[Selymonte] Un vent de paix | Solo

Fin de la 4ème ennéade
Automne, Favrius 19:XI

La mer est calme ce soir. Elle vient s'échouer sur le sable à un rythme lent et régulier. C'est reposant... Et c'est la raison pour laquelle il a choisi cette auberge. Elle est un peu chère mais pour de bonnes raisons et cela en valait la peine.

Ici, il s'est créé un quotidien bien paisible, tel qu'il n'en avait plus connu depuis sa réduction en esclavage. Ses journées sont aussi bien organisées que celles d'un enfant qui aurait besoin d'un cadre pour se sentir rassurer. Mais ce n'est pas de sécurité dont il a besoin... Seulement de calme.
Tous les matins, il se rend chez un maître d'arme pour s'entraîner. Il mange, puis s'entraîne encore. Ensuite il va à la plage, se baigne, se couche sur le sable, observe les vagues... Puis il va aux thermes pour se laver et parfois se faire masser. Il rentre ensuite à son auberge où il mange, écrit à sa famille et à ses filles -laissées aux bons soins de leur mère- pour les rassurer, même s'il n'a pas grand chose à raconter. Il passe un moment sur le minuscule balcon de sa chambre pour profiter une fois encore des embruns de la mer et se laisser bercer par sa douce mélodie... Avant de finalement se coucher pour recommencer la même journée le lendemain.

Tout cela est si différent de ce qu'il a vécu... Et c'est volontaire de sa part. Après s'être violemment disputé avec Aerianna environ un mois plus tôt, il a senti qu'il n'en pouvait plus et est parti. Ce n'est pas un adieu qu'il a fait à la Princesse, il a simplement exprimé le souhait de se retrouver seul avec lui-même pendant un temps, chose qui ne lui était encore jamais arrivée. Et il en ressentait soudainement le besoin. Un besoin irrépressible qui l'a conduit à se couper de tout et de tout le monde pendant quelques temps. Il a fallu quelques ennéades avant qu'il n'écrive aux siens afin de reprendre contact. Il n'a adressé qu'une seule lettre à Aerianna, sans lui donner d'adresse où lui répondre. Il voulait simplement qu'elle sache qu'il allait bien mais qu'il avait encore besoin de temps pour lui et, qu'à leur retour, ils décideraient de la suite à donner à leur relation.
Parce que oui, il la remet en question. Ses sentiments pour elle sont toujours bien là, même après la façon dont ils se sont quittés, même après qu'elle se soit montré si réticente à un mariage qu'elle avait elle-même demandé au point de brûler la serre dans laquelle elle avait proposé qu'ils s'unissent quelques jour auparavant. Mais il n'en pouvait plus... Après ses disputes incessantes avec Sanaa la passionnée, il a choisi une Princesse plus instable encore, qui se délecte de sa propre douleur et qui promet monts et merveilles avant d'agir à l'inverse de ses paroles... N'est-il donc attiré que par des femmes qui ont pour seul but de le tourmenter ? Il se pose la question...
Et toutes ces histoires de cœurs surviennent au milieu d'autres problématiques plus prenantes encore, comme son esclavage, le tournoi, son contrat avec Maralina, les recherches des membres encore disparus de sa famille, la récupération des terres de Hadjaoui... Il n'a pas besoin de cela. Il aspire davantage au calme désormais.

Au fil des ennéades, les choses se sont dessinées plus clairement dans son esprit et il a pris quelques décisions. Il a une idée de ce qu'il veut et de ce qu'il ne supporte plus. Il songe à rentrer mais n'y est pas encore tout à fait prêt. Peut-être demain. Peut-être plus tard. Il n'est pas encore fixé.

Mais ce soir, l'univers semble vouloir troubler la paix dont jouit Sauveur sans la moindre perturbation depuis son arrivée. Tandis qu'il observe la mer sous le clair des lunes, de l'agitation se fait entendre dans une rue à proximité. Les voisins sont plutôt discrets d'habitude mais, aujourd'hui, un couple se fait plaisir à portée de son oreille. En y prêtant un peu plus attention, il comprend bien vite qu'en réalité, l'un des deux s'amuse et l'autre subit... La femme se plaint qu'il lui fait mal et il lui répond de la fermer, la traitant de catin et en réclamant pour son argent.
Dans un soupir, l'ex-gladiateur pose le verre qu'il a à la main sur le guéridon à ses côtés. Elle est peut-être prostituée mais elle mérite malgré tout d'être respectée. Et il n'a pas l'intention de rester sans rien faire alors qu'ils sont tout proches. Il passe par-dessus la rambarde et, s'accrochant au lierre qui couvre son mur, il descend jusqu'à un mètre du sol. Là, il lâche prise et se laisse tomber pour atterrir dans un bruit sourd. Au son, il repère le couple dans une ruelle sombre, privée de toute lumière. Dans le noir, il comprend néanmoins que la femme essaie de lutter contre le malotru qui la maintient fermement et que ce n'est pas pour le jeu... Alors il s'approche discrètement pour arriver derrière l'homme trop occupé à son affaire pour le voir venir. Là, il le saisit par le col, le tire avec force vers l'arrière avant de le jeter dans la rue adjacente. Le froc sur les chevilles, il s'emmêle les pieds et s'étale de tout son long sous la lumière diaphane. Il peste et râle puis se retourne pour engueuler celui qui a eu le culot d'intervenir pendant qu'il prenait ce pour quoi il avait payé.

-Ça va bien, non ?! De quoi tu t'mêles, connard ?!

Laissant la jeune femme se rendre décente, Sauveur ne lui prête pas le moindre intérêt pour le moment. Il avance, d'un pas lent, laissant ses bottes se poser sur le sol de façon sonore. Peu à peu, l'homme à terre distingue un début de silhouette se détacher dans la nuit et ses yeux s'écarquillent à mesure qu'il comprend à quel point il est grand et musclé. Lorsqu'enfin il apparaît à ses yeux sous les rayons de la lune, il voit sa carrure imposante mais aussi ses traits durs et son regard qui le transperce. Il n'a pas intérêt à continuer à broncher...

-D'accord, d'accord... S'incline-t-il. Elle m'rend c'que j'l'ai payée et on en parle pu ! Négocie-t-il en entreprenant de se relever maladroitement et de remonter son pantalon.
-Non. Tonne sèchement le géant. Elle garde ton sale pognon. En dédommagement.

Le client mécontent veut protester mais il s'abstient vite en toisant la mine patibulaire de son interlocuteur. Alors il s'incline, acceptant ses conditions, et file rapidement tout en essayant de lacer ses guêtres, entreprise rendue difficile par son état de semi panique. Sauveur, de son côté, le guette et, lorsqu'il le voit disparaître, il se retourne enfin vers la jeune femme. Contrarié par la scène, il n'est pas aussi avenant qu'il le voudrait mais ses traits sont plus doux, ainsi que sa voix.

-Ça va ?

Rhabillée mais encore retournée par tout cela, elle hoche d'abord la tête en guise de réponse avant de se rappeler qu'il ne peut sans doute pas la voir de là où il est.

-Oui. C'est pas le premier à se comporter comme ça et ça ne sera pas le dernier.
-C'est pas une raison... Je vais pas vous lâcher dans la rue comme ça, il pourrait revenir. Venez, je vous offre un verre. Devant l'absence de réponse, il insiste gentiment, car c'est pour sa sécurité qu'il fait ça. Je vous ai pas tirée de ses griffes pour m'en prendre à vous. Venez... Je m'appelle Sauveur.
-Sauveur ?...

Elle a l'air surprise mais... pas comme quelqu'un qui entendrait son prénom pour la première fois. L'ancien gladiateur fronce légèrement les sourcils tandis qu'il cherche qui cette femme pourrait être. Il aurait reconnu la voix de ses sœurs. Ce n'est ni Sanaa, ni Aerianna... Et puis il n'est pas un habitué des prostitués. Alors qui ?
La jeune femme s'avance lentement mais il ne ressent pas de crainte dans son attitude. Serait-ce du trouble ? Après un petit moment, elle entre à son tour dans la lumière. Ses cheveux blonds sont un peu en pagaille et dissimulent à moitié un visage aux airs à la fois doux et forts. Sauveur cherche rapidement ses traits dans sa mémoire et cela lui revient bien vite. Ses yeux s'ouvrent grands tandis que ses lèvres s'entrouvrent.

-Lina ?!

Elle sourit. Il ne l'a pas oubliée. Et étant donné la rapidité avec laquelle il s'est souvenu, alors cela signifie que le court laps de temps qu'ils ont passé ensemble a été aussi important pour lui qu'il l'a été pour elle. Une main caleuse se pose avec douceur sur sa joue et elle ferme les yeux. Elle ne craint plus celui qui l'a sauvée parce qu'elle le connaît. Dans l'un des moments le plus simple de sa vie durant lequel est née une attirance mutuelle, elle a été sa première. Celle qui l'a initié et qui lui a enseigné comment donner du plaisir à une femme. Une nuit suave et innocente malgré tout. Un des rares hommes dont elle ait vraiment eu envie...
Une petite lumière s'est allumée ce soir dans la noirceur de son quotidien et une larme perle de ses paupières closes. Elle ne le verra peut-être que quelques heures cette fois encore, mais ce sera des heures bien douces à son cœur, tel un baume...

Sauveur tend à Lina la tasse fumante que l'aubergiste vient d'apporter. Elle est assise en tailleur sur son lit, une couverture sur les épaules. Le tenancier a vu son client entrer avec elle mais il a vite compris que ce n'était pas pour lui faire son affaire... Et puis, après presque un mois passé dans son établissement, il a bien compris que ce n'était pas son genre... Néanmoins, à voir leurs mines, il aurait paru évident à n'importe qui qu'ils n'étaient pas là pour ça.
Enfin bref. A leur arrivée, l'Hadjaoui a commandé quelque chose qui la réconforterait et l'aubergiste a fait ce qu'il demandait. Le reste ne le regarde pas.

Sauveur s'éloigne de quelques pas pour s'asseoir sur la chaise installée devant le bureau de la chambre. Il laisse à la jeune femme le temps d'humer la boisson qu'elle tient dans les mains et de continuer à fuir son regard avant qu'il ne se décide à rompre le silence.

-Je te croyais encore à Thaar.

Lina baisse encore un peu plus la tête, se refermant sur elle-même. Cela fait visiblement longtemps qu'on ne s'est pas intéressé à elle pour autre chose que pour son corps.

-Qu'est-ce qu'il t'est arrivé pour te retrouver ici ?
-Je pourrais te poser la même question. Fait-elle remarqué.
-D'une, c'est un longue histoire. De deux, j'ai demandé en premier. Rétorque-t-il avec un soupçon d'humour dans la voix, histoire de détendre l'atmosphère. Je vais pas te juger, je veux juste comprendre. Ton ancien patron te traitait bien et je te retrouve en train de te faire malmenée par un poivrot dans une ville dont les étrangers ne connaissent même pas le nom...
-Mon... Mon employeur a fait faillite.
-Son affaire marchait bien pourtant.
-C'est vrai. Mais il jouait beaucoup et mal... Il a tout perdu. Son commerce a été vendu à un macro plus gros et il nous a réparti un peu partout dans le pays. Et inutile de préciser qu'il ne nous traite pas aussi bien...

Sauveur l'avait remarqué, et pas seulement à la scène qu'il vient de se produire. Certes, elle ne jouit d'aucune protection mais ses clients sont d'une gamme bien inférieure à la précédente et elle porte la tenue qui va avec... Adieu la jolie robe de facture correcte et la peau parfumée. Elle est moins propre que lui à présent...

-Tu n'as pas songé à arrêter ?
-Je peux pas... Je ne sais rien faire d'autre, personne ne voudrait m'embaucher dans mon état et puis... Ils ne le permettraient pas.
-Quand on y met le prix, on obtient toujours ce qu'on veut.
-Mais je n'ai...
-Je ne parlais pas de toi.

Lina reste interdite un instant avant de comprendre qu'il est en train de lui proposer d'acheter sa liberté.

-Non... Non, je ne peux pas te demander ça...
-Tu ne me le demandes pas.
-Mais... Cette auberge est jolie mais tu n'as pas la somme qu'ils réclameront !

Il laisse planer un silence, faisant une moue pour lui signifier qu'elle se trompe.

-Tu serais surprise.
-Sauveur... Je ne veux pas te devoir ça...
-Tu ne me devras rien. J'aide une amie, c'est tout.
-Mais... Et je fais quoi après ? Je te l'ai dit, je ne sais rien faire d'autre.
-D'accord, mais est-ce que tu aimais ça avant au moins ?
-Oui... Il y avait des bons moments avec certains clients. Je ne parle pas de nous. Ça s'était... exceptionnel. Mais dans l'ensemble... Oui, avec les partenaires un peu joueurs, qui avaient les moyens de me payer longtemps... Ça peut être très bon. Voire excellent. Je repartais avec le sourire et j'étais contente de revenir quand ils me réclamaient de nouveau.
-Alors j'ai peut-être une solution. Mais tu as le temps d'y réfléchir. Demain j'irais voir ton contact ici. Si je ne peux pas négocier avec lui, je monterai un cran au-dessus. Et quand tu seras libre, tu me diras ce que tu as décidé. En attendant, tu peux dormir ici. Je m'installerai par terre.
-On a déjà partagé le même lit...
-Tu appelles ça un lit ? Fait-il remarqué alors qu'il s'agissait d'une couche certes confortable mais installée à même le sol. Le contexte était différent.
-Tu as quelqu'un ?
-Non. Oui... Enfin, plus ou moins... Mais ce n'est pas ça qui empêcherait que je couche avec une autre, que ce soit au sens propre ou figuré.

Lina comprend alors de quel contexte il veut parler et se contente d'hocher la tête. Elle apprécie qu'il la respecte à ce point. Elle n'a pas toujours connu ça, surtout ces dernières années. Alors elle ne va pas cracher dessus. Elle prendra le lit et lui le sol... Le lendemain, il louera une autre chambre, le temps qu'ils se préparent à un voyage. Car le macro de Selymonte n'aura pas le pouvoir de la libérer de son engagement forcé. Il faudra aller à Thaar. Ce qui forcera Sauveur à sortir enfin de son isolement... mais c'est pour la bonne cause au moins.