Etincelles. [PV]

- On est les seuls à voir dans le noir.

Répliqua-t-elle à Haldren au sujet de la lumière.

- Puis bon, vu le bruit qu’on fait, les monstres nous ont déjà repéré. Autant y voir tous parfaitement clair. Cela nous évitera de tomber dans une crevasse comme un crétin d’h… heu comme un crétin.

Elle toussota légèrement. Lorsque le courant d’air s’abattit sur eux avec violence, Fjama, heureusement fort leste, bondit vers l’arrière gauche pour éviter la masse. Pas question de se faire écraser aujourd’hui ! La masse se révéla être une elfe, connue par le vieillard. Plus sympathique avec elle qu’avec le reste de la troupe mâle, la danseuse lui adressa un sourire et s’approcha même d’elle pour vérifier qu’elle n’était pas blessée.

Toutefois, comme l’endroit n’était pas vraiment propice aux rencontres amicales autour d’un bon fût de rhum ou de bière, d’autant plus quand une bestiole surgissait de l’ombre. Un dragon de Périn ? Connaît pas c’te bestiole. Supporte pas la lumière et l’eau ? Té, de toute manière où est-ce qu’elle pourrait bien trouver un sceau de flotte à lui balancer dessus ? Aussi, reculant avec courage, Fjama, les bras croisés, boudait. Les raisons en étaient multiples mais la première était fort simple : On sous-entendait vaguement qu’elle ne pourrait pas le cramer. Après un rapide passage dans un grimoire, elle aurait pu vous dire qu’en fait le dragon de Perrellin n’avait pas de résistance particulière au feu et qu’elle aurait pu elle aussi s’amuser. Quant à faire de la lumière avec des flammes, le mage humain biscornu trouverait encore moyen de râler parce que ça n’était pas de la « lumière pure » mais juste de la lumière dû aux flammes. Enfin, elle n’en savait rien mais elle se sentait des humeurs de bonnes femmes chiantes. Ainsi, elle mira le combat des deux « archimages ». Elle devait humblement reconnaître que l’un et l’autre avaient une certaine facilité. Bon, après on pourrait tergiverser longtemps de la quantité d’énergie magique déployée alors qu’un bon coup de lame dans la tronche aurait tout aussi bien fait effet. Après un examen plus poussé de la carrure de ses camarades – et le fessier du drow bien qu’elle ne l’avouera pas -, elle s’était persuadée qu’elle seule avait des compétences pour le corps-à-corps. Toutefois, bonne joueuse, elle préférait les laisser jouer un peu de leur magie à leur tour.

(HRP : Excusez le manque d'inspiration flagrant... )

La doloire ruisselait encore du sang des Gobelinards, à la poigne du Nain – comment cela, un fessard trop joufflu pour être bretteur … ? – lorsque, dans le sillage du caillou luminescent, la traînée d’ombres du Drow annihila le monstre sur son passage. Un vaste vide, comme baveux, béait dans le poitrail fourni de la bête, et la chair rougie fumait doucement encore, lorsque sous le propre poids des carapaces ployèrent les rotules du Dragon.

Du Dragon, ou … ?

Comme une bourrasque de pucelle frivole, l’ultime souffle de la bête mourante s’abattit contre le corps du Nain, et vint siffler entre les poils de sa barbe. Cette pilosité hargneuse, cette énigme de la science biologique des maîtres Elfes, ces fils vivants donc, s’agitèrent brusquement en tous sens et, sans guère se faire prier, prirent leur autonomie et se mirent à danser sous le menton du Nain. On eût dit un étrange panache remontant par poussées, et qui en rebattait au magicien et à son bâton érigé comme d’un satyre.
Dun Eyr, tout honteux et cramoisi – il n’y avait rien de plus humiliant que la folie d’une barbe pour un Sieur Nain, et les secrets de la Chose de la Vie étaient fermés à toute connaissance ni curiosité des autres races, préservés jusqu’à ce jour – Dun Eyr donc, d’un coup de paume, rabattit sa pilosité virile qui voulait prendre le large. Et il ne lui fallut pas quatre secondes pour que les vieux racontars des errants fous, des conteurs obscurs, ne lui revinssent à l’esprit. Dans sa carcasse courtaude, le cœur se mit à tambouriner une chamade endiablée.

Aux lèvres du Nain ne vint que le vieux juron des cul-terreux d’Alonna : « Boudu de corne-crin des mille gonades !... »
C’était là, on s’en doute, par sa complexité et son élégance, le crachat d’humeur attitré aux cataclysmes cyclopéens, à la catastrophe de grande taille…

De trois bonds sur ses courtes-guibolles, le Lirganique fut sur le cadavre de la bestiole. La doloire se balança, revint, et les pattes postérieures du monstre craquèrent lourdement et se rompirent, dégageant leur sang fielleux et tourné déjà. Une courbette dans la tripaille et une expertise biologique plus tard, le Religieux recracha son juron, encore enrichi de quelques incompréhensibles syllabes.
De là où se trouvaient les quatre autres comparses, s’ils ne saisirent pas tout, ils durent bon comprendre que la situation était grave – pour ne point dire, apocalyptique.


La doloire avait volé au loin, clinquant contre le mur de rocaille, et le Nain avait plongé dans la carcasse brisée de la bête. Etait-il fou, était-il sénile ?
Il fallait bien le croire, car voilà qu’il nageait dans le sang du Dragon, lui rognait les griffes et léchait le cuir – et même, d’une pogne audacieuse, plongeait dans la gorge et s’imprégnait les doigts de la langue et la salive du monstre. Et tout ceci, dans un empressement si fou, qu’on ne voyait plus que giclées et rebonds de boyaux ponctionnés et pourléchés.
Etranges us, devaient se dire les quatre races qui béaient certainement à ce spectacle. Ah ! si ces lurons-là avaient été des vieilles chasses d’antan, dans les Grandes Galeries d’Au-Nord, ils eussent saisi et compris l’urgence de cette baignade heureuse. Mais las ! les compagnons de Dun Eyr étaient incultes et, s’ils savaient pourfendre le Perrelin, ils n’en connaissaient pas les cycles de vie.

Enfin, ayant fini trempette, le Nain se roula hors de la carcasse évidée et, pantelant et ruisselant, et tout odorant, il put expliquer aux visages abasourdis qui l’environnaient, les raisons de tout cela – mais en quelques mots seulement, car il fallait faire vite.

« Ce Perrelin n’était pas un Dragon, mais une Dragonne, compagnons. Et la charmante bestiole n’attaquait pas tant mais, à en juger par le souffle rauque et court, elle fuyait. Favrius, et les gaietés du Printemps de Kÿria, réveillent bien à propos les penchants de satyre des mâles agitations, même dans le petit monde des grands Dragons… »

Ces sentences éthologiques étant établies, le Nain fit volte-face et, près de la carcasse éventrée, attendit le mâle en rut qui immanquablement devait suivre la belle – et qui, lui, ne se fit point attendre. C’était, jaillissant des ombres, hérissé de crocs et de libido, un colossal Dragon de Perrelin, frôlant les huit mètres de la poupe à la proue. Lorsque les phéromones prometteuses lui chatouillèrent les naseaux, le monstre fit trembler et vaciller la galerie dans un brame de joie.
Là se tenait sa promise, à quelques pas. A vue d’œil, elle ressemblait étrangement à ces petits braillards sur patte qui peuplaient jadis encore les montagnes – mais la nuit des grottes a dévoré les yeux des Perrelins des cavernes, et ce sont leurs naseaux qui leur sont les meilleurs guides. Et la petite silhouette ruisselait de bonnes odeurs qui fouettaient ses mâles désirs.

Dun Eyr, l’odorante pucelle de Perrelin, fit quelques pas vers son Apollon griffu, et lui posa la paume sur les cornes. La crétine bestiole, enivrée du parfum de la Dragonne, ronronnait de contentement aux petons du Nain. Après la traque, c’allait être l’heure de se pavaner, si la bête voulait séduire sa belle – et le Nain, dans un souffle de phéromones, allait pouvoir tout obtenir du docile amant.
De façon assez incongrue, le Nain sourit. Conquérir le cœur d’un Perellin, c’était tout de même autre chose qu’une Naine de bordée des tavernes du Quartier Est…


Il ne fallut pas longtemps pour que le Nain, fier comme Barknos Trois-Gonades – une célèbre légende des cimes… – fut hissé sur le dos caparaçonné de la créature, la chevauchant avec fougue tandis que le poitrail sauvage émettait un doux grondement de contentement.
Alors le Lirganique, d’un geste, convia ses comparses à bord de leur nouvelle monture, leur vaisseau des cavernes propre à l’exploration sur toutes surfaces – et véloce encore !

« Et bonjour, Longues-Oreilles-Grandes-Guibolles-Tête-Plate ! »

C’était la vieille formule de politesse des Fils de la Montagne aux Ahuris des Forêts ; mais les coutumes se perdaient…
Pourtant le Nain, ombrageux et impérial, ne doutait pas une seconde que ses phéromones, son sang séché et sa nouvelle conquête, allaient abasourdir de prestige l’Efle soudain apparue.


Alors, comme il y avait de la place pour cinq sur le dos de la bête, Dun Eyr lui murmura une cajolerie à l’oreille et elle bondit vers l’avant et le bas.
Les mystères de Kirgan, voilà que le Nain allait les reconquérir – enfin !

Nakor avait prévenu du danger il avait indiqué le nom du monstre, s'était interposé pour protéger Adria ... et oui, un grand père restait un grand père! Et voilà qu'il préparait déjà dans ses mains un condensé de sortilège aquatique et de puissance électrique. Voilà qui aurait fatigué le vieillard mais aurait mit un terme à la vie déjà trop longue du dragon de Perrelin. Mais le drow servit enfin à quelque chose, il balança une immonde boule de magie sombre sur la créature. Cela fit évidement son effet et Nakor regarda le résultat avec force de dégout. Il observait les méandres des effluves maudites qu'Haldren avait crée par le passage de son art occulte dans les airs. La bête hurlait et rendait l'âme pendant que Nakor mimait le fait de se mettre deux doigts dans la gorge pour se forcer à vomir, en tirant la langue! Le dragon s'affaissa au sol et le vieux magicien allait prendre la parole pour déverser tout son dégout sur le drow quand il vit ce pauvre cinglé de nain se jeter dans les entrailles de la bête et s'en repaitre avec amour, joie, volupté et gourmandise même. Alors s'inscrit sur le visage de la longue barbe une expression immuable et éternelle. Presque comme taillé dans le roc par la main des dieux eux même : celle de celui qui se demande, pourquoi foutu et fichu bordel de nondidiou il se passe sous ses yeux une situation aussi incroyable et invraisemblable! Un œil si froncé qu'il était presque fermé, un autre si ouvert qu'il était sur le point de se désorbité. Et il lâcha plus pour lui que pour les autres

"Pauvre fou. Je savais bien que l'alcool nain avait des effets néfaste sur les esprits des faibles ... mais à ce point?"

Nakor se caressa alors la barbe, comme plongé dans une intense réflexion dans laquelle il se demandait ce qu'il faisait là, au beau milieu du plus iconoclaste des groupes d'aventurier qui soit. Dun Eyr allait aussi se recevoir quelques piques de la part du vieil homme quand il charma le dragon male et monta dessus, le chevaucha avec vigueur, de manière farouche et intense. Puis la bête se calma et le nain leur proposa un moyen de transport encore plus impensable. Le cerveau du magicien du roi était en pleine ébullition quand Adria lui jeta un regard inquisiteur, interrogateur. Nakor fit la moue, de façon plus que prononcé et dit simplement en leva les bras au ciel

"Ho par les dieux! Et puis pourquoi pas après tout? Nous sommes déjà une union de cinglé, humain, elfe, drow, demi drow et nain alors pourquoi diantre se déplacer avec nos jambes de façon naturelle? Ma chère, votre carrosse est avancé!"

Nakor tendit la main en faisant quelques pas vers le dragon, comme s'il proposait d'accompagner Adria jusqu'à son magnifique moyen de transport. Proche du dragon il glissa au nain

"Je vais monter derrière vous ... et je vous préviens Dun Eyr, à la première étrangeté trop aigu de votre part ... je fais exploser le dragon et vous avec! Alors guidez bien cocher."

La pointe de menace était plus pour l'intérêt malsain que le nain semblait accorder à Adria. Oui un grand père restait un grand père. Il monta en premier dans le dos du détestable et dégoutant nain puis aida d'une main forte, la jeune elfe à monter derrière lui. Il glissa alors, comme un démon prêt à se jeter sur sa proie

"Et Haldren, comme à sa bonne habitude prendra la dernière place!"

Imaginer subitement Haldren derrière Adria avait mit au moins aussi mal à l'aise Nakor que de l'imaginer avec les mains sur les hanches de Dun Eyr pour se maintenir sur le monstre. Le vieux fou n'avait rien contre aucun des membres de cette équipe, mais il ne faudrait pas qu'ils touchent à un cheveu de sa jeune apprentie magicienne. Où tout cela allait le mener ? Nakor n’en savait rien, par contre ce dont il était sur c’est qu’ils allaient tous aller de mal en pis.

Fjama observa le manège du nain avec un vif intérêt. Elle devait reconnaître au passage qu’il était bien meilleur qu’escompter au corps-à-corps. Mais pouvait-on reprocher à Fjama d’en douter alors qu’elle n’avait vu qu’un seul groupe de nains tenter de combattre – ils avaient d’ailleurs été légèrement cuits à l’étouffée dans leurs armures suite à cela, mais ceci n’était finalement qu’un détail - ? Après plusieurs minutes de plongée dans la bête, le nain en ressortit poisseux de sang. Pendant qu’il expliquait le plan, ce fut autour de Fjama de tourner autour de la créature. Après avoir rempli une fiole de son fluide vital, elle lui arracha une griffe, une écaille et une dent qu’elle fourra, bien emballées dans une étoffe, au sein de sa saccoche. Sans en indiquer la raison, dont tout le monde devait se fiche à l’évidence bien trop intrigué par le manège de Dun Eyr, elle esquissa un sourire fort satisfait.

A toutes tergiversations de place du vieux bonhomme, Fjama ne haussa qu’une épaule assez peu concernée. L’histoire du drow la captiva bien plus et elle ne put s’empêcher d’enchérir.

- Une histoire similaire existe dans la région de Thaar. Mais il est, cette fois-ci, question d’une humaine que le vît peu vigoureux de son époux ennuyait terriblement. Comme ils étaient fort riches, elle fit construire une sorte de statue dans laquelle elle pouvait pénétrer. Et c’est ainsi qu’un taureau, appâté par l’alléchant fessier, la prit par derrière. On raconte qu’ensuite le facétieux Arcam, trouvant l’histoire fort cocasse, s’est arrangé pour qu’elle en conçoive un enfant mi-homme, mi-taureau. Le cocu aurait dû ensuite construire un labyrinthe pour l’enfermer.

Après un demi-sourire, elle soupira en agitant la main.

- Enfin j’espère pour la dame qu’il en est rien. Puis, quelle idée d’avoir de vues sur les attributs d’un taureau quand on peut avoir un drow sous la main qui remplit le même office.

Là-dessus, elle se saisit de la main du drow et grimpa derrière lui. Après le discours tenu sur les congénères de celui-ci, il y avait fort à parier que l’esprit de l’almée errait quelque part sur la question. Mais non, elle ne tripota pas le sombre. Elle n’appuya pas à son dos ne lui enserrant la taille d’un bras apeuré. Mais bien sûr elle s’accrocha à lui de crainte de tomber, d’une main ferme sur les hanches, ni plus, ni moins. Evidemment, il n’en serait pas forcément toujours de même étant donné le manque d’habitude de Fjama à chevaucher sur le dos d’un mâle.

Dun Eyr était triste – tristoune même, n’ayons point peur des mots.

Ayant prêté une oreille attentive aux récits de Rians’er « Ne-Te-Retourne-Pas » Ae’shark et du Taureau au vît-vigoureux, le Nain se faisait la réflexion que sa Nanie était bien plus morne qu’Alonna ou Thaar, décidément. Pas la moindre histoire, pas la plus petite légendette concernant de tels coïts légendaires.
Oh, il y avait bien le mythe de Taron l’Eperonneur et Tara l’Eperonnée, mais cela était terne et ne tenait pas la comparaison au-delà des apparences…

Ce n’était là l’origine que de la moitié de la tristesse du Nain, voire un quart seulement ; le restant de son comptant de larmes à verser, il le tenait des paroles de Grim-Ouar le Poussiéreux, l'Antique Archiviste et Maître des Histoires de Kirgan. Celui-là avait l’art de se faire sentencieux aux grands instants, obscur et mystérieux à souhait pour imprimer l’écheveau des futurs ; c’était à la Cognée des Trois Cornus – massacre mythique mais méconnu, auquel les autres races, orgueilleuses, avaient apposé des hétéronymes un chouïa plus glorieux – que le bon Nain, élevant un doigt crochu afin de souligner sa droite pensée, avait lancé à la face des siècles : « Les Nains huilent les rouages du Temps. »

Ce bel aphorisme, voilà que l’esprit de Dun Eyr le ruminait, tandis que la folle équipée se démenait au fond de ces galeries viciées, sur l’échine d’un Perrelin en rut. Avisant la joyeuse tapée des comparses aventuriers qui babillaient et s’imbriquaient avec la vigueur de gastéropodes gâteux, le Nain songea – sagace ! – qu’il allait lui incomber de graisser les mécaniques de cette odyssée bringuebalante, s’ils voulaient achever leur équipée avant que de tomber en poussière…


Le ramassis de Grandes-Guibolles qui s’était si laborieusement perché à l’arrière du Perrelin, papillonnait tant et tant en paroles, qu’ils en avaient oublié les agissements de leur Nain de guide. Il fallait dire que celui-ci avait presque disparu hors de leur vue ; car, courbé et penché vers l’avant, cisaillé par l’effort, il s’arc-boutait à atteindre les oreilles du masotodonte. Ses deux pognes étaient engouffré dans les replis adipeux des cartilages de la bête, et ses lèvres, sur lesquelles Dun Eyr s’efforçait de moduler les grognements des Perrelins, chantonnaient des mots doux à l’oreille de ce beau mâle.
Mais las ! La bête semblait irrémédiablement crétine.

Redressé sur son séant, le Nain dut bien admettre sa déconvenue ; ses paumes s’extirpèrent du duvet crasseux des lobes du Dragon, et en gardèrent une rude puanteur de cérumen quasi-centenaire.
Voltant sur lui-même, le Lirganique fut sur ses bottes et, juché sur le dos de son amant torride, il harangua ses comparses – lesquels, affairés à trouver un creux d’échine digne de leur séant, ne s’étaient point aperçu que, dans tout ce battage, le Perrelin n’avait pas avancé d’un seul pouce.

« Amis pillards et ladres – le langage du Petit Peuple possédait une formule cérémonielle pour à peu près tout, fût-ce des étrangers rapineurs de cité dévastée ; mais les érudits Elfes déclareraient une nouvelle fois cette langue barbare et frustre… – amis pillards et ladres, cette bestiole est plus ahurie encore qu’un Oreille-Pointues à la forge – suprême injure du Petit Peuple, on avait abreuvé et repu Tari pour moins que ça – aussi nous faut-il jouer la ruse. »

Le Nain marqua une interruption dans son verbiage, et il considéra son assistance, se demandant vaguement s’ils méritaient qu’il se soumît à une tactique si coûteuse pour sa vie.
« Eux, probablement pas, se dit le Lirganique pillard, mais pour les joyaux de Kirgan, c’est une vétille. »

Alors, il explicita ses visées :
« Le Perrelin flaire son chemin à l’odeur des femelles, aussi va-t-il nidifier si je reste sur son dos, juste à l’arrière de sa nuque. Il pourrait même en devenir abruti, et se fracasser le crâne de désarroi contre la rocaille de ces galeries. »
Spectacle intéressant, mais peu adapté aux circonstances.
« Je vais passer devant, et ouvrir la voie au Perrelin. Il me suivra comme il traquait tantôt la donzelle. »

D’autres raisons expliquaient que Dun Eyr acceptât de galoper sous le museau libidineux d’un Dragon mastard – la hauteur des galeries allait se rétrécissant à partir de ce point, et elles se hérissaient de pitons rocheux, rendant ardu le passage d’un Perrelin adulte ; alors que dire des fieffés imbéciles juchés sur son dos – mais le Nain omit de l’évoquer à ses compagnons.
Et, glissant sous la gorge de la bête baveuse, il se laissa choir au sol. A peine ses bottines foulaient-elles la roche, que le Lirganique couvert de sang s’élançait avec furie dans les tréfonds de la montagne.
Car le Perrelin en rut est véloce et, bien que ralenti par les soubresauts de son anatomie ventrale en pleine expansion, il galope avec vitesse derrière la pucelle qu’il traque – ou bien l’inconscient Nain qui en transporte le fumet.


C’aurait pu être un course endiablée, et pittoresque, et destinée aux conteurs des siècles à venir.
C’aurait pu, s’il n’y avait eu Bragzoff le Baragouineur.

Bragzoff le Baragouineur était un Gobelin – était, car sa rencontre fortuite avec une coulée de lave avait achevé prématurément son existence d’ailleurs fort courte. Mais ce brave Vertegueule, du temps où il était vaillant, avait mis au point l’art des pièges dans les galeries Naines envahies par les siens. Et souvent, une fois qu’il avait déposé ses artifices, le sol rocailleux n’était plus qu’une croûte de roche fragilement tissée au-dessus d’un trou sans fond.

Bondissant en sauts spasmodiques à travers les boyaux de la montagne, pisté par un mâle en pleine floraison des ardeurs, en sueur et en larmes – mais se retenant de hurler, fors l’honneur ! – Dun Eyr ne fut pas long, dans sa course, à transporter l’équipée démente jusqu’à un tel gouffre de Bragzoff.


Il y eut un aaargh, quelques grondements, et puis tout tomba et disparut dans la nuit des galeries.
Avisant le Dragon et ses hôtes qui culbutaient avec lui dans les ténèbres, le Nain laissa même échapper un glups !

Nakor n'en croyait pas ses oreilles, là assis sur le dos d'un dragon inamovible, cet imbécile de drow racontait une histoire cocasse dont nul n'avait rien à faire du tout. Le vieux fou allait donc lui signaler qu'il pouvait se taire, et emporter dans sa tombe ses histoires à dormir debout, d'imbéciles heureux se faisant prendre par un troupeau de taureau quand la folle furieuse enflammé engagea la conversation. Toujours là, assis sur le dos de la bête bien installé dans la caverne, elle raconta une histoire semblable. Nakor ouvrit de grands yeux, comme effaré d'entendre des sottises d'une telle profondeur ... . Mais voilà qu'une fois de plus, avant de pouvoir prendre la parole, Nakor fut coupé par ce fieffé gredin de nain. Il prit les devant, expliqua qu'en effet, pensant qu'une femelle était sur son dos, le perrelin ne deviendrait jamais pèlerin. Et voilà que Dun Eyr se mit à courir, le dragon à ses trousses. Nakor posa une main sur son chapeau et, la barbe au vent, lâcha un

"Non mais c'est pas vrai!"

Puis ne cherchant pas à s'accrocher plus que cela, Nakor se dit intérieurement que, comme à sa grande habitude, il allait choir sous peu, s'écraser sur le sol et vociférer des insultes jusqu'à la fin des temps sur la race naine. Mais rien n'arriva ainsi, car voyant des piques immenses descendre des hauteurs de la cité jusque dans les entrailles de la terre, Nakor hurla

"Nous allons nous prendre le toit en pleine face espèce d'imbécile heureux, cessez donc de courir et ... "

Mais voilà qu'ils s'effondrèrent tous. Ils étaient tombés dans un piège! ... Il était ... bon sang! Ils étaient tombés dans un piège. Nakor était comme fortement offensé d'une telle infamie. Il croisa alors les bras devant lui en faisant la moue, un vrai enfant, extrêmement mécontent de ce qui était en train de lui arriver par la faute de ses copains de jeu. Il était donc là, en train de tomber, les bras croisés et les jambes bien droites, à l'envers, tête la première fonçant vers le sol. Finissant par se rendre compte qu'il fallait réagir pour au moins se sortir de là et sauver Adria, Nakor activa sa magie. Il fouilla dans sa barbe en y plongeant sa main et sortit un long morceau de tissu rouge bordeaux, de la belle laine, finement tressé par des vierges dans un temple au sommet d'une montagne, au nord de Diantra. Il le tint d'une main, ce qui permit qu'il se déploie et claque au vent, puis prit la parole alors que la pauvre Adria, était là, un brin terrorisé, un brin hurlant de peur.

"Tu vois quand je te le disais, il faut pouvoir se concentrer à n'importe quel moment, dans n'importe quelle situation."

Soudain la magie de Nakor prit les devants, le vieux fou fit rouler sa magie sous le drap qui se tendit. Il le lâcha de sa main et dessina quelques arabesques dans l'air devant lui, il donna un coup sec et se retrouva dans la bonne position, les jambes vers le bas. Son tapis, solide arriva sous ses pieds et il avança en direction de sa jeune élève. Il l'attrapa par le bras et la déposa sur le tapis en l'aidant à grimper. Dun Eyr n'était pas loin mais le sol aussi. Il ouvrit de grands yeux, et lâcha

"Ho nondidiou!"

Et leva violement les bras vers le ciel. Le tapis freina violement sa course et s'arrêta à quelques mètres au dessus de la roche. La pauvre Adria, non prête s'effondra sous le choc de l'inertie, choc que Nakor n'évita que parce qu'il était à l'origine du sortilège. Le dragon de Perrelin s'écrasa sur la roche et le sang gicla de tous les côtés, ainsi que ses tripes et boyaux. Heureusement, Nakor avait arrêté le tapis à l'horizontale. Ils furent donc tous deux protégés par les effluves internes de la bête. La barbe blanche aida Adria à se relever en lui demandant

"Tout va bien mon enfant?"

En la gardant proche de lui comme pour la rassurer. Il fit descendre doucement le tapis volant et resta à quelques dizaines de centimètres du sol, histoire de ne pas se salir les pieds dans cette mare immonde de sang et de boyaux. Il leva son bâton magique et l'inclina, puis fit un peu de lumière en disant

"Dun Eyr? Imbécile heureux de nain maudit, où êtes-vous? Encore vivant? Haldren, Fjama? Bon sang mais où est-ce que tout le monde est passé?"

En balayant devant lui la caverne, il vit un énorme couloir, donnant ensuite sur les restes de la cité de Kirgan. Ca y est, ils y étaient, devant les ruines défaits de l'ancienne maison des nains. Ils allaient pouvoir visiter un peu avant de se faire de nouveau attaquer. C'était une bonne chose. Le vieux fou resta cependant au dessus du sol, sur son bon tapis qui dégoulinait par en dessous de quelques éclaboussure de sang et de boyaux. La laine était assez épaisse pour ne pas faire sentir aux occupants une quelconque gêne. Un bien bon tissu que ce tissu là! Le magicien retrouva un peu le sourire.

Glups !, donc, faisait notre gaffeur de Nain.

Au bout de ses bottines à pointe encornée, un vaste vidé béait avec avidité et étalait toute son impénétrable obscurité. Quelques gravillons y tombaient encore, dans le sillage des gros rochers qui s’étaient dérobées l’instant d’avant ; et, çà et là, entre les ombres, quelques formes agités se laissaient entrapercevoir, des silhouettes de magicien au chapeau pointu, de Ditronw évanescent et de Perellin au long vagissement. Dans la tornade de poussière, de coups et de fracas, et les grands cris, l’ouïe pourtant fine de notre Nain peinait à distinguer un hoquet d’un autre, un cri d’un hurlement. Mais, derrière de vagues imprécations, il lui parut bien distinguer quelques jurons abominables à l’encontre de sa personne…

Si le Lirganique avait eu quelques instants de répit pour lui, il aurait pu méditer à tous ces événements ; et se demander si, fatalement, précipiter toute sa petite compagnie dans un gouffre béant et hargneux valait bien ces sombres malédictions qui tonitruaient avec écho dans la faille. Mais las ! le Destin cruel, qui faisait onduler les ressorts de toute cette odyssée, lui ravit ces belles secondes de songe – et, le Perellin n’avait pas encore éclaté en contrebas comme une outre à viscères, qu’un concert de grognements barrissait à trois pas derrière le Nain, sur sa corniche étriquée.
Apparemment, les petits compagnons de Bragzoff venaient aviser ce qu’il y avait à piller. Les grognements comme des cailles plumées, c’était manière de témoigner sa grande joie devant l’intelligence et la haute technicité du piège ainsi déployé – pensez donc, un Troukitutou, comme ils geignaient. Certains, entre deux rires, en pleuraient de bonheur.

Quelle ne fut pas la déconvenue de Messires les Vertegueules, lorsqu’ils aperçurent la ronde silhouette du Nain qui les narguait, les deux petons fièrement campés aux abords du Piège Prodigieux. Toute la palette des sentiments Gobelins défilèrent sur leur face torve et niaise, pour autant que Dun Eyr pouvait en juger dans la pénombre ; et les faciès crochus mimèrent la surprise, puis la haine, la détestation, le dégoût, la pulsion Nanicide enfin. Aussi, cette subtile réflexion ayant touché son terme, ils chargèrent en beuglant.
Acculé par la meute, les talons béant dans le vide, Dun Eyr n’eut guère le temps d’échafauder une riposte de stratège. La magie, que nenni ; la fuite, utopie. Le Nain alors bondit vers l’avant et, une œillade jetée au plafond inégal et fissuré, il y ficha sa lame d’un geste ample et rageur, espérant en arracher quelques pitons rocheux.

Pour qui escomptait un petit éboulis, propre à contusionner trois Gobelins, les attentes furent rondement comblées. Peut-être le geste du Nain fut-il si violent et franc, qu’il en ébranla la montagne tout entière ; ou bien le Troukitutou avait-il tant affaibli la galerie, qu’elle menaçait rompre à tout instant. Quelle qu’en fût la cause, l’effet se montra implacable ; et une grosse pierre toute sphérique, large comme trois Nains à la bourrée – ou quatre Koblods à la rôtissoire, c’est idem – se décrocha de la galerie pour venir s’effondrer sur la torve trogne des Gobelinards.
Le Nain, chance insolente !, avait l’inclinaison du sol pour lui. C’est le genre de hasard qui est rarement réciproque ; aussi les quelques bêtas verdâtres furent-ils rompus et concassés, puis malaxés sous la pierre, pour venir l’orner comme une guirlande festive – de rouge et de vert mêlés. Un globe oculaire, encore tout frondeur, fut rejeté par l’élan du broyeur et, jaillissant par-dessus l’épaule du Nain, suivit le Perrelin et ses compagnons dans le gouffre. Mais quant au reste, aux dents et mandibules qui s’éparpillaient en nombre, tout cela suivit le sillage descendant de la roche tourneboulante et s’effondra vers le bas des boyaux.

Devant ce joyeux retournement de situation, Dun Eyr sourit d’une oreille à l’autre. Pour autant, sous ses pieds, la pierre couinait et s’effritait sous la lourdeur du rocher roulant et fou. Le Nain, coutumier des plaintes de la roche, réalisa une seconde trop tard qu’il mériterait probablement une nouvelle bordée de jurons de ses comparses...
Car le sol de roche, qui tanguait sous ses bottines, lui remémorait la grande fragilité des galeries prises par les Gobelins ; cette engeance-là colonisait trouées et niveaux en y forant des tanières par douzaine, et ce qu’il restait des rocailles n’était bien souvent plus qu’une frêle dentelure qui pouvait rompre sous le peton du plus léger des Nains – si tenté qu’un Nain pouvait être dit léger.
Alors, un monolithe dément…

Le Nain se retourna vers le vide qui béait derrière lui et, haranguant le gouffre, il lança un hésitant :

« ... Tout va bien ?... »

Mais entendant le fracas de l’énorme roche qui s’abattait dans les galeries, et cahotait à en faire trembler les montagnes, Dun Eyr, dans un hoquet, laissa échapper un nouveau ... glups !

La pauvre Adria avait poussé un sacré cri, le vieux fou le nota mentalement et attendit le bon moment pour lui tendre une perche. Il récupéra la jeune elfe et ils arrêtèrent leur chute ... enfin, il arrêta la chute des deux! Adria se permit une petite pique taquine qui fit glousser le vieillard, qui y répondit

"Voyez-vous ça! Moi, trop lent!"

Puis ils entendirent les cris des deux cinglés du dessus. Nakor leva la tête, étrécissant son regard, comme si sa vue de vieil homme pouvait percer les ténèbres. Ce qui n'était pas le cas. Il garda en bouche une série d'injures qui auraient fait rougir de honte des vieux pirates en goguette. C'est sa jeune élève qui prit les devants, son cri semblant provoquer une réaction en chaine néfaste. La longue barbe blanche glissa dans un hoquet de stupeur

"Mais qu'est-ce que ... ?"

Le son était clair, limpide, telle une mélopée de harpiste émérite : la roche dévalait le tunnel dans sa profondeur absolue. C'était soit Adria soit encore ce monstre de bêtise de Dun Eyr ... mais oui, encore lui, tu parles d'une quête, c'était un meurtre de magicien qu'il cherchait à commettre celui là. Attendez qu'il mette de nouveau la main dessus, il passerait un sale quart d'heure, fois de vieux fou sénile. Nakor n'allait pas attendre, il leva la main et allait activer sa magie quand ... décidemment il n'était pas aidé ... Adria perdit contrôle de ses nerfs et de sa magie et balança une onde de poussé de bas en haut. Nakor hurla

"Mais pas comme çaaaaaaaaaa!"

Qu'elle idiote, il fallait aller de l'avant pour fuir la roche en éboulement, pas monter vers elle pour s'écraser encore plus vite contre la pierre en chute libre. Non mais c'était pas vrai! S'il ne faisait rien son beau chapeau presque millénaire et sa tête qui était en dessous depuis presque autant de temps finirait en crêpe à la sauce tomate. Une pression vers le haut ... la réponse était une pression vers le bas aux premiers abords. Mais en réalité non, c'était un parti prit dangereux, car ils seraient tous deux écrasés par la magie avant d'être écrasé par la roche. Il savait ce qu'il restait à faire : une pression vers le haut aussi. Nakor leva d'un coup très vif et puissant, ses deux mains vers le haut, paumes ouvertes. Une gigantesque poussée d'air parti en vint frapper violement la roche en chute. Nakor avait étendu son emprise sur l'ensemble du tapis. Cela eut l'effet escompté : la montée infernale cessa sur le champs, comme un contre poids appliqué au bon endroit et sur la bonne surface. Puis dans le même élan, il baissa ses mains et le tapis fit une descente vertigineuse. La vitesse était si intense qu'il dû se maintenir lui et Adria, par télékinésie, sur le tapis. Juste avant de frôler le sol, Nakor redressa, en subissant toute l'inertie de la chute puis tendit sa main droite vers l'avant, index pointé dans l'obscurité. Le tapis avança avec vigueur, sauvant de justesse le professeur et son élève. Les roches firent un bruit infernale et bouchèrent la cavité. Le tapis continuait à avancer et Nakor calma l'allure, avant de prendre une respiration longue et profonde

"La prochaine fois que tu as envie de m'aider Adria ... réfléchit deux secondes au sens le plus intéressant du mouvement que tu cherches à provoquer."

Puis sentant que dans cet état de stress, il n'était pas si habile que cela de donner une leçon de morale, il ajouta

"Mais ma fois, tu as un sacré brin de voix ... tu devrais intégrer la chorale de la cours lyrique du roi."

Puis le vieux fou explosa de rire. Il glissa dans sa barbe, juste pour lui

"Et si nous faisions un peu de lumière?"

Nakor prononça un mot de pouvoir et le bout du bâton magique du vieux fou s'illumina et diffusa une douce lumière. Ils avançaient tous les deux dans un long tunnel de roche taillé. La lave du volcan n'avait pas atteint les lieux. Quelle chance. Nakor dit alors, en direction d'Adria

"Regarde ma fille, ici, la colère des dieux n'est pas passé ... c'est un tunnel taillé de main de nain ou je ne m'y connais pas! Si nous suivons ces galeries, en remontant le plus souvent possible, nous finirons par atteindre les abords de la cité. Mais d'abord ... et si tu veux bien?"

Le vieux fou fit descendre jusqu'au sol le tapis et cessa son flux de magie. S'il y avait danger, il fallait qu'il soit prêt à déchainer ses pouvoirs et tout ceci l'avait déjà fatigué. Il aida Adria à descendre, comme un preux chevalier servant puis roula le tapis et le glissa dans sa manche. Le bâton resta illuminé et il dit alors

"Reste prêt de moi veux-tu? Et s'il y a danger, soit prêt à réagir rapidement ou au moins à ... enfin à rester proche de moi sans courir de risque."

Il avait failli dire, au moins ne me dérange pas, mais il ne voulait pas être méchant, lui avait vécu des guerres, des combats, du sang et du stress plus que de raison, elle était encore fraiche et pure, c'était plutôt une bonne chose. Il espérait qu'ils rejoindraient vite le trio infernale qui devait marcher à la parallèle d'eux, mais à quelques dizaines de pieds au dessus de leur tête.