La fierté d'un père - Andrea

Vérimios,
Fin de la première ennéade,
An 19 du XIe cycle

Agenouillé au sol, Zaahrian examinait sa fille d’un œil critique en commençant par le sommet de son crâne. Les cheveux, ça allait. On avait tressé ses jolies mèches blondes et soyeuses avant de les agrémenter d’une fleur fraîche. Elle ne tiendra pas cinq minutes, mais Zaahrian appréciait la touche. Le visage, propre. Il ne restait aucune trace du gâchis de confiture du petit déjeuner. Quant aux vêtements, Aya portait sa plus jolie robe et elle la détestait. Elle voulait s’habiller comme son père avec une tunique et un pantalon. Normalement, ça ne le dérangeait pas, mais cette fois, il voulait vraiment qu’elle fournisse un effort. Finalement, il regarda ses pieds où, au lieu de ses chaussons brodés, se trouvaient ses bottes sales.

« Aya, qu’as-tu fait de tes chaussures ? »

Elle haussa les épaules en affichant un air d'incompréhension coupable.

« C’est important. Dis-moi où elles sont. »

Aya sourit, faisant apparaître deux adorables fossettes sur ses joues. Zaahrian savait comment interpréter ses sourires. Celui-là signifiait : j’ai fait une bêtise, je le sais très bien et je veux te distraire pour que tu passes à autre chose. Zaahrian haussa un sourcil, lui faisant comprendre que sa tentative de le charmer ne fonctionnerait pas avec lui.

« Je les ai jetés dans le bassin de la cour, avec les grenouilles. » Avoua-t-elle, résignée.

« Aya! »

« Je veux porter mes bottes, comme toi ! »

Son regard alla sur les pieds de son père. Il portait des bottes en cuir bien plus propres et lustrées que celles portées par sa fille actuellement.

« Je t’ai dit que notre invité aujourd’hui est très spécial. C’est un ami que je veux que tu rencontres. C’est l’occasion de montrer à quel point tu es bien élevé et joli. »

Aya était ravissante, là n’était pas le problème. Portrait craché de son père, elle charmait tout le monde avec son rire et sa bonne humeur. Ce sont les manières qui n’étaient pas toujours au point. Elle les connaissait, mais les appliquait seulement quand elle en avait envie. En plus, elle tenait difficilement en place plus de cinq minutes. La rencontre avec Andrea s’annonçait très intéressante.

« Bon, on va les enlever. Je ne crois pas que ça va le déranger que tu sois nu-pieds. Assieds-toi. » Non, c’est lui que ça dérangeait, mais si les chaussons se trouvaient vraiment dans le bassin, il n’allait pas y patauger pour les récupérer.

Il enleva une première botte, puis la seconde. Aya n’avait même pas pris la peine de mettre des bas.

« Oh, les jolis orteils roses. Tu sais que je ne peux pas y résister… » La tenant par la cheville, il porta le pied à sa bouche, menaçant de le croquer. Aya éclata de rire et se tortilla pour échapper à son père. Il la lâcha et la petite s’enfuit en courant.

« Je vais t’attraper ! »

Les cris extatiques d’Aya s’entendaient depuis la rue alors qu’elle tentait d’échapper à son père. Finalement, il la rattrapa et la souleva dans les airs en la faisant tournoyer.

« Bon ! » Il la posa au sol. « Tu te souviens de ce que tu dois faire quand notre invité va arriver ? »

Elle acquiesça d’un grand mouvement de la tête.

« Tu peux m’en faire la démonstration ? »

La gamine exécuta une révérence.

« Mae govannen. » Sa prononciation était approximative, mais relativement correcte. Elle fut tellement impressionnée en apprenant qu’il connaissait un peu d’elfique qu’il espérait qu’elle ne surestime pas ses connaissances en demandant à Andrea et lui de discuter dans cette langue devant elle. À part quelques expressions utiles, il ne connaissait pas grand-chose.

« Excellent. Je suis certain qu’il tombera sous ton charme. »

Andrea est assez curieux. Son ami et amant l'a invité chez lui "pour lui demander un service" d'après ce que disait sa lettre. Il a bien évidemment accepté son invitation, puisque nulle autre obligation ne le contraignait à décliner, et sans cacher un certain intérêt face à ce mystère qu'il lui proposait. Connaissant l'attirance qui lie les deux hommes, d'aucun pourrait aisément penser que la proposition est d'ordre charnelle. Mais leur relation étant bien plus complexe et complète que cela, ce n'est pas nécessairement dans cette idée que l'androgyne d'apprête pour se rendre à l'adresse qui lui a été indiqué. Il se prépare comme à son habitude, vêtu d'un vêtement cousu sur mesure afin de faire ressortir tant ses traits masculins que féminins. Il attire souvent les regards curieux sur son passage mais ne s'en soucie jamais. Les habitants de son quartier et des abords de son établissement ne s'étonnent plus. Et puis, en dehors de son aspect, il n'est pas dérangeant pour son voisinage alors il est toléré, voire accepté avec ses excentricités.

Arrivé devant la maison située à quelques pâtés de maison de celle qu'il a récupéré de sa fille, Andrea frappe à la porte. On lui ouvre et il s'annonce. On le laisse entrer puis il reste seul, le temps que l'on aille prévenir le maître des lieux. L'invité attend sagement son hôte, observant les lieux avec un intérêt tout particulier. Qu'un homme comme Zaahrian le fasse pénétrer dans sa sphère privée de cette manière est un témoignage de la confiance et de l'affection qu'il lui porte. Car on dévoile beaucoup de soi avec sa propre maison. D'ailleurs, cela lui fait penser que l'assassin n'a pas vu la sienne maintenant qu'elle est achevée. Il faudra qu'il l'invite à l'occasion.

Lorsque le demi-elfe se présente à lui, Andrea lui sourit et lui laisse le soin de l'aborder et de le saluer comme il le souhaite. Ils sont chez lui après tout. Et il note bien vite la petite silhouette qui le suit. Il serait difficile de lui expliquer la relation que l'assassin et lui entretienne avec des mots simples, à moins de ne dévoiler qu'une partie de la vérité.

-Zaahrian, c'est un plaisir de te revoir. Dit-il avec sincérité, une brève étincelle de malice et de mystère éclairant son regard avant qu'il ne le tourne bien plus sagement vers l'enfant qui l'accompagne. Le grand elfe raide plie alors les genoux pour se mettre à sa hauteur et la toise avec une voix pleine de douceur. Et tu dois être Aya ? J'ai entendu parlé de toi, petite chipie. Fait-il d'un air amusé et dépourvu de reproche.

Le demi-elfe ne lui a pas dit tant de choses que cela sur elle à vrai dire mais il a ce don pour discerner la personnalité des gens avec une aisance déconcertante. Et les enfants sont de véritables livres ouverts pour lui.

Zaahrian était heureux de recevoir Andrea en sa demeure. Il invitait rarement des gens, car ouvrir les portes de sa maison c’était dévoiler son intimité et cela nécessitait un haut niveau de confiance qu’il accordait rarement. Non seulement Andrea comptait parmi les quelques rares élus, mais Zaahrian s’apprêtait à lui demander une faveur qui dépassait largement la simple confiance. Un large sourire apparu sur les lèvres de l’assassin et son regard s’illumina d’un éclat taquin en l’apercevant. Toutefois, aujourd’hui ils seront sages, car Aya serait avec eux.

« Le plaisir est partagé, Andrea. Laisse-moi te présenter la véritable maîtresse de la maison. »

Zaz lui avait déjà parlé de sa fille, mais sans entrer dans les détails. Il était resté évasif sur beaucoup de choses, dont la façon qu’elle était entrée dans sa vie. Son intention était de lui en dire plus, mais avant, les présentations. L’enfant marchait aux côtés de son père, à la fois timide et intrigué par cet étrange personnage.

Son père lui avait dit qu’Andrea était un véritable elfe d’Anaëh et c’est pourquoi il lui avait enseigné quelques mots de leur langue. Naturellement, elle n’avait jamais vu d’elfe avant aujourd’hui. Son père ne l’était qu’à moitié tout comme Guilin. Le premier était grand, blond et musclé avec des oreilles légèrement pointues. Quant au second, il était aussi très grand, mais nettement moins musclé avec des cheveux presque noirs et des oreilles semblables à celles de son père. Alors, elle avait compris que les elfes devaient être grands avec des oreilles pointues. Toutefois, elle ne s’était pas attendue à ce qu’elles le soient à ce point. En fait, Aya était loin d’imaginer qu’un elfe pouvait ressembler à ça.

Aya avait hérité des yeux de son père. Gris et particulièrement expressifs, ils fixaient Andrea avec une intense curiosité. Elle sourit au commentaire. Ce n’était pas la première fois qu’on lui disait cela. Elle pencha la tête d’un côté, puis de l’autre, comme pour observer leur invité sous tous les angles. Derrière, Zaahrian contemplait la scène non sans une certaine appréhension. Normalement, elle devait s’incliner et saluer Andrea en elfique. Toutefois, les secondes passaient et l’enfant ne montrait aucun signe de coopération. En fait, une remarque brûlait les lèvres de sa gamine. Il le savait, il le sentait et ça ne sera pas ce qu’elle était censée dire.

« Vos oreilles sont plus pointues que celles de papa. »

Un son étranglé venant de son père la fit tressaillir et lui rappela brutalement ce qu’on attendait d’elle. Elle exécuta donc une charmante révérence en tenant la jupe de sa robe et déclara non sans massacrer la prononciation.

« Mae govannen! »

Aya gloussa de rire et osa un regard en direction de son père, encore mortifié par la remarque de sa tendre progéniture.

Andrea étire un sourire d'autant plus amusé en voyant l'éclat dans le regard de son amant. Il apprécie toujours autant leur complicité et, si elle se manifeste beaucoup dans l'intimité, il n'est pas contre un moment plus sage non plus. Leur relation a certes démarré sur les chapeaux de roue mais elle n'est pas uniquement physique et se manifeste de plus d'une manière. Aujourd'hui, c'est un peu l'occasion de passer du bon temps ensemble, autrement. Aya serait ce focaliseur qui les aide à rester sages.

L'elfe est loin de mal réagir à la remarque de la petite fille. Au contraire, il joue le jeu et lui apporte une réponse d'un air amusé et mystérieux à la fois.

-Ah ! Fait-il en ouvrant grand la bouche tel un professeur satisfait de la remarque de son élève. C'est parce que je suis beaucoup plus vieux.

La réponse est fausse... Mais pas totalement non plus. La différence de leur sang expliquait tant l'écart d'âge que de morphologie. Alors, finalement, il ne lui mentait pas vraiment. La petite le salua et il en fut un peu surpris avant d'étirer un doux sourire.

-Hannad, pigen twi. Lui répond-t-il avant de se relever.

L'accent de l'androgyne est loin d'être mauvais mais il est encore un peu emprunt de vaani dans la prononciation de certaines lettres. Il s'emploie à corriger ces quelques défauts mais il n'a malheureusement pas l'occasion de pratiquer aussi souvent qu'il le voudrait. Contrairement à sa fille qui a su gommer presque toute trace de ses origines.
Retrouvant le regard de Zaahrian, il ne manque pas de détecter son embarras. Il se garde bien de venir lui toucher le bras en la présence de son enfant mais il peut au moins le rassurer par les mots. Après tout, il n'a aucune raison de se montrer aussi tendu. Quoi que cela signifie que ces présentations sont importantes pour lui et cela le touche.

-Ne t'inquiète pas. J'ai eu assez de filles et de fils pour savoir qu'ils agissent bien plus vite qu'on ne le voudrait. Et cette petite me semble également affublé d'un caractère plein de malice. Il se tourne vers la jeune fille. Tu dois en faire voir de toutes les couleurs à ton papa, je me trompe ?

Traduction:

Bien qu’il aurait préféré qu’elle ne fasse aucun commentaire sur les oreilles d’Andrea, Zaahrian n’était pas vraiment fâché contre sa fille. Intelligente et spontanée, Aya disait tout ce qui lui passait par la tête et, en ça, elle était comme lui. Heureusement, l’elfe joua le jeu et Zaahrian s’étrangla presque à l’explication qu’il donna. La gamine écarquilla les yeux comme si elle venait d’entendre l’une des plus importantes révélations de toute sa vie. Elle se retourna vers son père qui peinait à cacher son amusement. Puis Andrea répondit à la salutation par quelques mots d’elfique. Elle en oublia aussitôt l’histoire des oreilles, réclamant plutôt une traduction de ce que venait de dire Andrea, ce que Zaahrian n’avait compris qu’en partie seulement. Hannad voulait dire merci. Quant au reste… Autant s’en tenir qu’à l’essentiel!

« Ça veut dire merci. » Expliqua Zaahrian à sa fille lorsqu’elle se retourna vers lui.

« Mais il a dit plus qu’un mot… » Insista l’enfant.

« Effectivement… Bon, tu veux bien montrer à Andrea l’endroit où nous allons prendre le thé? »

Visiblement, Zaahrian cherchait à détourner son attention. Il posa sur une main sur ses épaules et la poussa légèrement, l’encourageant à prendre les devants, mais Aya se retourna plutôt vers Andrea pour s’accrocher à son bras comme si elle craignait qu’il se volatilise dès qu’elle aurait le dos tourné.

« C’est par ici. » Dit-elle avant de l’entraîner dans les profondeurs de la maison, non sans insistance.

Ils montèrent un escalier avant de longer un couloir dont le mur extérieur était ouvert et donnait sur la cour et son bassin. L’endroit était peu décoré et austère selon les normes de Thaar. Au-delà du marbre et des bois précieux, il n’y avait aucune peinture accrochée au mur et encore moins de sculpture dans les alcôves. Quelques indices dispersés ici et là montraient que les lieux n’étaient pas habités par un marchand et sa famille, mais un guerrier. Ça expliquait sans doute le peu d’intérêt envers la décoration, ça et le fait qu’à l’exception de quelques esclaves, il n’y avait aucune femme dans la maison.

« M’en faire voir de toutes les couleurs? C’est un euphémisme! » Répondit Zaahrian à sa place. « Elle parle sans arrêt et pose tout un tas de questions. Elle est téméraire et incroyablement brave ce qui me fera sans doute vieillir bien avant mon temps. »

« Oh! Et tu auras les oreilles plus pointues, papa? »

« On verra bien. »

Zaahrian avait prévu amener Andrea jusqu’au salon pour discuter. Techniquement, il y en avait trois dans la maison, mais un seul était approprié pour y accueillir des invités. Il était grand avec des fenêtres sur deux des quatre murs où passaient les rayons du soleil une bonne partie de la journée. Il n’y avait pas de meuble à l’exception d’une table basse placée devant l’une des fenêtres et entourée de larges coussins qui invitaient à se prélasser. D’autres coussins avaient été disposés le long des murs ainsi que d’épais tapis moelleux sous les pieds. Une bibliothèque contenait quelques livres ainsi que des rouleaux. Aux murs et aux fenêtres, des tentures colorées complétaient la décoration. Les couleurs ne s’accordaient pas toujours, comme si chacun des éléments avait été ajouté au fur et à mesure selon les envies du propriétaire. Le confort primait sur le style, rendant la pièce étrangement chaleureuse malgré son côté éclectique à la limite du bordélique.

« Ici, les chaussures sont interdites. » Indiqua Zaahrian en faisant un clin d’œil à Andrea. Il retira ses bottes et invita l’elfe à s’installer parmi les coussins autour de la table basse. Évidemment, Aya ne perdit pas de temps et s’assit sur les cuisses de son père.

« Ma chérie, j’ai oublié de demander qu’on apporte quelque chose à manger avec le thé. Tu peux aller faire le message pour moi? »

Ravie à l’idée de se rendre utile, Aya ne protesta pas et sortit du salon au pas de course, le bruit de ses pas sur le plancher de pierre s’atténuant à mesure qu’elle s’éloignait dans le couloir.

« On devrait en avoir pour quelques minutes, peut-être plus si elle se laisse distraire par quelque chose. Je ne vais donc pas passer par quatre chemins. Andrea, j’ai une faveur à te demander et ça concerne Aya. »

Il y avait une telle gravité sur le visage de Zaahrian que peu importe ce qu’il s’apprêtait à demander, ce devait être très sérieux.

Il est à la fois étrange est plaisant pour Andrea de pouvoir observer son amant dans un tout autre contexte que celui dans lequel ils se retrouvent et communient pourtant si bien. Ils partagent bien des choses mais, aujourd'hui, c'est encore différent. Tandis que l'elfe parcourt les allées, les couloirs et les escaliers, il a véritablement l'impression de pénétrer dans l'intimité de Zaahrian. C'est certes une observation curieuse à faire lorsqu'il repense à leurs nombreux ébats, et notamment à la dernière nuit où ils ne se sont assoupis qu'au matin, une fois leurs appétits enfin rassasiés. Cependant, l'androgyne ignorait encore beaucoup de choses de son partenaire et ne connaissait aucun de ses proches, jusqu'à maintenant. Et la première personne qu'il choisit de lui présenter n'est autre que celle qui compte sans doute le plus à ses yeux... C'est un moment important qui change légèrement la nature de leur relation et Andrea le sait bien.

Répondant à Zaahrian par un sourire malicieux, le proxénète retire ses souliers qui ne lui opposent pas la moindre résistance. Puis il avance pieds nus jusqu'aux coussins sur lesquels il s'installe avec grâce, demeurant néanmoins assis (pour le moment), les jambes en tailleur sous le tissu ample de son jupon. Il ne dit rien lorsque son amant envoie sa fille effectuer une mission pour lui mais il n'est pas dupe et sait qu'il ne s'agit que d'une diversion. Aussi ne se montre-t-il aucunement surpris lorsque l'assassin se tourne vers lui, l'air grave.
L'expression malicieuse d'Andrea s'estompe pour se muer en sérieux, mais toujours tout en douceur. Puisqu'il s'agit d'Aya, il se doute que sa requête est importante et, en réalité, il pense déjà savoir de quoi il s'agit. Lentement, il vient prendre la main de Zaahrian et la serre tendrement.

-Je t'écoute. Répond-il simplement, presque à mi-voix.

Zaahrian baissa les yeux sur la main qui serrait la sienne. Il la regarda, puis avec son pouce, la caressa en suivant la ligne bleutée des veines que l’on devinait à peine sous la peau diaphane.

« Il n’y a pas beaucoup de personnes en ce monde en qui j’ai confiance. » Commença l’assassin sans le regarder dans les yeux. Malgré le temps passé ensemble, beaucoup de choses n’avaient jamais été dites. Il gardait de nombreux secrets autant par honte que par nécessité. Aujourd’hui, Andrea allait le voir comme personne ne l’avait jamais vu. « Il y a Guilin que je considère comme un frère. Une amitié forgée par la lame et le sang. Puis, il y a toi. Nous sommes deux personnes très différentes et pourtant, on se rejoint sur beaucoup de choses. J’apprécie ta franchise, ton humour et ta vision du monde. Tu es libre. Personne ne peut te posséder entièrement, mais tu es aussi très généreux de ta personne et à ton contact, j’ai changé. Je fais souvent des blagues à ce sujet, mais c’est impossible de le nier. »

Il leva les yeux pour enfin regarder l’elfe dans les yeux.

« Mais il y a une autre personne qui m’a changé, une petite fille. Avant qu’elle n’arrive dans ma vie, je n’avais pas peur de ce qui pouvait m’arriver. Conscient des risques de mon métier, je vivais sans me soucier du lendemain en sachant que ma mort ne serait regrettée par personne. Je suis un assassin, personne ne pleure les assassins. Il y a Guilin, bien entendu, mais il est dans la même situation que moi. Si l’un part, l’autre va probablement suivre en défendant ou en voulant venger l’autre. Tout a changé avec Aya.

À mon retour d’Anaëh, elle était là. Sa mère l’avait abandonnée à ma porte, incapable de s’en occuper. Je ne me souviens même pas de sa mère. Je ne sais pas quand elle a été conçue. Enfin… oui… J’étais saoul, désespéré et terriblement seul. Elle était là et j’ai profité d’elle. Je n’en suis pas fière, mais Aya est née de cet instant de désespoir. Elle est la preuve que même si j’ai fait des choses horribles, je suis capable de créer quelque chose de magnifique. Mais en même temps, j’ai tellement peur de ce qui peut lui arriver. Je ne peux pas changer qui je suis. J’ai des habiletés particulières que je dois utiliser, mais ça implique de mettre ma vie en danger et si je meurs, Aya va se retrouver seule. »

Zaahrian soupira. Il commençait à s’agiter, signe évident de son inconfort. Il savait qu’Andrea n’allait pas le juger, mais se dévoiler de la sorte était un exercice plus difficile qu’il ne l’avait imaginé au départ.

« Je suis en train de lui apprendre les endroits sécuritaires où se cacher si jamais il y a du danger. Un parent normal n’aurait pas à prendre de telles précautions, pas dans cette mesure, mais je ne suis pas un parent normal. Je lui ai montré les temples, mais je n’aime pas l’idée de la laisser là-bas avec de parfais étrangers. C’est pourquoi j’aimerais ajouter à cette liste ta demeure ainsi que le bordel. On pourrait discuter longuement de la moralité derrière l’idée d’envoyer une enfant dans un bordel, mais je sais qu’elle y serait en sécurité. C’est seulement en cas de danger et je ne te demande pas de devenir son tuteur ou de l’élever si jamais… Enfin… Je veux juste que tu t’assures qu’elle soit en sécurité. Cette maison sera à elle et elle aura également de l’argent, bien plus qu’il n’en faut pour vivre confortablement. J’ai besoin de quelqu’un pour défendre ses intérêts si je ne suis plus là pour le faire. J’ai besoin de toi, si tu veux bien. »

L'espace d'un instant, Andrea craint que Zaahrian ne retire sa main de la sienne. Il sait qu'il ne veut pas d'une relation sérieuse et son geste... est assez intime. En tout cas du point de vue de l'assassin, certainement. Après tout, il lui demande encore la permission avant de l'embrasser, retirant toute spontanéité à ce moment qu'il apprécie pourtant tellement. Il comprend pourquoi il le fait, marquant ainsi cet instant où ils passent d'amis à amants, mais ce n'est pas dans la façon de fonctionner de l'androgyne. Et pas dans ses désirs non plus. Mais, pour ne pas le perdre, il le laisse faire les choses à sa façon et se contente de profiter de ce qu'il partage avec lui. Non sans avoir peur que cela s'arrête trop tôt.

Rapidement, le demi-elfe caresse sa peau. Imperceptiblement soulagé, il prête alors une oreille attentive à ce qu'il a à lui dire. Ainsi, lorsque son amant le regarde enfin, il ne peut voir qu'une personne qui est toute à son écoute. Et Andrea ne peut qu'être touché. Par la confiance de Zaahrian. Par sa sincérité. Par cette dimension plus intime qu'il donne à leur relation en lui dévoilant cette part de lui-même. Et il le voit s'agiter alors que c'est un exercice auquel il n'est pas habitué. C'est pourtant quelqu'un au fort caractère, confiant dans ses compétences. Cependant, avec Andrea, il s'est plus d'une fois montré vulnérable. A commencer par leurs premiers ébats où l'abstinence prolongée ne lui a pas permis de contrôler son plaisir autant qu'il l'aurait voulu, le rendant mal à l'aise. L'écart d'âge, de goût et d'expérience en matière de sexe avait passablement fragilisé l'assurance de l'assassin sur le plan charnel, lui permettant ainsi d'apprendre et de "changer" comme il le dit lui-même. Cette fois, il dévoile une partie de lui plus personnelle encore. Andrea se trouve chez lui, il a rencontré sa fille, il a entendu l'histoire de sa conception, il voit les craintes qui tenaillent son amant... et il comprend ce qu'il attend de lui.

Andrea sourit avec tendresse et assurance. Zaahrian ne lui demande pas d'être son tuteur... mais un peu quand même. Élever un enfant en effraierait plus d'un mais l'androgyne en a eu beaucoup trop pour avoir encore cette peur. Les siens mais aussi ceux de proches qui ont survécu à leur unique parent avant qu'eux-mêmes ne soit adultes. Il sait très bien comment faire, voit comment s'y prendre pour préserver les biens et les intérêts d'Aya, imagine comment être un père de substitution mais sans en être vraiment un puisque Zaahrian et lui ne sont pas ensemble au sens habituel du terme.
Une main délicate vient caresser et se poser sur la joue de l'assassin pour l'apaiser tandis que ses doigts serrent toujours les siens.

-J'aurais veillé sur elle de toute façon. Lui avoue-t-il avec douceur. Pas de la manière que tu viens de le me demander, mais j'aurais gardé un œil sur elle et me serais assuré qu'elle ne manque jamais de rien. Parce que ce qui compte à tes yeux, compte aux miens.

Andrea n'en dira pas davantage sur ses motivations mais elles sont toutes en rapport avec le demi-elfe et ce qu'il partage avec lui. De toute façon, ses motivations ne peuvent pas être l'argent. Lui-même en a bien assez et il n'y accorde de toute façon pas tellement d'importance. Tout ce qui compte à ses yeux, c'est le plaisir. Celui qu'il prend mais qu'il donne aussi. Et pas uniquement sur le plan charnel. D'ailleurs, ce n'est pas que du sexe qu'il partage avec Zaahrian. Sa demande en est la preuve.
Tenant toujours les doigts de son amant, l'androgyne retire sa main de sa joue dans une nouvelle caresse.

-Il y a toujours quelqu'un chez moi, à moins que mes serviteurs soient tous partis en course mais c'est rare. Nous pourrons lui montrer l'entrée des logements de mes employés, ils y font preuve de bien plus de pudeur et il y aura... moins de bruits évocateurs. Conclut-il dans un bref haussement de sourcils amusé.

Le hall d'entrée principal est plutôt calme mais, l'inconvénient, c'est qu'il faut traverser presque tout le bâtiment pour se retrouver dans un endroit qui convienne davantage à une enfant. Et Zaahrian est bien placé pour savoir que sa maison des plaisirs -comme il l'appelle- est conçue de manière à réveiller les appétits. Appétits qui ne sont pas pour Aya... Ou pas avant plusieurs longues années.

-Tu as conscience que cela signifie que nous allons devoir nous côtoyer davantage ? Fait-il sur un ton faussement préventif.

Jusque là, ils ne se sont vus qu'occasionnellement et dans une chambre. Mais s'il doit jouer un éventuel rôle pour la petite fille et qu'elle ait confiance en lui, il va devoir passer du temps avec elle et son père. Du temps plus officiel, parfois à la vue de tous. Des moments d'une toute autre intimité qui va forcément modifier quelque peu les paramètres de leur relation. Andrea n'en est en rien effrayé, il n'a jamais caché apprécier la compagnie du demi-elfe, y compris en dehors de leurs ébats. Passer plus de temps avec lui lui convient donc parfaitement et Zaahrian peut le lire dans ses yeux.

« C’est tout ce que je te demande. » Lui assura Zaahrian le regard fixé sur lui, un frisson parcourant son échine au contact de la main d’Andrea sur sa joue. « Que tu gardes un œil sur elle si jamais les choses tournaient mal pour moi. Et c’est seulement dans l’éventualité que ça arrive, car j’ai bien l’intention de rester dans les parages encore longtemps. Après tout, il est de mon devoir de terroriser tous les garçons qui tourneront autour d’elle plus tard. » Il ponctua sa phrase d’un rire. Ses yeux brillaient, mais difficile de savoir si c’était parce qu’il était ému ou amusé.

« Aya a passé les premières années de sa vie dans un bordel. Elle a probablement entendu et vu des choses déjà… » Zaahrian haussa les épaules en signe d’impuissance. « Garde à l’esprit que si un jour elle vient chez toi sans prévenir, c’est que quelque chose sera arrivé ici. Je ne veux pas empiéter sur ta vie. Dans un monde idéal, ça n’arrivera jamais, mais avec la vie que je mène, je préfère être prêt à toute éventualité. » L’assassin sourit. « Avoir un plan n’a jamais été dans ma personnalité. Je fonctionne à l’instinct, jour après jour sans me projeter vers l’avenir, car j’ai longtemps cru que je n’en avais aucun. Combien de fois Daeron m’a répété que je n’étais qu’une arme soumise à son bon vouloir et que par conséquent, il pouvait me sacrifier sans hésitation. Les choses ont changé depuis. » Il ne pouvait pas parler de son ancien maître de guilde sans être étourdi par tout ce qui était arrivé à la suite de sa mort. Zaahrian était passé si près d’y laisser la peau également et si le risque en avait valu le coup à l’époque, c’était encore plus vrai aujourd’hui. Cette liberté était sienne avec le bon et le mauvais. Daeron avait fait de lui sa chose sans jamais réussir à le soumettre entièrement, sans lui enlever sa capacité d’aimer la vie intensément.

Zaahrian avait quand même l’impression d’en demander trop malgré la joie que se faisait Andrea de remplir ce rôle. Ce n’était pas entièrement sans risques et l’elfe devait l’avoir compris. Ça demandait aussi un certain investissement en temps. Il fallait qu’Aya apprenne à le connaître pour lui faire confiance, chose qui ne s’établit pas aussi facilement. Ils devaient donc se voir plus d’une fois en plus de la visite de sa demeure. Plus l’assassin y pensait, plus il avait l’impression d’imposer sa fille dans la vie d’Andrea. Il ne le ferait pas s’il n’avait pas d’autre choix. Il faisait entièrement confiance à l’elfe. Il sera présent si ça tourne mal.

« Je sais. Ça va demander un peu plus que d’en discuter autour d’une table, j’en suis conscient. Je voulais te la présenter depuis un moment de toute façon. » Zaahrian s’agita sur son coussin. Il avait l’impression de pousser sa fille dans la vie d’Andrea, mais il avait compris quelque chose en l’invitant ici. Quelque chose qu’il avait refusé de voir au début, mais pour laquelle il ne pouvait rien.

« Il y a quelque chose d’autre que je dois te dire. Ça ne concerne pas Aya, mais moi. » Depuis le début de cette conversation, pas un seul instant ils ne s’étaient lâché. Tout doucement, il porta la main d’Andrea à ses lèvres et déposa un baiser sur ses jointures. Il avait des papillons dans l’estomac, mais il ne laissait rien voir de sa nervosité. « Je suis amoureux de toi, Andrea. » Il ne savait pas exactement quand c’était arrivé ou comment. Zaahrian savait simplement qu’il l’aimait.

Zaahrian est touchant. Andrea n'est pas aussi protecteur que lui en ce qui concerne les premiers amours de ses enfants, préférant les éduquer sur la question afin de leur permettre de choisir judicieusement, mais il comprend sa position. Cela lui étire un doux sourire tandis qu'il l'imagine effrayer les garçons qui tournent autour de sa petite fille chérie. Il l'écoute néanmoins et affiche une mine moins réjouie en découvrant qu'Aya a déjà été témoin de choses qu'elle n'aurait pas dû... Cela peut toujours arriver qu'un enfant surprenne un parent ou un serviteur, surtout dans un monde comme le leur, mais il n'est pas d'avis qu'il soit bon qu'un enfant grandisse dans un environnement comme celui d'un petit bordel. Il est triste qu'elle ait connu cela et ne peut qu'espérer que cela ne l'affectera pas dans sa vision des relations charnelles. Auquel cas, il serait tout à faire à même de proposer son aide au demi-elfe.

-Ce n'est pas une raison pour ne pas la préserver aujourd'hui. Déclara-t-il, posément. Et tu peux être rassuré, je veillerai sur elle. Même si cela ne te dispense pas de faire attention à toi. Conclut-il alors, affichant un discret sourire.

Zaahrian lui a bien assuré qu'il avait l'intention de demeurer aussi longtemps que possible aux côtés de sa fille mais l'androgyne ne souhaite pas qu'il relâche sa vigilance en sachant qu'elle ne sera pas livrée à elle-même si jamais il devait disparaître. Il cache sa motivation personnelle de le voir rester en vie derrière ce petit éclat amusé dans son regard mais son éventuelle tristesse en cas de départ précipité serait néanmoins évidente.

A nouveau, l'assassin s'agite et Andrea se montre à la fois intrigué et inquiet, se demandant ce qu'il peut bien y avoir de plus pour le rendre aussi nerveux. Dans un geste qui se veut rassurante, il serre un peu plus ses doigts sur ceux de son amant qui les porte ensuite à ses lèvres. Un geste quelque peu surprenant étant donné qu'ils ne sont pas dans un contexte particulièrement intimes au terme duquel il est plus ou moins convenu qu'ils partageront la même couche. C'est une action tendre et totalement gratuite que Zaahrian n'a jamais eu jusque-là mais le proxénète ne bronche pas pour autant. Il fixe son amant avec douceur afin de lui assurer qu'il a toute son attention. Et puis, les mots tombent et Andrea ouvre un peu plus grand les yeux et entrouvre la bouche, visiblement surpris par cette annonce. Quoi de plus normal alors qu'il a toujours été entendu que le demi-elfe ne souhaitait pas avoir de romance après sa dernière relation ?

Pour toute réponse, après une ou deux secondes de battements, l'androgyne s'approche et vient poser ses lèvres sur les siennes dans un baiser quelque peu différent de ceux qu'ils ont déjà pu échanger. Il n'est ni langoureux, ni passionné. Il n'est pas juste doux ou tendre... Il est fort car rempli d'émotions. Des émotions qu'il partage avec celui qui, jusqu'ici, n'était que son ami.
Après un court moment, leurs bouches se séparent mais Andrea reste tout près de Zaahrian pour lui souffler quelques mots.

-J'ai cru que jamais tu ne prononcerai ces mots-là... Et j'ai retenu les miens, de peur de te perdre.

Andrea recule légèrement. Juste assez pour que ses yeux puissent se plonger dans ceux de son amant. Son regard brille d'une étincelle que le demi-elfe a déjà pu apercevoir mais de manière si fugace qu'il a pu douter l'avoir vraiment observée... Jusqu'à présent.

-Je t'aime, Zaahrian.

Finalement, la patience de l'elfe blanc aura donné ses fruits. Il a laissé le temps à l'homme qu'il aimait de faire le deuil de sa douloureuse et profonde peine de cœur, lui permettant de profiter de lui comme il le voulait, lui donnant ce dont il avait besoin quand il en avait besoin, prenant autant que possible plaisir en sa compagnie dans cette relation à la fois amicale, douce et passionnée. Cette déclaration n'est tout compte fait que l'aboutissement de tout ce qu'il s'est passé entre eux. Une conclusion logique mais qu'il craignait malgré tout ne jamais voir arriver. Tout ne dépendait que de lui... Et le temps a fait son oeuvre pour le récompense de la meilleure des façons.

Le cœur de Zaahrian menaçait de sortir de sa poitrine. Ce n’était pourtant pas la première fois qu'il déclarait ses sentiments à quelqu’un. Il avait prononcé ces mots avant, chaque fois avec la plus grande sincérité. Pourtant, une part de lui plus pragmatique et certainement désabusée par ses échecs précédents savait que l’euphorie du moment n’était que passagère et qu’il finirait par se faire du mal. Il ne voulait pas y penser, pas maintenant. Ce serait injuste pour Andrea d'assumer que malgré la joie qu'il éprouvait présentement, elle ne pouvait qu’être éphémère. En réalité, Zaahrian n’en savait rien, pas plus que les fois précédentes, d’ailleurs. C’est pourquoi il devrait simplement faire ce qu’il fait le mieux : vivre au jour le jour et profiter des bons moments.

Il vit la surprise sur le visage d’Andrea et pendant un bref instant, l’assassin regretta de s’être ouvert la bouche. Pourtant, la seconde d’après, les deux hommes se retrouvaient au-dessus de la table, échangeant un baiser plus évocateur que tout ce qui aurait pu être dit. Il le savoura, balayé par l’émotion qui le teintait. Aussi bref qu'il fût, les joues de Zaahrian prirent tout de même une délicate teinte rosée, mélange de timidité et de plaisir. Les sentiments étaient partagés, mais il fronça les sourcils lorsqu'Andrea lui avoua avoir cru ne jamais entendre ces mots de sa bouche un jour.

« Oh! Je ne voulais pas te faire attendre… J'en suis désolé. » Une main se posa sur la joue d’Andrea, de la même façon que l’elfe l’avait caressé un peu plus tôt. « Ce n’était pas mon intention au début, c'est vrai. Avoir le cœur brisé n’est jamais très agréable, mais le risque en vaut la peine. Tu es l’une des plus belles personnes que j’ai rencontrées dans ma vie et j’utilise ce mot pas juste pour parler de ton physique, mais de qui tu es. Je me sens très chanceux… »

Zaahrian voyait très clairement l’éclat dans les yeux de l’elfe. Il l’avait déjà aperçu avant, brièvement. À cette époque, il n’avait pas compris ce que ça signifiait et son embarras d’avoir laissé la peur d’être blessé avoir le dessus s’en trouva amplifié, lui qui d’ordinaire ne craignait même pas la mort. Comment avait-il pu passer à côté de ça? Heureusement, Andrea s’était montré patient, confiant que le temps finirait par lui accorder ce que son cœur désirait.

Incapable de réprimer un sourire à la déclaration de l’elfe, il se pencha vers lui pour l’embrasser. Avec tout ça, Zaahrian ne pensait plus à sa fille qui devait revenir au salon d’un moment à l’autre. Ironique, sachant qu’Andrea était ici pour elle, mais ils avaient été distraits comme ça arrivait souvent lorsqu’ils se trouvaient dans la même pièce. Et lorsque Aya revint avec son plateau de biscuits, le baiser n’avait rien de bien sage. Elle s’arrêta dans l’ouverture de la porte.

« Papa, qu’est-ce que tu fais? »

La question eut l’effet d’une douche froide. Il se redressa, le visage figé dans une expression de profonde stupéfaction. Il ouvrit la bouche et la referma tel un poisson hors de l’eau, à la recherche d’une explication satisfaisante à la situation. Il jeta un coup d’œil à sa fille, puis à Andrea. À ce dernier, son regard implorait visiblement son aide.

« Hum… J’embrasse Andrea. » Dit-il, résigné à dire la vérité.

« Pourquoi? »

« Parce que je l’aime beaucoup. » Son teint rose passa au rouge vif, couleur peu commune pour lui qui montrait bien l’ampleur de son embarras.

« C’est drôle, tu es tout rouge! »

Elle n’avait pas besoin de le dire. Zaahrian sentait le feu sur ses joues. En même temps, il ne pouvait réprimer entièrement son envie de sourire. Aya posa le plateau sur la table. Il contenait un assortiment de biscuits dont certains, abîmés, donnaient l’impression d’être tombé au sol quelque part en chemin. Elle s’assit à l’extrémité de la table, regardant en alternance son père puis Andrea.

« Les gens qui s’aiment s’embrassent? »

Il n'y a aucun reproche dans les yeux d'Andrea. Il se doutait depuis quelques temps que leur relation avait peut-être dépassé le stade d'amis et amants mais il était prêt à patienter encore s'il le fallait. Et si Zaahrian n'avait montré aucun signe d'affection, il se serait fait une raison. Il vit pour son plaisir et celui des autres et il est tout à fait capable de renoncer à ce qui lui fait plus de mal que de bien.
L'elfe retrouve avec plaisir les lèvres de celui qui est désormais son compagnon. Emporté par l'instant, il lui rend son baiser qui se fait de moins en moins chaste. S'ils le pouvaient, il aurait aimé pouvoir conclure cette déclaration d'amour par l'acte en lui-même mais c'est impossible pour le moment. Et il leur est vite rappelé pourquoi.

Tout parent se fait un jour ou l'autre surprendre dans un moment inapproprié. Et Zaahrian n'y échappe pas. La voix de la petite Aya les interrompt promptement et si le demi-elfe tourne vers lui un regard embarrassé, Andrea est plutôt amusé. D'ailleurs, au début, il laisse plutôt son amant se débrouiller. Lui aussi est passé par là un jour, il faut bien qu'il connaisse un peu cette expérience. Il peut désormais lui faire découvrir bien des choses en dehors de l'intimité d'une chambre... Ou d'une salle de bain... Ou d'un lac... Ou de l'ombre d'un arbre... Bref, en dehors du contact charnel.
Cependant, Andrea finit assez rapidement par faire preuve de compassion envers l'homme qu'il aime et l'aide à répondre à sa fille. Il se tourne alors vers elle et lui répond avec aisance, l'air paisible.

-Ils s'embrassent, ils s'étreignent, ils se caressent, ils se disent des mots doux... Un peu comme avec toi mais de manière différente. Parce que nous ne nous aimons pas de la même manière que vous vous aimez tous les deux.

Andrea tient à le souligner. Il veut montrer à Aya qu'il a conscience qu'elle fait partie de la vie de Zaahrian et qu'ils n'y occupent pas la même place. Ainsi, jamais il ne pourra lui voler la sienne dans le cœur de son père. Et ce n'est pas ce que l'androgyne veut de toute manière. Il est père lui aussi, après tout. Même si tous ses enfants sont adultes désormais, pour ceux qui sont encore là.

-Mais j'imagine que tu dois avoir plein de questions à me poser. Dit-il pour la détourner du sujet de l'amour entre adultes. Et j'en ai aussi pour toi. Alors je te propose une chose : tu me poses une question et je t'en pose une après t'avoir répondu. Qu'en dis-tu ?

Aux yeux d’Aya, ces explications à propos de l’amour entre adultes n’avaient pas beaucoup de sens. Après tout, son père la prenait régulièrement dans ses bras et la soulevait en la faisant tournoyer ce qui lui donnait le vertige en plus de la faire rire aux éclats. Il l’embrassait aussi, mais pas comme ça. Avant qu’elle ne puisse poser plus de questions, le sujet de conversation fut rapidement ramené à quelque chose de plus acceptable pour une fillette et Aya, distraite, cessa d’y penser. C’est ainsi qu’ils passèrent un très agréable après-midi à discuter de tout et de rien autour d’un thé et de biscuits. La fascination d’Aya pour Andrea était indéniable. Elle le bombarda de questions et répondit à son tour à celles qu’on lui posait avec la franchise et l’innocence auquel on s’attend d’une enfant de son âge. Il suffisait d’un rien pour l’impressionner, un trait qu’elle partageait avec son père qui, malgré son âge et l’usure de sa profession, parvenait encore à s’émerveiller sur des choses parfois toutes simples. Plus d’une fois, l’assassin s’étonna des réponses de son amoureux et quelques regards complices furent échangés quand les questions indiscrètes de la petite fille obligeaient une réponse sous la forme d’un mensonge sans conséquence. Zaahrian savait sa fille intelligente, mais sa vivacité d’esprit lui faisait craindre le moment où Aya sera plus grande et capable d’expérimenter son environnement par elle-même.

Vers la fin de l’après-midi, la petite fut remise à sa tutrice, laissant enfin les adultes en tête à tête. Ils attendaient ce moment avec impatience après la révélation de leurs sentiments un peu plus tôt et le trop bref instant qu’ils ont eu ensemble avant d’être interrompus par Aya. Zaahrian se leva avec un besoin urgent de se dégourdir les jambes. Il ne pouvait tout simplement pas rester en place trop longtemps. Zaz tendit la main à Andrea pour l’inviter à se lever.

« Allons marcher un peu. Je vais te faire visiter le reste de la maison. »

En vérité, il n’y avait rien de vraiment étonnant à visiter sauf la salle de bal métamorphosée en espace d’entraînement avec mannequins et divers dispositifs pour travailler les muscles et l’équilibre. Habitée par quelqu’un d’autre que Zaahrian, cette maison offrait tout le nécessaire afin d’accueillir confortablement des invités et y organiser de splendides réceptions, mais comme il n’aimait pas recevoir, elle paraissait plutôt vide et silencieuse. Même le nombre d’esclaves était restreint. Il lui montra sa collection d’armes et les dagues qu’il avait accumulées tout au long de sa vie. Comme il l’expliqua, ce n’étaient pas forcément des armes qu’il utilisait. Il en appréciait la beauté et la qualité de la fabrication. Au centre du présentoir se trouvait un espace vide réservé à une arme qu’il n’aura jamais. De son vivant, son père était un grand forgeron chez les elfes. Zaahrian avait déjà exprimé le désir de posséder une dague fabriquée par lui, mais comme la technique de forgeage était l’un des secrets les mieux gardés du peuple sylvain, c’était impossible d’y avoir accès pour un étranger. De ce qu’il en comprenait, c’était en partie pour cette raison qu’Halandarin était mort aujourd’hui. Il avait voulu partager cette connaissance avec la mauvaise personne.

Le tour se termina par la chambre à coucher du maître. Évidemment, Zaahrian avait des intentions pas très pures derrière la tête, mais finir la visite par cette pièce dépassait largement les plaisirs de la chair. C’était le cœur de la maison, la véritable intimité de l’assassin. N’importe qui pouvait entrer dans la maison à l’invitation de Zaahrian, mais l’accès à la chambre était extrêmement restreint. Y faire entrer Andrea était sa façon de lui dire qu’il lui faisait entièrement confiance.

En tant que chambre du maître, elle était grande avec un lit massif et quelques fauteuils et meubles de rangement. Il avait fait d’un coin de la pièce un espace bureau avec une table de bois précieux où s’empilait de la correspondance. C’était le seul endroit où régnait un certain désordre, tout le reste était bien rangé. Même les armes disposées sur une table près du lit étaient alignées en ordre de grandeur.

« J’espère que tu n’avais rien de prévu ce soir, car j’ai bien l’intention de te garder avec moi… »

Il attira Andrea à lui et l’embrassa avec douceur, ses mains venant tout naturellement se poser au creux de son dos.

« Alors, Aya ne t’a pas trop épuisé ? Elle t’adore, tu sais. Autant que moi. »

Andrea entre dans la pièce, lentement. Bien plus que dans toutes les autres que son tout nouveau compagnon lui a montré. Il prend le temps de regarder autour de lui et de détailler l'endroit. Si Zaahrian a toujours été très franc avec lui et très ouvert sur son histoire personnelle, ils ne s'étaient toujours retrouvés que chez l'androgyne, que ce soit dans sa maison ou sur son lieu de travail. Il était déjà touché par son invitation à le retrouver chez lui mais il a également pleinement conscience de ce que représente ce geste pour l'assassin. Cette pièce, c'est comme le saint des saints dans l'intimité du demi-elfe. C'est un instant précieux et il le traite comme tel.

En entendant la voix de son amant, l'elfe blanc se retourne vers lui. Il accueille son étreinte en posant ses mains sur son buste et il lui rend son baiser avec la même douceur. Lorsqu'il se redresse, Andrea sourit légèrement du coin de la bouche, à la fois amusé et satisfait de constater que Zaahrian ne lui demande plus la permission de l'embrasser lorsqu'il en éprouve le désir.

-Si j'avais quelque chose, je le décommanderai sur le champ. Assure-t-il.

Du bout des doigts, il vient dessiner le contour de son visage. Il le regarde lui, mais aussi ses lèvres, avec une petite étincelle dans le regard. Il n'a pas besoin d'user de ses talents pour savoir ce qui les attend pour le reste de la soirée. Et il espère cet instant depuis leur déclaration, espérant qu'il aurait lieu le jour-même de celle-ci. Il veut pouvoir lui témoigner tout son amour de la manière la plus pure qui soit. Et il y a une chose qu'il songe à faire avec lui depuis un bon moment déjà. Mais il a d'autres points à discuter avec lui auparavant.

-Si tu crains que je sois trop fatigué pour tenir la distance, je te rassure tout de suite. Fait-il avec espièglerie. Aya est une petite fille curieuse et intelligente. Elle a du caractère mais cela m'amuse beaucoup. Je suis sûr que nous allons très bien nous entendre... Tous les trois.

Oui, Andrea a parfaitement conscience qu'en se mettant en couple avec Zaahrian, il fera partie de sa vie et que celle-ci inclue son enfant. Lui-même en a déjà eu plusieurs et ce n'est pas la première fois qu'il s'accoquine avec quelqu'un qui en a également. Il ne lui a pas toujours eu de jouer un rôle auprès d'eux mais l'assassin le lui a demandé, d'une certaine manière. Il doit représenter une personne de confiance pour la petite fille donc il doit passer du temps avec elle... Autant dire qu'ils vont former une sorte de famille. Une famille atypique mais une famille malgré tout.
Alors qu'il finit sa phrase, l'androgyne approche de nouveau ses lèvres de celles de son compagnon. Son baiser est plus long, plus appuyé, plus amoureux. Il sent déjà le désir poindre au contact de cette bouche qu'il a déjà tant de fois goûté mais qui revêt une saveur particulière ce soir. Mais il n'a pas l'intention d'aller trop vite. Il s'interrompt, posant son front contre le sien. Il respire un peu plus fort, plus à cause de ses émotions -auxquelles il peut désormais laisser livre cours- que de son envie qui commence à le titiller.

-Tu sais que je ne changerai pas... Souffle-t-il avant de se redresser pour poursuivre d'une voix plus claire. Tu l'as dit toi-même : je suis libre. Libre de suivre mes envies, libre d'aimer autant que mon cœur peut aimer. Je ne changerai pas ma façon de travailler en me contentant de gérer mes affaires depuis mon bureau et je ne réprimerai pas mon désir ou mes sentiments si j'en nourris pour d'autres... Tu connais toutes ces facettes de moi mais je me dois de le souligner alors que notre relation s'apprête à changer. Je sais d'expérience que ce n'est pas toujours évident à accepter pour mes compagnes et compagnons qui ont du mal à comprendre que ce n'est pas parce que je porte mon attention à d'autres que je les aime moins.

« Jamais je n’oserais mettre en doute tes capacités. » Répondit Zaahrian en réprimant une envie de rire. « Mais je dois avouer qu’il y a certains soirs après avoir passé la journée avec elle où je n’ai pas l’énergie pour faire autre chose que dormir alors je demande, juste au cas. Pour ma part, je suis en pleine forme. »

Il tenait à le spécifier. À vrai dire, ça faisait longtemps qu’il ne s’était pas senti aussi bien. Cette douce euphorie qui lui faisait tourner la tête lui donnait l’impression d’être ivre. Il avait envie de rire et de faire quelque chose d’idiot comme courir à moitié nu dans les rues de la ville ou danser sous la pluie. Un autre baiser, celui-ci plus marqué par les émotions qu’ils vivaient tous les deux. C’est étonnant comme le simple fait de se déclarer nous faisait sentir à la fois vivant et vulnérable. Zaahrian avait hésité à se révéler, avec raison, mais il était heureux d’avoir eu l’audace de franchir le pas. Il n’avait aucun doute sur la nature de ses sentiments envers l’elfe. Naturellement, Andrea tenait à rappeler certaines choses sur lui. Il parla d’une voix claire, mais Zaahrian sentait quelque chose comme s’il avait besoin d’être rassuré. Il sourit.

« Andrea, je sais déjà tout ça. » Souffla-t-il après un moment de silence. Il glissa une main sur le côté de la tête de l’elfe, ses doigts sur sa nuque et son pouce caressant sa joue. « Je crois que tu m’en as parlé pour la première fois alors que nous étions à Naelis, mais sache que je suis tombé amoureux de l’homme que tu es, pas de celui que je voudrais peut-être que tu sois. Je ne veux pas que tu changes et jamais je ne te demanderai de le faire. Je n’ai jamais pensé te posséder et t’avoir juste pour moi. » Il l’attira à lui, leur front se touchant de nouveau. Une tendresse infinie brillait dans les yeux de Zaahrian. « Je t’aime pour plusieurs raisons. Je t’aime parce que tu sais ce que je suis et que tu n’as jamais eu peur de moi. J’ai vu dans tes yeux l’inquiétude, mais c’est parce que tu as peur pour moi quand je dis que j’ai un travail à faire. Tu sais ce que ça signifie, pourtant, tu ne m’as jamais dit de ne pas le faire ou d’arrêter. Tu sais que mon métier est si intimement lié à ma personne que je ne peux pas être autre chose. Tu l’acceptes, tout simplement et c’est la même chose pour toi. Je serais un parfait imbécile si je te demandais d’arrêter de voir des clients ou les autres que tu aimes. » Il se redressa. « Je t’aime parce que tu es toi, d’accord ? Je ne sais pas ce que ça sera dans les prochains mois ou même les prochaines années. Est-ce que je vais devenir vieux à tes côtés ? Qui sait ? Dans l’immédiat, j’ai juste une certitude, je te veux dans ma vie. Je veux pouvoir discuter avec toi jusqu’à tard dans la nuit. Je veux t’entendre rire aux bêtises que je peux dire. Je veux te prendre dans mes bras, t’embrasser, te caresser et te faire l’amour jusqu’à l’aube. Je veux pouvoir te regarder dormir même si tu dors très peu. Je veux faire des choses toutes simples comme manger avec toi ou aller me balader dans les rues de Thaar. Je veux voyager si jamais l’occasion de le faire se présente. Bref, tu comprends ce que je veux dire, n’est-ce pas ? »

Zaahrian rougissait à vue d’œil, embarrassé par ses propres propos. Pourtant, il pensait chaque mot qu’il venait de dire. Il voulait qu’Andrea soit heureux et il allait tout faire pour que ce soit le cas.

Andrea écoute Zaahrian, le regardant avec la même tendresse que celle qu'il lui témoigne. Tandis qu'il parle, il passe un bras sous le sien pour venir poser sa main sur sa taille. Ses doigts le caressent à travers le tissu dans un geste affectueux. A présent, il n'a plus besoin de réprimer ses élans amoureux. Il pourra même les réclamer à son compagnon lorsqu'il ressentira l'envie de jouir de ses attentions. Leur relation semble plus simple maintenant qu'ils ne réservent plus leurs sentiments mais qu'ils les partagent. Et, face à ce petit rappel de qui il est et de la façon dont il vit, il n'attendait pas d'autre réaction que celle-ci de la part de son nouveau conjoint.

-Nous avons ce point commun, Zaahrian. Notre métier fait partie de ce que nous sommes. Et même si je m'inquiète pour toi, je ne peux décemment pas te faire une requête que je refuserai moi-même d'honorer. Je savais que tu réagirais de cette manière mais il fallait que les choses soient dites. J'ai appris à mes dépends que se montrer honnête en mettant les choses à plat dès le départ peut prévenir les crises et rendre la séparation moins douloureuse si jamais les choses tournaient mal.

A son coin d’œil triste, le demi-elfe peut aisément deviner qu'il ne parle pas de leur futur à tous les deux mais de son passé à lui. Il peut également imaginer que toutes ses relations ne se sont pas toujours très bien passées et que certaines ont même très mal fini. Il a beau se montrer toujours paisible et souriant, avenant et serein, il a ses propres blessures. Il vit en paix avec elles, la plupart du temps, mais il peut lui arriver de regretter que tout ne se soit pas déroulé comme il l'imaginait. Il se contente de ne pas s'y attarder car il sait qu'il ne peut pas revenir en arrière. Il en tire simplement les leçons pour préserver son futur.

Ce petit éclat dans ses yeux disparaît d'un battement de cils. Si Zaahrian veut aborder le sujet, ils pourront le faire... mais un autre jour. Ils se sont déclarés il y a à peine quelques heures et il n'a pas envie de penser à cela pour le moment. Il veut simplement profiter de leur amour tout neuf. Alors, reprenant un regard pétillant de malice, il passe son second bras sous celui de son amant et l'enlace dans une caresse, ses mains remontant du base de son dos vers ses omoplates.

-Ceci étant dit, tu n'es évidemment pas contraint de m'être fidèle. Sois simplement fidèle à toi-même et sens-toi libre de me parler ou non de la vie que tu mènes sans moi. Sans oublier de ta curiosité pour le sexe à trois. Lui rappelle-t-il avec un brin de malice.

Ils n'ont jamais eu l'occasion de se faire ce petit plaisir. Estev serait pourtant ravi de les accompagné dans cette expérience et de servir de passerelle entre les deux amants. Tout comme Andrea aimerait voir Zaahrian sous l'emprise de deux hommes et détailler son visage débordant de plaisir. Il faut combiner avec son habitude de ne jamais tourner le dos à son partenaire -lui y compris- mais il a déjà son idée sur la question.
Mais, pour l'heure, ils ne sont que tous les deux...

-Bien, maintenant que ce passage obligé est terminé... Il approche son visage du sien, obligeant ses yeux à se baisser alors qu'il ne peut plus retrouver ceux de l'assassin. Puis il reprend dans un souffle, ses lèvres se se trouvant qu'à quelques centimètres à peine des siennes. Montre-moi comment tu fais l'amour lorsque tu y mets tout ton cœur...

Zaahrian réalisait maintenant que c’était exactement le genre de relation qu’il rêvait d’avoir. Il ne voulait pas se priver de la joie d’avoir quelqu’un dans sa vie, mais en même temps, il était un peu comme Andrea. Il aimait séduire les gens et faire de nouvelles rencontres sans chercher quelque chose de sérieux à tous les coups. Il était reconnaissant de la liberté que lui accordait Andrea et il était lui-même tout à fait disposé à lui offrir la même chose. D’un coup, leur relation était devenue beaucoup plus facile quoiqu’inhabituelle aux yeux du reste, mais il s’en moquait. Ils s’aimaient mutuellement et étaient honnêtes l’un envers l’autre, deux points qui, ironiquement, n’étaient pas toujours présents dans les relations dites normales. Zaahrian n’en demandait pas plus et le jour où Aya poserait des questions, il allait y répondre franchement.

« J’ai déjà commis cette erreur par le passé, ne pas mettre cartes sur table dès le début. Les conséquences n’ont pas été agréables, alors je comprends. Les choses ne fonctionnent pas toujours comme on le voudrait après tout. D’un autre côté, se priver de quelque chose simplement parce que l’on craint un dénouement désagréable, c’est stupide. Parce que s’il y a des chances que ça se termine mal, il y a aussi la possibilité que tout se passe bien. C’est à nous de voir si le risque en vaut la peine… »

Ça demandait du courage, mais ça valait le coup même quand ça ne fonctionnait pas. Zaahrian resserra son étreinte, un sourire entendu sur les lèvres à la remarque d’Andrea sur le sexe à trois. Non, il n’avait pas oublié. Comment le pourrait-il ? La chose avait été discutée, mais le bon moment ne s’était pas présenté, encore. Chaque chose en son temps.

« Je suis… » Il se pencha un peu plus vers lui jusqu’à ce que leurs lèvres, déjà très proches, se touchent. « … à ton entière disposition. »

Un certain temps plus tard…

Quelle heure pouvait-il bien être ? Zaahrian n’en avait pas la moindre idée. C’était toujours comme ça avec l’elfe. Il perdait toute notion du temps. La tête enfoncée dans l’oreiller, il avait les yeux fermés. Andrea était toujours là, dans ses bras. Ensemble, ils formaient un enchevêtrement de membres dénudés et de draps. Ce fut une expérience des plus intéressantes et ô combien satisfaisante. Évidemment, ce fut différent que d’habitude. Leurs sentiments dévoilés, il n’y avait plus aucune barrière qui tenait entre eux. Donc ils avaient fait l’amour, ne touchant pas seulement le corps de l’autre, mais aussi son cœur. Zaahrian avait toujours démontré le plus grand respect envers l’elfe même si, dans les débuts, son enthousiasme avait parfois eu le meilleur de lui. Cette fois, il était allé plus loin que ça. Il ne pourrait pas vraiment expliquer comment, mais ce fut meilleur et pas juste sur le plan physique. C’était le genre de chose qui ne s’expliquait pas. Il fallait le vivre pour comprendre. Il ouvrit les yeux et regarda Andrea en souriant.

« À ton avis, il est quelle heure ? »

Il tassa une mèche qui tombait sur le visage d’Andrea, effleurant sa joue du même geste.

« J’ai l’impression que je me répète, mais je resterais bien comme ça. Bon, je mangerais bien un petit quelque chose, mais sinon, je ne bougerais pas à moins que le toit menace de me tomber sur la tête. »

Andrea rit doucement et relève légèrement la tête afin de pouvoir retrouver les yeux de son compagnon. Il le regarde avec une infinie tendresse, les traits joyeux. Il est heureux, tout simplement. Heureux de ne plus ressentir le poids de ses sentiments inavoués, heureux qu'ils soient partagés et heureux de ne pas avoir à les cacher au monde. Pour le bien de ses conjoints, il lui est déjà arrivé de ne pas dévoiler leurs identités et il pensait qu'il en serait de même pour Zaahrian. Cependant, à sa grande surprise, il avait émis le souhait de se promener avec lui. C'est donc qu'ils peuvent vivre leur histoire au grand jour et cela lui change un peu de ses derniers grands amours.

-Moi aussi. Lui confie-t-il avant de déposer un baiser dans le creux de l'épaule où il s'est installé le temps de se remettre de ses émotions. A l'avenit, j'aimerais t'accorder plus de temps que nous ne l'avons fait jusqu'à présent. Tu penses que c'est possible ? Demande-t-il sur un ton badin, lui renvoyant la balle sur la question.

Il croit connaître la réponse mais le demi-elfe pourrait avoir des raisons légitimes de ne pas se montrer plus disponible pour lui et il saurait les entendre. Cependant, se voir plus fréquemment qu'ils l'ont fait jusque là -à savoir, une fois par mois environ-, ce devrait être possible, non ?
Soudain, d'un geste plein d'espièglerie, Andrea se redresse pour s'installer à moitié à plat ventre sur Zaahrian, se maintenant sur un coude et caressant le torse de l'assassin de sa main libre.

-Au fait, l'une de mes filles se marie au nouvel an. Et je peux amener quelqu'un... Dit-il d'un air innocent.

Zaahrian sourit paresseusement. « Tu me connais, je vais rendre ça possible. Ça ne devrait pas être un problème. » Pourquoi refuserait-il de le voir plus souvent maintenant que ses sentiments étaient révélés au grand jour ? Au contraire, il souhaitait passer du temps aussi souvent que possible avec Andrea. Tous deux avaient des horaires très chargés et des obligations qui les appelaient souvent ailleurs, mais même quelques minutes ici et là suffiraient à le rendre heureux.

Il ferma les yeux sans se départir de son sourire. Quand Andrea bougea dans ses bras, il ouvrit un œil pour le regarder, puis l’autre après avoir entendu ce qu’il avait à dire.

« Vraiment ? Quelle merveilleuse nouvelle ! » Cette fois, le sourire de Zaahrian se fit infiniment plus charmant, dévoilant une rangée de dents blanches étincelantes malgré la pénombre. « Ah ? Et est-ce que tu penses inviter quelqu’un en particulier. Sinon, j’ai quelqu’un en tête à te proposer, si tu veux. Il est grand, blond et très séduisant. Il n’a jamais été invité à un mariage et c’est dommage, car il est excessivement charmant et tout aussi sympathique, mais il a peut-être une trop haute opinion de lui-même. » Incapable de rester sérieux plus longtemps, il gloussa de rire. « Il danse bien, mais je crois qu’il va avoir besoin d’une nouvelle tenue. » Ajouta-t-il, toujours hilare.

Andrea étire un sourire un peu coquin tout en ramenant son visage à la hauteur de celui de son compagnon. Il rapproche félinement son corps du sien, sa peau caressant la sienne dans une sensation que seule l'acte d'amour passé peut procurer.

-Il faudra que tu me le présentes. Je m'assurerai qu'il est aussi parfait que tu le dis avant de partir... Car il me faudra un peu de distraction en chemin. Une distraction qui n'existe pas là-bas et qui ne nécessite aucun vêtement. Termine-t-il en chuchotant à un centimètre à peine de son visage.

Ses lèvres viennent trouver celles de Zaahrian dans un baiser voluptueux, une main se glissant jusqu'à la naissance des fesses de l'assassin pour le serrer contre lui. Comme si le message n'était pas assez clair... Il se sent si libéré de pouvoir montrer plus que son attirance pour lui qu'il fait durer ce baiser un peu avant de continuer à parler de cette fameuse fête.

-Cela se déroulera en Anaëh. Si tu es disponible, je t'emporte dans mes bagages. Nous pourrions faire des emplettes tous les deux. Je n'ai pas vraiment de tenue festive qui conviennent aux elfes. Elles sont trop typiques de la région et même un peu osées pour certaines.