P'Ussy Uhn'ter

Favrius, premier mois d'automne
An 17 du XIe Cycle
3e jour de la 1ere énéade

Un long panache de fumée s’échappait du campement, habilement mis à feu et à sang par l'escouade de veneurs noirelfiques de Katub. C'est au petit matin, quand les morgals s'extirpent à peine de leur engourdissement grâce aux premiers rayons de soleil, que l'assaut avait démarré. Une heure plus tard, on décomptait les zurthans abattus, ceux captifs. On triait les bien portants de ceux qu'il faudrait abandonner sur place à une mort certaine, on séparait homme, femmes et enfançons. La routine d'un pillage en bonne et due forme ! Rien de nouveau sur le sol poussiéreux de Rothen Thac'zil, la terre de esclaves.

C'est au milieu de ce joyeux carnage que nous retrouvons l'Obokissime Senger, Katub la Hyène, tandis qu'en compagnie d'un de ses Veldruk, il interrogeait une femme zurthane aux abois. Le subalterne lui tenait les cheveux et à l'occasion, lui assénait une torgnole bien sèche, de la sorte que le visage de l'infortunée se trouvait d'ors et déjà tout tuméfié. Noblesse oblige, Katub, grand maître de cérémonie de ce sordide interrogatoire, se bornait à poser des questions, laissant à son subordonné (et à son grand regret) le loisir de coller des baffes. Vite lassé par les pleurs et les cris de l'humaine, l'Obok Senger se résolut cependant par la suite à de simple signes. Il levait un index gauche pour une tarte de la même main, et droite pour l'autre. Il hochait de la tête pour ordonner un coup de boule. Bref, il s'ennuyait, et cela, son Veldruk s'en aperçut.

« Ô Obokissime Senger, lui dit-il en parler noirelfique, pourquoi continuer à molester cet larve ? Elle nous a tout dit, et j’abîme juste la marchandise désormais.
- Je t'apprends une leçon, cloporte ! aboya Katub.
- Laquelle, ô divine pourriture ?
- Si tu ne sais pas pourquoi tu bats ta femme, elle, le sait. »

Et les drows d'éclater d'un rire mauvais. Peu de temps après, on ramener l'humaine au reste du troupeau, qui serait escorté bientôt jusqu'à Esion. C'était cependant une maigre prise. En effet, lors de l'attaque, les chevaucheurs de morgal avaient renoncé à la poursuite, laissant s'éparpiller les fuyards dans le désert. C'est qu'on attendait la venue d'autres camarades, rien de moins que l'homologue de Katub, l'Obok Senger du IIe Ost, pour une petite partie de chasse.

Viendraient, viendraient pas ? Au sein du régiment, les paris avaient fleuri bon, la plupart doutant qu'on daigne leur payer visite. C'est qu'isolés dans leur fief, dans cette Esion devenue presque leur maison, les drows du IIIe Ost en étaient venus à croire que le reste de la société eldéenne les snobait quelque peu. Cela les irritait autant que cela les accommodait, car la vie dans la cité méridionale était fort plaisante.

On se méfiait donc de ce qu'une autre grande huile des armées puysardes pourrait bien se figurer, en venant en villégiature dans le désert zurthan. Du reste, on en saurait bientôt un peu plus, car peu de temps après, Katub vit poindre au loin un nuage de sable, synonyme de l'arrivée de ses frères noirelfiques.

De retour du siège du fort Malbork, Kerath retourna dans sa forteresse au camp nord afin d’y ajouter l’arme du despote responsable de la défense dudit fort à sa collection de trophées et elle ne dépareillait pas avec le reste. Il la déposa l’épée sur la dernière place libre d’un râtelier en regarda le reste de sa collection avec une certaine fierté. Mais maintenant que les despotes n’étaient plus qu’une poignée qui se terraient dans les seigneuries morcelées, il n’avait plus d’adversaires digne de ce nom. Il y avait bien les dorniens mais il n’avait pas reçu l’autorisation de lancer d’assaut, ce qui n’empêchait pas de tenter d’en tuer un de temps en temps alors le Senger alla vers un emplacement d’artillerie de son ost et les équipes de sièges réglaient leurs machines avant de finalement relâcher la tension des cordes. Le tir passa juste au-dessus des remparts, manquant une sentinelles d’un mètre ou deux.

« La prochaine fois tues-le. »
« Mais on ne… » tenta de se défendre le kyorl qui se retourna vers son supérieur, son sourire satisfait de la précision de son tir venait de disparaître.
« Krish est peut-être là pour parler avec eux, pas moi. La prochaine fois tues-le. »

Le soldat, après un salut, retourna s’occuper de sa machine de guerre alors que l’Obok Senger s’en allait déjà. L’intérêt était finalement limité, il préférait tuer lui-même et ce directement. Il ne pouvait pas s’attaquer aux dorniens, l’Ithri’Vaan était hors de question à cause des traités passés et qu’il se devait de respecter, il me restait plus que les elfes. Mais au vu de ce qui s’était passé la dernière fois que les drows s’étaient lancés dans une attaque sans se concerter entre eux il écarta l’idée qui pourtant était alléchante. Cela dit les zurthans étaient aussi une possibilité, une possibilité qui avait l’avantage d’alléger la charge de travail du cinquième ost. Ça n’était pas grand hcose mais c’était toujours mieux que de mourir d’ennuis. Ainsi il fit harnacher Murrpau, exigea la présence d’une dizaine de Gardes Draconniques et après avoir organisé le siège pour qu’il continue sans soucis lorsqu’il ne serait pas là, Kerath s’en alla en envoyant un messager en avant pour prévenir le troisième ost.

A la tête de son petit contingent, l’Obok Senger suivait un soldat du troisième ost qui devait le mener jusqu’au sien, d’Obok Senger. En arrivant dans le campement qui empestait la mort et, surtout, le sang, Kerath chercha son collègue du regard, ce dernier n’étant pas bien difficile à reconnaitre, le colosse fit avancer sa monture au pas, de son habituelle démarche féline. Après les saluts de circonstances il tourna le regard vers les quelques prisonniers qui avaient été pris avant de retourner vers son homologue.

« Tu sais où y’en a d’autres, Drok? » Demanda-t-il en désignant d’un geste du menton lesdits esclaves.

« Les voilà ! », avait crié une sentinelle. Aussitôt, on se délaissa des esclaves pour se porter au devant de la délégation noirelfique. Quelques minutes plus tard, ce n'était nul autre que Katub lui-même qui accueillait son homologue, Kerath du IIe Ost, tandis que ce dernier mettait pied à terre de sa monture, un farouche félin à pointes. « Kerath’Elghinn ! lança Drok d'un air enjoué, Kerath le puissant ! Si ça fait pas trop longtemps, je ne m'y connais pas ! »

Les deux chefs de guerre se saluèrent de manière idoine, mais avant que le maître des lieux n'ait pu s'épancher en politesses devant son invité, ce dernier s'enquit aussitôt des prisonniers qui erraient là. L'Obok Senger du IIe Ost allait droit au but et s'encombrait de peu de manières, comme s'il eût été à sa propre revue des troupes. Or Kerath n'était il pourtant pas présentement par villégiature, et non par devoir ? Katub en fut quelque peu peiné, lui qui avait espéré pouvoir causer un peu. Mais après tout, on connaissait le caractère âpre du Senger invité, sa rudesse et son ire, presque proverbiale.

Elle ne suffirait cependant pas pour étouffer la bonhomie et l'entrain de Katub, qui prit par l'épaule son homologue et marcha avec lui à travers le camp fumant. « Kerath, puissant Kerath ! lança-t-il à son commensal, bien sûr que je sais ! Crois-tu que je t'aurais invité à rentrer bredouille ? Non, cent fois non ! Mais ah, ah ! Du calme, redoutable Kerath ! La journée est longue, regarde plutôt par toi-même ! » Arrivant à l'extrémité du campement, où deux transats les attendaient, Katub invita son collègue à prendre place, avant d'aboyer quelques ordres à ses subalternes.

Ceux-ci les transmirent à grand coup de trique aux esclaves alentours, qui aussitôt se précipitèrent au chevet des deux Senger. L'une vint leur servir un vin de datte épais et sucré, tiré d'une jarre en terre cuite, qu'elle servit dans deux coupes sommaires, fruit du pillage. Un autre accourut armé d'une grande feuille de palme qu'il agita dès lors au dessus des deux chefs, tandis qu'aux pieds de ces derniers, plusieurs enfançons s'attelèrent à leur masser les petons, les mollets, les cuisses. Avisant l'armure complète que portait son voisin, tandis que lui se satisfaisait allègrement d'un simple pagne et d'une peau de Pish-Ourah jetée en travers des épaules, Katub prit quelque peu pitié de Kerath, qui devait étouffer.

« Ah, Kerath, brillantissime Kerath ! Ton sérieux ne te quittera jamais, entama la Hyène, avant d'être interrompu par les mains invasives de la jeune esclave qui progressivement s'était rapprochée, sous les plis du pagne, de son sexe velu. Pas maintenant, petite, je travaille ! » D'une torgnole, l'Obok Senger chassa l'importune. « Ah, des larves, que ces zurthans, reprit Katub, vois comme leur nature servile les domine ! Ils ne peuvent s'empêcher de nous êtes soumis. Même dans leur fuite, ces cloportes nous appellent à venir nous saisir d'eux. » Se fourrant un doigt dans la bouche, Drok l'ôta aussitôt, accompagné d'un *mpoc* sonore, avant de sentir le vent. Un calme plat régnait dans l'air, et l'esclave qu'il avait si bien souffletée auparavant, dans sa fuite en pleurs, laissait devant lui une superbe ligne de traces de pas. « Vois ! » triompha Katub en désignant le pays se dressant devant eux, où Kerath, pour peu qu'il ouvre l’œil, pourrait découvrir des lignes semblables, et, à leur bout, de petits points noirs - les fuyards entretenant la maigre chance, hélas infondée, d'échapper à l'occupant noirelfique.

« J'eus été bien mauvais hôte, conclut Katub, si je t'avais laissé seul le butin, sans un peu d'amusement. Car les jours doivent t'être bien long, formidable Kerath, sous les murs de Sol-Dorn, non ? D'ailleurs, dis moi donc comment le siège progresse, avant que nous ne nous lancions en chasse. »

Le comportement de son homologue étonna Kerath qui le regarda avec un sourcil levé. Il y avait visiblement eu une incompréhension car villégiature et devoir ne faisaient qu’un. C’était notamment pour cette raison que le colosse n’était pas la personne qu’on invitait d’ordinaire aux soirées mondaines pour s’amuser ; si ce n’est pour ce moquer de lui, les daedhels appréciant les jeux dangereux ne manquaient pas. En soit arriver à le faire venir dans une telle soirée relevait déjà de l’exploit alors se payer sa tête sans perdre la sienne, ou se retrouver face à lui dans l’arène pour laisser les dieux décider du sort de chacun, en valait probablement le coup. Mais ça n’était aujourd’hui pas le motif de sa venue car même si un combat contre son homologue l’intéressait, il n’était pas prévu alors autant prendre directement en chasse les fuyards.

Le général se contenta de hausser les épaules dans son armure à la question rhétorique de son camarade. Non, ce n’était en effet probablement pas le cas mais, sait-on jamais, mieux valait demander. Alors, suivant Drok, Kerath s’assit pesamment sur le transat en espérant que ce dernier puisse soutenir son poids ce dont il doutait un peu même s’il avait probablement était fait pour soutenir le drow massif, qui l’était d’autant plus en armure de plate complète. Ainsi lorsqu’un esclave s’approchait de lui pour retirer ladite armure afin de le masser comme ses congénères le faisait avec l’autre Obok Senger, le futur Karliik Glenn montra les crocs pour l’en dissuader. L’armure en question, au fil des siècles, était devenu une seconde peau et il était hors de question de laisser qui que ce soit la toucher, si ce n’est quelques personnes particulières. Tant pis pour la chaleur, il n’était pas à une offrande à Kiel.

« Sur ce point là les zurthans ne sont pas bien différents des autres humains. C’est toute l’humanité qui est servile. »

Suivant le regard de Drok, Kerath observa les silhouettes au loin tenter de s’enfuir dans l’espoir, visiblement vain, de ne pas terminer comme leurs congénères qui n’avaient pas eu la chance d’échapper aux troupes du troisième ost. En réalité il y avait fort à parier que s’ils ne terminaient pas comme esclaves au Puy, ou à Esion, leur os finiraient par lentement blanchir sous le soleil de plomb. Sans avoir touché au vin qui lui était présenté, Kerath se leva pour aller chercher une outre remplie d’eau chauffée par la température ambiante. Il la décrocha de son attache à la selle de Murrpau qui regardait les esclaves qui s’affairaient autour de son maître avec une faim non dissimulées, anticipant avec un amusement tout félin la mise à mort après s’être joué d’eux. Après avoir bu quelques gorgées il rattacha l’outre pour aller s’asseoir à nouveau. La question lui arracha un grognement colérique, ça ne l’amusait guère mais voilà, la question était légitime.

« C’est bien le problème, il ne progresse pas. » Gronda-t-il en regardant son homologue, gardant tout de même les fuyards dans son champ de vision périphérique. « Mais y’a de l’espoir : Krish s’est enfin décidé à montrer les crocs bien que ce ne fut pas contre les dorniens. J’ai mené le second ost dans une parodie de campagne pour se débarrasser des despotes qui n’ont pas voulu se repentir. Les traîtres se sont bien défendus, je dois l’admettre mais les rares survivants tentent de vainement lutter dans les seigneuries, ils ne sont plus qu’une vague nuisance. Cela dit je pense que Krish ne tardera pas à ordonner la prise de la ville, elle a invité quelques éminents membres de notre société à venir nous rejoindre à Sol’Dorn pour fêter la victoire prochaine, notamment Viconia, la seconde triumvir et Valsrik, le favoris pour devenir Prime Sorcier. D’ailleurs si tu veux y venir je pense que personne n’y vera d’inconvénient, que ce soit avec ou sans ton ost. Mais Drok si je suis venu c’est aussi pour te proposer quelque chose qui, je n’en doute pas, va t’intéresser. » sourire carnassier se dessina sur ses lèvres alors qu’il regardait son collègue, ses yeux rouges cerclés de jaune brillaient d’impatience. « Une fois la ville prise, Krish va se marier avec le Grand Architecte et tout ce beau monde retournera au Puy pour célébrer cette heureuse nouvelle. Comme tout le monde je vais les suivre mais j’ai pour ambition de faire un petit détour. Un détour par Nisétis. Sachant que tu aimes la chasse je te propose de m’accompagner dans ce détour pour chasser les dragons rouges qui y ont élu domicile. »