La rose et l'épine [L'Renor]

huitième jour de la deuxième ennéade de Karfias de l’An 15:XI
La salle se trouvait au bout d'un couloir de pierre anonyme, lui même dans la portion du labyrinthe réservée au C'nros, le corps des mages de guerre du Puy d'Elda. Là où l'étude noire se concentrait sur la recherche et la formation des mages drows, le C'nros accueillait ceux d'entre eux qui allaient offrir leur talent à la puissante armée Eldéenne.

Dans le couloir résonna le pas cadencé des bottes. Le sombrelfe, grand et le port altier, avançait avec la confiance de celui qui connait sa destination. Habillé d'une armure légère sobre et élégante, il portait la cape avec grâce. Un observateur attentif aurait remarqué qu'il n'était pas seul.

Une daedhelle le suivait en effet de prés. Pieds nus sur la pierre froide, on ne l'entendait pas. Petite et svelte au point que sa carrure évoque celle d'une elfe, la peau sombre, elle portait une tunique et une ceinture fine, de laquelle pendait une lame longue dans son fourreau. Quelques fines cicatrices ornaient ses bras et ses jambes majoritairement nues. Ses marques d’expériences douloureuses exceptées, elle respirait la jeunesse. Ses formes modestes pour une drow y étaient peut-être pour quelque chose.

Ses mouvements félins faisaient danser sa chevelure neige organisée en une longue tresse. Tout en marchant à la suite de son guide, la sombre tenait sa main gauche dans sa main droite avec nonchalance.

-C'est ici." Le drow salua, puis s'en reparti sans autre forme de procès: Le mâle avait fort à faire ailleurs. Devant la noirelfe laissée seule, la porte d'un bureau était fermé. Elle soupira, ferma un instant ses yeux rubis, puis frappa poliment et entra quand on lui répondit, avant de s'incliner souplement en guise de salut à son hôte.

- Mes profonds respects, Mon nom est Shyn'tae Vaen're, dynamiste et professeur à l'étude noire. Je voulais vous rencontrer. Je voudrais proposer ma candidature au sein du C'nros. Elle avait parlé d'une voix calme et mélodieuse, mais une certaine tension était perceptible dans son attitude, en particulier à la manière dont elle tenait son poignet gauche.

- Vous m'avez peut-être vu combattre à Thaar lors des jeux. Je serais heureuse de pouvoir me mettre à votre service.

Les yeux parcouraient inlassablement les mots laissés là, en vrac. Et plus les mirettes andrinoples passaient dessus, et moins elle ne parvenait à les lire. Lassée d’être enfermée, énervée et tendue par la manque d’activité, elle balayait la pièce qu’elle connaissait déjà par cœur. Chaque coup dans la pierre lui semblait familier, chaque défaut, chaque recoin n’échappait à son inspection minutieuse. Et ce qui l’agaça d’autant plus, c’était le relatif silence. Outre la voix du guerrier-mage qui lui faisait son rapport – sûrement le dixième de la journée -, rien ne faisait vibrer l’air. Pas même elle. Alors, manquant de mourir de l’ennui, elle reporta sa maigre attention sur le respectueux Eldéen. Grand, ses muscles saillaient sous les fines couches de vêtements qu’il osait porté. Ses cheveux étaient relativement court, si bien que rien n’adoucissait sa mâchoire forte et ses yeux en amande.

Et malgré tous efforts inutiles pour ne pas y penser, l’image affectée de Kahveka lui revint en mémoire. Voilà plusieurs jours qu’elle n’avait pas vu son ami et amant. Peut-être était-ce cela qui la maintenait dans cette catharsis d’énervement constant. Elle n’avait pas pu déchaîner ses pulsions, si bien que le Monstre qu’elle abritait en elle commençait à ses jeter contre les grilles de son esprit. Encore forte, encore vaillante, la Rose Noire parvenait à faire taire ce Chien-Fou qu’elle craignait de voir ressortir à présent. Imperceptiblement, sa respiration s’était accélérée, et elle s’était enfoncé dans son siège. Oui, elle avait peur, une crainte intestine de voir un jour céder ses défenses intérieures.

« Ph’dos jugare ? »
« Bien sûr que je vais bien ! », irritée, le ton de sa voix était ferme et sûrement bien plus emporté qu’elle ne l’aurait dû. Alors, pour faire bonne mine, elle l’enjoignit à poursuivre son discours d’un geste. D’abord hésitant, il se résigna finalement et laissa raisonner une nouvelle fois le fil de son discours.
Retournant à son morne ennui, le temps parut s’allonger à l’infini. Jusqu’à ce que l’on frappe à sa porte. La future Ditrown Da’re leva le museau de son visage porcelaine alors que son homme cessa simplement de caqueter. Et par Uriz, cela lui fit bien plus de bien qu’elle ne l’aurait imaginé. Et avant même qu’elle ne l’envoie ouvrir le battant, il s’ouvrit sur une silhouette fluette d’une benjamine aux pieds nus. L’Renor ne masqua pas le petit sourire qui étira ses lèvres en voyant pénétrer dans son bureau la forme gracile. Comme le loup observant l’agneau, elle se laissa piquer la curiosité, passant une langue distraite sur ses lippes, pendues aux paroles qui s’élevaient gracieusement pour habiller le mutisme. Quand elle eut fini de se présenter – brièvement -, la Sanglante chassa l’air de sa petite main.
« Laisse-nous, je t’ai assez entendu. Fais le nécessaire ». Un poing porté au cœur, un rapide mouvement salutaire et l’homme tourna les talons. La porte se ferma et bientôt, les deux femmes se retrouvèrent seules, dans un calme qu’entretint un peu la Rose. Se levant doucement de son siège, elle fit le tour du large bureau et vint s’asseoir à son angle le plus proche de sa nouvelle invitée. Elle eut bien du mal à retenir un petit rire, alors qu’elle grignotait sa lèvre inférieure avec gourmandise. Voilà ce dont elle avait besoin dans sa monotone journée.
« Tu es bien courageuse de t’aventurer loin de l’Etude Noire, Shyn’tae Vaen’Re ». La voix cristalline claqua, et l’on y décelé en son sein une propension étrange – malsaine ? « Et tu me sembles d’une sage fille. Que viens-tu vraiment faire ici ? ».

Le Monstre s’élança.
La masse s’écrasa contre sa cage, qui pour la première fois, trembla.

La future Ditrown Da’re l'avait demandé, et quelques instant plus tard, le mâle s'était exécuté: Les deux éldéennes étaient maintenant seules dans le bureau. Immobile à l'entrée, Shyn'tae attendit avec patience que son hôte se lève, puis contourne son bureau pour s'y installer avec nonchalance, le visage aussi gourmand que si elle avait découvert une friandise à l'allure prometteuse. Elle évoqua à la jeune daedhelle un chat qui avait trouvé un nouveau jouet. C'était excitant.

L'esprit analytique de Shyn'tae s'était mis à débattre pour savoir si c'était une bonne chose. Elle n'avait pas l'air hostile, ce qui était un bon point car cela sous entendait qu'elle était prête à examiner sa proposition. Pour ce qui était du reste de son attitude: Son instinct lui hurlait qu'elle se trouvait dans une situation dangereuse... Alors elle se sentit vivante.

« Tu es bien courageuse de t’aventurer loin de l’Etude Noire, Shyn’tae Vaen’Re. Et tu me sembles d’une sage fille. Que viens-tu vraiment faire ici ? » Sa voix cristalline était douce et portait en elle bien des sous entendus qui firent frissonner son invitée. Des sous entendus malsains qui éveillèrent sa curiosité plus encore. Et venait-elle de dire qu'elle était sage? C'était la première fois qu'on lui faisait une telle réflexion, ce qui la fit sourire. Elle en avait peut-être l'air, mais ne l'était guère. Son cœur s'était mis à battre plus fort. Devait-elle faire une chose pareille? Ses oreilles se tendirent et elle baissa légèrement les yeux, un mince sourire malicieux aux lèvres en une expression faussement timide.

- Déjà... je veux faire mon chemin sans me demander si je le dois à quelqu'un d'autre! Un petit rire cristallin avait ponctué son affirmation. Ses liens avec la triumvir X'Ianxin étaient de notoriété publique, tout comme les aspirations de cette dernière au titre de Prime Sorciere.

- Puisque vous en parlez... Je ne suis pas certaine d'avoir été très sage... Et j'ai adoré ça. La drow fit la moue et se dandina comme une fillette qu'on aurait pris en flagrant délit. J'ai adoré le frisson du danger, du risque... Ce n'est pas très sage non plus. Ma place n'est plus à l'étude noire maintenant: Les apprentis sont dangereux à leur façon... Mais j'ai besoin d'aller plus loin. Sa voix chantante avait résonné dans la petite pièce avec douceur, son ton évoquant une culpabilité, bien trop teintée de malice pour être sincère.

La Rose Noire ne parvenait à détacher les yeux de l’agréable créature. Elle jaugeait chacun de ses muscles, pesait chaque mouvement, tentait de ressentir la tension de ses tendons qui se faisait et se défaisait aussitôt. Elle laissa un instant son esprit s’imaginer le liquide épais qui passait dans ses veines, qui pulsait dans ses artères. Alors sa lèvre ne sembla plus un rempart assez certain à son envie. Ses doigts lui picotèrent alors qu’instinctivement, ils vinrent effleurer la surface sale de tissu qui pendait mollement à sa ceinture. Oh Dula… Si tu savais comme j’ai envie de lui faire des choses. Tu sais, ces choses-là Dula . Comme une bouffée d’air frais, la jeune Shyn’tae offrait un spectacle revigorant. Et peut-être se maudit-elle un peu de n’avoir défoulé ses pulsions plus tôt. Ou pas. Les yeux sanguins restaient fixés sur l’invitée alors que sa langue vint caresser ses lippes. Sa respiration s’emballait imperceptiblement à mesure qu’elle décortiquait chaque battement de cils.

Puis, elle ferma les yeux. Une demie seconde à peine, le temps de couper ce lien qui devenait trop pesant. Lorsqu’elle les rouvrit, la Daedhel avait fini, ses lèvres avaient cessées de bouger et, son regard intelligent cherchait une réponse. Prenant meilleur appui sur la surface, la Sanglante laissa filer un petit rire, doux et amère, à la fois moqueur et protecteur.
« Sais-tu comment l’on vit longtemps Shyn’tae Vaen’Re ? ». Le calme était revenu dans la pièce, si bien que sa voix se laissa porter avec clémence. Et si la question fût posée, il ne s’agissait qu’une rhétorique. La fluette Aertsab était d’humeur à discuter, bien loin de son confort taiseux qu’elle aimât entretenir d’autres. Mais après tout, elle avait toujours aimé parler à ses proies. « En évitant d’être stupide. Et sais-tu ce qui est stupide ? ». Encore un moment de flottement, trop court pour qu’elle n’ait le temps de remuer la bouche. « Chercher le danger ».

D’un bond presque félin, la petite drow s’approcha d’elle et la jaugea une nouvelle fois de pieds en cape. Elle tourna autour d’elle lentement, non sans étirer sur son visage enfantin un sourire goguenard. Puis, une fois derrière elle, avec vivacité, elle s’avança encore, leurs corps se frôlant alors qu’en s’issant sur la pointe des pieds, elle parvint à lui susurrer à l’oreille : « Le danger peut être bien plus proche que tu ne le crois ». Et puis, presque aussitôt, retourna à sa place. « Une victoire ne fait pas de toi une combattante. Surtout dans une arène. Laisserais-tu mourir les tiens pour sauver ta vie ? ». L’étrange rictus ne s’était pas effacé, alors qu’elle attendait avec impatience la réponse de son invitée.

Satisfaite mais loin d’être rassasiée, la Sanglante tapota du doigt sur la surface froide de son bureau. Jamais elle ne détourna le regard de la jeune thaumaturge, et cela relevait de l’exploit dans cette pénible journée. Elle avait su habilement attiser son intérêt ; car si d’aventure elle aurait refusé ce genre de proposition, l’entendre la convainquait presque. Mais si je lui dis oui, elle mourra Dula. Sa tête se pencha un peu avec curiosité. Elle se pourlécha les lèvres à l’idée de ce petit corps parfait pourrait bien subir. Alors la respiration accéléra de nouveau, et ses pupilles ne laissèrent plus qu’un petit cercle rougeâtre. Peut-être même que l’idée de la voir échouer l’excita plus encore qu’elle n’aurait bien voulu croire. En vérité, ce corps svelte – quoiqu’entretenu – ne saurait survivre à l’art martial. Et, elle en était certaine, son invitée ne le savait que trop bien. Alors pourquoi, pourquoi cherchait-elle à se faire du mal ? Moi je la punirai. La Rose Noire avait cessé de sourire pour ne laisser plus que cet air inquiétant et mystérieux.
Le Monstre s’élança une fois encore, et le verrou grinça.

« Un mage utile est un mage en vie ». Ces mots avaient été soufflés, presque douloureusement alors que l’étrange mutisme s’était épris une nouvelle fois des femmes. Elle aurait passé volontiers le reste de son entretien à la contempler, mais cela demeurait bien trop dangereux. Trop tentant. Plutôt, elle ramena son esprit de manière plus factuelle, sur les choses qui devaient l’importer à présent. Celles qui devaient à tout prix occuper son esprit. « Que les Dieux t’aient été favorables ou non, tu as eu de la chance ». Et presque aussitôt, dans un bon rapide et avec férocité, elle se saisit du petit cou de la magicienne. Au travers de ses doigts elle pouvait sentir son sang battre, son poult s’emballer. Les dents serrés, L’Renor avait planté ses yeux presque totalement noircis dans ses mirettes. Et malgré le geste impulsif, il n’y avait rien de menaçant. Elle ne comptait pas l’abimer, pas encore. Son visage à quelques centimètres du sien laissait entremêler leurs souffles échaudés.
« Tu n’en auras pas toujours, du moins, pas avec moi ». Elle resta là une seconde, peut-être deux avant de la relâcher. « Ne laisse jamais la Bête ressortir. Jamais ». Etait-ce pour Shyn’tae qu’elle avait prononcé cette phrase ou pour elle-même ? « Elle te consumera, et tu aurais beau survivre, tu ne serais alors plus rien d’autre qu’un chien, qu’une bête blessée et acculée ».
Puis elle recula d’un pas et décrocha le tissu de sa ceinture. La poupée molle glissa entre ses doigts avant qu’elle ne l’envoie d’un geste souple à son interlocutrice. Elle confiait à une parfaite inconnue son catalyseur, sa poupée, son amie et pourtant, elle n’éprouvait aucune crainte. En vérité, elle avait l’étrange impression de se revoir, lorsqu’elle était enfant. « Dula sait chaque coup que j’ai reçu. Chaque fois que mes os se sont brisés. Chaque fois que l’on m’a frappé, que l’on m’a humilié ». La mâchoire de la Ditrown se serra et la rage remonta, maîtrisée et froide, alors qu’un sourire sadique revint peindre ses lèvres devenues orphelines. « Tes os ici seront brisés mille fois, ton corps violé, ta égo détruit, ton âme éparpillée. Alors dis-moi maintenant. Laisserais-tu mourir tes bourreaux pour sauver ta vie ? » Et la question pris enfin tout son sens.

Intriguée et de plus en plus déterminée, la daedhelle suivait la Sanglante du regard, toujours immobile à sa place. Le silence avait emplit la pièce, presqu'étouffant, alors que les deux mages contemplaient les paroles de leur vis à vis. Shyn'tae n'était pas certaine que L'Renor consente à l'accepter. Elle pouvait comprendre pourquoi, la drow avait déjà une place toute faite dans les rouages du Puy. Sauf que cette place l'amenait juste en dessous du triumvir Viconia, du moins l'espérait-elle, et que ce n'était pas une position qu'elle souhaitait occuper. C'était sans compter qu'il y avait à l'étude noire bien trop de mages désireux de déposer un scorpion dans sa couche. Non pas qu'elle ne puisse s'en accommoder, mais les complots dans l'ombre visant à l'avancement personnel des intéressés n'avaient jamais été sa tasse de thé. Trop d'énergie gâchée et de vies perdues qui ne serviraient pas le Puy ni les dieux.

"Un mage utile est un mage en vie". Et presqu'aussitôt L'Renor s'était élancée pour saisir sa gorge. Shyn'tae resista à l'impulsion qui lui disait d'esquiver, et sentit les mains fines autour de son cou, ce regard intense dans le sien… Elle le lui rendit. Son regard, d'ingénu devint tenace, leurs visages si proches l'un de l'autre qu'ils pouvaient sentir leur souffle les caresser. Jusqu'à quel point pouvait-elle risquer de s'offrir à la rose sans risquer de s'y piquer? Un peu plus probablement. Le petit jeu n'était pas déplaisant, et il y avait dans les mots qu'elles échangeaient de la justesse. Par contre… Justement parce qu'ils étaient juste, les mots que la drow prononça ensuite la firent frissonner. Et pour la première fois de l'entretien, L'Renor sentit une véritable angoisse traverser son invitée. C'était si vrai, ce qu'elle appelait la bête.. comme si elle la connaissait comme une amie fidèle, la jeune magicienne comprenait de quoi il s'agissait. Non, elle ne comprenait pas avoua-t-elle. Elle savait seulement qu'il y avait quelque chose qu'elle avait entraperçu. Et ce conseil résonna en elle.

Puis l'instant fut terminé, la sombre parvint à retrouver contenance, et, par reflexe, vive comme le vent, elle attrapa la poupée de sa main droite, son bras gauche tressaillant à peine sans suivre le mouvement. Elle ne s'en soucia pas, et observa le focalisateur en écoutant son vis à vis, avant de se tourner vers elle pour contempler la colère qui éclairait son visage. Elle est vraiment jolie comme ca, se dit-elle. Elle n'a rien digéré, ajouta-t-elle en son fort intérieur. Et c'était vrai, il y avait des choses qu'on ne digérait jamais.

La daedhelle promena son regard carmin sur la poupée quelques instants de plus, puis souplement la rendit à sa propriétaire. Son regard était différent: moins malicieux mais ferme comme l'acier.

- Ma venue n'est pas un caprice.  Je sais qu'on n'arrive à rien sans souffrances ni sacrifice. L'important est d'avoir un but, une direction. Je me fiche bien de savoir si ceux qui pourraient mourir auraient été mes bourreaux ou des amis. Si j'avais à choisir entre leur vie ou la mienne… Je choisirais ce qui doit être fait. Ce n'est pas une question de préférence malheureusement. C'est une question d'objectif et de.. conviction. Et si mon objectif était de vivre à tout prix je me tiendrais le plus loin possible de cet endroit, mais aussi de l'étude noire. Elle s'interrompit brièvement et oscilla légèrement d'un pied sur l'autre, pensive.

- Evidemment, je ne compte pas mourir si je peux l'éviter. Mais je ne suis pas totalement stupide, on a rarement le luxe de choisir … Je me doute bien que je n'ai pas les compétences aujourd'hui. Si j'avais eu pleinement confiance en mes capacités à exercer mon art dans ces arènes, avec un type décidé à m'éviscéré à deux pas, les choses auraient été différentes. Elle s'arrêta, pensant à ceux, en particulier ses parents pour qui elle était une deception. Se rendaient-ils compte qu'elle n'en avait cure? Professeur à l'étude noire à trois cents ans, ce n'était pas si mal.

- Et il me faut maintenant réapprendre tant de choses. Ce serait sacrément dommage de mourir avant d'avoir découvert tout ce que je pourrais faire. Et à nouveau, son visage s'éclaira d'un sourire plein de malice. Manifestement, c'était une perspective qui l'emplissait de joie.

Un bref regard vers sa poupée de chiffon finit de réchauffer le cœur de la Sanglante. Cette petite chose avait été le linceul de ses peines et de ses faiblesses, tout ce qui en ce jour représentait sa force et sa puissance. Car tel était la finalité ; elle avait réussi là où beaucoup avait échoué. Elle s’élevait sur ce monticule de cadavres, de victoires et de labeur tant il avait paru improbable qu’un jour elle parvienne à atteindre le sommet de ce monticule. Un pas après l’autre Dula. Son pouce effleura la surface tissée qui n’avait plus l’air de rien. Tâchée d’étranges fluides, grisâtre aux endroits épargnés, elle offrait un contact réconfortant. Et, apaisée, la Rose Noire se laissa aller à un sourire étrange, emplit de nostalgie alors que devant elle le thaumaturge continuait sa diatribe. En vérité, si elle avait eu son attention jusqu’alors, elle l’avait perdu à la seconde où elle avait rendu la guenille. Elle se foutait bien à présent des raisons de sa présence, pour peu que celles-ci soient assez forte pour ne pas qu’elle ait à sévir. Elle était – en vérité – très las de devoir imposer l’ordre. La Ditrown Da’re avait bien assez de préoccupations comme cela pour s’encombrer de dissidents, ou pire, de déserteurs.

Mais là était le revers de la médaille qu’elle chérissait. Et, tout compte fait, il s’agissait d’une bien maigre corvée quand l’on savait le plaisir qu’elle prenait à ce genre de chasse. Finalement elle n’était guère à plaindre La Rose. N’avait-elle pas tout ce qu’elle avait un jour désiré ? Raccrochant à sa ceinture les vestiges de son passé, elle releva ses mirettes pour observer à nouveau le visage parfait de son invitée. Bien qu’elle fût petite, elle était bien mignonne, assez pour ne point l’écœurer ; et ce bien qu’elle ne fût guère difficile ou regardante. Et puis, si elle ne jacassait pas tant, elle aurait pu lui tirer quelques tendresses. En vérité, plus le temps s’écoulait et plus elle lui faisait tristement réfléchir à ce qu’elle avait été avant d’avoir croisé Andreï.
« Non pas réapprendre mais apprendre. Et jusqu’à nouvel ordre, la seule personne à qui tu devras obéir c’est moi, et moi seule ». Féline, elle s’approcha à nouveau et se planta juste au-devant de son visage, droite, inflexible. « Tu ne respires pas, tu ne dors pas, tu ne manges pas si je ne t’en donne pas l’ordre. Est-ce clair ? ».

La Ditrown Da're ne l'écoutait plus guère. Elle semblait plutôt perdue dans ses pensées, à contempler la poupée qu'elle venait de lui renvoyer. La rose souriait d'une manière à la fois dérangeante et fascinante. Venait-elle déjà de lui donner une réponse qui la satisfaisait? Au fond, la question n'avait-elle était qu'une manière détournée de vérifier si elle comptait laisser ses futurs camarades au pire moment de la bataille? L'idée paraissait tellement absurde à la jeune drow qu'elle avait eu bien du mal à donner une réponse qui ne sonne pas faux à ses oreilles. Peut-être réfléchissait-elle parfois un peu trop.

Alors elle s'arrêta, faisant à nouveau silence. La drow parlait beaucoup, on le lui avait déjà reproché. Une habitude qu'elle avait peut-être pris au fil des décennies passées à expliquer ses cheminements mentaux à des étudiants pas toujours attentifs. Une habitude qui pourrait lui porter préjudice, reconnut-elle, impassible. Bon point, la mage sentait confusément qu'ici on saurait lui rappeler efficacement quand elle aurait mieux fait de se taire.

A nouveau, la Maitre mage releva le regard vers la potentielle recrue, la jaugeant de ces beaux yeux sang au travers desquels, à peine visibles, Shyn'tae parvint à distinguer quelques brides d'émotions. Desir? Mélancolie? Autre chose? Elle aurait été bien en peine de décidé, tant la daedhelle était difficile à décrypter, changeante et dangereuse. Face à elle, la drow fit en sorte de rester neutre, car elle avait la sensation qu'à cet instant précis, le temps n'était plus aux jeux et à la malice.

Puis la voix de la mage du C'nros emplit à nouveau l'espace qui les séparait, avant qu'elle ne s'approche pour la rejoindre, si proche.
« Non pas réapprendre mais apprendre. Et jusqu’à nouvel ordre, la seule personne à qui tu devras obéir c’est moi, et moi seule »

Shyn'tae hocha la tête, signifiant son accord. Alors elle intégrait le C'nros… Et L'Renor Crysto la prenait personnellement en charge? C'était une surprise que la sombre devrait avoir vu venir étant donné le regard que la demoiselleElle n'aurait attendu rien de moins rien de plus. L'obéissance était une valeur qu'elle avait toujours eu du mal à intégrer. Normal pour une demoiselle assoiffée de compréhension. Mais.. en l'occurrence et malgré elle, l'idée fit vibrer en Shyn'tae des cordes qui n'avaient rien de professionnelles."Oui, Ditrown Da’re", chanta seulement une voix qui n'aurait peut-être pas du porter tant de douce sensualité.

« Tu ne respires pas, tu ne dors pas, tu ne manges pas si je ne t’en donne pas l’ordre. Est-ce clair ? » La demoiselle ne put empêcher ses oreilles de se tendre en exprimant son interrogation. Était-ce une blague ou un test? L'hésitation fut à peine perceptible, car elle avait compris ce qu'on attendait d'elle, et la drow enchaina d'une voix décidée. "Très clair. Je vous obéis." Un petit frémissement parcourut son oreille gauche, alors qu'elle masquait ses emotions. Elle ne savait pas vraiment si la situation l'enivrait ou l'inquiétait. Il était difficile de décider. Il y eut une breve pause dans son discours, puis elle poursuivit d'une voix plus douce et à la timidité pleine de malice.Pardonnez-moi... J'ai été très mal élevée, je ne suis pas capable de m'arrêter de respirer. Mais ordonnez-moi de le faire…  et ce sera alors pour vous que je le ferai.

L’impétuosité de la drow lui arracha un sourire en quoi. Elle était une lumière claire et pure, presque intacte, dans l’océan de noirceur qui baignait le cœur de l’eldéenne. En vérité, c’était peut-être cela aussi qui l’avait séduite chez elle : elle représentait une part d’elle-même qu’elle avait un jour perdu, cette candeur taquine qui aurait bien mis le monde à ses pieds. Le poids de l’âge et des responsabilités avaient surement eu raison de cet enfant-là, laissant place aux doutes et à l’amertume. L’éclat cristallin de l’humeur ensoleillée rendait son âme un peu moins mélancolique. Et pour la première fois, la Rose Noire ressentait le besoin intestin de transmettre ce qu’on lui avait un jour offert, de tendre la main qu’elle n’avait su refuser. Il y avait dans cette acceptation beaucoup d’égoïsme sourd, comme si la jeunette pouvait servir de cataplasme sur sa vie. Au moins lui offrirait-elle assez de distraction pour ne point songer de trop à l’ennui qui l’accablait depuis de nombreuses années déjà.

Se dégageant de son séant, elle se dirigea sur la chaise qu’elle avait quitté à l’arrivée de son disciple. Le confort y était tout de même meilleur, et elle avait bien assez jaugé de la persévérance de la thaumaturge pour la journée. Assez d’émotions pour chacune d’elle, de toute façon la brave petite en aurait bientôt pour son content. L’Renor la toisait de son regard carmin, inflexible malgré l’ombre du rictus qui planait toujours sur ses lippes ; l’on n’aurait su dire si elle souriait tout à fait.
« Va maintenant et demain soit ici aux aurores ». Le ton était péremptoire et tinté d’une terrible excitation. La Ditrown Da’re jubilait déjà à ce qu’il adviendrait, et son air devint d’autant plus inquiétant. « Je te conseille d’aller prier Uriz ce soir, tu pourrais en avoir besoin Ssinjin dalhar». Oui Dula, elle en aura bien besoin…