L'interdit transgressé [La Voix]

Le soleil vient de se coucher.
Encore une belle nuitée.
On est heureux de retrouver,
L’ami du petit déjeuner,
L’ami bon pain frais.

Ah, rien de tel qu’un bon pain en guise de petit déjeuner. De quoi bien démarrer la journée. J’ai passée une bonne journée de sommeil, je suis reposé, frais et dispo pour une nuit de folie ! Ah oui, mais avant j’ai un devoir sacré à accomplir : apporter son petit déjeuner à La Voix.

Car voyez-vous, notre Oracle a un défaut c’est que parfois elle oublie de se nourrir. Donc Arashkam et moi on veille à ce qu’elle pense à se sustenter, et croyez bien que je prends ce rôle très à cœur. Aussi, une fois pleinement réveillé, je me suis dirigé chez le boulanger pour aller lui chercher du bon pain frais pour La Voix, ainsi qu’un assortiment de confitures à tartiner dessus. Le petit déjeuner des champions !

Me voici donc dans les couloirs de la forteresse, à me promener avec mon plateau pour La Voix. Personne ne plaisante à ce sujet en demandant si c’est pour lui, ou « Oh quelle délicate attention Jiv », non ils savent tous pour qui est ce plateau, et ce qui leur en coûterait de vouloir ne serait-ce qu’oser toucher à ce qui se trouve dessus.

Avec Arashkam on se relaye à cette tâche, lui-même le faisant quand il dort avec elle. Mais comme hier soir il a rejoint Freyja (mes tympans en bourdonnent encore), il doit passer la matinée avec elle sans doute. Pas qu’il en ressente le besoin, il ressent rien du tout cet animal, non mais elle en a envie parfois. Soit pour profiter de sa simple présence, soit pour autre chose. Pas besoin de vous faire un dessin, vous avez compris.

C’est assez dur pour Freyja je crois cette situation. Enfin je pense, mais je ne suis pas dans sa tête ni sa vie. Mais se dire que l’on ne connaitra rien d’autre que le corps de cet homme, et non pas son cœur, qu’il n’aime que par un besoin physique et non émotionnel… Je ne sais pas si c’est enviable comme situation. Même moi qui suis un monstre de première, qui viole à tire-larigot, j’aime Lena à la fois avec mon corps et mon cœur. Pour les autres filles, il n’y a que mon corps qui est en jeu. Il n’y a qu’avec ma Tourmenteuse que j’ouvre mon cœur, même si mes sentiments à son égard sont confus. Je l’aime peut-être, je n’en sais rien. Je sais que je ressens quelque chose, mais est-ce aussi fort que de l’amour ?

Je soupire tout en ouvrant la porte de la chambre de La Voix avec le coude, oubliant complètement de frapper tant je suis perdu dans mes pensées.

« Petit… »

Je me stoppe net devant le spectacle qui se tient devant moi. La Voix… nue…. Pour le coup j’en reste sans voix. Mauvais jeu de mot je le reconnais, mais là… Merde, je viens de transgresser un interdit.

« …déjeuner… »

Je recouvre mes esprits et d’un coup de pied je claque la porte, pour éviter que d'autres la voient ainsi. Je fixe la porte, évitant de regarder La Voix. Arash va me tuer si jamais il apprend ça.

Merde de merde de merde !

Comment j’ai pu être aussi idiot ? Pourquoi je n’ai pas frappé ? Je n’ai pas à entrer ainsi dans sa chambre, je dois frapper et attendre qu’elle me dise d’entrer. Alors pourquoi je ne l’ai pas fait ? Pourquoi je suis entré comme si j’étais chez moi ? Idiot, triple buse, couillon des îles… euh…euh… Rhaaa, je suis incapable de trouver des mots assez forts pour décrire l’ampleur de ma stupidité. Arashkam va me tuer. Personne hormis lui n’a le droit de voir son visage, personne. Mais moi j’ai vu pire, j’ai tout vu. Je l’ai vue dans son plus simple appareil, des pieds à la tête. Oh Chaos, je suis désolé, j’ai trahit ta confiance et celle de ton Fils. Je suis indigne de ta clémence.

La Voix me parle, me demandant d’approcher. J’ai peur. Pour la première fois de ma vie, j’ai réellement peur. Mais je ne désobéis pas. Je me retourne, baissant la tête pour ne pas affronter son regard, ni même ne serait-ce qu’entrevoir son corps. Je longe le lit et arrive enfin à coté d’elle, le plateau toujours dans les mains. De ma position je ne vois que ses pieds, mais c’est déjà trop.

Chaos tout puissant, pourquoi faut-il que je n’oublie pas ? Je ne l’ai vu qu’une seconde à peine, mais pourtant son image est gravée sur ma rétine comme si je continuais de la voir. Je vois ses cheveux blonds, son visage, ses yeux, son corps, sa poitrine, le galbe de ses fesses, son entrejambe… Tout… J’ai tout vu, tout. J’ai vu ce qui était réservé à mon frère. J’ai vu la beauté incarnée, la femme parfaite, destinée aux seuls yeux d’Arashkam. Je tremble, j’ai froid, j’ai peur.

« Pa…Pardon Oracle. Je suis désolé. J’aurais du frapper avant d’entrer, je suis d’une impolitesse. Je… »

Les mots et les excuses se bousculent dans ma bouche. Jiv le fou, celui dont l’esprit est plus volage et insaisissable que les cerfs-volants en plein vol, celui que rien n’effraye… me voici tremblant comme une feuille devant La Voix, ma peur ayant vaincue ma folie. Cette peur même m’empêche de ressentir le moindre désir alors que l’image de son corps nue me revient en tête, dégoulinante d’eau. En temps normal, toute femme que j’aurais vu ainsi m’aurait excité comme jamais. Mais pas elle non. Non je suis incapable de ressentir du désir pour elle. Et si par malheur j’en ressentais… Non n’y pense pas Jiv, tu as commis assez d’offenses pour aujourd’hui.

« Je suis un indigne. Je vous ais trahis vous et Arashkam. Je ne suis qu’un infidèle, un parjure incapable de remplir son service. Quelque soit mon châtiment, je l’accepterais pleinement, et mettrais moi-même fin à mes jours si vous me l’ordonnez, Oracle. »

Je ferme les yeux, serrant les paupières le plus fortement possible tandis que des larmes se mettent à couler et tomber sur le plateau en argent. Je pleure. Depuis combien de décennies telle chose ne m’était-elle pas arrivée ? Depuis combien de temps n’ai-je versé des larmes en un flot aussi intarissable ? Jamais je crois bien. Les larmes appartenaient à une autre vie, à un autre homme, quelqu’un répondant au nom d’Eryk. Jamais encore je ne m’étais sentit aussi minable, misérable, aussi nul. Je ne suis rien.

Sa voix me parvient, ses paroles sibyllines traversent le flot de ma détresse pour venir piquer au vif… ma fierté ? Non, ce n’est pas ma fierté qui est remise en cause. C’est sa beauté. Elle se voit laide, veut que j’oublie sa « laideur » parce qu’elle risque de me rendre aveugle. Ne se rend-t-elle pas compte de sa véritable beauté ? J’ai beau ne pas être difficile sur les femmes que je viole, je sais reconnaitre les belles femmes quand je les vois. Et La Voix est ce que l’on peut appeler le summum de la beauté elfique.

Sa main caresse mes cheveux tandis que je redresse la tête et la regarde dans les yeux. Je ne devrais pas faire ça, mais je dois la détromper, la convaincre que c’est faux. Les larmes continuent de couler tandis que je parle d’une voix rauque.

« Tu te trompes, tu n’es pas laide. Bien au contraire, tu es magnifique, l’une des plus belles femmes que les elfes aient jamais mis au monde. Je savais ce que tu étais, depuis le début, mais jamais, non jamais je ne t’aurais cru aussi belle. »

Je dépose le plateau sur le lit, et avisant son voile par terre, je le ramasse pour vêtir La Voix avec tout en évitant de la toucher.

« Ce que j’ai vu, nul ne doit jamais le voir. Ta beauté est réservée à Arashkam, et à lui seul. Lui seul est digne de contempler toute l’étendue de tes charmes. Plus jamais telle chose n’arrive je te le promets. »

La tête est le dernier endroit encore visible qui reste, et c’est avec un regard triste que je la lui couvre.

« Ne dénigre pas la beauté dont Chaos t’a dotée. De nous toutes tu es la plus belle, et c’est pour cela que tu dois être cachée, Arash l’a bien compris. Je ne comprenais pas toutes ses précautions, mais maintenant si. Maintenant que j’ai vu sous le voile du mystère qui t’entoure, je sais que plus jamais je ne devrais ne serait-ce que revoir la plus infime partie de ton corps. »

C’est bon, mon erreur est réparée, plus aucune partie de son corps n’est visible. Elle est telle qu’elle devrait toujours demeurée, mystérieuse, inaccessible. Elle est Sa Voix, un être à part, unique, la seule personne qui me fait retrouver la raison de par sa simple présence.

« Arashkam... me pardonnera-t-il ? »

J’ai tellement peur de le décevoir, tellement peur qu’il ne me pardonne pas cette erreur…

J’ai l’impression que mon corps ne me répond plus. Mes larmes coulent sans que je puisse les arrêter, même en me concentrant de toutes mes forces. J’ai l’impression d’être faible, si faible. J’ai transgressé un interdit, l’un des plus grands qui soient. J’ai bravé l’interdiction d’Arashkam. J’ai trahit sa confiance…

Je tente de réparer mon erreur, en recouvrant La Voix de son voile, cachant sa beauté parfaite. Je ne dois pas la voir, je ne dois plus la voir. Je devrais me crever les yeux pour ce que je viens de voir. Mais je me retiens quand je l’entends parler de sa beauté comme d’une laideur. Elle se décrit comme une horreur qui brûle la rétine de ceux qui la voient. Elle se trompe. Elle a tort. C’est l’inverse. Mais nul ne doit la voir, non pour cela, nul de doit jamais voir son visage hormis Arashkam.

Ses mains viennent caresser mes joues, enlevant l’eau qui coule de mes yeux avant de venir m’embrasser. Pas directement, le voile nous sépare, mais je sens la chaleur de ses lèvres, sa douceur, son goût… Ce n’est pas comme si elle m’avait vraiment embrassée, mais ce que j’ai sentit… c’est si bon, si pur… Je la laisse faire, je ne réponds pas à son baiser. Je suis trop… étonné ? Choqué ? Je ne pleure plus. Son baiser m’a fait cesser. Ou la surprise ?

Mais elle n’en a pas finit. La voila qui passe ses mains dans mes cheveux, et qu’elle se colle contre moi pour venir susurrer à mon oreille. Ce ne sont pas des mots d’amour, ou fait pour provoquer le désir, mais ils sont si sensuels. J’hésite un moment, avant de serrer La Voix dans mes bras. N’importe quelle autre femme qu’elle ne m’aurait pas laissé de marbre. Elle serrait déjà en train de crier sous mes coups de reins. Mais elle… elle… je ne parviens même pas à la désirer. Non, je ne peux pas. Et même si je pouvais, je ne dois pas le faire…

« Merci… Merci d’avoir pitié d’une pauvre âme égarée comme moi… »

Je ne quitte pas son étreinte, ne voulant pas la brusquer ni qu’elle sente que je la rejette. Non je reste avec elle dans mes bras, ou moi dans les siens, je ne sais plus. Je suis calme à nouveau. Je n’ai plus peur, je ne suis plus triste. Je suis serein à nouveau, même si ma folie habituelle n’est pas revenue.

« Je… je ferais bien de te laisser non ? Tu… Tu as certainement des choses à faire… »

J’aimerais rester dans ses bras réconfortants encore un moment, mais je ne dois pas oublier ma place. Je suis son protecteur, c’est tout. Rien de plus. Rien de plus…

Elle n’a pas pitié de moi. La pitié est pour les faibles, pour les êtres inférieurs, les couards, les suppliciés. Je ne suis aucun d’entre eux, tout comme elle. Je suis la Main, celle qui se faufile là où nul autre ne peut le faire, celui qui insinue la peur du noir. Je suis aussi le protecteur de Sa Voix, chargé de veiller à ce que nul mal ne lui soit fait, et que nul autre qu’Arashkam ne puisse voir ce qui se cache sous le voile. Comme moi je l’ai fait. Désormais je mettrais plus d’ardeur à ma tâche, plus de dévotion que jamais. J’ai vu ce qui se cache sous le drap, j’ai vu le mystère dévoilé, le secret convoité par tous. Non, nul autre ne la verra. Même-moi je n’en ai pas le droit.

Ses mains viennent caresser mes mon visage près de mes yeux, et plonge son regard dans le mien à travers le voile. Même ainsi je vois son visage. Je le vois comme si plus rien ne nous séparait. C’en sera toujours ainsi. Je ne verrais plus jamais le voile mais ce qui se cache en dessous. Elle me veut toujours aussi fou, impétueux et sanguinaire. Elle veut que je reste moi-même, et non pas l’être meurtrit que je suis actuellement. Je parviens à lui faire un petit sourire.

« Si tel est ton désir, alors je resterais égal à moi-même. Fou, violent, sanguinaire. Pourtant lorsque tu es non loin, ma folie s’apaise, se dissimulant pour faire de moi l’être sérieux que je suis actuellement, celui qui te protège. En ta présence je redeviens Eryk le demi-drow, tandis que Jiv’undus la Main du Chaos s’endort et se repose enfin. »

Il n’y a pas qu’avec elle que je redeviens Eryk en y réfléchissant. Avec Lena aussi, mais ce n’est pas systématique. Ce n’est que lorsque nous sommes seuls dans la solitude de notre chambre que je redeviens cet homme, disparu il y a de nombreuses années de cela. Son corps ondule, son bas-ventre venant frotter contre mon sexe. Je redoute ce qu’elle fait, car je me connais. Mon corps réagira, montrera du désir pour elle. Ce qu’il fait. Mon entrejambe se dresse sous ses caresses voluptueuses. Je voulais éviter cela, mais ne le peux.

« Je reste avec toi en ce cas. J’admirerais notre œuvre et nos frères et sœurs qui vivent dans cette ville que nous avons créée pour eux. »

Elle se retourne, m’offrant son dos avant de se coller contre moi. Sans réfléchir, mes mains viennent se poser sur son ventre, avant d’enserrer sa taille dans une douce étreinte. Je sens la courbe de ses fesses contre mon bas-ventre, qui vient trouver tout naturellement sa place entre ses courbes. Je ne fuis pas ce contact, mais je ne cherche rien de plus. Mon corps éprouve du désir pour elle, mais pas moi. Et pour elle qui se trouve laide et horrible, elle sait que pour moi c’est faux. Je suis peut-être facile, mais un laideron ne m’aurait pas fait réagir ainsi.

Je regarde la ville à travers la fenêtre, admire les flammes bleutées éternelle qui éclaire toute notre cité. C’est vraiment magnifique.

« La guerre couve d’après mes Ombres. Bientôt elle éclatera et nous pourrons nous révéler au grand jour. Nous pourrons alors offrir à notre Père les âmes dont il a besoin pour reconstruire ses forces. Oracle, bientôt son Nom sera connu et craint de tous. »