Entre sentiments et devoirs.

L’heure était tardive, du moins de ce que pense Vel’drin au vu de sa fatigue avancée et de son temps passé à son bureau à étudier les différents rapports de ces subalternes. Il n’avait pas décroché des différents dossiers qui concernent les nouvelles recrues potentielles du 1er ost et ceux de nouveaux ayant intégré récemment les forces. Un travail qu’il ne néglige pas, car à son tour ensuite de synthétiser le tout pour le faire parvenir à son propre supérieur, l’Obok Senger.

Sur tout ce qu’il avait lu, quelque chose l’avait interpellé. Bon nombre de recrues ou de nouveaux arrivants étaient tout juste “bons”. Si ce n’étaient pas de mauvais résultats en soit, le Streea Jabbuk ne peut s’empêcher de sentir monter une certaine frustration à cette idée. Les jeunes Ilythiiris qui excellent sont rarement dirigés vers le 1er ost, il y en a, mais bien peu à son goût.
Même si les entraînements ne sont pas terminés pour la majeure partie, le Prima Sanguis se laisse aller à une vive colère, résultant sûrement de sa fatigue avancée. Comment l’Eda Vengeur peut se concrétiser si l’ost servant de fer de lance à sa conquête n’est pas le plus aguerri, le mieux préparé ? Les débâcles passées de son ost - bien qu’il n’était pas le seul lors des dernières conquêtes - en est la preuve. Les recrues et les guerriers qui s’y trouvent ne sont simplement pas “à la hauteur”.

Sa destre froisse un rapport et il sort de ses pensées. Impossible d’envisager de rendre le recrutement élitiste comme le fait la Doth’Ka, même si leur fonctions et les attributs demandés pour les recrues sont bien différents de ceux d’un corps militaire. Impossible aussi de désirer un équipement de qualité similaire au IIIème ost qui nécessite énormément de ressource. Alors comment ? le Drow se redresse et chasse ces idées du coin de sa tête en se frottant le visage, ce n’est pas le moment de songer à ça, puis même, il n’a pas le pouvoir de le faire.

Le pas traînant, le torse couvert d’un linge finement brodé, il se dirige vers le balcon de son bureau, cherchant peut-être un peu d'air afin de se libérer l’esprit. Il s’appuie à la rambarde et son regard se porte sur ce qui passe devant lui. Quelques Sombres vêtus d’armure, d’autres en tenue de clergé reconnaissables. Instinctivement, il semble chercher quelque chose parmi les badauds, quelqu’un plus précisément. Son regard se fixe sur tout le monde et passe aussitôt vers un autre.

Azralith. Sa sœur benjamine. Depuis le retour de la Croisade en Péninsule, il ne l’avait pas revu. Il sait qu’elle avait foulé de ses pieds le Vatna, mais aucune nouvelle la concernant. Personne ne peut lui indiquer où elle se trouve actuellement ou même un semblant de route empruntée. Puisse le Père garder un œil sur elle, elle qui depuis son ordalie de Tewyn n’a pas réclamé sa juste place. Tentant de chasser les mauvaises pensées, Vel’drin se contente alors de se dire que la jeune Zaurahel est encore sur les terres à combattre à Sa gloire, cherchant encore à s’attirer le regard du Père des Batailles.

Néanmoins, il aimerait pouvoir la retrouver, savoir au moins où elle se trouve. Savoir qu’elle ne risque rien et se dire qu’elle porte l’honneur sur les siens. Elle qui a tant à prouver et qui peu à peu à su remonter la pente glissante sur laquelle elle était il y a peu encore. Mais s’en aller et délaisser son travail lui est impossible, Vel’drin a lui aussi fort à faire pour l’honneur de sa famille.

Voilà maintenant de nombreuses années que le 1er ost est détenu par Sel’dzar un drow certes méritant car choisi par le Karliik Glenn en personne pour remplacer Tebhirac, mais qui ne porte pas en lui le sang des Zaurahel ni leurs traditions. Si en apparence ce n’est pas d’une grande importance, pour la famille Zaurahel que Sel’dzar soit l’Obok Senger actuel est un véritable affront et Vel’drin en est le premier coupable. Pour eux, le Streea Jabbuk n’a pas réussi à prendre la place qui doit lui revenir et pour cette erreur, il porte un certain déshonneur qu’il doit réparer.

Vel’drin le sait, le poste d’Obok Senger doit lui revenir, d’une manière ou d’une autre. Il en est ainsi. Le Ier ost ne peut être dirigé que par l’un de son Clan et il n’en est pas autrement. Alors comment faire ? Réclamer simplement sa place ? Défier Sel’dzar ? C’est une éventualité, oui, mais il doit aussi s’assurer la fidélité de ses hommes et même s’ils ne lui sont pas hostiles, ces derniers ne le sont pas plus envers le Senger. Il doit encore faire ses preuves. Obtenir davantage de soutien et d’influence, pour prendre ce qui lui revient.

Déjà sa renommée au sein de l’ost n’est pas médiocre. Fils de la lignée Zaurahel, époux et lié au vaisseau de Kiel et aussi combattant lors de la Croisade Eldéenne en Péninsule auréolée de succès - un succès qui échappait au siens depuis quelques temps - Oui, il a déjà pas mal prouvé, mais il lui reste encore à faire. Khalinas, la Haute-Prêtresse de Kiel lui apporte son soutien et par sa voix, Kiel elle-même. Uriz, Teiweon et Meingal sont certes les divinités liées au 1er ost et aux Zaurahel, mais est-ce une bonne solution que de venir chercher leur approbation ? Seule Kiel est parmi les Ilythirri est est-ce que les Haut-Prêtres des autres clergés iraient contre l’avis de la déesse elle-même ? Impossible de le dire.

Une longue expiration se fait entendre et le drow se redresse, retournant à l’intérieur de son foyer. Il est actuellement tiraillé par ses sentiments et ses devoirs, un choix véritablement cornélien. Il continue d’avancer en direction de son bureau et il range quelques papiers qui traînent encore. L’un d’eux entre ses mains, il le regarde et siffle entre ses dents. Il avait failli oublier ça aussi, l’expédition Gnolls menée par le Senger du IIIème.

Il a des priorités, mais n’oublie pas le chemin qu’il doit emprunter. Si les dieux le veulent - ou même s’ils ne le veulent pas - Veld’rin prendra ce qui lui revient et fera honneur aux siens pour la gloire de l’Elda.