Les Grands Jeux de Thaar | Les inscriptions

Première ennéade de Favrius

Le Maître du Jeu, s’adressant à son audience… Cela fait des ennéades que tout le monde en ville ne pense plus qu’à cela. Aujourd'hui, les gladiateurs s'inscrivent au Sablon, la grande arène de Thaar qui vient juste de rouvrir ses portes, pour participer aux grands jeux de Thaar. Rassemblés dans l'espace de combat, vous patientez de longues heures durant en observant vos futurs adversaires sous l’œil intransigeant de gardes peu commodes. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’événement a fait naître des vocations. Comme souvent à Thaar, il y en a de toutes les couleurs et de toutes les formes, pour tous les goûts. Certains sont impressionnants, d’autres donnent l’impression de ne pas savoir par quel bout tenir une arme… Mais pour le moment, vous êtes tous logés à la même enseigne. Chacun à votre tour, vous passerez dans une salle adjacente, devant le petit bureau d'un semi-elfe distant. Ce dernier consignera votre nom ainsi que celui de votre écurie et de votre éventuel sponsor officiel, vos capacités magiques et vos armes de prédilections. Puis il faudra vous mettre à nu pour un examen de routine : taille, poids, vérification d'éventuelles blessures ou maladies contagieuses pouvant empêcher l'inscription, rien que de très commun pour des professionnels... Reste à savoir si vous êtes des professionnels.

D'allure renfrognée et l'air peu amène, l'homme se tenait à l'écart des groupes de braillards qui se vantaient à gorges déployées d'exploits imaginaires destinés à impressionner les crédules qui béaient stupidement devant eux. Ces jeux amenaient vraiment de tout et n'importe quoi, à côté de véritables guerriers se trouvaient des grandes gueules qui n'allaient pas durer longtemps dans l'arène malgré leurs rodomontades de bistrot. S'installant pour trouver une place moins inconfortable sur l'un des rudes bancs de bois installés devant le bureau des inscriptions, l'homme observa attentivement ses futurs adversaires... pas ceux qui braillaient, non, ceux-là ne l'inquiétaient pas et il savait pouvoir en venir aisément à bout. Il regardait surtout ceux qui comme lui ne cherchaient pas à se faire remarquer car les véritables dangers viendraient de là.

Il vit un inconnu en cape et capuchon entrer rapidement dans le bureau des inscriptions, apparemment désireux de rester aussi peu longtemps que possible avec les autres participants. Signe de nervosité ? Ou peut-être plutôt volonté de ne rien dévoiler avant que les jeux ne commencent ? Difficile à dire, toutefois l'inconnu avait raison sur un point : inutile de rester là comme un gland, autant en finir avec ces formalités et retourner s’entraîner au calme. Se levant, l'homme entra à son tour dans le bureau où il trouva un demi-elfe qui rangeait le dossier précédent et le regarda avec l’œil inerte de celui qui sait devoir passer encore une foutue journée à remplir des foutues questionnaires pour de foutus gladiateurs venus avec leurs foutues épées pour se foutre sur la gueule.

Nom ?
Hanegard Kastelord.

Petite lueur de surprise dans l’œil du plumitif qui apparemment connaissait ce nom.

Le baron d'Alonna ?
Plus maintenant, j'ai abdiqué voilà des années.
Écurie ?
Pas d'écurie.
Sponsor ?
Aerianna Hiisi, dirigeante de Geresh
Magie ?
Non.
Armes ?
Ceci... et ceci.

Hanegard dégaina sa massive épée bâtarde qui aurait nécessité pour la plupart des hommes d'être maniée à deux mains mais que le natif des wandres pouvait durant quelques passes utiliser d'une seule, ainsi qu'une longue dague d'aspect inquiétant. Le demi-elfe observa attentivement chacune des deux armes puis hocha la tête et reprit d'une voix monotone la suite des questions qu'il allait poser plusieurs dizaines de fois ce jour-là ainsi que les suivants.

Nom de scène ?
Le tueur de rois.
Est-ce une référence à Nimmio de Velteroc ? Pourtant il n'était pas roi.
Quand vous dirigez la moitié de la Péninsule sans devoir rendre de compte à quiconque, qu'êtes-vous sinon un roi ?
Certes... et de toute façon, le tueur d'archiducs ne rendrait pas bien.

Apparemment satisfait, le plumitif gratta les dernières informations sur le vélin avant d'ordonner :

Veuillez vous déshabiller.

Haussant les épaules, Hanegard entrepris d'ôter ses vêtements pour subir l'inspection de routine qu'il savait être nécessaire dans ces cas là. Vétéran de multiples campagnes, son corps arborait plusieurs cicatrices sur le torse et les bras laissées par des lames baladeuses ou des flèches trop aguicheuses. Son dos semblait quant à lui exempt de cicatrices provenant des combats, toutefois on pouvait y voir d'anciennes traces que seul un fouet pouvait y avoir laissé. Le demi-elfe eut toutefois la bonne idée de ne pas poser de questions à ce sujet et après avoir vérifié que son "client" soit en bonne santé, il le laissa repartir afin de passer au candidat suivant qui déjà s'avançait.

Même lors de la fin du monde il faudra penser à s'inscrire, grommela Hanegard dans sa barbe en quittant le bureau. Dehors les braillards continuaient à se vanter aussi les ignora-t-il afin de prendre la direction des thermes pour y profiter d'un bon bain puis d'un massage, luxe auquel il s'était assez facilement habitué depuis son arrivée à Thaar quelques ennéades auparavant.

Personne n'avait vraiment prêté attention à la présence de ce gamin pied nus, habillé de grosse toile et portant un bâton trop grand pour lui. Avec sa peau de lait, ses yeux rouges et ses oreilles pointues, il était facilement identifiable comme une espèce de bâtard. Au mieux, il était un serviteur, au plus probable, un esclave faisant quelques commissions. Alors pourquoi s'étonner qu'il passe ainsi devant tout le monde pour se glisser jusqu'à la porte du bureau des inscriptions ? D'ailleurs, il en entrouvrit même la morte, silencieux comme une ombre, pour lancer un regard à l'intérieur. Cela ne pouvait-être que pour vérifier si son patron, ou peut-être bien son maître, était toujours là à faire passer les inscriptions.

Pourtant les yeux du garçonnet qui semblait avoir entre 8 et 10 ans ne se posèrent pas sur la face déjà ennuyé du semi-elfe qui remplissait ses dossiers, mais sur un postérieur poilu de ce qui avait toutes les chances d'être un humain. A travers l'étroite lucarne que lui offrait le battant, il ne voyait pas grand chose d'autre que ça et le dos qui le surplombait. Un dos aussi ornementé que celui de sa mère ! Fasciné, le gamin resta là à tenter d'en voire quelques millimètres de plus. Un jour, lui aussi ressemblerait à ça !

Ce n'est que lorsque l'humain se rhabilla qu'il s'écarta un peu de la porte... Pas assez visiblement puisqu'après avoir entendu un braf "... fin du monde il faudra penser à s'inscrire..." le battant s'ouvrit sur un pas vif et décidé qui heurta le côté du garçon. Le petit leva tout de suite la main pour se défendre, mais - mis à part son visage que l'adulte ne passa pas vraiment en revue - sa posture main ouverte rappelait tant celle d'un apaisement craintif que l'humain fit un vague geste de principe sans s’arrêter pour autant. Curieux...

Mais cela voulait dire que le gamin était libre d'entrée !

Un air bien trop guilleret sur le visage, le garçonnet se glissa à l'intérieur du bureau et referma la porte derrière lui.

Le semi-elfe leva un sourcil sans que l'autre n'ai le moindre frisson.

- Tu as quel âge ?
- Ch'ais pas. " menti effrontément le gamin. " Le propriétaire de l'arène du Pipumia sanglant, à Qyriah, m'a dit que tout le monde pouvait s'inscrire pour le tournois. "

A ce moment précis, le bureaucrate sentit que la journée allait être encore plus longue qu'il ne le pensait... Il faudrait qu'il demande de l'aide à ses petites mains si même les gamins des rues de Thaar mentaient pour tenter leur coup. Mais comme c'était son boulot, il se fit encore plus distant et austère que d'ordinaire.

- Nom ?
- Elghinn Al'Serat.

La plume se suspendit dans les airs. L'homme jaugea le garçon... Et marqua finalement juste son prénom dans le registre. Il avait assez de paperasses pour ne pas s'embêter à devoir en référer au Conseil.

- Écurie ?
- C'est quoi ces questions de merde ? Je suis pas un cheval. " L'expression du gamin à la fois nonchalant et joyeux qui était entré se transforma en un visage bien trop adulte pour son âge. Il dégageait une impression étrange... Et cynique.

- Sponsor ?
- Me rappelle plus de son nom. C'est le type en robe de la délégation eldéenne.
- Écoute petit. Sans une écurie ou un sponsor précis, tu ne peux pas participer. Si tu es là pour me faire perdre mon temps...
- Olah. Très bien. Puisque monsieur insiste. T'as qu'à mettre ma mère Krish Al'Serat. Mais t'as pas intérêt à la prévenir.

Un rictus moqueur aussi condescendant que pouvaient l'être ceux de sa mère fit flamber ses iris sanguines. Mais c'était quoi ce gosse ?! Le semi-elfe souffla doucement sans rien laisser paraitre, trempant à nouveau sa plume dans l'encre.

- Magie ?
- Je vois des choses mais je peux rien faire, ça compte ?

La plume traça un simple "Non"

- Armes ?
- ça.

Il tendit son bâton de bois tout simple et se baissa pour tirer de sous son trop large pantalon une dague de combat d'un noir obsidien, forgée d'un seul tenant et comportant un trou au bout du pommeau. Tout était en ordre. Les notes furent prises.

- Déshabille toi.

Il obtempéra sans discuté. Pour forcer sa croissance, son corps était soigné, sculpté et remodelé par la magie de dizaines de prêtres depuis son arrivée à Elda, alors être nu en publique n'était pas quelque chose qui le traumatisait. Plus, il avait passé presque toute sa vie à se battre à poil contre des monstres avec un nombre indéterminés de griffes et des trucs tranchants. Être nu lui était plus confortable que de porter des vêtements contraignants ses mouvements.

Paradoxalement, l'annotation de ses marques et éventuels problèmes ne pris qu'une seconde. Il avait toutes ses dents, tous ses orteils, n'était pas malade, ni anémique. A cause de son passage entre les griffes de ce satané elfe, aucune cicatrice ne couturait sa peau. Souple et sèche, la musculature que camouflait ses habits amples étaient plus développée que celle d'un enfant habituel. Du genre à engendrer des retards de croissances et des problèmes osseux... Ouais, il était bien renseigné sur le sujet.

La seule marque distinctive qui lui restait était une grande zone d'un noir tout eldéen, prenant toute sa hanche droite pour former un soleil aux rayons presque parfaitement symétriques.

- Nom de scène ?
- C'est obligatoir ?
- Oui.
- Baaaah. " Il se gratta la tête. Quelque chose de classe. Quelque chose qui inspirerait la peur. Quelque chose qui lui ferait honneur et qui lui permettrait d'avoir un costume à la hauteur de ses ambitions... " La Mort Blanche ! " lança-t-il soudain, rayonnant de fierté.

Une fois qu'il reçu le signal, il remballa ses affaires, planqua son couteau, se rhabilla en vitesse et quitta le bureau avec un immense sourire enfantin sur le visage. La grande femme aux cheveux courts qui entra après lui lui jeta un regard en se demandant ce qui avait bien pu être aussi long.

Au lieu de rentrer tout de suite pour préparer son costume, il se faufila jusqu'aux gradins les plus hauts et observa la foule en contre bas tout en profitant de la chaleur du soleil... prêt à détalé à la moindre question.

Ainsi, voilà à quoi s'amusent les Thaaris... Une foule, entassée sur des estrades autour d'une arène, où lutteront et mourront des gladiateurs d'origines diverses. C'est là un concept presque familier au Gobelin. Une fosse. La fosse où de multiples coeurs luttent et s'entre-dévorent pour continuer de vivre, aux dépends des autres. Un jeu ? Pas au sens où l'entend le sombre mais qu'importe. L'occasion est bien trop belle. Ayant faussé compagnie à la délégation eldéenne, tel un enfant attiré par un reflet, le Géant est allé voir de quoi il retourne. Faisant peser son regard sanglant sur les guerriers assemblés, son rictus se fait impatient et joyeux. De tout, il y a de tout... Cela change du Puy.

Cependant, il tique quand il remarque un enfant, pâle, étrange. Lui... Une hésitation suffit à ce que ce dernier s'esquive pour aller s'inscrire. Le regard du grand drow pâle reste fixé un temps sur la porte qu s'est refermée. Etait-ce seulement bien lui ? Curieux, le géant s'approche de l'emplacement qui s'est vidé. Ce qu'il sent le laisse hésitant, la tête basse... Contrairement au futur gladiateur le plus proche, qui se lève et gonfle le torse.

"Retourne à ta place, noirelfe."

Cette odeur-ci... Le musc qui lui monte au nez étire le rictus qui lui déforme le visage. La soif de combat, si familière, la tension qui fait frémir l'échine, la promesse d'un poing qui pulvérise la chair... Tournant légèrement la tête, il voit la larve frémir à la vue de son faciès, alors qu'un grondement amusé se fait entendre, sombre et animal.

"Ne soit pas si pressé de mourir, mortel... Garde ton sang pour le jour promis." souffle-t-il.

Malgré sa propre recommandation, l'odeur de vieux sang qui imprègne le lieu lui susurre des envies tout autre. Peut-être cela est-il trop flagrant sur son faciès, peut-être celui qui tire l'imbécile lui dit quelque chose d'intéressant, en tout cas, la larve se rassoit et laisse faire. Fermant les yeux, le Géant inspire. Un jeu... Sera-t-il à ton goût, Ô Prime Dragon ? La chaleur prometteuse de sa Braise le laisse espérer que oui.

La porte s'ouvre... Et une femme passe, profitant du semblant de confusion, entre le gladiateur intimidé et le sombre qui tarde. Elle a presque refermé la porte derrière elle qu'un battoir saisit le battant et l'ouvre grand. Sans lui laisser le temps de comprendre, le noirelfe la tire violemment en arrière, rentre, et referme derrière-lui. Plus vite il sera inscrit, plus vite il pourra quitter les lieux, et éviter d'écharper à l'avance les participants. Le Feu d'Uriz n'apprécierait sans doute pas. Des biles sanguines se fixent sur le semi-elfe. Clignant des yeux, ce dernier remplit son office.

"Nom ?
- Urgoll'Ven."

Le scribouillard lève les sourcils et ouvre la bouche en un "Ha." muet... Puis la referme, et reprend sa plume.

"Ecurie ?
- C'est moi qui dresse les bêtes, sang-mêlé. s'amuse le servant de Zhak'Bar.
- ... Je vais considérer cela comme un non. Sponsor ?
- La Délégation Eldéenne.
- Magie ?
- Elémentaliste.
- On vous dira quand vous serez autorisé à en faire usage. Il ajoute, blasé, à la vue du visage du sombre. Ce sont les règles. Armes ? Le noirelfe dévoile ses lames, deux longs couteaux au manche austère mais à la lame affutée. D'accord. Déshabillez-vous."

Eléments d'armure et de cuir chutent tour à tour au sol, dévoilant la carcasse presque cycléenne du noirelfe. Des muscles dont il fait couramment usage roule sous une peau pâle, couverte de blessures aux origines diverses. Bêtes, humanoïdes, éléments naturels, magie... Tant d'adversaires qui laissèrent leur trace, en une toile complexe de tissus cicatriciel, de creux et de bosses. Parmi les plus récentes, deux longues entailles cicatrisées, une le long de chaque avant-bras. A l'opposé de cette toile qu'est son torse, ses bras et ses jambes, il y a une grande cicatrice "unie", marque du feu magique qui ravagea son dos, sa nuque et la naissance de son fessier. Sensible, la fraîcheur sur cette peau-la le fait frissonner. L'éternelle brûlure... Il en noiera la piqûre dans l'orgie de combats à venir.

"Nom de scène ?"

Cette question, Urgoll'Ven souhaite la balayer, n'en voyant pas l'intérêt. Un jeu... Pourquoi pas ? Un instant de réflexion. Son Servant ?... L'imagination du sombre manque, sur ce point, jusqu'à ce que lui revienne en mémoire ce surnom que certains de ses adversaires lui crachèrent au visage, quand ils ne le murmurent pas avec mépris sur son passage.

"Le Grand Gobelin." gronde-t-il, non sans ironie.

Cela fait, il récupère ses affaires et se vêtit à nouveau, puis fait volt-face pour partir d'un pas énergique. A la femme qu'il a jeté dehors, il n'adresse pas un regard. Plus tard, le combat. Plus tard.

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