[Vetherill] Un nouvel au revoir | Serythil & Cilastiel

5ème ennéade
Eté, Karfias 19:XI

Le jour se lève à peine sur Anaëh. Perchée en haut d'un arbre, Cilastiel observe en silence le soleil s'éveiller.
Cette heure de la journée est particulière en cette saison. Tout est recouvert d'une fine rosée et, pourtant, l'air est déjà chaud. C'est un peu plus respirable à la cime des grands chênes que parmi les racines et nombres de créatures de la forêt cherchent à prendre de la hauteur. On entend d'ailleurs le chant des oiseaux reprendre avec entrain.

Au sol, le camp des Vetherill commence à reprendre vie lui aussi. Cela fait deux mois que la petite elfe ne les a pas quitté. Elle vit parmi eux, telle l'une des leurs, avec sérénité. Elle a achevé de se remettre de ses blessures dont elle ne porte plus que deux grandes cicatrices dissimulées sous le tissu de ses vêtements. Elle s'est ensuite mêlée à eux, apprenant leur mode de vie, leurs techniques de chasse, leurs astuces pour la cueillette, leur style vestimentaire et même quelques rapides recettes de cuisine. Mais alors qu'elle aurait pu demeurer ici indéfiniment, Anaëh l'a finalement rappelé à elle. Elle a repris suffisamment de forces et peut poursuivre son initiation.

Baissant les yeux vers le sol, Cilastiel se décide à descendre afin de finir de se préparer. Elle doit récupérer quelques effets, comme son casque... et, accessoirement, son frère qui a décidé de l'accompagner dans ce nouveau voyage. Elle n'a pas cherché à l'en dissuader. Elle s'habitue à ne plus être seule et cela ne lui déplaît pas. Posant ses pieds nus sur l'herbe humides, elle se dirige vers ce petit recoin où elle a posé ses affaires. Elle ressemble presque aux Noss qui l'entourent tant ils ont eu une influence sur son apparence au cours des dernières ennéades mais elle n'est pas tout à fait comme eux. Elle a gardé sa propre identité avec la simplicité de sa tenue, même dans les couleurs que l'on a voulu lui donner. Le bleu lui va bien mais elle préfère des teintes plus discrètes et qui favorisent le camouflage.

En chemin, un jeune homme s'approche d'elle et elle s'arrête pour l'attendre. Avec tendresse, il la prend dans ses bras et ils se serrent l'un contre l'autre durant quelques instants. Leur histoire prend fin aujourd'hui. Elle aura été belle, le temps qu'elle aura duré. Mais ils ne tiennent pas assez l'un à l'autre pour qu'elle perdure plus longtemps. Ce départ, c'est l'occasion d'y mettre un terme, même s'ils auront un sourire attendris lorsqu'ils penseront à ces doux moments passés ensemble. Pour l'un comme pour l'autre, c'était une première initiation à l'amour. Une de ces expériences qui nous en apprend sur ce que l'on attend de son futur compagnon.
A présent, Cilastiel sait qu'elle apprécie les hommes plus matures et sages. Ceux-là même qui ne voient en elle qu'une enfant...

Après avoir desserré leur étreinte, il dépose un baiser sur la joue de son ancienne tendre amie et la libère. Elle lui adresse un sourire affectueux puis reprend son chemin. Elle doit finir de se préparer. Et manger un morceau avant de partir. Du regard, elle cherche celui qui est devenu l'homme le plus important de sa vie, son point de repaire et son ancrage dans cet univers autrefois si étrange à ses yeux et qu'elle a fait sien.

-Tu devrais laisser ça à quelqu’un d’autre Sërythil. Nos éclaireur la protégerons sans aucun doute.
-Tu sais bien que je ne le ferais pas Harvandwinë, c'est mon rôle.

Le shaman soupira et finit par poser sa grande main sur l’épaule de son camarade. Il sembla se résigner devant l’entêtement calme de l’herboriste.

-Je le sais... Faites attentions à vous sur le chemin.
-C’est promis.

Alors qu’il fit volteface, le shaman interpela à nouveau son camarade. Avec un nouveau doux sourire il lui demanda d’attendre et disparu une minute ou deux dans l’arbre, avant d’en redescendre et de tendre un objet de bois à l’herboriste.

-C’est à toi de le faire.

Sërythil le remercia et cette fois, il se séparèrent pour de bon. L’objet était soigneusement caché alors qu’il se mit à chercher sa petite sœur adoptive dans le camp qui se réveillait doucement.

-Cilastiel ! L’appella-t-il en l’apercevant de loin.

S’approchant d’elle, il lui sourit doucement, cherchant à évaluer son état d’esprit. Il était au courant de son histoire avec un de ses jeunes frères, bien qu’il ne s’en soit absolument jamais mêlé, et il savait pour l’avoir observé à mainte reprise que de telles séparations n’étaient pas toujours des plus aisées. Il voulait être prêt à soutenir la petite elfe en cas de besoin.

-Est-ce qu’il te reste des affaires à régler ? demanda-t-il. J’aimerais te montrer quelque chose avant notre départ.

Achevant d'ajuster son casque à plume, Cilastiel est fin prête. Se préparer est rapide pour elle, elle ne possède rien de plus que ce qu'elle a sur elle en cet instant. Ses vêtements aux teintes vertes, ocres et noires, son couvre-chef à plumes, son focaliseur qui lui vient de son neveu ainsi que quelques petits ornements que des Noss rencontrées sur la route lui ont offert. Elle n'a pas besoin de sac et ne porte aucune arme d'aucune sorte, pas même un petit couteau. Elle vit de ce que la nature lui offre sur son chemin donc elle n'emporte pas de vivres. Et elle ne sait pas utiliser les plantes pour se soigner donc elle n'en conserve pas sur elle. Ainsi, c'est sans le moindre surplus qu'elle se redresse et tourne son regard vers celui qui l'appelle et dont elle a reconnu la voix.

Sa question de Serythil lui semble un peu étrange mais elle ne relève pas car elle n'en comprend pas pleinement le sens. Elle ne suppose pas qu'il parle du jeune homme dont elle se sépare après quelques ennéades de tendresse. C'est vrai que c'est un peu triste mais ils savent qu'ils ne feront pas leur vie ensemble. Alors mieux vaut que ce soit maintenant, et tant pis pour leur peine... A ses côtés, la petite elfe à tout de même beaucoup appris sur les relations sociales et elle est désormais moins distante envers ceux qu'elle aime.
Cet au revoir, c'était la seule chose qu'elle avait à régler. Tous ceux qui la connaissent un tant soit peu l'ont abordée la veille, y compris le shaman dont elle apprécie grandement la compagnie. Il faut dire qu'ils ont eu l'occasion de discuter longuement pendant sa convalescence. Elle a logé dans son petit recoin un moment avant de pouvoir dormir à côté de son frère.

-Non, c'est bon. Lui répond-elle alors. Qu'est-ce qu'il y a ?

-Suis moi. Répondit-simplement le noss.

Sans attendre, il s’éloigna de la clairière, passant derrière quelques tentures, devant quelques elfes qui les toisèrent avec curiosité. Pas une fois l’herboriste n’expliqua son étrange manège à sa petite sœur, pas avant qu’il se ne retrouvent proche d’un panneau de bois peint, rivé droit dans le sol et grignoté par la végétation. Un rayon de soleil s’y posait de temps à autre, apparaissant et disparaissant au rythme des branches des arbres au-dessus de leurs têtes. Il s’agissait indicateur de la frontière naturelle du camps orndehel. Il n’y avait plus personne à cet endroit, alors Sërythil finit par de nouveau couler un regard vers la petite elfe.

De sa sacoche il sortit alors l’objet de tout ce mystère et le tendit à sa protégée. Dans sa paume tenait un rectangle de bois clair, traversés de rayons dorés et argentés s’entrelaçant en des motifs simples mais élégants. L’un des côtés du rectangle était délicatement ciselé et rappelait un peux les plumes d’un oiseau. Le tout était relié à un fin lien de cuir sombre.

-Garde là toujours avec toi Cilastiel. Elle t’apportera l’attention d’Iben et Alm et te protégera sans cesse.

Machinalement, le noss vint se saisir de sa propre amulette. Si elle n’en avait pas vu la confection ni le rituel autour de l’objet, Cilastiel savait de quoi il était question. Chaque Vethërill possédait sa version de ce morceau de bois. C’était un signe d’appartenance à cette grande famille en plus du fort symbole religieux qu’elles représentaient pour eux.

-Harvandwinë m’a assuré qu’elle était prête. J’avais peur que tu reparte trop tôt.

Cilastiel suit son frère sans un mot et sans porter plus d'attention que cela à ceux qui les observe. Peut-être un peu parce qu'elle sait que son premier compagnon en fait partie et qu'elle ne veut pas croiser son regard. Elle a prit la pris la décision de s'en aller et lui de rester. Il leur faut tourner la page et attendre que leurs tendres sentiments se soient évaporés avant de pouvoir se retrouver plus sereinement. Aujourd'hui, cela ne ferait que les blesser un peu plus.

La petite elfe s'approche du panneau de bois et l'effleure du doigt, comme s'il s'agissait d'une sculpture de sable qui risquait de s'effondrer au moindre contact. Serythil brise enfin le silence et elle se retourne vers lui pour baisser ensuite son regard sur l'objet qu'il lui tend. Elle se fige net et a un instant de flottement en découvrant l'amulette. Seuls les membres de la Noss en ont une et elle n'a jamais demandé ni espéré qu'on lui en confectionne une. Sa main passe alors du panneau à la paume de son ami et répète le même geste sur ce cadeau plein de symboliques. Le silence les entoure et les couve un petit moment avant qu'elle ne le rompe enfin.

-Mais je... Elle relève son regard aux teintes étranges vers son frère. Je ne suis pas une Vertherill. Je ne peux pas accepter.

Elle se sent un peu gênée par son présent. Non pas qu'elle n'en veuille pas, elle s'est sentie bien parmi eux durant ces deux mois et elle leur doit beaucoup, une fois de plus. Mais elle n'a pas décidé de se fixer où que ce soit, ni avec qui que ce soit, malgré son attachement à quelques membres de la Noss. Elle a fait une pause mais elle reviendra et repartira au gré de la volonté d'Anaëh. Alors ils ne peuvent pas faire comme s'ils l'acceptaient dans leur clan.

-Et je ne sais même pas qui sont Iben et Alm...

Des questions idiotes, elle lui en a déjà posé, prouvant ainsi son ignorance à un frère qui ne sait finalement rien d'elle. Il n'a pourtant jamais demandé à en savoir davantage et elle n'a pas pour habitude de parler d'elle. Avouer ce qu'elle a vécu et surtout qui elle a été, c'est une chose difficile. Surtout dans une culture aussi attachée à la Vie. Elle s'imagine que, pour lui elle est une citadine qui s'est perdue et a eu besoin du Labyrinthe pour se retrouver. Mais il ignore comment et en quoi elle s'est égarée au juste... Et la force lui manque pour lui faire cet aveu.

Cilastiel ne lutte pas contre les gestes que lui impose son frère mais elle reste un moment immobile. Le poing fermé sur l'amulette posé sur son cœur, elle est troublée. Sërythil n'a pas décidé seul de lui offrir cet objet qui fait d'elle un membre de sa Noss. C'est un choix partagé. Avec Harvandwinë. Avec les chasseurs. Avec tous... Même si elle s'est contenté de faire étape ici une fois de plus, elle s'est attachée à eux. Eux qui prennent soin d'elle chaque fois qu'elle a besoin, qui l'épaulent en silence dans cette nouvelle vie, qui l'accueillent sans lui demander qui elle est, d'où elle vient, où elle va... Et elle tient à eux, elle aussi. Même si elle voyage, elle apprécie l'idée d'avoir un socle quelque part. Un endroit où elle peut se reposer, se rétablir, réfléchir.
La petite elfe tourne son regard vers le camp un bref instant avant de baisser les yeux sur sa main. Elle l'ouvre doucement et regarde plus attentivement l'amulette. L'or pour la lumière. L'argent pour l'ombre. L'argent lui allait bien autrefois, il faisait ressortir ses yeux bleus. Tout du moins, c'était ce que sa mère lui disait. Elle ne s'est jamais soucié de cela et c'est encore vrai aujourd'hui. Elle détaille la finesse avec laquelle sont taillées les plumes, référence à son masque, lui-même référence à son nom. Les plumes noires l'ornent toujours, malgré les tentatives de son frère pour lui faire arborer plus de couleurs. Elle ne se soucie pas de son apparence. Elle n'a pas de raison de le faire.

Finalement, Cilastiel passe l'amulette à son cou. Elle n'est pas certaine qu'elle la portera ainsi à terme mais elle prendra le temps d'y réfléchir. Pendant ce temps, Sërythil répond à son ignorance sur ce qui semble faire partie des fondements même de la culture elfique. Il est d'ailleurs surpris qu'elle ne sache pas cela et elle s'en trouve soudain embarrassée. Que lui répondre ? Elle ne lui a jamais parlé de la petite Ciryië disparue ni de Macabre. Elle ne sait pas vraiment comment il le prendrait, cela l'effraie même. Elle respecte la vie presque autant que lui à présent mais elle assume ce qu'elle a été car ce qui est fait est fait. Elle n'est pas prête à lui dévoiler cette part d'elle-même.
Ne sachant que faire et que dire, elle ne répond rien. Tout juste hoche-t-elle la tête pour signifier qu'elle a intégré cette nouvelle information. Puis elle pivote et s'éloigne, suivant la direction indiquée par Anaëh. Il veut lui apprendre... mais il ignore qu'elle a tout à apprendre. Le lui avouer, ce serait ouvrir la voie à davantage d'interrogations...

La réaction de Cilastiel n’était pas vraiment celle à laquelle l’herboriste s’attendait. Il connaissait suffisamment la petite elfe pour ne pas la savoir prompte aux éclats de joie mais tout de même, elle avait l’air soudain bien morose…

Pendant un petit moment, le voyage se fit donc dans un étrange silence seulement rythmé par leurs pas désynchronisés et les bruits de la forêt tout autour. Sërythil voulu laisser un peu d’espace à sa petite sœur qui en avait visiblement beaucoup sur le cœur. Mais vint un moment où il ne s’y tint plus et doucement coula un regard dans sa direction, l’air inquiet.

-T'ais-je blessée tout à l’heure Cilastiel ? Demanda-t-il. Nos coutumes ont différés pendant des centaines d’années, je ne tiens pas rigueur des quelconques lacunes que l’éducation citadine à put engendrer. J’imagine que tes anciens camarades me trouveraient tout autant perdu si je devais me retrouver parmi eux...

Il ne voyait pas d'autre explication au comportement de la jeune noss, alors il tentais de s'excuser. Quand à l'évocation de se retrouver au milieux des Talehdels...Intérieurement il se mit tout de même à frissonner, sans rien en dire à la jeune femme, par respect pour elle. Jamais plus il ne franchirait les pierres, il se le promettait et l’idée elle-même lui provoquait un sentiment désagréable.

Cilastiel oublie peu à peu ce qui l'a perturbée, plongeant de nouveau dans la mélodie de la forêt. Celle que tout le monde peut entendre et celle qui est réservée aux elfes qui en sont le plus proches. Elle évite cependant le regard de son frère afin d'empêcher toute conversation sur le sujet qui l'a perturbée. Tout juste se tourne-t-elle vers lui alors qu'ayant pris de l'avance, elle attend patiemment qu'il la rattrape avant de reprendre sa marche.
Mais cela n'y fait rien. Sërythil a toujours son étrange réaction en tête et finit par en reparler. Dans un premier temps, la petite elfe ne dit rien, réfléchissant à ce qu'elle peut dire sans révéler son atroce passé. Puis, après plusieurs secondes de silence, elle lui répond enfin.

-Tu ne m'as pas blessée. Et les citadins n'ont pas... autant de lacunes que tu le crois. Disons que je n'en sais pas autant que je le devrais. Je n'avais pas de Souffle, ce que l'on tentait de m'enseigner ne m'intéressait pas.

Ce n'est pas vraiment un mensonge. Elle a disparu trop jeune pour avoir reçu une quelconque éducation. Et lorsqu'elle est revenue, elle ne parvenait pas à retenir ce qu'on lui apprenait sur le monde qui l'entourait. Elle n'avait aucune raison de le faire, ce pays n'était pas le sien, elle n'était personne et ne s'appartenait même pas. Alors on ne l'a pas forcée plus que cela et la voilà parfaitement ignorante aujourd'hui.

Finalement, elle s'arrête et plante son regard assuré dans celui de son frère.

-Considère que je ne sais rien. Comme ça, même ce que je sais, je l'apprendrai avec le regard d'un Ornedhel.