L'oeuvre des Ombres | Cilastiel & Sërythil

Plusieurs jours se sont écoulés depuis la petite baignade que les deux Noss ont partagé. Serythil a décidé d'accompagner Cilastiel dans son nouveau périple qui l'emmène plus au Sud. Encore une fois, elle n'a pas la moindre idée d'où elle va mais elle fait pleinement confiance à Anaëh, malgré la mise en garde d'Artiön à son sujet. Elle est persuadée que le voyage qu'elle a initié avec la Symphonie n'en est qu'à son début et que la forêt prendra soin d'elle au moins jusqu'à ce qu'elle l'ait terminé.

Elle marche tranquillement, au rythme de son ami... son frère de cœur. Depuis qu'elle l'a retrouvé, elle se sent légère. Elle sourit, rit, se montre joueuse et espiègle... Elle explore cette part d'elle-même dont elle ignorait tout : l'insouciance et le bonheur. Mais après des jours de paix, le retour à la réalité s'annonce brutal. Les Voix changent soudain de ton et elle s'arrête, leur prêtant l'oreille. Elle ressent la peur et l'horreur. Quelque chose terrifie les arbres. Quelque chose qui n'a pas sa place dans la forêt. Elle a envie de partir...
Alors qu'elle s'apprête à prendre la main de Serythil pour changer de direction, quelque chose la fait frissonner. Comme un courant d'air froid mais à un niveau de perception qui n'a rien de physique. C'est magique. C'est quelque chose qu'elle connaît mais qu'elle avait oublié... Totalement oublié.

-Non...

Cilastiel écarquille les yeux de terreur. Comment a-t-elle pu laisser faire ça ?! Comment a-t-elle pu éluder totalement ce problème qu'elle avait elle-même créé ? Elle se tourne alors vers son ami. Elle ne peut pas partir... Elle est responsable. Mais elle ne peut pas non plus le laisser l'accompagner. C'est trop dangereux.

-Vas-t-en... Dit-elle en reculant légèrement dans la direction que tout Anaëh lui hurle de ne pas emprunter. Tu ne peux pas m'aider, vas-t-en !

Sans plus attendre, elle se retourne et disparaît dans le noir. Sa manœuvre est dangereuse et pourrait la faire repérer mais elle sera arrivée sur place bien plus vite et Serythil aura plus de difficultés encore à la suivre. Parce qu'elle sait qu'il ne fera pas ce qu'elle lui demande...

Ressortant en plein jour, l'apparition de la petite elfe provoque des cris. Ceux de créatures qui n'attendaient pas sa visite et qui ne l'apprécieront pas davantage. Deux monstres noirs se tournent vers elle en hurlant et Cilastiel s'efforce de ne pas reculer. Elle sait qu'elle maîtrise moins bien la magie depuis qu'elle a retrouvé son Souffle mais elle n'a pas le choix. Ces bêtes aux formes hors normes et faites d'ombre n'ont pas leur place ici. Elle se tient face à elles, les jambes fléchies, essayant de conserver son sang froid et de se concentrer sur sa magie. Les créatures s'avancent, méfiantes. Elles reniflent quelque chose dans l'air, mais quoi ?
La petite elfe rassemble ses forces et son courage. Elle est minuscule face aux deux monstres mais elle a appris quelques petites choses chez les Vethërill. La lumière repousse l'ombre mais l'ombre peut aussi repousser l'ombre. A deux contre un, ça sera un peu plus compliqué mais elle doit essayer...

Cilastiel réalise un mouvement du bras comme si elle lançait quelque chose devant elle. Une créature recule, visiblement dérangée par l'ordre qu'elle reçoit. La petite elfe recommence et cette fois c'est la seconde qui fait un pas en arrière en grognant. Cela fonctionne... Alors elle continue, encouragée par sa propre réussite, réfléchissant en même temps à ce qu'elle peut faire ensuite. Car les ramener jusque chez elle n'est pas envisageable, elle n'en serait plus capable. Les détruire serait une possibilité mais elle ne le pourrait pas toute seule... Alors quoi ?
Mais tandis qu'elle réfléchit, faisant toujours reculer les bêtes, elle ne voit pas ce qu'il se passe derrière elle... Tout à coup, elle sent quelque chose qui la pousse violemment et l'écrase face contre terre. Une énorme patte recouvre tout son dos et la maintient au sol. Une patte gelée qui lui glace le sang.

Il y en avait une troisième... Et elle ne l'a pas vue approcher. Elle sent sa tête se pencher sur la sienne et la humer... Avant de se mettre à crier. La bête l'a reconnue. Pas par son odeur mais par son emprunte sur la Trame. C'est elle qui les a libéré. Elle qui les a fait sortir de leur monde. Elle contre laquelle ces créatures ont tant de rancœur. Et l'heure de la vengeance a sonné.
Soudain, la petite elfe sent dans son dos comme une lame qui transperce sa chaire lentement et pénètre dans son ventre jusqu'à atteindre le sol. Elle hurle mais elle ne peut pas bouger, immobilisée par ce monstre géant. Elle regrette l'époque où la douleur ne lui faisait rien... Car ce n'est plus vrai du tout aujourd'hui. Elle sent l'ombre gelée sans son corps et son tranchant émoussé qui entaille tout son être et elle trouve cela plus difficile à supporter que les torture de Don'dar qui lui a pourtant arraché la peau sur la moitié du visage pendant des heures.
Elle hurle à nouveau. Une seconde lame la transperce, écartant ses côtes et ouvrant son poumon. Elle sent sa respiration devenir difficile et l'odeur du sang remonter depuis sa gorge. Elle aurait peut-être dû écouter Anaëh... Elle n'était pas prête à venir ici. Mais elle ne regrette pas d'avoir dit à Serythil de partir et elle espère de tout son cœur qu'il arrivera trop tard... Elle mérite peut-être ce qu'il lui arrive parce que tout est de sa faute, mais pas lui. Il n'a rien à voir la-dedans.

Tout sembla s’écrouler d’un coup ce jour-là.

Tout allait bien, Sërythil accompagnait son amie quelques temps avant de finalement retourner chez lui et puis il avait commencé ressentir une désagréable sensation dans sa poitrine. Comme un pressentiment étrange alors que tout allait pourtant bien.

Et puis il y eut un choc. Un raz de marée dans la trame faisant vibrer chacun des infinis filaments qui la composaient et le vitaliste avait sursauté, perdu. Sa compagne de route eut l’air encore plus paniquée et avant qu’il ne la retiennent elle disparut en l’enjoignant de partir.

Il ignorait absolument tout de ce qui se passait mais le noss sentait que c’était grave et il n’abandonnerait pas la jeune fille. Il hurla son nom sans réellement y croire et se mit à essayer de la pister le plus vite qu’il pouvait. Évidemment, la fugueuse avait utilisé sa magie pour disparaitre ne voulant visiblement vraiment pas qu’il la suive mais à ce jeu-là Sërythil lui montrerait qu’il était aussi têtu qu’elle et se doutant bien d’où elle allait, il se décida à suivre le chemin de ce qui perturbait autant la trame et les arbres.

Terriblement inquiet il ne prit pas autant de temps qu’à son habitude, forçant plus que de raisons sur ses jambes. Il grimaçait douloureusement sur son chemin mais il s’en fichait. Bandant son arc et encochant ses flèches il se mit à boitiller le plus vite possible.
Cilastiel était en danger il le sentait, les arbres le sentaient.

Et lorsqu’il finit enfin par arriver sur les lieux du drame, il ne put retenir un cri d’horreur.

-Cilastiel !

Elle était là, sa jeune sœur, étendue à terre, d'horribles monstres que l’elfe n’avait jamais vu penchés au-dessus d’elle. Ils semblaient faits d’ombre, une ombre sans fond, sans nuance. Pour un Vethëril il n’y avait qu’une explication : elles étaient le produit de Calimenthar lui-même.

Ne prenant pas le temps de réfléchir à l’effet que cela produirait, l’herboriste tira alors  dans le museau de celui qui maintenait la jeune elfe au sol dans son propre sang. On eut dit qu’il s’apprêtait à la dévorer avant que le projectile ne l’en empêche.

-Laisse la ! Hurla-t-il les larmes dans les yeux et la rage au cœur tandis qu’il en tirait une deuxième.

Tanpis si c’était lui que les bêtes prenaient pour cible. Ils voulaient juste qu’ils laissent Cilastiel tranquille. Elle ne méritait pas ça. Rapidement il chercha un point d’accès pour filer sous le couvert des arbres et tirer en hauteur. Il lui fallait compenser son manque de mobilité avant que l’un des monstres ne lui saute dessus.

Alors que Cilastiel sent la gueule de la créature approcher de son visage, elle reste immobile. Elle est incapable de faire quoi que ce soit pour l'empêcher. Elle a trop mal... Le simple fait d'essayer de respirer est douloureux. Et de toute façon, elle ne peut plus s'en sortir vivante. Son poumon est perforé d'une griffe géante. Si elle essaie de s'en aller -chose dont elle aurait été capable si elle était la petite elfe qui ne ressentait pas la douleur et qu'elle était par le passé-, alors elle mourrait. Elle n'a qu'une seule chose à faire : Attendre que la bête l'achève.

C'est alors qu'un cri retentit et qu'une flèche siffle. L'Ombre hurle et malmène sa proie en gigotant la tête pour essayer vainement de se débarrasser du projectile. Cilastiel a si mal que sa voix reste bloquée dans sa gorge, ses doigts se crispant sur le sol au point d'arracher des mottes de terre, de mousse et de feuilles mortes. Pendant une seconde de répit, elle parvient à voir les deux autres monstres qui s'élancent vers une autre masse qui bouge un peu plus loin. Elle l'a reconnu à sa façon de se déplacer... Et une larme perle sur sa joue. Non pas par douleur ou par peur de mourir. C'est pour lui... Elle lui a dit qu'il ne pouvait pas l'aider. Elle lui a demandé de partir. Elle espérait qu'il la rejoindrait trop tard. Mais il est là... Il a tenté un acte désespéré pour l'aider alors qu'il est déjà trop tard pour elle.
Il n'aurait pas dû la suivre... Il va mourir... Par sa faute. Et c'est pour cela qu'elle pleure.

Cilastiel commence à manquer d'air. Cette patte qui lui appuie sur le thorax l'empêche de respirer, sans parler du sang qui commence à s'écouler lentement sur le sol et dans son poumon. Tant que la griffe est là, plantée en elle, le flux est lent... Très lent... Et elle pourrait mettre de trop longues minutes avant de mourir. Mais si on la retire... Il ne faudrait pas longtemps avant qu'elle expire son dernier souffle.

La bête s'agite de nouveau en criant, faisant hurler sa proie par la même occasion. Elle ne pensait pas avoir la force de donner autant de voix alors qu'elle sent la vie l'abandonner progressivement. Son regard s'embrume et sa tête commence à tourner. Que se passe-t-il encore ? Une Ombre a fait volte-face et bondit dans la direction opposée à celle de Serythil. Celle qui la plaque au sol grogne et feule tel un félin courroucé. Faiblement, la petite elfe pivote la tête. De ce côté, d'autres formes sont en mouvement. Et d'autres flèches fendent l'air.

Ils ne sont pas tous seuls ?
Alors... Son frère a une chance d'être sauvé ?

Ses lèvres bougent mais seul un murmure s'en échappe. Souvenir très lointain de mots enseignés presque par cœur. Une prière à Kÿria pour qu'elle protège celui qu'elle a entraîné dans tout ceci bien malgré elle. Il ne doit pas subir ce sort par sa faute. et tandis qu'elle prie, elle commence à ressentir au loin les vibrations de la Trame qui s'apprête à trembler avec violence...

Alors qu’il encoche à nouveau un trait et que les monstres détournent leur immonde attention sur lui. Sërythil ne fléchit pas. Sa main ne tremble pas et son bras fléchit sans relâche. Il va peut-être mourir. Peut-être que ces ombres le déchireront en pièce mais peu importe. Il est peut-être infirme et sans défense mais la Mère leur a transmis une mission et Sërythil ne laissera pas des œuvres de Calimenthar semer la mort et la destruction de leur créateur.

Cependant la mort ne survient pas. Soudain d’autres anehdels surgissent et les flèches s’envolent à la rencontre des créatures. La trame déjà chaotique vibre d’une autre façon devant l’un des nouveau arrivant qui ne laisse pas de doute, il est visiblement en train d’incanter pendant que l’un de ses camarades le couvre.

-Il faut la sortir de là ! Sërythil continue de viser le monstre qui plante sa patte horrible dans le corps de Cilastiel, transformant son museau en un monstrueux hérisson s'agitant violemment.

Il se déplace prudemment en continuant d’harceler la créature mais il sait qu’il ne peut approcher assez de la jeune fille, il n’est pas un combattant. Il faut que la créature batte en retraite pour que Sërythil ait une chance de récupérer Cilastiel et la mettre à l’abri. D’ici il ne peut pas la sauver. Il est un mage habitué a la tranquillité et s’il peut travailler vite, il lui faut impérativement se calmer pour incanter. La trame lui semble être une gigantesque toile d’araignée prise dans une violente tempête. Chaque petit fil est trop instable pour l’altérer sans risque. Il ne peut qu’assister à l’agonie de la petite elfe sans pouvoir y faire grand-chose et ça lui glace le sang.

Dans sa tentative cependant, le noss se montre malgré toute ses précautions trop téméraire. Alors qu'il encoche une énième flèche bleutée, l'ombre gronde, hurle et bondit soudain . Le Vethëril veut reculer mais ses jambes le trahissent. A nouveau. Comme toujours. Le choc de son dos contre le sol lui coupe le souffle un bref instant, et il se retrouve soudain à lutter pour que la bête ne plante pas ses mâchoires hideuses dans sa chair. La douleur dans ses genoux et ses épaules n'est rien à coté de l'adrénaline alors provoquée par la peur. Se débattant comme il peut, il poignarde la chair d'ombre avec la flèche qu'il tient encore dans sa mains dans un cris de rage.

Peut être qu'au moins, le temps que la bête le réduise en charpie les étrangers pourraient mettre la petite elfe en suretés. Ils ne pourraient pas vaincre, elles étaient si puissantes...

La bête qui la fige au sol se débat de plus en plus contre les attaques qu’elle subit, malmenant sa proie qui se retrouve régulièrement la respiration bloquée par un poids trop important appliqué sur son dos. Si ses os n’avaient pas été réparés par Anorndellon en personne, ils seraient tous brisés à l’heure qu’il est… Cilastiel comprend que Serythil s’acharne à la faire libérer, ne comprenant pas que c’est cela qui la maintient en vie. Il est probablement le seul ici qui puisse la sauver et il se met en danger dans un geste désespéré...

Soudain, la petite elfe ressent une douleur plus vive que les autres qui, étrangement, provoque un certain soulagement. Les deux griffes plantées en elle se sont retirées. Le monstre n’est plus sur elle… Mais c’est loin d’être une bonne nouvelle. La créature a fondu sur son frère qui se débat en hurlant, de rage et de douleur, tandis qu’elle le regarde, impuissante.
Cilastiel est clouée au sol. L’odeur du sang se fait de plus en plus forte et sa respiration devient progressivement plus pénible. La flaque dans laquelle elle baigne devient marre et ses forces s’amenuisent un peu plus à chaque seconde. Mais ce n’est plus tellement elle qui la préoccupe pour le moment. Ses yeux sont rivés sur Serythil qu’elle a supplié silencieusement de s’enfuir mais il était trop occupé à tirer sur la bête pour la regarder. Et maintenant, voilà...

Finalement, la Trame s'agite tellement que même la petite elfe, affaiblie et mortifiée par la vision de son frère à terre avec la bête sur lui, finit par s'en apercevoir. Elle vibre avec une force qu'elle n'a encore jamais ressenti et l'onde la force à fermer les yeux quelques instants... Le temps qu'elle passe. Sa main se referme sur le sol mousseux, cherchant à s'accrocher inutilement à quelque chose. Mais après quelques secondes, lorsque le calme revient, Cilastiel éprouve un sentiment étrange... Un oiseau siffle quelque part au-dessus de sa tête et elle comprend. Anaëh lui insuffle le soulagement et l'apaisement. Les Chants ont repris leur cours... Presque comme si de rien n'était.

Elle rouvre les yeux. Est-celle morte ? Non. Elle se trouve toujours dans ce recoin de la forêt. Elle cherche la masse noire au-dessus du corps du Vëtherill mais il n'y a... que lui. Allongé par terre. Et plus rien sur lui. Elle ne comprend pas ce qu'il s'est passé et elle ne saurait plus raisonner dans son état. Tout ce qu'elle voit, c'est son frère à terre. Le temps se suspend. Elle le guette, inquiète... et soupire de soulagement lorsqu'elle le voit bouger et se redresser. Il est vivant...
Une larme de bonheur perle sur sa joue mais sa joie ne sera que de courte durée. Elle voudrait pouvoir respirer un grand coup mais... Elle ne peut pas. Son souffle est court et sifflant. Elle réalise seulement maintenant que, depuis que les griffes ont quitté son dos, elle se noie lentement. Faisant ce constat, elle commence à lutter pour respirer et panique en voyant qu'elle n'y parvient pas. Elle sent presque le sang dans sa gorge alors qu'un poumon en est rempli et que le second sera touché bientôt. Elle pourrait rouler sur le côté pour que le liquide s'écoule par la plaie plutôt qu'en elle mais elle n'est plus en capacité de réfléchir alors qu'elle se sait en train de mourir. Et c'est bien la première fois qu'une telle éventualité la terrifie...

La gueule de la créature, après s’en être pris à son épaule, s’apprête à se refermer sur la gorge nue du noss contraint par les pattes monstrueuses. Sërythil se pense perdu, par reflexe il ferme les yeux pour ne pas voir sa mort arriver. Pourtant, après une seconde ou deux, rien ne se passait. Par d’horrible douleur, pas de sensation de froid mortel. Rien. Alors, prudemment, il se risque à ouvrir un œil, puis l’autre.

Après un nouveau déferlement magique qu’il a cru provenir de la créature, celle-ci a finalement disparue... Peut-être est-ce dû à l’un des anedhels, peut être celui qui incantait… Sërythil n’en sait rien et il s’en fiche. Ce n’est pas sa priorité, les ombres sont parties c’est tout ce qui compte.

Avec difficulté, bien plus que d’habitude, il fait de son mieux pour se relever. Il a froid, la sensation n’est pas tout à fait partie, et son épaule gauche lui fait vraiment mal. Elle saigne tandis qu’ici et là s’étendent ce qui semblent être le résultat d’un gel trop intense sur sa peau.

Il s’en fiche. Il boite, titube, tombe sur les genoux près de la petite elfe, une litanie à ses lèvres.

-Cilastiel je t’en prie, Cilastiel, soit en vie, je t’en supplie. Cilastiel….

Frénétiquement, il cherche son focaliseur. Il n’est pas dans une poche, peut-être dans sa sacoche ? Oui, il le trouve. A la limite de la transe, il le fait tourner dans ses doigts pour retrouver un tant soit peu de calme. Rapidement, avec la dextérité d’un guérisseur habitué à manipuler ses patients, il retourne la jeune fille sur le dos, place sa tête sur ses propres genoux un peu réhaussée. Il commence ensuite à interagir avec les filaments de la trame afin d’au moins stabiliser son état. Cesser le saignement qui emplis ses poumons et la noie.

 Il aura besoin de temps, il faut qu’elle tienne. Elle doit tenir.

-De l’eau, et du tissu propre ! Lance-t-il pour seule paroles à la petite assemblée.

Des étincelles lumineuses filent entre ses doigts tandis que son visage devenu sévère témoigne de sa profonde concentration. Déplaçant un fil par ci, un autre par-là, déformant un peu ce dernier, le noss s’employa à faire cesser l’hémorragie qui empêchait la jeune fille de respirer.

-Ecoute ma voix Cilastiel, marmonne-t-il, accroche toi nethig, je vais te soigner. Respire. Doucement. Ça fait mal je sais, mais ça va aller. Je suis là.

traduction:

Lorsque l’une des ornedhels s’emploie à l’aider au prix de son vêtement, le vitaliste marmonne un bref remerciement. Il en est reconnaissant mais la concentration et l’adrénaline ne lui permettent pas de s’épancher plus que cela, ils lui pardonneront sa légère froideur.

La jeune fille s’agite au contact du tissus détrempé et sa main libre vint se poser sur son sternum afin qu’elle ne bouge pas.

-Doucement, continua-t-il de la même voix calme. Doucement Cilastiel. Ne craint rien.

Cela lui semblait essentiel de parler à sa patiente, qu’elle le comprenne ou non. D’expérience il savait que ne serait-ce que le son de la voix d’un elfe aidait à sa calmer et chasser la panique qui gagnait souvent les blessés.

Il sentit la main de celui qui avait sans doute fait disparaitre les ombres se poser sur son épaule et le bout de ses oreilles se haussa en constatant les changements dans sa propre magie. Les flux se faisaient plus facilement manipulables, leur manipulation plus tangibles. Comme il arrivait à mieux concentrer ses efforts, les petites étincelles à ses doigts disparurent.

Il s’autorisa un très timide sourire, encouragé par l’aide qu’on lui procurait. Ils la sauveraient Sërythil n’en doutait plus.

Loin de se reposer cependant, il redoubla d’effort, s’efforçant de continuer ce qu’il avait déjà entrepris, c’est-à-dire refermer les lésions les plus importante. Petit à petit, Il s’attela à reconstituer les tissus du poumon traversé par la griffe puis ceux des autres organes qui avaient été touchés. Cela dura bien quelques longues minutes qui si elles étaient éprouvantes pour le soigneur devaient être d’autant plus atroces pour la pauvre Cilastiel. Il faisait ce qu’il pouvait pour la calmer lorsqu’elle s’agitait vraiment trop mais sa concentration était trop précieuse pour être longtemps relâchée.

Il finit au bout d’un temps à se couper de la magie et passa son avant-bras contre son front, y ôtant la sueur des efforts que son travail lui demandait.

-Elle restera en vie. Annonça-t-il une lueur de soulagement dans son regard quelques peu fatigué. Il faut éliminer le sang qui peut encore rester, et la surveiller encore. Elle est loin d’être sortie d’affaire mais elle est sur la bonne voie à présent. Elle devrait respirer normalement.

Le noss jeta un très bref coup d’œil à ses camarades inattendus avant de se remettre à s’occuper de sa patiente, en cherchant dans les remèdes qu’il transportait cette fois. Il pris quelques feuilles d’erboras qu’il pétrit entre ses doigts.

 La Mère soit louée de votre intervention. Sans vous nous serions mort alors merci.

Les yeux fermés, se laissant sombrer, Cilastiel ne voit pas son frère approcher jusqu’à la rejoindre. Il n’est pas discret pourtant mais elle se noie vite. Le mouvement qui la fait se retourner -faisant tomber son masque au passage- aurait pu lui arracher un cri mais il ne sortira jamais, étouffé par le sang sans sa gorge. Une fois sur le dos, elle regarde autour d’elle. L’air entre de nouveau dans son poumon encore sain tandis que le sang s’écoule en partie sur le sol, désobstruant sommairement ses voies respiratoires. Encore en sursis, la petite elfe respire avec difficultés. Ses jambes et ses mains remuent souvent tandis qu’elle se débat contre sa propre mort. Le seul son qu’elle parvient à produire est un sifflement qui vient du plus profond de sa gorge.
Elle entend cette voix connue qui lui parle et elle lève les yeux pour voir Serythil au-dessus d’elle. Elle le fixe jusqu’à ce que d’autres mouvements attirent son attention et elle découvre les visages de quelques-uns de leurs sauveurs. Elle n’est pas capable de leur parler ni même de réfléchir à leur sujet. Elle essaie de respirer et elle souffre… Mais la douleur ne fait que commencer et son corps se soulève en sentant le linge humide sur l’une de ses plaies, comme si elle cherchait faiblement à fuir ce contact. Son frère lui intime l’ordre de ne pas bouger en posant sa main sur elle et elle s’en saisit, la serrant de ses doigts pleins de mousse et de terre pour en avoir arraché quelques mottes autour d’elle. Une autre silhouette passe et elle tourne le regard. Une main est posée sur l’épaule de son ami. Elle suit son bras mais, plus loin, sa vision se trouble. Tout ce qu’elle perçoit de cet homme, c’est l’apaisement qu’il procure à la Trame qui les entoure et les moyens qu’il offre au Noss pour la soigner.

Les minutes s’écoulent aussi lentement que des heures pour la petite elfe qui se noie. Cependant, elle remarque après un moment que l’air entre un peu plus aisément en elle. Comment s’en rend-elle compte ? Parce que ses poumons en fonctionnement font se mouvoir ses chairs abîmées dans son dos. Elle n’a plus l’impression de sombrer mais elle souffre un peu plus que tout à l’heure.
Finalement, elle sent la magie s’arrêter dans son élan. La panique n’anime plus les mouvements de la jeune fille mais plutôt des élans de douleurs. Le froid qui meurtrissait ses chairs apaisait aussi son mal mais il disparaît rapidement, jusqu’à n’être bientôt plus qu’un souvenir. Son teint, déjà clair, est blême tandis qu’elle gît encore dans une mare de son propre sang. Elle respire à un rythme régulier mais court, ses plaies l’empêchant de remplir entièrement ses poumons par appréhension de la souffrance. Elle siffle encore un peu, preuve du diagnostic de Serythil qui sait qu’il lui faut évacuer encore un peu de liquide resté dans ses alvéoles. Elle entend que son état reste préoccupant… Et les remerciements à ceux qui sont venus les sauver.

-J… t’avais dit d… partir…

Elle a à peine le temps de finir sa phrase. Elle sent quelque chose qui la chatouille de l’intérieur et elle se met à tousser. La quinte de toux est profonde et presque violente. Il faut dire que ce qui la gêne vient de loin… Par réflexe, elle se tourne sur le côté jusqu’à ce que sa tête quitte les genoux de son frère. Dans sa bouche, elle sent le goût du sang et des gouttes se répandent sur le sol tandis que son corps tente de chasser cet élément intrus. Cela dure quelques secondes, peut-être une dizaine, et ses poumons la forcent à inspirer plus fortement. Lorsque la quinte s’achève enfin, elle grimace et ne parvient pas à reprendre son souffle. Elle a tellement mal… Elle regrette Macabre à qui cela aurait presque fait ni chaud ni froid. C’est un sentiment éphémère mais qu’elle pense sincèrement en cet instant. Après un temps suspendu, l’air entre à nouveau en elle, par instinct plus que par volonté. Et, tel un enfant venant au monde, elle pousse son premier cri et sanglote sans larmes. Elle est vivante, oui, mais elle a tellement mal… Son dos présente encore deux grandes lacérations et chaque mouvement est presque une torture à ce stade. Cela passera, avec le temps et les soins. Mais pour le moment, elle fait sa première découverte de la douleur depuis le retour de son Souffle et elle s’en passerait bien…

Sërythil fronça les sourcils autant d’inquiétude que de désapprobation en écoutant la tentative de parole de la petite elfe tandis qu’il appliquait la désormais pâte qu’il avait dans les mains sur ce qui restait de ses blessures.

Bien sûr que non il n’était pas parti. S’y était-elle réellement attendue ? Dans ce cas elle le connaissait encore bien peu… Enfin il n’en dit rien, se préoccupant pour l’instant plus de sa santé et de ses larmes qu’autre chose. Les remontrances viendraient lorsqu’elle serait en état de les recevoir.

Comme la noss aux cheveux blonds s’occupa de la calmer comme s’il eut s’agit d’une enfant, Sërythil entreprit, lui de se relever, et boitillant plus lourdement qu’a l’accoutumé fit le tour de la petite clairière dans laquelle ils se trouvaient non sans une prudence extrême. En même temps il rassemblait branches et, plus rare, pierres.

Puis il retrouva l’assise du sol et réunissant les uns et les autres, frottant bois contre pierres, bientôt un petit brasier crépita doucement au milieux des anedhels.

Le Vethërill jeta à nouveau un regard en direction de la douce elfe tenant Cilastiel dans ses bras et l’invita silencieusement, elle et son probable compagnon à s’approcher un peu. Après le combat glacial qu’ils avaient enduré, ils en avaient tous besoin. Et semblant ne vouloir jamais s’arrêter l’herboriste recommença à chercher dans ses affaires. Il sortit un récipient qu’il empli d’eau et auquel il ajouta quelques feuilles séchées d’un gris presque argenté, avant de déposer le tout proche du brasier.

Il n’y avait plus rien à faire si ce n’était attendre désormais. Repliant son propre bras gauche contre lui, il fixa tour à tour les flammes puis la jeune blessée. Ses doigts vinrent machinalement attraper son amulette bicolore  pendue à son cou et jouèrent avec.

-Ça prendra quelques minutes mais voilà de qui devrait l’apaiser assez et lui faire trouver le sommeil. Si La Mère le veux. Il hocha la tête comme pour se convaincre lui-même avant de soupirer. La nuit sera rude.

Dans les bras de cette inconnue, Cilastiel gémit de douleur. Ses jambes s’agitent dans un débat épuisé et déjà perdu. Elle est lasse… Fatiguée par ce combat. Fatiguée par toutes ces émotions qui l’ont traversée et auxquelles elle n’est pas habituée. Fatiguée par ses blessures et la souffrance qui les accompagne. Fatiguée par tout ce sang qu’elle a perdu et qui nourrit désormais le sol qui sera marqué pour plusieurs ennéades peut-être de l’affrontement qui a eu lieu ici. Mais impossible de dormir. Par moment, son dos la lance plus que d’habitude et elle se tord faiblement sur le sol. Les plaies sont fraîches, ce qui les rend plus douloureuses. Les premières heures qui suivent une blessure sont toujours les pires…

On la rapproche du feu avec délicatesse. Elle sent la chaleur des flammes sur sa peau mais elle a malgré tout la chair de poule. Ce n’est plus seulement à cause des ombres, c’est un tout…

Tandis que la petite elfe souffre, elle passe son temps à chercher son frère du regard, lui qui ne fait que bouger et s’activer. Cette femme si douce est très gentille et attentionnée et, si elle ne le montre pas, Cilastiel apprécie ses marques de tendresse. Mais ce n’est pas d’elle dont elle a le plus besoin. Avec peine, elle hisse sa main en direction de celle de Serythil qui n’attend pas qu’elle arrive à lui ou préfère lui éviter de faire trop d’efforts. Il vient la cueillir entre ses doigts et la serrer doucement. Imperceptiblement, la respiration de la jeune femme s’apaise et se régularise. Elle trouve du réconfort dans ce geste tout simple mais il est porteur d’une signification bien plus grande… Le fait qu’ils soient capables de se tenir ainsi, cela signifie qu’ils sont, l’un et l’autre, en vie.
Alors qu’elle tremble de fatigue et de froid et que la douleur la fait toujours gémir et grimacer, son frère porte un flacon à ses lèvres. Elle avale bon gré mal gré ce liquide chaud et pourtant rafraîchissant. Cela ressemble un peu à de la menthe sous forme de thé mais un petit quelque chose rend ce breuvage encore différent. Elle boit, sans vraiment comprendre alors qu’on lui assure que cela la soulagera. Durant les minutes qui suivent, elle reste fermement accrochée à Serythil et elle ne desserre pas sa prise alors que, lentement, sa voix se tait, ses membres s’immobilisent, sa respiration s’apaisent et ses paupières peinent à rester ouvertes. Elle lutte contre le sommeil, par instinct alors que l’adrénaline parcourt encore son être. Mais elle perdra cette bataille-là aussi… Et c’est anesthésiée par l’Etincelle qu’elle relâchera enfin sa prise sur la main du Vëtherill.

La nuit a été difficile. Les plantes soulagent la douleur, c’est vrai, mais leur effet a une durée limitée et Sërythil n’en possède qu’une quantité réduiite sur lui. Alors Cilastiel a dormi mais par petite touche. Régulièrement, les tremblements, la toux et les gémissements l’ont repris, moins forts que juste après l’attaque, mais remarquables malgré tout. Alors, ce matin, elle se sent toujours aussi fatiguée. Parce que son repos a été bref et peu réparateur, parce que l’Etincelle l’assomme aussi et parce que le sang qui inonde la mousse ne se trouve plus dans son corps, tout simplement. Elle est vivante mais faible. Elle s’accroche, au sens propre comme au figuré. Elle s’accroche à son frère lorsqu’il se penche sur elle, elle s’accroche au sol, elle s’accroche à son propre bras si c’est la première chose qui lui tombe sous la main.
La douleur s’éveille bien avant la petite elfe et c’est cela qui lui fait ouvrir les yeux. Ses yeux qui ne demandent qu’à se fermer et qui n’hésitent pas une seconde lorsque la souffrance s’apaise un tant soit peu. Mais lorsqu’une main vient se poser sur elle, elle se force à soulever ses paupières. Elle aperçoit alors un visage qu’elle a déjà vu par le passé et qu'elle n'avait pas remarqué jusque là. S’il ne connaît pas forcément tous ceux qui passent par son académie, tous ceux qui y passent le connaissent. Et elle la première. En fait, ils se sont déjà parlés. Mais il ne la reconnaît pas. Personne ne la reconnaît… parce qu’elle n’est plus la même.

-Vous avez déjà... les réponses… Heru Assaila.

Sa voix est rendue rocailleuse par la fatigue et la douleur. Mais elle le regarde sans ciller.

-La réponse à la… première question… explique la… deuxième…

Parler la force à prendre de plus grandes respirations qui étirent ses plaies. Alors elle ne donne que de petits bouts de phrase pour se préserver. Elle prend quelques secondes de répit avant d’apporter au Doyen la solution à toutes ses interrogations.

-Ciryië… Las’Danir…

Il devrait se souvenir… Qui pourrait oublier la jeunee elfe autrefois torturée et devenue insensible physiquement et émotionnellement à tout ce qui l’entoure. Petite, le visage d’un enfant, le corps d’une adolescente et pourtant adulte… Eh bien elle se tient là, aux pieds de l’archimage. Elle n’est pas certaine d’être éveillée… Elle n’est pas certaine qu’il soit vraiment là. Elle n’est pas certaine de ne pas tout simplement dormir et cauchemarder. Mais elle lui répond néanmoins. Elle n’a rien à cacher à personne.
Mais si c’est bien lui, alors il se souviendra sans doute d’elle mais aussi de ce qu’elle a accompli, non sans commettre une erreur… Une erreur qui lui a déjà coûté cher et mise en danger à deux reprises auparavant. Une erreur qu’il venait de réparer pour elle.

-L’élève... n’a pas fini... d’apprendre. Aujourd’hui… plus que jamais.

Elle était bien plus douée auparavant. Sans émotion, sa concentration était inébranlable et elle pouvait faire bien plus que son jeune âge et sa courte expérience n’aurait dû le lui permettre. Désormais submergée, elle n’est plus que l’ombre de la mage qu’elle a été… Il lui faut du temps pour apprendre à se maîtriser avant de pouvoir maîtriser les arcanes aussi bien qu’autrefois. Mais quoi qu'il en soit, elle n'a jamais eu le niveau pour combattre les créatures qu'elle a laissé s'échapper quelques années plus tôt. Son geste était un acte fou... mais justifié par la culpabilité.