Partager l'éclat

Deuxième ennéade de Bàrkios,
An Vingt et un du Cycle XI,
Académie d’Alëandir.

Lómion fixait le petit disque de bois luisant faiblement dans l’obscurité de l’aube à peine levée. Le petit artefact rapporté par les Vethërill avait, jusque-là, tenu les mages de l’Académie en échec lorsqu’ils s’étaient essayé à rationaliser le construct de l’objet et ses effets. A tout ceux à qui il avait présenté le présent qui lui avait été adressé, le Doyen avait exigé la plus grande déférence envers cet objet de culte du clan Noss et s’astreignait à la même, chaque fois qu’il l’examinait. L’attitude des Ornedhels avait montré qu’il n’existait, pour eux, pas de plus grand égard que de remettre à un elfe un témoignage direct de la présence de leur Ëala. Aussi tentait-il de s’en montrer digne.

Le disque était couvert d’inscriptions dont le sens lui avait d’abord échappé, mais qui s’étaient révélées être la transcription d’une prière dans le dialecte propre aux Vethërill. L’imploration louait la Première Etoile, céleste aînée leur ayant accordé Sa bénédiction. A Elle reconnaissaient-ils l’enchantement de la flore qui donnait naissance à leurs artefacts sacrés et la bénédiction du clan. Plus qu’un cadeau de l’Ëala, c’était un témoignage de foi et de gratitude, que les Noss avaient offert aux Cités en gage d’amitié. Tel objet méritait le plus grand respect.

En outre, sa magie le rendait particulièrement intrigant pour les esprits de l’Académie. Comme chaque artefact, avec lui venait l’espoir d’en tirer des clés pour comprendre le sens des écrits d’Elenmàr et à cette excitante avidité, le Doyen cédait également. Pourtant, à lui comme aux autres s’étant penché sur ses mystères, l’objet des Vethërill s’était obstinément refusé à se livrer. Il lui allait des idées neuves, un regard nouveau.

Lómion enveloppa soigneusement le disque dans un petit morceau d’étoffe et l’embarqua hors de son bureau. A l’un des clercs passant dans le couloir, il demanda de faire passer le mot qu’il cherchait le maître luminomancien de Quatrième-Saison travaillant avec Heri Anardil, avec l’indication qu’il le retrouverait devant le Livre du Sage.

Lómion était descendu bien des fois dans la salle du Livre d’Elenmàr. Il s’était, tout jeune et comme tous les apprentis mages, perdus de nombreuses fois dans ces pages de savoirs cryptiques. Lui aussi avait observé, le cœur fébrile l’héritage millénaire de l’Ëala, en essayant de cacher sans y arriver ses ambitions juvéniles pour ne pas paraître trop vaniteux. Caranthir, ses Gardiens et les gardiens d’avant eux avaient bien compris qu’il fallait cultiver cette ambition de démêler les secrets du Livre, car elle poussait toujours les mages à repousser les frontières de leur connaissance des arcanes. Néanmoins, avec l’âge, cette ambition s'était patinée de modestie. Rares furent ceux à trouver des clés au sceau de l’évidence, aucun ne le fit seul et jamais personne ne trouvé pleine satisfaction dans une réponse laissée par Elenmàr, car, inévitablement, plus de questionnements en jaillissait toujours.

Ses nombreuses visites n’avaient pour autant pas émoussé l’excitation de contempler les écrits et les glyphes originaux. Si elles s’étaient grandement espacées au fil des siècles, alors qu’il travaillait dans son étude sur les facsimilés qu’il avait lui-même produits, il appréciait toujours le frisson du sentiment de petitesse devant ce leg divin parvenu jusqu’à eux.

En attendant Ameanor, le Doyen s'était remis à lire. Il avait ouvert le Livre là où était inscrit le passage que les Ornedhels avait récité lorsque le Chapitre avait stabilisé le Puit Noir, et en méditait les vers. Il tenait dans sa main gauche une Lueur qui nimbait la page de son bleu froid et l’index de sa main droite parcourait en boucle les strophes noircissant le parchemin. Il s’arrêta à nouveau sur une ligne particulière.

« Obscur est immuable substrat de la Terre. »

Le bruits des pas le rejoignant – ceux d’Ameanor, supposa-t-il avant de se voir confirmé par les salutations du luminomancien – le stoppèrent dans sa lecture. Il se retourna et salua le mage et sa fille qui l’accompagnait.

« – Bonjour, Heru Ameanor. Bienvenue, Filecthel ! Approche ! Est-ce la première fois que tu visites le Livre du Sage ? »

Il sourit à la jeune enfant et lui tendit sa main, tout en répondant à son père.

« – L’artefact se trouve sur l’étude, sur ta droite. Je te prie d’en prendre le plus grand soin, Ameanor. Il s’agit d’un artefact sacré pour les Noss qui me l’ont confié, et ils lui témoignent une grande déférence. J’exige de notre étude qu’elle soit la plus respectueuse de l’objet, sans l’altérer d’aucune façon. Et plus que tes lumières, c’est d’un regard extérieur dont j’aurai besoin. Car j’ai l’impression que tout cela est lié… »