Armée Royale | Le retour aux armes [PV Aegden]

Elenwënas de la 1ère ennéade de Favriüs
19e année du Onzième Cycle
Caserne de l’Armée Royale d’Alëandir
Matin

Reprendre le chemin de la caserne avait eu quelque chose de presque cathartique. Tu avais quitté le Palais guilleret, presque trop heureux d’enfin retrouver une familière routine entre les frondaisons de ta mère forêt. Non, ni les temps ni ton tumulte intérieur ne s’étaient calmés. Tu anticipais plus que tu ne l’avais jamais fait les futures réponses des Seigneurs-Protecteurs à tes missives. Ton Souffle était toujours pris de mélancolie à l’idée de la tranquillité que tu avais abandonné en quittant le Sanctuaire. Tu la regrettais d’autant plus qu’aujourd’hui – malgré les durs mots de L’Or – tu reprenais les armes. Seulement ton tumulte intérieur n’avait maintenant plus la même emprise sur toi.
Certes, celui dont ton sceptre portait aujourd’hui l’écaille t’avait mis en garde contre ta nature. Contre votre nature. Mais il t’avait aussi conforté dans tes idéaux. Plus que jamais, tu savais contre quoi et pour quoi tu te battais. Plus que jamais, tu savais exactement ce que tu étais prêt ou pas à faire, prêt ou pas à sacrifier, prêt ou pas à concéder, prêt ou pas à abandonner… et fort de cette assurance, tu avançais le pas léger.

Tes épaules à l’occasion roulaient, pour mieux se creuser une place dans le tissu raccommodé. Pour les mêmes raisons souvent sur le chemin tu avais inspiré plus profondément que de raison, ou tu t’étais étiré. Et chaque fois la même question t’étais revenue : de quoi pouvait bien être capable ce nouveau corps exactement ? Voilà quelques mois que tu ne t’étais plus mesuré qu’à toi-même. Depuis ton retour de l’Île du Sanctuaire, tu n’avais jamais lutté que contre ton propre poids, et ta force grandissant en même temps que lui, pour toi, c’était comme si malgré ta transformation, rien n’avait changé. Pour ce qu’il s’agissait de tes limites face à la Trame, rien non plus n’était sûr, parce que là où les premiers temps t’avaient vu faire un usage extrêmement conservateur de l’Art, tu t’étais infligé la totale séparation d’avec ton focaliseur durant les derniers. Tu étais curieux donc, autant de te redécouvrir et d’être redécouvert pas les tiens.

- Aiya !

D’une main levée, tu salues tes Frères et Sœurs. En un chœur désorganisé ils te répondent. Tu offres un sourire. Tu en reçois autant. Ta bonne humeur d’aujourd’hui se propage comme la peste que les tiens n’ont jamais connu, et l’entraînement repart de plus belle.

- Alors Artiön ! T’arrives juste à temps !

Un couple de grands elfes – d’anciens soldats Daranovans recrutés par l’armée royale il y a quelques siècles de cela – t’aborde sans attendre, la femme allant même jusqu’à te gratifier d’une solide claque contre l’épaule.

- L’équipement abîmé a été récemment refondu. il regarde son épouse, un sourire en coin aux lèvres On a de nouveaux lests !

- Ça c’est bien parce que tu as mis la pression au forgeron.

- Mais non ! Qu’est-ce que tu racontes ? Il sourit toujours jusqu’aux oreilles quand je viens les chercher ! juché sur la pointe des pieds, il te passe un bras autour des épaules Enfin… tout ça pour dire que c’est pas tout de se faire offrir la « force des dragons », mais maintenant il est temps de mettre tout ça à l’épreuve non ?

- Monsieur est au courant de tout on dirait. tu lèves un sourcil amusé Je ne me rappelle pas t’en avoir parlé pourtant.

- Oh tu sais. Cìryon n’est pas bien discret. elle rit On se posait des questions tous les deux, et vu que tu n’étais pas particulièrement disponible tous ces temps-ci il a bien voulu nous répondre.

- Trève de plaisanteries ! il lâche tes épaules pour te pousser vers la salle des poids Au travail !

Tu souffles un grand coup, tes yeux accrochant ceux des elfes à l’entraînement. Déjà avant ton retour de l’Île du Sanctuaire, tu étais connu pour ta force, alors maintenant… ne serait-ce que te voir attisait la curiosité, mais savoir – parce que ce qu’il t’était arrivé n’était pour eux déjà plus un secret – avait poussé la quasi intégralité de ceux qui savaient ce qui se jouait maintenant à s’approcher, et à observer.
Des poids avaient été rassemblés. Tu t’étais mis en position. Les encouragements avaient commencé à monter. D’entrée de jeu, tu t’attaquais à ton précédent record. Ils le savaient, et pour autant, ils ne s’en étaient pas bien excités. Dès le début de ta remontée ils s’étaient rendus compte que tu n’avais pas eu besoin de grand effort pour le soulever. Alors les masses de fonte rouillée s’étaient additionnées. Chaque nouvelle tentative t’avait vu plus tendu. Chaque nouvelle tentative et les encouragements se faisaient un peu plus forts. Jusqu’à ce que tu n’arrives à ta limite, que l’effort ne te force à écraser tes molaires les unes contre les autres, et que le retour vers le sol en vienne à t’emmener non loin de l’évanouissement.

- Heureusement qu’on a reçu de nouveaux lests tiens ! ton camarade Daranovan te passe le bras autour de la taille pour t’aider à rester debout T’as presque soulevé un miller et demi !*

- Et j’aurais pas soulevé un grain de plus ! tu réponds à mi-voix Mais il faut dire aussi… tu continues, essoufflé aux dernières nouvelles, je pèse moi-même pas loin de six quintaux et demi** .

- C’est qu’il est bâti comme un vrai Nieläv notre Aran !

- Hâte de voir ce que ça donnera en action.

- À vrai dire, tu avances à pas lents vers un banc, et t’assois je n’en sais rien non plus.

- Dans ce cas ce sera l’occasion d’essayer. Le Mainyth devrait bientôt revenir pour récupérer de quoi partir sur les terrains d’entraînement. Tu n’auras qu’à le suivre là-bas.

Tu hoches de la tête en signe d’approbation, mais rapidement ton regard trouve le sol. Ce dont tu es capable, tu n’en sais rien, et il faut bien avouer que cela t’inquiète légèrement. Tu ne maîtrises pas encore correctement ce nouveau corps, et bien que tu fasses confiance à tes frères d’arme pour ne pas se laisser avoir si facilement, qui sait quels dommages un mauvais coup perdu pourrait faire ?

Les mesures de poids :

Le retour de la tenue d'entraînement:

Le soldat ne pouvait pas avoir plus raison qu’à ces instants. Pas plus de quelques minutes s’écoulèrent avant que son supérieur ne finisse par se montrer sur le pas de la porte. Ses cheveux cuivre noués en un lâche chignon, un haut sans manche ainsi qu’un pantalon serré pour toute tenue, il semblait tout aussi détendu que les quelques compagnons rassemblés dans la salle.

Pourquoi en serait-il autrement, après tout… ? La vie était belle en Alëandir. Sa famille dans ses bras chaque soir, et les cultes bien connus à portée de main pour chaque question que son esprit ces derniers temps particulièrement agité pouvait faire naitre, elles étaient doucement apaisées les angoisses des dernières ennéades.

Un bref et discret sourire amusé vint même creuser une fossette sur sa joue. L’Aran en compagnie d’un couple de soldat très certainement tout aussi daranovans d’origine vue leur carrure, voilà une scène qui n’avait au final rien de surprenant à bien y réfléchir. Même expatriés les elfes étaient liés à leur foyer de telle façon que même à des lieux, ils finissaient toujours par se rassembler, et recréer un peu de chez eux. Et ce peu importe leurs rangs hiérarchiques.

Levant la main en guise de salut il leur lança :

-Content de voir que vous avez déjà inauguré le nouveau matériel. Machinalement, il se mit à quérir ce qu’il était venu chercher. Je ne vous dérange pas longtemps, je récupère deux trois objets et je repars.

Aegden n’aimait pas être enfermé, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. D’autant plus ces derniers jours, il était extrêmement rare de le voir chercher abris entre les murs. Rien d’étonnant donc à ce passage éclair.

-Tu nous prépare quelque chose ? La femme demanda curieuse.

-Non pas cette fois. Répondit-il penché au-dessus d’une boite. Je m’entraine tout seul ce matin, revoir les bases ne me fera pas de mal. Ceci-dit si l’un de vous a envie de travailler dehors, ça ne me pose pas de problèmes...

S'il avait voulu ajouter quoi que ce soit, l'envie lui en fut sans doute balayée par le soulagement d’avoir enfin trouvé les quelques lestes qu’il tenait désormais dans ses mains alors il se tut une demi seconde, laissant par ailleurs le soin à ses interlocuteur de très probablement décliner. Ils avaient l'air déjà bien occupés ici...

Un sourire fuyard t’échappe à la remarque du jeune Mainyth : reprendre les bases ne te ferait pas de mal non plus. Dans ton cas, l’invitation est plus qu’à propos. Tu te lèves donc, avec la lenteur de celui qui a encore les jambes brûlant d’avoir soulevé lourd. Tes doigts s’agitent autour du manche de ton sceptre, l’entraînant dans quelques agiles tours sur lui-même. Au moins tu n’avais pas perdu de ta dextérité.

- Je t’accompagne. tu t’approches du Commandant pour confirmer l’engagement Réviser mes passes d’arme ne serait pas de trop pour moi non plus.

Ton sceptre fait le chemin inverse entre tes doigts, et tu finis finalement par le ranger dans ton dos, prêt à partir. Aegden était peut-être, d’entre tous les soldats présents à Alëandir, le plus à-même de t’aider à reprendre tes marques. Le lancier était bon bretteur, léger sur ses appuis et surtout : d’entre tous les soldats présents à Alëandir, il était probablement celui qui connaissait le mieux ton style de combat. Et dans le même temps, puisqu’il s’agissait pour toi de te réapproprier ton corps, son expertise en tant que danseur pourrait être utile.

- Par contre… tes yeux se posent sur les poids qu’Aegden venait de récupérer à moins que ça ne fasse partie de ta routine d’exercice, je peux les porter jusqu’aux terrains si tu veux.

Ton attention portée sur Aegden, ton œil reste attiré par un mouvement de l’autre côté de ton champ de vision. Des mains. Des mains qui vous saluent et vous souhaitent bon courage pour la suite. Des sourires d’encouragement qui les appuient. Les quelques secondes durant lesquels tu te seras accaparé le roux auront suffi à vos frères d’armes pour s’en retourner à leurs affaires… et par la même occasion pour vous chasser vers les vôtres.

- Je pense qu’on ferait mieux de se dépêcher. tu ris doucement Histoire de ne pas passer pour des fainéants.

Comme dit comme fait. Quitte à t’inviter à sa séance d’entraînement, tu serais celui qui lancerait le pas de la marche vers les murs de la Cité.

-Ne t'en fait pas, je vais m'en sortir. Répondit-il avec un léger sourire amusé. Autant gagner un peu de temps.

Rapidement il fit mine de nouer les bandes lestées autour de ses poignets et ses chevilles, en testa un peu les sensations avant de se relever et d’emboiter le pas à l’Aran. C’est qu’il avait une sacrée foulée à présent et il lui fallait presque courir pour le rattraper… Aegden était loin d’être petit pour un elfe des cités et il avait beau être élancé, il restait bâti comme le danseur accompli qu’il était, mais à côté du Daranovan, il se sentait bien petit et frêle tout d’un coup. C’était à peine s’il arrivait à l’épaule de son camarade. Même s’il lui avait toujours fallu lever la tête pour atteindre le regard de l’Aran c’était une drôle de sensation.

Restant silencieux un petit temps, il avait tout de même finit par lui poser une question, s’écartant un peu pour avoir une chance de lui lancer un regard.

-Au fait, comment est-ce que tu t’en sort Artiön ? Je veux dire...Maintenant que tu as autant grandit. J’imagine que ça doit changer ta manière de voir l’entrainement, non ? Pas trop de mal à t'y faire ?

Point de jugement que se fut dans sa voix ou dans son comportement. Aegden serait le dernier des elfes à déprécier un camarade pour ce qu’il était physiquement parlant. Non, c’était de la pure curiosité de sa part. Ce n’était pas tous les jours qu’il côtoyait un elfe dépassant la moyenne d’une bonne cinquantaine de centimètres…

Ton pas est inégal, tantôt large – comme tu en as l’habitude – tantôt réduit à un écart laissant le temps à celui que tu accompagnes de te rattraper sans avoir à presser le sien. Voilà là l’une des preuves de ta nouvelle maladresse, et l’une des raisons pour lesquelles tu appréhendes la suite des événements d’aujourd’hui.

- Ça dépend. tu regardes tes bras par automatisme Je ne pense pas que ça t’étonne si je te dis que pour tout ce qui est du travail de force, tout va bien. ton regard descend vers tes propres jambes Par contre, j’avoue que pour le reste, je me sens encore un peu pataud. tu souffles J’ai beau avoir assez facilement repris conscience du mon propre poids, faire des pompes et courir c’est une chose. Faire un saut contrôlé en plein combat c’en est une autre. tu soupires Et puis… tu lances un regard désolé au Commandant j’ai la sensation d’avoir encore du mal à gérer ma force.

Ton regard se perd sur la Cité. Réapprendre à gérer ta force n’était finalement même pas le plus grand des défis. Tu avais « grandi » entre le Sanctuaire et l’Annon, loin de la Cité. Le peu de temps que tu avais passé en Alëandir avant de partir pour la Porte d’Anaëh te paraissait maintenant bien loin… et pourtant cela ne faisait qu’à peine un mois. Ce serait celui-ci le plus grand de tes défis : te réapproprier un endroit qui – de ton nouveau point de vue – t’était maintenant presque étranger.

- Encore que, je pense que ça je m’y ferai vite. tu termines de jauger le paysage du regard Ma nouvelle vue sur Alëandir par contre… c’est une autre paire de manches. tu défourailles ton sceptre et joue avec des doigts de ta main droite Pendant ce temps à côté, avec le travail de Cìryon, j’ai l’impression de ne jamais avoir changé de sceptre. tu poses les yeux sur l’objet un instant Plus de six siècles que je le connais et je suis toujours aussi impressionné par la qualité de son travail.

Ton sourire se fait plus placide, et ton timbre de voix se pose. À repenser à ce que vous aviez vécu là-bas, tu n’étais pas le seul à avoir changé.

- Et toi, de ton côté, pas trop dépaysé depuis le retour en ville ?

-C’est un peu étrange à première vue. Le soldat releva son regard vers leur ciel à moitié caché par les arbres, puis il se balada sur les pierres immaculées autours d’eux, les bâtiments sculptés, tachés de la verdure matinale. Un spectacle qui n’avait jamais rien perdu de sa splendeur aux yeux, certes encore jeunes, tout de même multi-centenaire du Lëandrin. Parfois j’ai l’impression de ne plus tout à fait vivre dans l’Alëandir que j’ai toujours connue.

Quelque part il savait que ce n’était pas tout à fait juste. La cité de son enfance n’avait pas tellement changé par rapport à celle dont il foulait les pavés à présent. C’était lui qui avait évolué.

-Mais le plus déstabilisant je crois, c’est ce que ça crée au fond. Doucement, il ferma son poing contre sa poitrine. C’est comme… Cette sensation douce, mais qui t’échappe dès que tu veux t’en saisir. Il ouvrit doucement la paume de sa main, comme s’attendant à revoir surgir la muse de la dernière fois. Pourtant c’est toujours là.

Ses oreilles se haussèrent à ses mots, comme si un nouveau son invisible venait ponctuer sa réponse. De nouveau, ses prunelles anthracites cherchèrent à retrouver leurs vis-à-vis.

-J’ai encore besoin d’apprendre. Ou plutôt de réapprendre. Rééquilibrer mon attention, ne pas se retrouver submergé d'émotion... Un jour ça me sauvera la vie.

Apprendre à dompter ce nouveau sens. Réapprendre ce que c’était de ressentir, sans se perdre.

-Mais tout ça, ça prendra du temps et de la patience. Ça ne tient qu’à moi. En revanche, si tu le veux bien je peux sans doute t’aider pour tes propres problèmes. Changeant soudain d’air comme il avait changé de ton et troquant la spéculation pour l’entrain, il fit soudain signe à son ami de le suivre.

-Viens, je connais un raccourci.

Il tourna à l’angle d’une rue en contrebas d’une autre. D’un bond, il agrippa le rebord d’un muret et d’un deuxième, vint sans mal se hisser dessus avant d’attendre que le grand elfe l’imite. Il en était capable, Aegden savait exactement où ils se dirigeaient et il commençait doucement. Malgré tout c’était certes un raccourci mais ils n’allaient pas en plus de ça se contenter de se balader tranquillement dans la cité blanche jusqu’à leur destination…

L’esprit partagé entre le récit des tribulations de ton camarade et les souvenances auxquelles il te renvoyait, tes sens en étaient venus à papillonner d’une source d’émoi à une autre, embrassant les Chants brisés de la Cité d’Alëandir avec une affection toute particulière. Tu rêvassais. Au moment où le ton d’Aegden changea, tu rêvassais. Et peut-être aurait-il mieux valu que tu continues.

- Ah ! tu ris bouche fermée On parle de ce genre d’aide.

Le premier bond fut tout sauf un challenge. Être grand avait cet avantage. Les obstacles verticaux posaient rarement problème. Dans votre cas, les obstacles horizontaux n’en poseraient heureusement pas non plus. Alëandir n’était pas la Quatrième Saison. Ici vous ne risqueriez pas de vous retrouver face à des passages dans lesquels tu ne pourrais pas te glisser… ou du moins, tu ne le penses pas. Il est une chose tout de même que tu espérais, c’est que la route que comptait emprunter Aegden ne vous force pas à passer par des arbres – ou des toits – dont les branches – ou les tuiles – ne seraient pas capables de supporter ton poids.

- J’espère que tu sais par où tu vas !

Vous sautez d’un muret à une palissade, puis d’une palissade à un tronc courbé par le poids de sa houppe. Souvent ton regard se baisse vers tes pieds l’espace d’un court instant, puis tes doigts se réarrangent autour de ton sceptre, changeant sa position pour mieux rééquilibrer ton centre de gravité. Les foulées d’Aegden s’allongent, s’accélèrent, et te forcent à arrêter de piétiner. Le lancier t’oblige à te forcer à te faire confiance. Et pendant un temps tout va bien. Votre cadence continue d’augmenter. Vos enjambées se transforment chacune en un saut à part entière. Vous courez. De toit en muret, de muret en souche, de souche en masure, jusqu’à ce que vous n’approchiez de l’Elorëa, et que le tapis de mousses ne s’épaississe.
Ton pas est lourd. Tu prépares un long bond vers un mur proche. À cause de ta masse, tes pieds cognent la surface sur laquelle tu cours avec plus de force qu’à ton habitude. Parce que tu es plus lourd, ton inertie te porte plus loin qu’à ton habitude. Et les mousses ne pardonnent pas. Avant ton dernier pas tu perds l’équilibre, te trouve forcé de sauter en catastrophe, l’élan brisé. Le mur est trop loin pour tes pieds, trop loin pour tes bras... mais pas trop loin pour ton sceptre.
Le pied de ton focaliseur trouve la roche et s’y ancre avec l’énergie du désespoir, t’offrant un bienvenu point de levier. De toutes tes forces tu l’utilises pour te pousser vers le haut. C’est assez. Juste assez pour te permettre de t’accrocher de ton autre main. Et dès lors que tes pectoraux peuvent prendre le relai, il te suffit de presser pour te retrouver les pieds au bon endroit.

- Juste un instant. tu lances à Aegden, essoufflé, avant de t’asseoir au bord du mur Le temps que je me remette.

Plus de peur que de mal. Tu ris de toi-même plus que tu ne contemples ce qu’il aurait pu arriver. Vous n’étiez de toute façon pas bien haut.

-Évidemment que je sais par où je vais ! Avait-il ris de bon cœur. J’ai grandi dans ces rues, je les connais par cœur ! 

Après tout, la fin de son enfance notamment, avait été marquée par de bien nombreuses fuites à travers la cité blanche. Il savait parfaitement quels chemins emprunter et lesquels éviter, quels toits seraient trop faibles, et quelle végétation supporterais leurs sauts.

Un nouveau sourire éclaira son visage. L’idée allait certes d’une façon aider son ami, mais il était évident que l’elfe roux appréciait particulièrement cet exercice quoi qu’il en soit…

Loin de ralentir le pas, donc, lorsqu’il comprit que le Daranovan s’en sortait particulièrement bien, il s’autorisa à accélérer le rythme, encore, et encore. La course se fit saut et acrobaties. Une palissade, un mur, un arbre plié par son propre poids. Alëandir se fit, l’espace d’un instant terrain de leur escapade.

Un nouveau vide survint, et à nouveau le lancier s’envola. Seulement il fallut revenir sur terre, son camarade laissé en retrait. D’un dernier bond, il revint sur la corniche précédente. Pliant les genoux il accorda à son camarade le temps d’un repos mérité.

-Tu ne t’en sort pas si mal en fin de compte.

Puisqu’ils en étaient à reprendre leur souffle, Aegden en profita pour dénouer l’équipement qui l’alourdissait toujours. Il n’avait pas prévu de s’en servir comme ça mais soit, ça marchait aussi en fin de compte…

-Quand tu as arrêté de regarder tes pieds, tu as aussi arrêté de réfléchir et donc tu t’es naturellement mieux placé. En revanche tu es quand même trop bas sur tes appuis. Tu t’ancre dans le sol comme si tu risquais de basculer et paradoxalement, tu perds ton équilibre naturel et tu dépense de l’énergie à le compenser. Et…tu rattrape mal les accidents. Il sourit, presque amusé par ce qu’il s’apprêtait à ajouter. En fait tu gagnerais à t’étendre davantage.

- Tu ne t’en sors pas si mal en fin de compte.

- Lourd mais pas gauche ! tu balances tes jambes dans le vide Habituellement du moins.


À l’écoute des conseils d’Aegden, l’une de tes oreilles se soulève en même temps que ton sourcil. Tu entends ce qu’il veut te dire, tu lui donnerais même plutôt raison. Seul souci étant, corriger tous ces nouveaux petits réflexes serait certainement plus facile à dire qu’à faire. Finalement, là où le Commandant marquait un point, c’est que même ayant grandi très vite, tu avais assez fait de travail au poids du corps pour avoir conscience de ta masse. Tu étais plus que capable de jauger de l’énergie qu’il te fallait déployer pour te déplacer. Ton véritable souci était dans le fait que tu savais être plus lourd. Ta nouvelle musculature était proportionnelle à ton nouveau poids. Les efforts qu’il te fallait pour te déplacer n’étaient pas bien différents de ceux qu’il t’aurait fallu avant. Mais te savoir plus lourd changeait ta manière de te percevoir, et en conséquence ta manière de te gérer.

- En résumé si je comprends bien : réfléchis moins, cours plus tu te relèves, prêt à partir Par contre pour les appuis bas, je risque d’avoir un peu de mal. Parce que ça c’est la base de mon style de combat.

Bouger peu, mais bouger vite. Frapper peu, mais frapper fort. Pour quelqu’un comme toi, n’ayant ni la même endurance que tes camarades plus menus, ni la même marge de manœuvre sur tes mouvements, c’était la meilleure solution. Dans le cadre d’un parcours comme celui que te proposais Aegden par contre, avoir l’habitude de faire tes gestes autant en puissance, surtout lorsque ta conscience de ton poids était biaisée, c’était plus délicat.

- Mais je tâcherai d’y faire attention pour la suite tu termines de te mettre en position C’est bon, on peut y aller.

Faire attention à ne pas faire attention était ton défi du moment. Penser léger, leste, mobile. Penser mouvement plutôt que combat. À prendre tout cela en compte, tu avais fini par accorder bien plus d’attention à ta manière de te déplacer qu’Aegden ne semblait le préconiser, mais au moins, cette attention-là semblait œuvrer en ta faveur. La traversée de l’Elorëa et l’arrivée en dehors du Teluïme avaient même particulièrement joué en ta faveur, parce que sans plus de constructions pour encombrer le paysage, le gigantisme de la forêt d’Alëandir – même entre les murs – se faisait reconnaître. Les espaces s’élargissaient, les vides se creusaient, et de plus en plus, posséder des jambes aussi longues et aussi puissantes que les tiennes devenait un avantage.

Plus que confortable, la course avait presque fini par devenir plaisante, alors c’est avec un soupir de déception que tu avais réagi à votre arrivée à la caserne de la milice d’Alëandir, et par la même occasion, à la porte vers les terrains d’entraînement.

- On y est. tu te retournes vers Aegden, que le nouveau terrain t’avait permis de légèrement dépasser Et tes conseils portent leurs fruits ! tu secoues tes jambes l’une après l’autre, comme pour en chasser la fatigue Peux mieux faire, mais j'ose me dire que c’est un bon début.

À savoir maintenant, quelle serait la suite du programme du Commandant.

-A croire que je sais ce que je fais… Aegden sourit, mine de rien l’air satisfait de la remarque du géant. C’est un début, et un début ma foi prometteur. Je n’attendais pas à ce que tu te révèles être le meilleur acrobate de la cité en trente minutes.

En même temps, il vint déposer les quelques poids sur une barrière, proche d’eux. Il n’en aurait sans doute pas besoin pour la suite, étant donné le changement de programme impromptu.

-J’ai un autre exercice à te proposer. Fit-il, en l’incitant à le suivre un peu plus loin jusqu’à un petit coin un peu moins herbeux que le reste.

Il finit par lui demander de s’arrêter et sans plus d’explication traça un cercle à ses pieds dans la poussière, puis, il se plaça en face de lui, gardant une distance confortable pour tous les deux.

-Je sais que ce n’est pas ton style, mais on gagne toujours à sortir de notre zone de confort. On n’utilisera pas d’arme dans un premier temps. Le but c’est de t’écouter avant de frapper quoi que ce soit. On cherche la précision.

De la pointe du pied, il traça le même cercle autour de lui avant que le dos droit et les pieds bien ancrés au sol, il prenne une position simple mais qui le laissait prêt à réagir rapidement.

-Suis moi. Fit-il à nouveau. Sans dépasser le cercle.

Sauf que cette fois, il ne changea pas de place. Plutôt, il tendit son bras droit à l’horizontale pliant un peu sa jambe, puis son bras gauche vint le rejoindre comme s’il fut soudain un archer. Puis d’un geste fluide, il inversa le mouvement comme chassant l’air autour de lui, son bras gauche finissant sa course vers l’arrière. La position de ses pieds venant naturellement toucher la bordure du cercle de poussière. Il n’avait jamais vu beaucoup de différence entre la dance et les arts martiaux que pratiquaient plus souvent les soldats, si ce n’était la finalité de l’un ou l’autre, et c’était d’autant plus vrais ici. Il avait choisi des mouvements pouvant facilement s’appliquer l’un ou l’autre. Ce qu’il connaissait le mieux en soit et ceux qui conviendraient le mieux à son camarade et à ce qu'il cherchait à retrouver.

La première fois, il le fit à vitesse réduite, puis cherchant à recommencer, il le répétât un peu plus vite. C’était un geste relativement simple, mais qui, comme il l’avait dit, requérait autant de force que de précision dans ladite force pour aboutir à un résultat convenable, d’où la limite spatiale qu’il imposait. Comme pour le début de leurs précédente course, Aegden y allait doucement au début, ne serait-ce que pour mieux comprendre où en était le géant dans ce qui le bloquait réellement. Et puis lorsqu’il serait plus à l’aise, alors les choses s’accéléreront et, le danseur l’espérait, peut être que son camarade y trouverait autant de satisfaction que sur les toits d’Alëandir.

Ce qui était au départ un sourire satisfait se métamorphosa rapidement en une moue dubitative. Voir Aegden tracer un cercle au sol autour de toi ne te plaisait pas le moins du monde. D’abord parce que tu ne gardes pas que de bons souvenirs des exercices durant lesquels des maîtres d’armes t’auront imposé ce genre de restrictions, mais aussi parce que si tu dois en croire les dimensions du cercle qu’Aegden se sera lui-même attribué, tu risques vite de te retrouver en une position inconfortable. Tu choisis tout de même de suivre le mouvement sans protestations. Quoi de mieux pour défier ton sens de l’équilibre que de t’empêcher de trouver des solutions trop confortables pour replacer ton centre de gravité.

- J’espère que tu ne comptes pas me faire danser, tu lances, ne plaisantant qu’à moitié il n’y a que Kaëlis pour être assez folle pour s’y tenter habituellement.

Le front toujours plissé, tu observes attentivement ton camarade, et l’imites avec application. Tu ne t’en caches pas, les mouvements te paraissent étranges. Ils sont simples au moins, et donc – pour l’instant – faciles à répliquer. Seulement, forte de ton ignorance quant à leur direction, et de ta mécompréhension de leur but exact, ton exécution restait bien moins élégante que ne l’était celle du Mainyth.
Quelque chose te disait qu’il s’agissait là d’exercices de forme, comme vous vous en étiez vu inlassablement imposés durant votre formation militaire à Daranovar. Des exercices de visant à vous inculquer des gestes martiaux de base, et à imprimer dans votre corps l’idée du flot des combats. Des exercices de forme qui plus tard seraient directement appliqués à votre apprentissage du combat à mains nues. Mais si c’est de cela qu’il s’agissait, tu n’en avais jamais vus de tels. Pas chez toi en tout cas, et pas même à Alëandir… ou alors peut-être n’avais-tu simplement pas assez fait attention aux différences de technique entre Lëandrins et Daranovans.

Les gestes d’Aegden étaient lents et fluides, presque graciles, si bien que ton corps entier se trouvait à lutter contre eux. Trop habitué à la technique Daranovane plus explosive, plus sèche et plus ferme. Mais tu tiens bon tout de même, t’appliquant à faire de ton mieux en attendant de mieux comprendre la direction dans laquelle vous alliez.