Un retour tant attendu

L’aurore éclairait de ses premiers rayons les rivages de l’île. Le remous des vagues qui se brisèrent sur les rochers saillants, nommés “Dents” par les locaux, semblait bercer les quelques Souffles tout juste éveillées. Un fin brouillard, propre aux doux matins de printemps, ponctuait cet air de mystère dont jouissait l’île dans les cœurs des étrangers.
Au large, le craquement du bois roulant sur les vagues et le claquement des voiles sous la brise matinale vinrent briser le silence. La coque noircie du boutre vogua en direction des pointes dressées au-dessus du niveau de la mer, lentement, manoeuvrant avec soin pour ne pas s’y échouer.

Sur la proue du navire, accoudé au bastingage, se tenait le capitaine de ce navire, Le Rokvenha. Son regard était porté en direction des plages qu’il commençait tout juste à distinguer. Ce qui l’intéressait à cet instant était le port, éclairé par les derniers fanaux encore allumés de la veille, il y voyait les pêcheurs se préparant à prendre la mer et les premiers indices de l’agitation quotidienne de ce lieu. Un sourire se dessina sur le visage du corsaire, un air de satisfaction qui brièvement se changea en une expression de fierté. Son attention coula en direction de ses mains, dans lesquelles un petit objet étrange y trouvait sa place ; le clepsydre elfique offert par Nemmiro. Rokvenha le fit pivoter minutieusement entre ses doigts et laissa échapper une longue expiration nasale après avoir trouvé ce qu’il cherchait. Finalement, le marin rangea l’horloge dans une des poches de son manteau à capuche, porta une main à une bague faite d’argent, accrochée à une chaîne qui pendait à son cou et se retourna, observant alors le pont de son navire.

Ces hommes et ces femmes présents à ses côtés s’activaient encore, sentant que la fin de leur périple approchait à grand pas. Seuls eux savent ce qu’ils avaient traversé dernièrement et il était maintenant l’heure de se reposer, de rentrer auprès des siens. Suivant le Capitaine, ils avaient décidé de se rendre, en début de mois, à l’étrange Brûme qui était visible au Sud-Ouest de leur île. Ils l’avaient traversé, ils avaient erré et finalement, leur patience et leur courage avaient été fortement récompensés. Les mécans avaient découvert une voie magique qui les avait mené de l’autre côté du monde connu. Ils avaient navigué sur la Mer du Nord, rencontraient des Elfes, ce peuple mystérieux entouré de secrets. Ils avaient été accueillis par ce même peuple, nourris et aidés. Et ils avaient combattu à leurs côtés avant de repartir. Le chemin du retour s’était déroulé de la même manière que l’aller, mais cette fois-ci, leur confiance envers le Rokvenha s’était trouvée renforcée et aucune crainte, aucune complainte n’avait été entendu durant la dizaine de jours d’errance dans l’épais brouillard, avant de revoir enfin le jour sur l’Eris.

L’équipage du Second Souffle revenait avec de nombreux souvenirs et des découvertes qui changeront à coup sûr la vision qu’ont les mécans sur le monde. Les récits des marins seraient sûrement mal accueillis par leurs compatriotes, mais ils avaient avec eux des preuves de leurs histoires. Pendus à l’un des mâts, deux cadavres d’une créature étrange, inconnue dans ce coin du monde, oscillaient lentement. Semblable à des grands félins en apparence, ils avaient cependant une peau écaillée et bleutée ainsi que des nageoires, en ça elles étaient plus proches des grands poissons que des félins, mais une telle nouveauté n’aurait aucune difficulté à se vendre à bon prix à Méca . Les marins avaient quant à eux de nombreux objets, vêtements et autres babioles amassés lors de leur visite à Holimon. Ils étaient fins prêts à montrer à tous leur réussite.

Rokvenha traversa lentement le pont du navire, saluant les marins dont les visages fatigués s’étaient parés de large sourire à la vue des côtes. Il continua son chemin jusqu’à sa cabine et avant d’y entrer, fut interpellé par sa Seconde d’une main plaquée sur son épaule. Le Capitaine se retourna et posa son attention sur elle. La jeune femme sourit alors. “Rok’, tu devrais parler à l’équipage, leur dire c’qui les attend maintenant qu’ils sont d’retour chez eux.” La demande formulée n’était pas anodine, Caleb n’avait pas tenu aucun des marins au courant de ses projets pour son retour et même s’il y avait réfléchi, ils devaient être mis au courant aussi. Il hocha en direction de la demi-elfe et libéra la poignée de porte de sa cabine, revenant sur ses pas pour se diriger au centre du pont.

Une fois à bonne distance de chacun, les regards se posèrent un à un sur lui, tous arrêtèrent leur corvée et attendirent alors. Rokvenha sourit amplement, leva une main pour signaler sa présence à tous et haussa alors le ton. “Bon…” Il râcla sa gorge et reprit. “Vous l’avez tous bien vu… On est d’retour sur nos eaux” une certaine clameur monta, une joie contenue des derniers jours se fit entendre parmi les marins. “Aye, j’sais bien ! On est tous bien contents d’retourner chez nous… J’voulais vous dire…” Il marqua une pause, son regard glissa sur chacun des visages et s’arrêta finalement sur sa Seconde qui d’un signe de tête et d’un sourire, l’invita à poursuivre. “C’que vous avez fait est légendaire, aye… Aucun mécan n’a jamais navigué sur les eaux d’Nord et ‘core moins vécu chez les Longues-oreilles. Vous s’rez r’connus pour ça une fois l’pieds à terre et pour ça… Profitez ! Pavanez comme l’font l’grands d’ce monde, vantez vos exploits ! Faut qu’tout Méca apprenne qu’vous êtes rev’nus d’la Brume et c’que vous y avez trouvé d’l’aut’ côté.” Il s’arrêta de nouveau, laissant les marins chuchoter entre eux sur leurs plans et leurs prochaines activités sur terre, vendre les biens elfiques, boire à l'œil ou tout autre. Enfin, des deux mains il appela au calme. “Eris nous observe, m’braves, vous l’avez bien vu… Tant qu’vous naviguerez à m’côtés l’or, l’gloire et tout aut’ vous tend’ront l’bras !” Un dernier cri de joie résonna sur le pont du navire et les marins reprirent leurs tâches.

Rokvenha n’avait rien avoué de ses propres envies et plans, qu’il gardait bien jalousement pour lui. Son regard coula alors sur le port et la cité qui se découvrit enfin. Il aurait tant à faire dans les prochains jours et savait d’avance qu’il aurait les bonnes cartes dans ses mains pour redistribuer le jeu à sa manière.

Sur le port Mécan, quelques passant virent traverser le brouillard un navire à la coque noircie, les curieux reconnurent le boutre et le mot passa comme une traînée de poudre parmi les habitants ; Le Rokvenha était de retour, comme il l’avait annoncé, il était enfin revenu des Brumes.

Plusieurs jours s’étaient écoulés après le retour du Second Souffle. L’équipage avait été chaleureusement accueilli par les marins et les habitants de la cité insulaire, tous impatients d’entendre les récits de ces hommes et femmes enfin revenus de leur expédition. Rokvenha quant à lui s’était fait assez discret, laissant les siens parler en son nom et répandre les rumeurs de leurs découvertes à leur manière. Il avait déjà entendu à plusieurs reprises les échos des racontars, certains même enjolivés par les vantardises des marins. On disait que le boutre avait navigué sous la surveillance du grand Wagyl dans la brume, à l’aveugle, que certains marins avaient même vu de grands yeux obsidiens les fixer du fond des abysses. Il avait entendu les récits de leur rencontre avec les Elfes et la manière dont ils avaient même étaient accueillis comme des amis, troquant alors des affaires à la demande de ce peuple si enclin à découvrir les mécans. De belles histoires qui décelaient une part de vérité et qui faisaient leur petit chemin jusqu’aux oreilles de tous les curieux.

Rokvenha avait même demandé à ses marins de ne pas lapider l’intégralité des affaires et babioles troquées pour que l’effet de nouveautés prenne, qu’une sorte de luxe se répandent et que leurs valeurs augmentent. Même les créatures ramenaient avaient trouvées preneur, des écailles jusqu’aux os et même la chair avaient été débités et vendu à un prix d’or. Seuls les deux cœurs n’avaient pas encore trouvé preneur, une valeur peut-être bien trop inestimable au vue de leur nature, une pierre de glace éternelle. Caleb en avait gardé un pour lui et laissait le second à la vente. Avec ces quelques affaires, l’équipage avait pu remplir un peu ses coffres et les marins se faire une petite paye. Cependant, il faudrait rapidement retrouver un nouveau gagne-pain et plusieurs idées s’étaient frayées un chemin dans la tête du Capitaine.

Le mécan le savait bien, le Conseil avait dû avoir vent de son retour et voudrait probablement en savoir plus, peut-être même obtenir des parts ou tout autre. A cette idée, Caleb serait catégorique, quitte à mentir pour y parvenir, il ne laisserait pour rien au monde ses trouvailles aux mains de quiconque. La traversée vers la mer du Nord lui était possible et le serait uniquement pour lui. S’il fallait s’imposer il avait les arguments pour le faire ; Prétendre que le Wagyl protégeait l’accès et qu’il était le seul à pouvoir passer sans encombre. Dire qu’il avait passé une quelconque accord avec les Elfes, qui resterait secret pour l’heure, était aussi une idée… Une idée qu’il souhaiterait même mettre en pratique concrètement.

Tant d’idées qui se bousculaient dans sa tête, qu’il oublia qu’il était installé à une table aux côtés de ses officiers. Les consommations avaient été offertes par la maison pour le féliciter - et peut-être s’attirer ses grâces-. Son regard semblait perdu dans le vague et sa main caressa la bague d’argent et d’émeraude qui pendait à son cou, machinalement. Il aurait aimé qu’elle soit à ses côtés, oui, il aurait souhaité qu’elle le voit réussir et qu’elle puisse voir de ses propres yeux les Elfes, le Wagyl et sa future ascension. Il lâcha un long soupire et sa main se détacha du bijoux pour venir se plonger dans sa poche de laquelle il sortit l’horloge. Cet objet était devenu ce qu’il contemplait le plus en chaque instant, comprenant peu à peu son usage et son mécanisme, bien qu’il était impossible pour lui de le refaire. Ainsi, il fit pivoter le clepsydre entre ses doigts, toujours plongé dans sa torpeur.
Croqueuse et Rocaille profitaient de la fête, riaient et dansaient laissant leur capitaine à ses pensées. Aucun des marins ne virent l’homme encapuchonné traverser l'auberge après y être entré, se glisser entre les clients et s’installer rapidement à la table du Rokvenha.
Ce fut le craquement du banc qui fit sortir le capitaine de ses songes et quand il revint à lui, un inconnu lui faisait face, un sourire carnassier s’étira aux coins de ses lèvres quand la silhouette dévoila son visage. L’étranger n’eut pas le temps de prononcer des mots qu’il fut coupé par le corsaire. “Pas b’soin… J’pense savoir qui t’envoie. Dis leur que j’viendrai l’voir au prochain conseil et qu’j’les r’mercie d’m’y inviter… C’est un véritab’ honneur et plaisir.”