des véritables victimes du champ de mort. Tous avaient eu la consigne d’éviter les rixes directes avec la garde, et tous avaient fuis dès que possible.

-Ça en tête, crois que si on commençait à faire le compte des victimes d’un côté et de l’autre, les méchants ne seraient peut-être pas du côté auquel tu penses. Ajouta-t-il avec un léger sourire plein d'ironie.

Zaahrian était d’accord sur certaines choses. Il y a dans cette ville des gens qui n’ont aucun droit de parole et encore moins celui de disposer de leur corps selon leur propre volonté. Il était lui-même coupable de ce crime, sa maison fonctionnant grâce au travail d’une poignée d’esclave. Il les traitait bien, probablement mieux que la vaste majorité, mais ils n’en restaient pas moins des esclaves sur papier. Quant au chaos régnant sur cette ville… Oui, Thaar était une ville chaotique. Il était partout, à chaque coin de rue, mais il serait faux de le croire toujours mauvais. Il serait tout aussi utopique de croire qu’on pourrait le chasser. Tout était une question d’équilibre et voilà pourquoi Zaahrian se battait : le maintenir afin d’éviter les débordements. Vil, dans son désir de justice, menaçait cet équilibre et pas pour le mieux.

« Il est intéressant que tu mentionnes la Damedieu, mais j’aurais dû m’en douter. Après tout, on la représente parfois sous la forme d’ailes blanches. C’est vrai, le chaos est déjà là. Il a toujours été là, depuis aussi longtemps que je m’en souvienne, mais combattre le chaos par le chaos… Ce n’est pas vraiment dans les Dogmes de la déesse. Je crois plutôt que c’est Arcam qui s’en délecte. La déesse prône plutôt l’absence de conflit et la médiation de même que le respect de la vie et sa protection. » Il se gratta le menton, réfléchissant. « Je suis désolé, on m’a déjà imposé des leçons de théologie il y a longtemps sous prétexte que ça pourrait m’être utile dans le cadre de mon travail. Tu sais, au cas je devais me faire passer pour un prêtre. Ce n’est jamais arrivé. Je ne crois pas que le costume m’irait très bien. » Ajouta-t-il avec un sourire.

Il avait déjà entendu ce discours avant. Vil n’était pas le premier à vouloir débarrasser Thaar du mal qui la ronge. Malheureusement, ça ne s’était jamais bien terminé pour ces héros. La ville est sans pitié pour ces idéalistes, ceux qui ne comprennent pas vraiment comment elle fonctionne. Zaahrian était presque triste pour lui. Avoir un but aussi inatteignable, aussi mortel. Pourtant, il pourrait faire une véritable différence s’il s’y prenait correctement, s’il acceptait son impuissance et se concentrait sur ce qu’il pouvait réellement accomplir. Il pouvait aider les gens, mais il ne pouvait pas tous les sauver.

« Tu as tué des innocents. Enfin, tu as tué au moins une personne innocente. Pour le reste, j’en ai aucune idée. Refuse de le croire si tu le veux, mais je l’ai vu. Au marché, le bordel que vous avez provoqué à créer un mouvement de panique et des gens ont été piétinés. Parmi eux, une vieille dame qui avait l’habitude de travailler au marché, pas celui des esclaves. Elle vendait des mangues avec sa famille. Une vieille dame absolument adorable, mais qui ne s’en laissait pas imposer. Elle aurait dû mourir dans son lit entouré des gens qu’elle aimait, mais elle a plutôt fini sous les pieds de gens affolés. C’est vrai, ce n’est qu’une personne. Combien d’autres sont morts par la volonté d’un maître ? Beaucoup. Je suis d’accord avec toi, quelque chose doit être fait, mais le problème avec tes méthodes, c’est que tout le monde devient coupable juste en étant au mauvais endroit. Retourne au marché, il se trouve au croisement de plusieurs routes. Quelqu’un pouvait simplement passer par là. Qui voudrait passer par là ? J’en sais rien, mais si la personne est pressée et que c’est le chemin le plus court. Tes principes sont admirables, mais ils ne veulent plus rien dire si tu acceptes le fait qu’il y aura des morts innocentes de toute façon. »

Ses paroles étaient dures, mais vraies. Il voulait lui faire comprendre ses lacunes, ce qui n’avait pas de sens entre ce qu’il souhaitait accomplir et ses méthodes.

« Tu vas mourir, tu le sais ça ? Ce n’est qu’une question de temps avant que quelqu’un se présente à moi avec une importante somme d’argent en me demandant de lui ramener ta tête. Et si ce n’est pas moi, ce sera quelqu’un d’autre qui n’aura peut-être pas envie de discuter lui. C’est ce qui est arrivé à Ren quoique le motif ne fût pas vraiment le même. D’autres ont voulu la même chose avant toi et n’ont pas réussi. Si tu veux vraiment faire une différence, faudra que tu acceptes que tu ne puisses pas aider tout le monde, que tes actions doivent être précises, viser une personne à la fois. Accepter aussi que même en faisant cela, quelqu’un d’autre viendra prendre sa place et ce quelqu’un pourrait être pire. À Thaar, il y a toujours quelqu’un prêt à prendre ta place. Les esclavagistes que vous avez éliminés ont déjà été remplacé. Je sais que tu ne veux pas entendre ça, mais c’est nécessaire pour que tu restes en vie plus longtemps et que tu en aides d’autres. »

-Oui, Zaahrian, je le sais.

Peut-être qu’en portant une dernière bouffé de tabac à sa bouche, l’assassin pouvait-il entrapercevoir les cicatrices dépassant de sa manche et prolongeant son avant-bras droit. Viliam savait quel était son probable sort demain, dans dix jours ou dans un an. Mais il semblait s’être fait une raison. Comme il s’était fait une raison par deux fois de vivre une vie qu’il ne désirait pas.

Le regard du bandit s’était relevé vers le balcon du bâtiment. Sans doute pensait-il à l’enfant qui l’avait traversé tout à l’heure. Ecoutait-il encore ou guettait-il un peu plus loin ?

-Nous ne sommes ni des héros ni des saints. Finit-il par ajouter en retrouvant le regard de l’assassin. Et nous le savons. Moi le premier. Est-ce qu’on accomplira nos ambitions… ? Il y eut un autre silence, un regard au plafond, puis de nouveau un regard vers Zaarhian. Non. Je ne le pense pas. Pas… dans leur entièreté tant que nous sommes ce que nous sommes. Mais les vies que nous avons pu épargner et changer jusqu’ici n’en sont pas moins importantes et certains ont besoin de cet espoir. Ajoute-il en secouant la tête... La majorité de mes compagnons sortent de la Tourmente pure et simple et en porterons la marque pour le restant de leurs jours. Et pourtant, ils finissent parfois par arriver à se relever quand on leur tend la main. Quand je vois le garçon que tu as rencontré, parler, rire même, et...juste prendre le temps de simplement vivre, comment veut-tu que je pense à rester passif et attendre, Zaahrian ? Oui, je suis néérite et je connais les dogmes. Apprit par cœur à coup de bâton, oui ils les avaient particulièrement bien retenus… Mais nous n’avons pas le temps de toujours chercher un dialogue impossible. Et pourtant c’est ce qu’il faisait maintenant. Et ce qu’il avait essayé de faire pour Egar. Ce que, sans que Viliam ne le sache à l’époque, Ren avait tenté de faire face à sa propre famille. Ce qu’ils tentaient toujours, en vain. J’ignore si tu as des enfants ou une famille ou si tu comptes en avoir une, un jour. Si c’est le cas, de ce que j’ai vu de toi je pense que tu ne supporterais pas de voir sur eux les marques que j’ai pu voir toute ma vie. Tu n’as pas spécialement l’air contre nos idées, Ren ne m’a pas dépeint un portrait bien différent en tout cas et l’ai déjà dit, le marché n’était qu’une façon de frapper fort, d’envoyer un message. Puisque nous sommes ici tous les deux, il a fonctionné. Nous savons où sont nos cibles et on fait tout pour qu'il n'y aient qu'elles qui tombent. D'ailleurs je sais de source sure que l'une des principales cibles de l'autre jours à actuellement disparue. Ses...Marchandises...sont à l'heure qu'il est protégées et seront bientôt tranquilles pour le restant de leurs jours. Comme les filles que tu as vue n'aurons plus jamais à craindre d'hommes là où elles sont désormais. Alors, encore une fois, je t’écoute : Donne-moi d’autres solutions concrètes pour épargner ceux qui ne demandent rien tout en aidant autant de gens qui souffrent. Donne-les-moi et je jure sur Nééra que je n’y serais pas sourd. En attendant, l’inaction c'est pire que la mort.

Zaahrian croyait au départ que Vil était complètement déconnecté de la réalité, mais en vérité, il avait parfaitement conscience de ce qu’il faisait. Il comprenait que son but était réalisable. Il savait qu’il risquait d’y laisser sa peau, que c’était même une certitude, pourtant, ça ne l’arrêtait pas. Même si ses actions n’aidaient qu’une poignée de personne, c’était toujours ça de gagner. D’un autre côté, le désespoir poussait parfois les hommes à la folie. N’ayant plus rien à perdre, ils posaient des gestes aux conséquences désastreuses et c’est ce que Zaahrian souhaitait éviter. Il n’était pas là pour condamner, mais simplement pour éviter plus de chaos.

« Je ne suis pas contre vos idées, je veux simplement éviter qu’il y ait encore plus de chaos dans cette ville. J’aime Thaar profondément. C’est ma maison. Est-ce qu’elle est parfaite ? Non, pas du tout, mais je ne le suis pas. Thaar ainsi que l’Ithri’Vann de façon générale se trouve dans une position particulière. D’un côté nous avons la Péninsule qui ne cesse de nous envoyer ses déchets tout en dépendant étroitement de notre commerce. Ils nous détestent, mais ils ont besoin de nous. Puis de l’autre, il y a le Puy et les drows qui rêve de contrôler ce territoire. La seule chose qui nous évite d’en prendre plein la gueule, ce sont les Princes Marchands. Le jour où ils vont commencer à avoir des problèmes à l’interne, que la stabilité sera menacée, les choses pourraient vraiment mal se terminer pour les habitants de cette ville. Nous n’en sommes pas là encore et nous en sommes peut-être très loin, mais ce qui est arrivé au marché me montre que ça pourrait arriver et je ne peux pas permettre ça. Je comprends ta cause, mais il y a des situations où nous devons faire des choix impossibles. Après tout, tu es en train de me dire que tu te moques de ta propre vie. Il y a eu une période où je me moquais bien de vivre ou de mourir et j’étais tellement dangereux. Je cherchais la bagarre constamment, j’étais ivre la moitié du temps et j’ai baigné les rues de cette ville de sang. Le désespoir rend infiniment dangereux… »

Il soupira. En parlant, ses épaules s’étaient voûtées. Il se redressa puis leva les yeux vers le trou dans le toit et le ciel étoilé qu’il laissait apercevoir.

« Le problème, c’est qu’il n’y a pas de solutions à moins d’être prêt à cibler une grosse tête tout en t’assurant que le remplaçant aura la même vision que toi. Tu accumules les petites victoires, mais finalement, ça ne changera rien. Tu frappes et laisse le hasard faire le reste. Ce qu’il faut, c’est changer les mentalités et ça, ça prend du temps, surtout si nos têtes dirigeantes sont pour la plupart des semi-elfes avec une espérance de vie de quelques centaines d’années. Le changement vient avec les nouvelles générations. Il n’y a même pas d’institutions pour garantir la liberté des esclaves libérés. Tu peux en laisser un partir, mais rien ne dit qu’il ne sera pas capturé plus loin et c’est sans parler de ceux qui acceptent volontairement de devenir esclaves dans l’espoir de racheter une dette ou éviter au reste de leur famille de subir le même sort. C’est profondément ancré dans les mentalités, même moi j’en suis coupable. J’en ai une poignée pour s’occuper de ma demeure. Je pourrais leur faire un joli papier avec ma signature pour dire que je les libère, mais quelle garantie ça leur donne après ça ? Un papier n’effacera pas leur marque d’esclave bien que si ça vient de moi, je suppose que ça en découragera certain de vouloir les reprendre. Donner l’espoir à quelqu’un, c’est extraordinaire, mais l’espoir peut être un cadeau empoisonné et mener à plus de souffrance encore. »

Tandis que la discussion avançait, Viliam ne semblait pas avoir changé d’attitude, s’appuyant sur le dossier de sa chaise et toisant calmement son interlocuteur comme s’il n’avait pas s’agit de l’homme qui avait juré sa mort à peine un mois plus tôt.

-Les princes marchands ne tiennent pas l’Itrhivaan. Fit-il avec un petit sourire en coin, un peu amère. Ils se couchent à peine les puysards pointent-ils le bout de leur nez. Viliam secoua la tête. Si on les payait assez pour ça, ils laisseraient Thaar brûler et s’en laveraient les mains. C'est ce qu'ils ont  fait à Sol Dorn, et ce qu'ils ont laissé faire à Naëlis. Non, si tu veux mon avis, ils ne sont pas plus utiles que des punaises de lit. Sauf qu’ils ont les moyens de faire croire qu’il en est autrement. Un silence et une bouffée de tabac plus tard, il ajouta. Preuve en est, le prince de Baaz’hima est mort il y a peu, et qu’est-ce que ça change ?

Absolument rien. Zaahrian disait vrai lorsqu’il expliquait que ce genre de personne était vite remplacée. Mais cela ne prouvait-il pas leur inutilité en tant qu’individus ? Thaar serait-elle vraiment menacée en l'absence d'un conseil de toute façon aussi indigent ?

-Quant au changement de mentalité dont tu parles…Il se fendit d’un bref sourire et souffla. Il faut bien donner l’impulsion. D’une façon ou d’une autre. Naëlis ne s’est pas créé dans l’amour et la paix et pourtant il est le meilleur modèle vers lequel nous devrions nous tourner actuellement. La violence est malheureusement nécessaire puisqu’il n'existe pas de dialogues possible. Et non, on ne frappe pas au hasard. Nos cibles sont plus précises que tu ne le pense. Seulement nous avons besoin de temps et de moyen avant de frapper plus haut et plus fort. Temps qui nous manque autant que nous manquons d’alliés. Le bandit pointa son interlocuteur du doigt. Toi, héro de Thaar que tu es, tu pourrais nous aider si tu le voulais. Oui, tu pourrais libérer les gens que tu forces à te servir par exemple. Tu as de l’influence. Ça ne passerait pas inaperçu et ça questionnerais. Deux pierres deux coups : tu permets de faire quelque chose de bien dans cette ville, et tu en minimise le chaos et les dégâts collatéraux. Quand à ce qu’il adviendrait d’eux, hé bien ils ne seraient pas les premiers à cacher leurs marques, si tes démarches ne suffisent pas. Il faut rester honnête, la vie d’ancien esclave, affranchi ou non n’est pas une sinécure. C’est dangereux, c’est une vie durant laquelle tu ne t’arrêtas jamais de regarder derrière ton épaule même avec assez d'argent pour effacer tout ce que tu veux de ta peau. Mais je peux t’assurer que bien des gens préfèrent cette vie si on leur offre le choix, même parmi ta poignée d'esclaves.

A nouveau il fixa le balcon, pensif.

-L’espoir est une chose compliquée...

Vil avait une vision plutôt cynique des Princes Marchand ce qui lui arracha un sourire. Zaahrian travaillait régulièrement avec eux bien qu’il gardât ses distances depuis quelque temps en raison de sa fille. Habituellement, les contrats qu’ils offraient étaient aussi généreux que dangereux, parfois au point où le risque n’en valait pas la peine. À ses yeux, du moins, ça en valait plus la peine.

« Tu n’as peut-être pas tort, mais ce sont avant tout des marchands et, en règle générale, la guerre est coûteuse pour eux. Certes, certains sauront tirer leur épingle du jeu si un conflit éclatait. Je pense surtout à Maralina qui tient sa fortune de la vente d’esclave et de ses bordels. D’ailleurs, je devine qu’elle doit être ta meilleure amie présentement. Je te comprends, elle est détestable, mais elle n’est pas la pire à mon avis. Bref, s’il y a quelqu’un qui trouverait le moyen de rendre une guerre profitable, c’est elle, mais c’est peut-être moins vrai si un conflit éclatait contre les drows. Si jamais ils décidaient de prendre la ville, ils ne vont pas laisser le pouvoir actuel en place, ils vont l’éliminer. » Il haussa les épaules. « Je peux donc comprendre pourquoi ils sont si enclins à ramper à leurs pieds plutôt que de leur offrir une vive opposition. Pour l’instant, ça semble être une stratégie qui fonctionne, Thaar étant encore indépendante. Ce n’est pas très glorieux ni inspirant, mais parfois, se coucher au sol en montrant son ventre comme le ferait un chien permet d’éviter des conséquences plus fâcheuses qu’un orgueil amoché. Les Princes Marchands n’apparaissent pas comme une menace pour les drows qui voient chez eux une certaine utilité en tirant profit du commerce en place. Peu importe comment ils s’y prennent, l’important c’est qu’il n’y ait pas de guerre, non ? Et je suppose que le jour où les Princes Marchands auront l’impression que leur position est menacée, ils trouveront une manière de se défendre et qu’ils seront très créatifs dans leur façon de faire. »

« Quant à Naélis. » Zaahrian se gratta distraitement le menton, réfléchissant. « Tu compares réellement la situation actuelle avec ce qui est arrivé à Naélis ? Ce sont des nobles péninsulaires qui ont profité du bordel en Ithri’Vann pour étendre leur influence ici ! Ils ont fini par déclarer leur indépendance, fâchant le roi qui leur a déclaré la guerre. Finalement, les drows s’en sont mêlés et ont contrôlé la région pendant un temps jusqu’à ce que cet homme… J’ai oublié son nom. Je crois que c’était Hereon ou un truc du genre, débarque avec une petite armée de 1000 mercenaires à ses côtés. Ils ont gagné, mais cet homme était considéré comme un criminel en Péninsule. J’imagine que ça fait rêver de voir quelqu’un comme lui devenir roi. Il n’est pas mort, lui ? Cela étant dit, il avait un avantage de taille contrairement à toi : ses hommes. Il n’aurait pas pu gagner sans des hommes ayant fait leur vie avec une arme au poing, chose que tu n’as pas ou pas en nombre suffisant. »

Zaahrian avait l’impression que cette conversation ne mènerait à rien. Il comprenait Vil, mais il ne pouvait pas le voir autrement que comme un idéaliste. Un idéaliste conscient qu’il n’arriverait probablement à rien, mais qui était prêt à mourir en tentant quelque chose. Admirable et stupide. Mort, on ne pouvait plus rien faire. Vil ferait beaucoup plus de bien à cette ville en restant vivant.

« Je crois que tu surestimes mon influence. Je ne pense pas que libérer mes esclaves va changer quelque chose, sauf peut-être pour eux, je suppose. Et puis, mes esclaves ne sont pas prisonniers. S’ils veulent partir, ils peuvent le faire, sans problème. Je ne sais plus combien j’en ai perdu depuis que j’ai cette maison et je ne les pourchasse jamais. Au début, je n’avais que des esclaves masculins choisis pour leur belle apparence et ils sont tous partis à l’exception de deux. J’en ai racheté et je continue de le faire à l’occasion, car il y en a toujours un ou deux qui finissent par partir. Ça s’est calmé depuis quelque temps. Je suppose que s’ils restent, c’est parce qu’ils n’ont aucun endroit où aller et que leur vie est nettement plus confortable sous mon toit que dans les rues. »

Il regarda Vil dans les yeux.

« Je pourrais les libérer. Je pourrais leur écrire un papier avec ma signature et tout. Je peux même leur proposer un salaire pour qu’ils rentent s’ils le veulent ou leur payer le voyage s’ils préfèrent partir. Ce n’est pas un inconvénient sachant que je paie déjà pour leur nourriture et les vêtements qu’ils ont sur le dos de toute façon, mais tu sais aussi bien que moi qu’il n’y a rien pour garantir leur liberté. Ce bout de papier ne sera pas reconnu et je refuse de servir de modèle, parce que je ne veux pas être associé à vos actions ce que beaucoup assumeront vu qu’il n’y a personne qui libère ses esclaves. Ils vont penser que je cautionne vos actes, pire, que j’y participe. Ça fera de moi une cible et je refuse. Tu dis te moquer de ta propre vie, mais je tiens à la mienne et à celle de ceux qui vivent sous mon toit. J’ai déjà un mode de vie à risque, inutile d’en ajouter. Je suis désolé. »

-Alors je crois que nous en avons terminé.

Le ton était bien plus froid et sec alors que la dernière réplique de l’assassin avait fait se fermer le visage de son interlocuteur. Les dents serrées, Viliam soutint le regard de Zaahrian. Ses prunelles sombres brillaient d’une rage sourde. La nonchalance de l’assassin l’écœurait. Etait-ce si dur de considérer la vie et la volonté d’autrui comme allant de soi ? Etait-ce réellement si honteux ?

« Au début, je n’avais que des esclaves masculins choisis pour leur belle apparence et ils sont tous partis à l’exception de deux. J’en ai racheté et je continue de le faire à l’occasion, car il y en a toujours un ou deux qui finissent par partir. »

Ces deux petites phrases à elles seules avaient suffi à convaincre Viliam. Elles lui donnaient des frissons. C’était là absolument tout ce contre quoi il avait dédié vingt ans de sa vie. Toute sa liberté arrachée du bout des ongles. Ça tenait en ces deux petites phrases au goût acre.

Le plus simplement du monde il se leva. Il était tendu par la colère mais il ne fit aucun geste agressif envers Zaahrian. Il n’était toujours pas là pour se battre. L'assassin n'avait pas de solutions viables. Il ne se rendait pas compte du mal qu'il causait et de la simplicité avec laquelle il pouvait, si ce n'était rectifier cela, au moins influer un peu sur le cours des choses. Alors, comme il l'avait écrit plus tôt, Viliam ne leur ferait pas perdre plus de temps.

-J’espère qu’un jour en fixant tes esclaves droits dans les yeux et en leur répétant ces mêmes mots, tu comprendras Zaahrian. Souffla-t-il, avec sincérité. En attendant, pour ce que tu as fait pour Ren et pour Egar, j’espère que nous ne nous recroiseront pas.

Car cette brève trêve ne pourrait durer. Un jour ou l’autre, les armes seraient tirées et ils ne pourraient plus faire marche arrière, Viliam en était tristement persuadé. Il regrettait sincèrement cette situation. Le blond avait certainement un bon fond et l'espace d'un instant le bandit avait-eut le fol espoir d'un début de quelque chose. Malheureusement cet espoir semblait s'être éteint aussi vite qu'il était né.

Zaahrian cligna des yeux. Vil le surprenait. Il ne s’était pas attendu à provoquer une telle réaction en disant cela et pourtant, il aurait dû s’y attendre en parlant avec un tel détachement, comme s’il s’en moquait alors que ce n’était pas le cas. Il avait touché chez Vil qui n’était pas content. Ils étaient deux dans ce cas. L’assassin se leva à son tour, mais resta là où il était.

« Non, je ne crois pas. » Rétorqua-t-il d’une voix calme.

Il pencha la tête de côté, le geste plus animal qu’humain lorsque Vil le défia de répéter ces mêmes mots en regardant ses esclaves dans les yeux.

« Tu crois que je m’en moque ? Il faut vraiment mal me connaître pour s’imaginer une telle chose de moi. Pour y remédier, je vais te raconter une histoire connue d’une poignée de personne seulement. Je vais te la partager en espérant qu’à la fin, tu comprennes ma façon de penser. Ne bouge pas et écoute-moi. Pour ceux qui seraient présents, » Dit-il en élevant brièvement la voix, « Tendez bien l’oreille, car je ne me répéterai pas. »

Sa voix était froide, sa rage contenue. À la lumière des lunes, ses yeux brillaient. Un sourire se dessina sur son visage, le sourire de l’assassin.

« Il était une fois, une herboriste voyageant avec une caravane de marchands ambulants à travers tout l’Ithri’Vann et parfois même au-delà de ses frontières. Son parfum était celui des herbes qu’elle cueillait et elle aimait piquer des fleurs dans ses boucles. Elle menait une vie simple sur la route, mais jamais le sourire ne quittait ses lèvres. Un jour, elle croisa la route d’un elfe grand, fort et immortel. Son nom était Halandarin. Elle tomba amoureuse et lui aussi, une union improbable pourtant bien réelle qui fut rapidement bénie par l’annonce d’une grossesse. Malheureusement, leur bonheur fut de courte durée. Un jour, une vicieuse créature les attaqua et, dans le chaos qui s’en suivit, les amants furent séparés. Halandarin les imagina tués durant l’attaque, elle et l’enfant, et elle imagina le même sort funeste pour son amour. Ils reprirent chacun le cours de leur vie, lui avec le souvenir de l’humaine qu’il aimait et elle avec l’étincelle de vie en son ventre, la seule trace du passage de son compagnon disparu.

« Quelques mois plus tard, dans les cris et la douleur, elle donna naissance à un petit garçon aux cheveux blonds comme son père et avec les oreilles légèrement en pointe, un rappel du sang immortel qui coulait dans ses veines. Elle était encore triste d’avoir perdu Halandarin, mais en tenant l’enfant dans ses bras, elle sentit son cœur déborder d’amour si puissant que la douleur en son cœur s’atténua. Elle n’était plus seule, j’étais né. »

Il racontait cette histoire tel un conte, mais chaque mot était vrai.

« Mais une fois encore, son bonheur fut de courte durée. Les autres gens de la caravane commencèrent à la mettre en garde. Le sang d’immortel dans mes veines me garantissait une très longue vie, mais ça signifiait aussi que je ne grandirais pas comme les autres enfants. Elle craignait par-dessus tout de mourir avant que je ne sois entièrement indépendant. Elle ne savait pas qu’il faudrait du temps avant de vraiment voir une différence entre moi et les autres, mais la peur est une bien mauvaise conseillère. Alors elle se mit en quête de quelqu’un qui pourrait s’occuper de moi le moment venu et elle le trouva, un demi-elfe comme moi aux manières infiniment charmantes et au sourire ravageur. Il s’appelait Daeron. Il la fit sentir comme si elle était la femme la plus importante du monde à ses yeux et quand il lui demanda de l’épouser, elle accepta. Après tout, il avait juré du même souffle qu’il prenait soin de moi comme si j’étais son propre fils. Elle ne le savait pas encore, mais elle se trompait. Il lui avait menti sur toute la ligne et avait profité de sa peur pour lui prendre ce qu’il voulait vraiment, moi. »

« Daeron était un maître assassin et il recherchait des demi-elfes pour en faire des armes à son image. À ses yeux, nous étions le meilleur des deux mondes. Alors il parcourait l’Ithri’Vann à la recherche de bâtards pour les prendre sous son aile. Parfois, il allait même jusqu’à les arracher au berceau de leurs parents pour les confier à des femmes comme ma mère qui étaient tombées sous son charme et qui n’arrivaient pas à s’en défaire. À cause de ses connaissances des plantes, elle devint son empoisonneuse. Moi, je devais maintenant survivre à l’entraînement brutal qu’il imposait à ses recrues. »

Le regard de Zaahrian se fit lointain alors que les souvenirs de cette époque lui revenaient à la mémoire.

« On pourrait croire qu’une mère ferait tout afin que son enfant évite un tel destin, mais j’ai appris avec les années qu’un esprit peut être manipulé à un tel extrême qu’il est très difficile de ramener la personne dans la réalité. Les recrues plus faibles qui échouaient aux tâches imposées étaient exécutées devant nous. Ils devaient servir d’exemple, nous encourager à dépasser les limites de nos corps et de nos esprits. Éventuellement, le meilleur d’entre nous s’en chargeait à la place de Daeron. C’était une façon de nous briser, de s’assurer qu’on obéirait à tous ses ordres sans discuter. J’étais encore un enfant quand j’ai dû tuer l’un de mes compagnons pour la première fois. Il avait refusé de faire quelque chose. Il connaissait la conséquence, mais il avait choisi la mort. Est-ce que ça fait de lui un lâche ? Je me suis toujours posé la question, mais moi j’avais choisi la vie. Je ne voulais pas mourir, alors je l’ai tué. Je me souviens encore comment je l’ai tenu par l’épaule et comment il s’est laissé faire, mais quand la lame est rentrée dans son corps, un cou sec juste là sous le sternum, légèrement vers le haut pour atteindre son cœur. La mort la plus rapide que je pouvais lui offrir. Par la suite, j’en ai tué plusieurs autres. Est-ce que ça fait de moi un monstre d’avoir voulu vivre ? À mes yeux, c’était la seule liberté que je pouvais leur offrir. La seule libération que Daeron accordait. »

« Je suis devenu le meilleur. J’étais son arme la plus efficace, mais également la plus imprévisible, car il n’a jamais réussi à me briser entièrement, même après m’avoir obligé à creuser la tombe de ma mère à sa mort. À mes côtés, j’avais mon frère. Il ne l’était pas au sens strict du terme, mais nous avons grandi ensemble et traverser les mêmes épreuves. Ça nous a unis bien plus sûrement que n’importe quel lien de sang aurait pu le faire. Ensemble, nous étions inarrêtables, mais nous étions à la merci de Daeron. Il acceptait les contrats et nous envoyait éliminer les cibles les unes après les autres. Tant de sang a coulé et on ne posait jamais de question, être trop curieux aurait été dangereux. Une fois encore, je voulais vivre. J’étais prêt à fermer les yeux sur beaucoup de choses simplement pour le plaisir de sentir mes poumons se remplir d’air, le soleil réchauffer ma peau ou encore de manger un bon repas dans une taverne où résonne les rires. Je devais être un monstre d’égoïsme. J’en étais venu au point où donner la mort ne me dérangeait plus. Je m’étais convaincu que ces gens méritaient leur sort. Puis un jour, tout changea. »

Il soupira. À force de parler autant, il avait la bouche sèche et il n’avait pas pensé a amener de l’eau.

« Je ne vais pas parler de lui en respect à sa mémoire, car j’ai échoué à le garder en vie. Disons seulement qu’il est le premier contrat que j’ai refusé de faire, mais Daeron envoya un autre assassin pour vérifier que j’avais fait le boulot. Voyant que je n’étais pas très disposé à le faire, l’autre assassin s’en chargea. Je suis rentré dans une rage terrible. J’ai décidé de le tuer et je me moquais de perdre la vie en le faisant. C’est la première fois, je crois, où je voyais ma propre mort comme un prix raisonnable à payer. Je voulais être certain qu’il meurt, alors je l’ai empoisonné avec une concoction de ma mère. Je l’avais versé dans son vin que j’ai bu aussi. J’ai recraché, mais j’en avais quand même suffisamment dans le corps pour que ce soit dangereux. J’ai fini par perdre connaissance, mais pas avant de lui trancher la gorge. »

« À mon réveil, mon frère était à mes côtés. Les autres assassins s’étaient enfuis et il ne restait que les jeunes apprentis trop jeunes et trop terrifiés pour savoir quoi faire. Nous étions libres, mais je crois qu’on ne peut pas être vraiment libre après avoir vécu ce que j’ai vécu. Tuer est la seule chose que je sais faire. Je suppose que je suis bon pour raconter des histoires. Celle-ci est vraie, je te l’assure. C’est mon histoire… Aujourd’hui, je ne peux pas regarder quelqu’un sans imaginer la meilleure façon de le tuer. Pourtant, je peux utiliser ce talent pour faire quelque chose de bien. J’ai décidé de défendre cette ville, pour le meilleur et pour le pire. Quand cet elfe a attaqué Thaar, j’étais là quand le Guet a failli à sa tâche. J’ai appris par la suite que cet elfe était là pour tuer mon père. Je ne savais pas qu’il était en ville. Nous nous étions retrouvés peu de temps avant. Je le détestais, croyant qu’il avait violé ma mère. Elle ne parlait jamais de lui, alors j’ai imaginé le pire. J’ai été blessé durant l’attaque, on m’a appris la vérité à mon réveil. Pour la deuxième fois de ma vie, j’étais prêt à sacrifier ma vie pour tuer quelqu’un. Cette mort a fait de moi un héros, alors que j’avais agi de façon purement égoïste. »

Il gloussa de rire.

« Ils voulaient me récompenser. À la blague, je leur ai dit que je voulais une maison avec plein d’esclaves séduisants, de l’argent et une sculpture de nu au marché. Ils ont dit oui à tout, je ne m’y attendais pas. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé dans cette maison avec les esclaves et je ne savais pas quoi faire. Ils étaient là à me regarder et je les regardais aussi. Je les possédais, ils étaient à moi, mais ça me faisait bizarre. Daeron disait tout le temps que j’étais à lui, que j’étais sa chose, son arme. Alors, quand l’un d’eux avait le courage de s’enfuir, je le laissais faire. Ça encourageait les autres à faire de même. Je ramenais d’autres esclaves, mais la porte était toujours ouverte. Je suppose qu’ils sont beaucoup plus courageux que moi. J’aurais dû mourir il y a longtemps en refusant de verser le sang. Je suppose que ça fait de moi un lâche, sinon un monstre. »

Il baissa la tête et pendant un instant, toute sa prestance disparut et Zaahrian sembla diminué. Vil avait devant lui un homme à terre qui se battait contre de nombreux démons, mais qui manifestait malgré tout un amour inébranlable pour la vie.

« Je ne sais même pas pourquoi je t’ai raconté tout ça. J’avais une idée, mais elle m’est sortie de la tête. Je suppose que ça ne sert à rien de continuer…»