Lifaen Jeod'He [Voyageur & Assassin] {Super Callifragilistic}

Lifaen ne se sépare jamais de son arc en bois de rose, taillé par ses soins, ainsi que de son carquois d'ébène sculpté contenant de nombreuses flèches. Il affectionne particulièrement son poignard au manche d'os dont la lame est gravée de runes, attaché à l'extérieur de son mollet gauche par des sangles de cuir. Il sait manier à la perfection son épée effilée et incrustée d'une quinzaine de zircons pendant le long de son flanc, dans son fourreau de cuir; le tout appartenant à son oncle et étant accroché à l'une de ses deux ceintures. Il est habillé d'une chemise de flanelle blanche, d'une veste sans manche en cuir et d'une longue cape d'étoffe noire, dont la large capuche lui cache le visage. Il porte de longs gants de cuir, lacés, sur sa chemise, lui cachant ainsi les avant-bras. Son pantalon est fait de toile fine couleur taupe, et il porte de grandes bottes d'équitation en cuir de haute qualité. A son poignet gauche est négligemment attaché un foulard noir qui lui sert à bander des blessures, ou simplement à donner à son habit un caractère excentrique. Au cas où le temps se glacerait et que la neige paraîtrait, il garde dans ses sacoches, sur son cheval, un épais manteau de fourrure d'écureuil. Lifaen voyage sur son cheval gris, aux crins et bas des membres noirs, nommé Cobalt, dont le caractère est sensiblement le même que son maître : fougueux et colérique.

A cause de ses antécédents familiaux [cf Histoire], Lifaen a un comportement souvent impitoyable et méprisant. Pour lui, chaque être qui le provoque ou qui ne se plie pas à son autorité se doit d'être éradiqué, après avoir pris soin de l'humilier préalablement. Il évite en général d'éliminer ceux de sa race, sauf si une offense a été faite : sa susceptibilité est impressionnante. Ceux qui ne le connaîtrait pas le jugeraient cruel, cependant sa particularité indique que cela n'est pas de son fait : dans son optique, tuer n'est pas un jeu mais plutôt un devoir à accomplir en cas de force majeure. Dans ce cas, c'est un chasseur et un traqueur hors pair : sa part animale ressurgit souvent et il aime alors se comparer à un prédateur sanguinaire. Il garde une prédilection pour les combats de corps à corps, justement pour ressentir sa force au plus près de l'action. Mais il est aussi très habile comme archer, et il aime se fixer des cibles lointaines. Il sait immédiatement où se trouvent les points faibles de ses ennemis, grâce à sa vue acérée mais aussi parce qu'il est fin stratège. Il hais perdre et quiconque le bat un jour est traqué inlassablement jusqu'à ce que toute trace d'une éventuelle défaite ait été soigneusement effacée, tout éventuel témoin assassiné, et toute éventuelle rumeur éventée. Pour contrer ce comportement parfois excessif, il utilise un humour fin, et nombre de ses répliques sont cyniques : il manie superbement le verbe.

Eïje était seule. Son esclave, Eowidë, s'était enfuie, elle ne savait pourquoi. Son mari, Neläm, était parti sans un mot à sa suite, un jour d'automne, dans un état de démence extrême. Il l'avait abandonné, au début de sa grossesse, pour ne plus jamais revenir. Elle était là, un petit drow se débattant en elle, le vent glacial frappant les fenêtres, seule. Désespérément seule. Mais elle était prête. Sur un parchemin neuf était gravé sa dernière et unique volonté. De sa plus belle plume, elle avait écrit :
«  Moi, Eïje Jeod'He, fille de Hing le Barbare et d'Ulésine la Sanguinaire, épouse de Neläm Jeod'He, drow de la race la plus pure, confis à mon frère Skun Jeod'He mon futur enfant dans le cas extrême où je quitterais ce monde prématurément. »
C'était fini. La confiance qu'elle portait à son frère était très limitée, mais c'était là sa seule alternative. Elle sentait la mort ramper jusqu'à elle : elle était si affaiblie, si maladive... Et son enfant à naître absorbait ses réserves. Elle savait qu'elle ne survivrait pas. Elle jeta un regard à son reflet, dans l'eau claire d'une vasque. Ses yeux, creusés par la tristesse, la fatigue, mais aussi la peur - car oui, la mort l'emplissait d'une terreur sans fond - lui donnaient un aspect fantomatique. Son teint gris, son visage osseux et son corps famélique lui renvoyaient une image morbide. Elle avait contacté son frère trois jours plus tôt, celui-ci devait être en route. Elle se redressa, s'appuyant difficilement sur ses bras maigres. Elle le sentait arriver. Ses contractions se firent pressantes. Allongée sur son lit, elle murmura d'une voix éteinte :
« C'est l'heure. »

Alors qu'elle exhalait son dernier souffle, l'enfant poussa son premier cri.
Ainsi naquit Lifaen.

Lifaen était épuisé. Cela faisait deux jours qu'ils s'entraînait sans relâche au combat avec Skun. La sueur perlait le long de son visage tuméfié par les coups. Le gourdin de son oncle s'abattit une nouvelle fois sur son épaule. La douleur l'empêchait de la lever pour parer les coups.
« Pas assez rapide, le nabot ! » grommela Skun.
Lifaen jura entre ses dents et se laissa tomber sur le sol. Son oncle lui lança un regard irrité et rappela d'une voix doucereuse :
« J'ai toujours été là pour toi, Lifaen. Ton père t'a laissé, ta mère s'est abandonnée à la mort sans aucune pensée pour toi ! Je t'ai sauvé du froid, de la faim... de la mort, Lifaen ! Et c'est ainsi que tu me remercie ? Tu refuses mon éducation ? J'espère que c'est la honte qui ta fait lamentablement tomber à terre. »
La honte, Lifaen ne la ressentait plus depuis longtemps. Sa culpabilité concernant la mort de sa mère lui semblait si lourde, si épaisse, qu'un jour, épuisé de porter ce chagrin et cette responsabilité, il avait décidé que son seuil de tolérance était atteint. Depuis, il ne ressentait plus rien : il lui semblait qu'il nageait dans un brouillard épais, et il se sentait étranger à cette douleur insupportable. Il avait l'impression de se voir en tant que spectateur. Il avait ainsi pris l'habitude, lorsqu'une émotion devenait trop forte, de l'enfouir au plus profond de lui, de la cacher, de redevenir spectateur de sa vie.
Skun le tira par le bras pour l'obliger à se lever, et le frappa d'un coup de jonc.
Alors, pour la première fois depuis des années, Lifaen libéra sa colère. Il la laissa s'emparer de lui, il se noya dans cette rage sourde et se remémora tous ces coups reçus, toute cette terreur accumulée depuis sa naissance et frappa : il frappait pour sa mère dont Skun salissait la mémoire, contre ce père dont tout était la faute, contre cet oncle qui le battait chaque jour un peu plus fort.
Mais Skun était un Drow bâtit en guerrier, et il encaissa les coups sans sourciller.

Il l'avait tué. Il avait fini par abattre ce tortionnaire. Lifaen essuya ses mains ensanglantées sur son pantalon et soupira. Les soixante ans de soumission étaient révolus : l'infâme Skun gisait dans son sang, la tête fracassée par une masse. Lifaen n'était pas vraiment fier de son geste : abattre quelqu'un pendant son sommeil n'avait jamais été très glorieux, mais la libération qui en résultait valait de loin cet acte de lâcheté. De plus, le paresseux Skun lui avait laissé bien des fois cette occasion, alors qu'il dormait profondément au soleil pendant que lui, Lifaen, préparait les repas, lavait les écuries, récurait l'habitation... Il avait fini par saisir l'une de ces occasions. Il n'avait rien préparé, rien prémédité. Il s'était juste laissé envahir par sa fureur démesurée; le reste avait été simple.
Il ramassa l'épée de son oncle qui traînait sur le sol et attacha le fourreau à sa ceinture. Il enfila ses bottes de chasse et attrapa la cape noire de son oncle, puis il mit dans une sacoche tous les objets ayant plus ou moins de valeur qu'il trouvât et partit. Il se rendit aux écuries, sella l'unique cheval, attacha la sacoche avec des sangles de fortune et quitta son passé. Le temps que les autres Drows s'aperçoivent que Skun Jeod'He était mort et que son neveu s'était enfui, il serait déjà loin. Il savait que son oncle tenait une grande place chez les Drows et que son meurtre ne passerait pas inaperçu, il connaissait l'importance de prendre de l'avance. Son cheval était incroyablement rapide : sa robe grise et brillante, ses yeux d'un bleu chatoyant, tout en lui évoquait le métal que Lifaen utilisait pour colorer le verre servant à décorer les armures. Lifaen murmura « Cobalt » et l'animal dressa les oreilles. Satisfait, il pressa les talons et Cobalt repartit de plus belle. Seulement, Lifaen n'avait pas de but précis, son seul critère était alors d'échapper aux siens pendant quelques années : il prit la décision d'aller où le vent le porterait. Et puis, ce serait l'occasion de voir du pays : il n'avais jamais dépassé les frontières de l'Ithri'Vaan. Il jeta un dernier regard derrière lui, mais la poussière dégagée par les sabots de son cheval l'empêchait de voir clair. Il sourit avec satisfaction. Une nouvelle vie commençait.

Lifaen souffla sur les braises. Elles rougeoyèrent pendant quelques instants, puis une flamme fragile vint entourer les bûches sèches. Tout en rapprochant ses doigts glacés du feu, il pensa à la journée éprouvante qu'il venait de passer. La bataille avait été rude, et il éprouva une soudaine colère en pensant à ses vêtements immaculés désormais couverts de sangs aux multiples propriétaires. Il en avait assez de ses camarades de combat qui ne connaissaient pas le travail propre : lui au moins, lorsqu'il tuait quelqu'un, il vérifiait son angle d'attaque pour ne pas se tâcher. Il avait passé les soixante-quinze dernières années à s'entraîner de façon à devenir un combattant hors-norme, un assassin sans bavure. Ah, comme il les méprisait, les autres espèces ! Comme il les trouvait épais, sans grâce, sans goût vestimentaire ! Des barbares sanguinaires – tout comme lui, mais il gardait toujours une élégance et une prestance incomparables.
Tout en maudissant ses congénères, il avait installé son campement sommaire : sa cape était étalée sur le sol, pour le protéger de la terre gelée, et il avait mit la selle de Cobalt en guise d'oreiller. Il s'enroula dans son manteau d'écureuil et se laissa entraîner par les rêves.
Il flottait, d'une ville à l'autre, de l'océan le plus impétueux aux terres les plus arides, dans ce doux coton duquel sont faits les rêves. Alors que son esprit courait inlassablement à travers des forêts épaisses, un éclat d'argent attira son œil. Il s'approcha, prudemment, tel un chasseur qui ne veut pas faire fuir sa proie, et observa un spectacle d'une pureté incomparable : il se trouvait dans une clairière profonde, bordée de buissons aux couleurs éclatantes. L'herbe semblait verte et douce, et une brise légère en ployait délicatement les brins. Au centre se trouvait une superbe rose, de la plus grande finesse, dont le parfum emplissait l'air d'une légèreté surnaturelle. Alors qu'il s'approchait, il aperçu, derrière cette impression de fragilité exhalée par la rose, des épines d'ivoire dont la forme laissait présager de grandes souffrances à qui oserait la couper. Comme attiré par cette rose, Lifaen approcha la mains vers les pétales. A peine les eût-il touchés qu'ils tombèrent en cendre, ne lui laissant alors que les épines acérées.
Lorsque Lifaen se réveilla, il lui sembla que ce rêve comportait en réalité un message important. Il se dit que son futur s'était décidé en cette nuit étrange, et que sa quête était tracée. Il chercherait le sens de ce rêve et retrouverait cette rose énigmatique à laquelle il ne devrait pas toucher.