Fortes têtes et amour fraternel | Solo

Chez les Long-Nez, 1ère ennéade de Karfias de l'an 17:XI

Revoir les siens... Quel nain n'en aurait pas eu le cœur réchauffé comme jamais, telle une forme ranimée après de trop longs hivers ? Grimeldha pouvait malheureusement se déclarer de ceux-ci, ceux dont le trouble était tel que ces présences ayant bercé ses siècles d'existence la mettait à présent... Mal à l'aise. Triste constat : après la douceur des retrouvailles venait ce goût doux-amère, puis cette colère qui, lentement, lui tordait les entrailles. Elle le taisait, mais nul ne pouvait ignorer l'humeur exécrable de la veille naine. Revenue de la cité légendaire, Grimeldha avait - bien sûr - fait une halte chez les siens, ceux-ci s'enquérant aussitôt de beaucoup de choses... Dont la santé de Bruloth, qui ne s'était, à vrai dire, guère fait désirer pour raconter. C'est qu'elle grandissait, cette jeune barbe-la... Dans le calme de sa chariote, la vieille dawi fumait la pipe, bien installée sur une chaise vieille de bien des voyages.

Avec politesse, quelqu'un frappa... Avant d'ouvrir, sans se laisser décourager par le silence. Une figure ancienne, élégamment poilue, s'afficha dans l'encadrement.


"Voilà donc où il me faut te chercher..." sourit malicieusement la vieille barbe.

L'ancienne tresse lorgna sur l'intrus avec un dédain appuyé... Avant qu'un sourire, petit, difficile, mais tenace, ne lui déride un brin la frimousse. D'un mouvement de tête, accompagné de volutes de fumées, la Long-Nez invita son cadet à entrer, ce qu'il fit bien volontiers, restant debout dans l'espace exigu.

"Fait donc pas ton digne sire, assied-toi là. marmonna Grimeldha, laissant sa place pour mieux trouver le confort du lit, si doux pour ses vieilles fesses, depuis bientôt deux décennies qu'elle voyageait dans cette maison de bois.
- J'te r'connais bien là, toujours l'coeur sur la main." dit le nain en s'exécutant.

Cela fut accueilli avec un reniflement nasal sonneur... Nan sans que la dawi lui propose bientôt un peu de son herbe à pipe. Sans se faire prier, le visiteur nocturne sortit son outille de sa propre poche. Bientôt, ce fut les fines courbes fumeuses de deux pipes naines qui s'élevèrent, se faufilant par la petite lucarne, et la porte entrouverte. Tout naturellement, ce fut le nain qui parla le premier, à nouveau, questionnant plus tranquillement la dawi sur la cité de Molgrunn que la ribambelle de nains de tous âges qui avait alourdi ses pas depuis qu'elle était de retour à Lante.

Non sans un soupir - on ne peut plus mérité ! - Grimeldha se plia néanmoins à l'exercice, sous l'oeil aiguisé de son cadet. Tout serait consigné, elle le savait. Ainsi le 'jeune' Zagazkroni. Le nez fureteur, et la mémoire d'la pierre, ha ! L'ancienne naine n'en apprécia pas moins l'écoute de son cadet, dont l'éclat du regard, à la lueur d'une bougie, trahissait parfois l'enthousiasme qu'il taisait pour mieux écouter. Quand une vieille naine raconte, et que l'on veut bien l'écouter...

Pourtant, la soirée tourna court pour les deux vieux dawi. Quand les questions de la barbe à moustaches prirent une direction plus ancienne et ardue, la vieille tresse se referma comme une mine s'effondrant, dévisageant son cadet avec un fond d'orage dans ses mires antiques. Encore, le sujet revenait, il ne voulait pas lâcher l'affaire. Non, il y tenait ! Devant le nain impassible, Grimeldha s'emporta alors.

Dans les alentours, on entendit tempêter à tout va, seule la voix de la dawi se faisant confusément entendre. Bientôt, le Zagazkroni fut renvoyé sans aucun égard, telle une jeune barbe ayant commis la pire des bêtises, sous le regard contrarié de Rurk, mâchouillant son foin. Grimeldha avait déjà claqué violemment la porte, son ombre agitée se devinant à la fenêtre de la chariote.

Sans un son, le regard un peu trop fixe, le vieux nain rejoignit le bâtiment le plus proche, marmonnant dans sa barbe. Sa moustache frémissait de l'outrage... Ainsi que du trouble qui retrouvait place en sa forge-braise. De nouveau, sa sœur aînée avait refusé de parler. "Par l'cul des Ancêtres, va donc t'ouvrir les feuilles d'chous 'vec aut' chose que l'brément d'tes runes poussiéreuses !" Outre le caractère approximatif de la récrimination, de même l'irrespect flagrant, c'était bien la puissance de l'emportement qui laissait le vieux nain pantois. Grognon et songeur, la vieille barbe rejoignit la chaleur des siens... Non sans jeter un dernier regard contrarié vers la chariote.

Des années, depuis que la Langktrommi était revenue des terres d'au delà du mur... Et Rimbur n'avait toujours pas eu réponse à ses questions. Pour un Zagazkroni, c'était quelque peu contrariant.