Thaartour ou le tourisme à la zurthane | Tawarifa & Aslan

Milieu de la 5ème ennéade
Hiver, Verimios 21:XI

Depuis la rue, une assez grande bâtisse se dresse. A la fois élégante et massive, il est aisé de comprendre que personne ne vit ici. D’ailleurs, lorsque les températures le permettent, la double porte est ouverte toute la journée. A côté d’elle, une enseigne de très bonne facture et au décor raffiné indique le statut de l’établissement. Par le froid hivernal, il pourrait sembler clos si un panneau sur trépied n’indiquait pas le contraire. Mais il faut maintenir la chaleur à l’intérieur si l’on souhaite que le client se présente et reste suffisamment longtemps pour apprécier les objets qui y sont exposés… et se décider à les acheter. Pour cela, des braseros ont été disposés à des endroits stratégiques… Près de pièces coûteuses afin de favoriser leur vente mais loin de celles qui pourraient souffrir de la proximité des flammes… Certaines sont chargées d’histoire tandis que d’autres sont contemporaines. Il y en a pour tous les goûts. Mais certainement pas pour toutes les bourses.

La galerie est divisée en plusieurs salles. L’une rassemble les bijoux, les orfèvreries et le travail du métal en général. Une autre est plus axée sur la pierre et le verre. Une autre sur l’art pictural. Et une dernière sur la littérature. Ce n’est pas là toute l’étendue de ce qui est vendu par les Al Cabir mais ils ne peuvent décemment pas exposer des danseurs, musiciens et chanteurs en permanence. Cela est sur demande et étudié avec l’artiste ou son propriétaire. Le bâtiment dispose également d’un petit jardin à l’arrière, séparé de celui de la famille par un mur décoré. Il est utilisé pour les évènements et quelques expositions mais le temps hivernal ne permet malheureusement pas de l’exploiter et il semble bien triste ainsi couvert de neige.

Depuis la rue, on distingue également deux blocs moins distingués qui flanquent la galerie de part et d'autre, bien qu’un peu en retrait. Chacun d’eux dispose de deux portes permettant d’accéder respectivement à la cour ou à l’intérieur du bâtiment principal, ceci permettant de faire entrer et sortir des œuvres des entrepôts sans le risque que comporterait un transport depuis un autre quartier.
Des employés et des esclaves sont chargés de renseigner les clients et d’entretenir les lieux afin qu’aucune poussière ne vienne entacher la valeur d’une pièce… Le tout sous le regard vigilant de la famille Al Cabir qui ne s’occupe que des gros clients et de dénicher sans cesse de nouveaux artistes et artisans pour proposer toujours plus de nouveautés à leur clientèle si versatile.

Alors que deux personnes entrent dans le hall d’entrée, deux serviteurs se proposent pour les délester de leurs manteaux et un employé vient à leur rencontre, le tout d’un pas calme afin de ne pas les brusquer.

-Bienvenue dans la galerie Al Cabir. Puis-je vous accompagner ? Cherchez-vous quelque chose en particulier ?

Flanquée de Rakesh, l'armoire à glace qui lui servait de garde du corps, Tawarifa considéra les deux serviteurs avec une moue désabusée. Comme ils se proposaient poliment de leur prendre leurs manteaux, la Zurthane pinça le nez sans daigner leur adresser la parole, comme s'ils n'étaient que de vulgaires meubles plutôt laids. Elle n'esquissa pas un geste et se contenta de laisser son regard errer dans le hall d'entrée, comme si elle cherchait en vain quelque chose qui puisse l'extirper de son profond ennui.

La jeune femme était élégamment vêtue ; sous l’épais manteau de fourrure qui la protégeait du froid, elle arborait une robe de soie sortie des ateliers d'Eofel dans le pur style thaari. Toutefois, la couleur sable du vêtement et l'or des broderies, comme l'or des bijoux parant ses bras et son cou, évoquaient le désert zurthan. Ses cheveux d'un noir de jais étaient joliment bouclés, sa carnation avait l'ébène caractéristique du peuple de Brââ, et elle était lisse, dépourvue des maladies de peau et des brûlures solaires qui défiguraient parfois les habitants du désert. Tout respirait en elle une certaine aisance et un confort de vie dont les siens étaient fort peu à jouir.
Et pourtant, Tawarifa faisait la gueule.

Rakesh, pour sa part, posait sur les deux serviteurs l’oeil torve caractéristique de la brute épaisse qui cherche à vous intimider d'un simple regard. Esclave, il servait depuis sa naissance la famille du Shiladar de la Porte de Brââ, et prenait très au sérieux la mission que lui avait confiée son maître : veiller en toutes circonstances à la sécurité de sa fille pendant toute la durée de leur séjour à Thaar. Il était tout à la fois son garde du corps, son chaperon et son geôlier. Oh, il l'affectionnait, la petite, et il avait envie de la protéger. Il y mettait cependant un peu trop de zèle…

- Vous touchez pas à son manteau, gronda-t-il en regardant tour à tour les deux serviteurs et en serrant les dents. Vous la regardez même pas. Baissez les yeux. Tout de suite. Tout de suite.
- Laisse faire, soupira Tawarifa, ils n’essaient pas de voler nos manteaux, ils vont nous les rendre…
- Mais ils sont fous, ces mecs ! s'écria Rakesh, furieux, avant d'apostropher les deux malheureux : Mais pourquoi vous voulez enlever nos vêtements ?

-Parce qu'avec eux, vous auriez trop chaud à l'intérieur.

La voix provient d'un peu plus loin dans la première salle de la galerie. Un homme de taille moyenne, jeune, vêtu avec soin dans des tons bleu-verts qui font ressortir son teint et ses cheveux, avance dans leur direction, l'air aussi affable que possible.

-Nous tenons tout particulièrement au confort de nos clients, aussi l'intérieur est-il parfaitement chauffé. Continue-t-il tout en achevant de les rejoindre. Si vous conservez vos manteaux, ils ne seront plus efficaces lorsque vous nous quitterez et nous ne souhaitons pas que vous attrapiez mal. Voici en résumé le rôle de ces serviteurs.

Alors qu'il se tient devant les deux nouveaux venus, le premier homme à être venu à leur rencontre s'est écarté afin de lui laisser la place et s'incline respectueusement devant lui, comme le ferait tout employé consciencieux. On ne peut donc douter que le jeune blond occupe a minima un poste à responsabilité dans cet établissement. De plus, son maintien, son air détendu face à une situation qui ne l'est pas et son regard assuré ne peuvent que confirmer qu'il est de bonne naissance et qu'il a reçu une parfaite éducation.
D'ailleurs, il connaît très bien les us et coutumes des nations et peuples avec lesquelles il peut être amené à commercer. Aussi sait-il déjà comment réagir face à la réaction du garde zélé.

-Cependant, je comprends votre réticence. Ce n'est qu'un service que nous proposons à notre clientèle, il n'y a rien d'obligatoire, évidemment. Libre à vous de veillez sur le manteau de votre maîtresse si vous le souhaitez. Ainsi, personne ne la touchera, ni elle, ni ses affaires.

Pendant que le nouveau venu tentait d'amadouer la grosse brute, Tawarifa étudiait discrètement sa posture et son expression, sans se départir de sa moue dédaigneuse. L'homme était beaucoup trop propre sur lui, et sa façon de se coiffer et de s'habiller, tout comme le masque de diplomatie et de politesse qu’il arborait avec une dérangeante élégance, faisait de lui le stéréotype du marchand thaari. Il était malin, sans aucun doute ; suffisamment pour avoir désarmé en quelques paroles ce crétin de Rakesh, qui était en pleine réflexion pour savoir s’il devait se calmer ou se mettre encore plus en rogne. Mais derrière les apparences, il y avait probablement un être vicelard ; son père lui avait dit que tous les Thaarii l’étaient. Elle l'imaginait assouvir certains fantasmes à la nuit tombée, incluant une combinaison de cuir, un fouet et des petits garçons. Cette idée lui fit esquisser une grimace de dégoût. Pourtant, en dépit de leurs étrangetés, les Thaarii l'intriguaient ; comment un peuple aussi décadent parvenait-il à rester libre ? Si les Eldéens n'en faisaient pas une bouchée, peut-être les Zurthans s'en chargeraient-ils.

- Laisse tomber, Rakesh, tu veux ? Sois gentil.

Sans attendre l'aval de son garde du corps, la Zurthane se défit de son manteau, qu'elle tendit d'un geste impérieux à leur hôte avec autant de considération qu'elle en aurait eu pour un vulgaire laquais - c'est-à-dire pas beaucoup. Rakesh se contenta de grommeler un simple hmblgrff, ce qui était assez éloquent et éclairant sur les sombres pensées qui traversaient son esprit en cet instant. Comme il semblait hésiter à retirer son manteau lui aussi, Tawarifa hocha négativement la tête.

- Toi, tu le gardes, dit-elle à Rakesh avant de se tourner vers l'homme blond. Décidément trop propre sur lui pour être honnête. Mon père est très riche, et je m'ennuie, énonça-t-elle avec un surprenant naturel. Montrez-moi quelque chose qui vaut le coup, sinon j'irai gaspiller son argent ailleurs.

Aksel attendait, patient, que se dénouent les réflexions internes de ces visiteurs. Apparemment, il avait su désarçonner le chien de garde qui avait cessé d'aboyer, ce qui ne le surprenait pas le moins du monde. Il avait l'art de faire passer des messages en douceur, quand bien même ils cachaient un manque de considération. En effet, s'il s'est adressé à un simple garde du corps, c'est uniquement pour calmer le jeu et ne pas perdre une cliente potentielle. Mais c'est bien lui qu'il a désigné pour s'occuper des manteaux plutôt que ses propres esclaves, qu'il considère déjà fort peu -pour ne pas dire pas du tout-... Si cette nuance échappe à ceux qui ne le connaissent pas, elle est évidente pour ses proches et ceux qui travaillent pour lui ou sa famille. Pourtant, il semble parfaitement respectueux. Du moins, en apparence.

Il esquisse un sourire à la dame lorsqu'elle tend son manteau, qu'il n'a évidemment pas l'intention de prendre lui-même. Il fera cependant mine de ne pas voir qu'elle le traite aussi bien que son propre esclave alors qu'il doute qu'elle ait véritablement un statut supérieur au sien. Il se contente donc de faire un signe à l'employé, venu initialement accueillir la potentielle cliente, afin qu'il s'en charge. Ce qu'il s'empressera de faire aussitôt.
Une fois la zurthane totalement libre, celui qui s'estime être le véritable héritier de l'affaire familiale, ne manque évidemment pas à ses devoirs d'hôte en prenant en charge sa requête, bien qu'elle ait des allures d'ordre.

-Je me présente, je suis Aksel Al Cabir. Il incline légèrement la tête en signe de salutation plus officielle. Dites-moi ce qui vous ferait plaisir. Commence-t-il en l'invitant à s'avancer dans la première salle afin de l'accompagner pour l'explorer. Cette pièce est dédiée à la pierre et la verrerie. L'étage, quant à lui, dispose de trois salles : une consacrée aux livres, une aux œuvres picturales et une dernière à l'orfèvrerie et au métal. Quant aux arts plus... vivants, cela peut s'organiser, suivant vos envies.

A quelques pas de l'entrée, deux nouvelles servantes s'avancent, plateaux à la main. L'un comporte une coupe de fruits et des petits fours salés ou sucrés, et l'autre propose une coupe de vin, un verre de jus de fruit et un petit verre d'une liqueur raffinée et sucrée. Le tout est tourné vers la cliente