Imprévu prévisible [ Quête d'Eldis ]

C'est seulement quelques poignées de minutes après l'affaire dite "d'Idrielle Olzon" que la Ronce de Diantra fût introduite dans le sac de noeuds que les historiens, s'il en existait pour raconter des histoires après le dénouement de cette aventure, nommeraient " Le Dernier des Oridians ".

Pour l'heure, Monsieur de Vorkosigan fût alerté d'une démission remise de manière fort empressée par l'une des membres de la garde de Diantra, répondant au prénom d'Idrielle et au nom d'Olzon. Ses supérieurs ayant pris la mouche l'avaient fait prévenir de cette curieuse défection, à leurs yeux aussi rapide que surprenante. Pour une grande part afin de pourrir la vie de la gamine, mais aussi un peu par conscience professionnelle, ils avaient fait leur rapport à leur hiérarchie, qui entre deux couloirs l'avait laissé lire à un Sergent un peu bileux lequel, souvent malade, fréquentait une herboriste qui avait vendu la mèche en moins de deux à Monsieur de Vorkosigan.

Que l'on nommait aussi par ailleurs, la Ronce de Diantra.

L'affaire, peu intéressante en ces quelques termes, tenait de l'enfantillage.

" Monsieur de Vorkosigan, avec toute la hate possible et toute la fermeté nécessaire, nous vous tiendrions en grande estime si vous pouviez... Ah... comment dirai je ... " hésita l'un des lieutenants de la garde, dont Monsieur de Vorkosigan savait qu'il poursuivait ses subalternes féminins de ses avances.

" ... Vous me la trouvez, vous identifiez la cause de sa fuite... s'il s'agit d'un recrutement de la Marine Marchande dans notre effectif... vous nous ferez un rapport... S'il s'agit d'une affaire d'amour, vous nous ferez un rapport ... s'il s'agit d'une excès de pacifisme, vous nous ferez un... " rajouta le Maréchal divisionnaire, alors que Monsieur de Vorkosigan perdait le compte des possibilités extravagantes, afin de se concentrer sur la liste des autres sujets, importants ou risibles. Les deux autres devisèrent quelques minutes encore, jusqu'à ce qu'enfin deux mots le sortent de ses réflexions.

" La voilà " dit le jeune lieutenant.

La Ronce de Diantra sortit de son fauteuil et s'approcha de la fenêtre pour observer la personne qui traversait la cour en contrebas, d'un pas rapide et décidé. D'un oeil usité il nota la démarche et l'allure, afin de la retrouver si elle changeait de vêtements et d'accoutrements. Il inscrit dans sa mémoire la longueur de ses jambes et l'ampleur de ses pas, afin de reconnaitre ses traces au besoin parmi d'autres. Mentalement, il s'assigna de passer en sortant à côté de ses empreintes pour noter la structure de ses bottes.

La Ronce inspira et soupira, pas franchement emballé. Il récupéra son mantel et le passa en sortant de la pièce, sans saluer les deux gradés de l'armée de Diantra, lesquels, du fait de sa réputation, le pardonnèrent.

" Voilà un excellent Limier s'étant mis en chasse... " dit le plus gradé à l'autre, qui acquiessa.

X X X

L'affaire pris une autre tournure quand la dite Idrielle Olzon rencontra le Chevalier Téméraire, dit Hélios "le Chaste" Dilandro, ainsi qu'un autre gars qui semblait toucher chaque meuble comme s'il touchait une fine porcelaine, jusqu'à ce qu'une lettre remise en main propre le plonge au bord du gouffre. A tel point que l'émotion manqua de peu en arracher une larme à la Ronce de l'extérieur, atténuée par le verre crasse d'une fenêtre. La Ronce regroupa ses subalternes, dont le plus vieux n'avait pas plus de onze ans. Il collecta de nombreuses informations sur les personnages regroupés à l'intérieur. L'un des enfants lui rapporta que les chevaux n'était qu'à peine débachés et un autre que les boissons échangées à l'intérieur n'étaient pas fortement alcoolisées. A ceci, la Ronce en tira une conclusion. Ces gens étaient sur le départ.

Pour où ? Pour quelles raisons ? Ceci était impossible à dire. En quelques mots, il envoya deux de ses petits enquêteurs jusqu'au domaine Bel Conti, afin qu'on lui prépare son cheval et son paquetage, ainsi que quelques menues vivres afin d'éclairer un peu le voyage qui se préparait...

X X X

La Ronce se tenait au sol, notant les différences d'empreintes laissées par les pas des chevaux d'Idrielle Olzon, d'Helios Dilandro et d'un certain Eldis, dont le serveur de la taverne avait noté le nom car "Eldis" par ci, "Eldis" par là était sans cesse répété par les filles des cuisines de l'auberge.

Idrielle Olzon... Helios Dilandro... Eldis... Le lien était bien trop diffus... Si diffus qu'il n'était pas nécessaire de se creuser la tête pour le découvrir. Par expérience, il avait appris que les informations prenaient leurs valeurs au regard du contexte. Toute la journée durant il avait poursuivit le trio à distance plus que raisonnable, précisant leur position grace à l'usage d'une Longue-vue - outil servant à voir le loin de près - rétractable.

Le soir arrivant, ils s'engouffrèrent dans les bois, mettant fin à cette journée de chasse, à l'issue de laquelle la Ronce entamait une poursuite basée sur les empreintes, les herbes foulées, les branches déplacées et tout un tas d'élément que la logique rendait évident.

Il fît entrer son cheval dans les bois, au pas, en baillant longuement. Et c'est ainsi que...

La pipe au bec, Dimble observait le cavalier qui se dessinait à la rizière de la forêt.

Quelques heures auparavant...

Le pied traînant et surtout la tête lourde, le barde pénétrait dans les bois.
La nuit qu'il venait de passer avait été pour le moins, comment dire, courte !
Le saltimbanque avait remporté, en duo avec le capitaine Triss Amras, une "Route du Rhum" des plus ravageuses. Il n'était certainement pas venu au Bistrot de Tharama dans l'objectif de participer à ce jeux, comme il ne pensait pas un instant tomber sur l'homme le plus recherché de Diantra. Le chef de la Marine Marchande en personne mes amis, cet homme aussi réputé que dangereux, avait fait la proposition à notre cher Dimble, après l'avoir accosté, de rentrer dans ses rangs. Le pirate n'était pas un vieux fou et enchaîna les surprises, il proposa au Murnig une journée sur Méca sans rien en retour, juste pour que ce dernier puisse se faire une idée.
Comment refuser ?
Méca la légendaire ! Méca l'impétueuse ! Méca la mystérieuse. La vie nous réserve bien des choses, et le saltimbanque en avait eu la preuve.

Dimble sourit, ça avait été une nuit de folie, il avait bu à la limite de l'éthylique, il avait fumé à volonté, il avait rit assez pour jurer que jamais il n'oublierait.
Le barde espérait que le chemin du capitaine croise à nouveau le sien. Toutefois, il détestait réfléchir à l'avenir, seul le présent comptait. Et le présent lui disait qu'il avait vachement mal au crâne...

Le parfum exquis , dont les lieux étaient imprégnés, suffisait à adoucir ses maux. Il regarda autour de lui, personne en vue.
Reprenant sa marche, il trouva un arbre qui semblait propice pour se reposer et laisser son âme vagabonder à la frontières des songes de lumière.
Le soleil se couchait pour la seconde fois sans qu'il n'eut dormi.
La mandoline à la main, l'oeil rêveur, il se mit à murmurer un poème qu'il aimait beaucoup , écrite par un vieil ami. Lorsque la mélancolie du soir le prenait, ses mots sortaient de sa bouche sans qu'il n'y ait pensé:

Ce soir, la lune rêve avec plus de paresse;
Ainsi qu'une beauté, sur de nombreux coussins,
Qui d'une main distraite et légère caresse
Avant de s'endormir le contour de ses seins,

Sur le dos satiné des molles avalanches,
Mourante, elle se livre aux longues pâmoisons,
Et promène ses yeux sur les visions blanches
Qui montent dans l'azur des floraisons.

Quand parfois sur ce globe, en sa longueur oisive,
Elle laisse filer une larme furtive,
Un poète pieux, ennemi du sommeil,

Dans le creux de sa main prend cette larme pâle,
Aux reflets irisés comme un fragment d'opale,
Et le met dans son coeur loin des yeux du soleil.
Belle...

Il s'arrêta, la pipe au bec, Dimble observait le cavalier qui se dessinait à la rizière de la forêt. L'homme avait sans nul doute pu l'entendre d'où il se tenait.

La Ronce de Diantra mena son cheval entre les arbres, se guidant au jugé d'après la voix du poète, sans chercher quelques entourloupes. Il s'approcha au pas, observant en silence celui qui avait tous les airs d'un Menestrel de Grand Chemin, de ceux qui vous volent un peu de votre bourse, pour votre grand plaisir ou votre amusement. La pipe encore fumante, la mandoline à portée de main, le personnage lui apparût immédiatement comme très sympathique.

Pour satisfaire à la tradition, la Ronce fouilla dans sa bourse et en retira une pièce de cuivre, large et lourde, qu'il lança d'un mouvement ample dans un verre metallique posté devant le troubadour.

La pièce, forcément, provoqua un "plouf" sonore en pénétrant le liquide et occasionna quelques projections aquatiques aux alentours.

Un silence s'instaura entre les deux hommes.

Dans le lointain, un corbeau croassa.

" Ahem... Ahem... Désolé... " introduisit la Ronce, en posant pied au sol. " J'ai cru que... Enfin... J'ai cru bien faire... " dit il en faisant la moue.

Ce faisant, il poussa ses observations un peu plus loin, notant l'équipement du Menestrel, complet et rangé à portée de main, signe d'une vie au grand air. Il s'agissait certainement d'un homme habitué aux rencontres imprévues, caractérisé par un goût pour les rencontres et une certaine capacité à survivre à sa propre curiosité. Une arbalète trônait à ses côtés, visiblement non chargée, ce qui était de bon aloi. Si la nature de cet homme fût plus vénale, il aurait pu lui coller un trait d'une position embusquée.

La Ronce de Diantra le jugea donc comme étant plus que fréquentable. Sympathique et fréquentable. Ce qui en faisait un être aux qualités plus prononcées que la moyenne des gens qu'il pouvait rencontrer.

" Désolé... pour le verre... " dit il en attachant son cheval à un arbre.

La Ronce nota en l'observant plus longuement la présence de cernes autour de ses yeux. Il dégraffa son long sabre de son côté pour le fixer au harnais du cheval. Il s'approcha ensuite du Menestrel en lui tendant la main, après avoir retiré ses gants.

" L'on me nomme Miles de Vorkosigan en Diantra... Sachez, Monsieur, que je suis enchanté de faire si bonne rencontre en forêt... Et pour ce soir, j'imagine que votre tabac pourrait fort bien conclure sur les victuailles que j'ai emporté dans mon paquetage... " lui dit il en lui tendant la main ouverte pour le saluer.

Dimble observait avec attention l'homme qui se dirigeait droit vers lui. Menant son fidèle compagnon par les rennes, le barde ne dit mot. Il allait boire une gorgée d'eau afin d'hydrater sa gorge qui se faisait sèche lorsque l'inconnu lui envoya une pièce qui fit mouche. Surpris, le saltimbanque regarda le projectile tomber en plein dans son gobelet de fer.

...

" Ahem... Ahem... Désolé...J'ai cru que... Enfin... J'ai cru bien faire..."

Le Murnig éclata de rire. Il en avait vu des numéros qui lui avaient montré des mûres et des pas vertes, mais ça, c'était fort.

Mouwahaha ! Magnifique tir, de cette distance, il fallait le faire.

Il sourit. Laissant le cavalier le miroiter pendant que ce dernier en faisait de même. A ses yeux vifs et sa façon d'observer, le barde comprit que cet homme n'était pas un débutant en matière d'analyse. Tout dans sa gestuelle trahissait son tempérament calme et pointilleux. Sans doute d'origine noble, un tilt se déclencha dans la tête du saltimbanque à la vue d'une certaine rapière que l'inconnu affichait.
Il en savait des choses le vieux Dimble et il n'en était pas peu fier.
Essuyant la pièce si bonnement offerte, il la rangea dans sa bourse après une légère révérence, bin oui, donné c'est donné.

" L'on me nomme Miles de Vorkosigan en Diantra... Sachez, Monsieur, que je suis enchanté de faire si bonne rencontre en forêt... Et pour ce soir, j'imagine que votre tabac pourrait fort bien conclure sur les victuailles que j'ai emporté dans mon paquetage... "

Saisissant la main que lui tendait le dénommé Miles de Vorkosigan, le barde se releva et répondit:

Bien le bonsoir Monsieur de Vorkosigan, ou devrais-je dire, La Ronce.

Les traits de son visage étaient de ces jours où l'on avait l'impression que rien ne lui était inconnu, que nos plus sombres secrets étaient mis à nu. De plus, ses cernes de fatigue devaient appuyer ce côté mystérieux.

Tout le plaisir de cette rencontre est pour moi. Dimble Murnig ! Humble saltimbanque, pour vous servir monseigneur.

Accompagnant sa description d'une seconde révérence, il fit apparaître une rose au épines étonnamment grandes.
Se rendant compte qu'il ne faisait pas face à une femme, il jeta par-dessus son épaule la fleur, affichant l'un de ses plus beau sourires:

Si nous allions défaire ce fameux paquetage ? Je déteste parler le ventre creux !

Tandis que La Ronce défaisait ses affaires, Dimble allumait un feu, le temps se rafraîchissait.
Comme deux petites femmes en train de pique-niquer, il s'installèrent l'un en face de l'autre. Alors qu'il rameutait ses affaires autour du petit camps de fortune,il s'exclama:

Ha oui ! J'allais oublier.

Le barde fit tourner sa main à une vitesse folle puis la rouvrit, présentant une magnifique pipe sculptée de glyphes étranges. Il la tendit à La Ronce tout en rajoutant:

Tenez, prenez-là, les herbes que je vais vous offrir ne se fument pas avec n'importe quelle morceau de bois, elles sont très spéciales.

Il plongea ses yeux dans ceux de l'homme avant que ce dernier ne pose trop de questions:

J'espère que vous n'avez pas peur de ce qui ne s'explique pas. Parfois les mots sont insuffisants à décrire la vérité. Prenez, mais attendez, il serait préférable de l'utiliser en fin de repas, vous comprendrez bien assez tôt.
Alors ! Qu'est-ce qui vous amène par ici l'ami ?!

Il avala un morceau de pain.

Usuellement la Ronce traquait la renommée et les attentions de son entourage. De une, celà était bon pour son commerce. De deux, celà était pour ses affaires et de trois, celà n'était pas préjudiciable à ses autres passions. Pour une fois néanmoins qu'il aurait eût besoin d'un peu de discrétion, le Ménestrel l'avait reconnu instantannément. Preuve que ce dernier n'avait pas la vue basse, ni la langue dans sa poche. Au moins, avait il eu la décence de le faire remarquer.

En quelques instants, Monsieur de Vorkosigan avait trouvé de quoi se sustenter : Viande séchée d'Aurok, Carottes Beltanes, Pommes d'Antan et pour le dessert de ces délisieuses tartelettes à la crème dont il était devenu fervent depuis l'enquête du même nom.

De quelques mouvements lestes il dispersa la nourriture sur le sol resté sec, sous l'arbre où Dimble Murnig avait posé le camp, agrémentant le tout d'une bouteille d'eau et d'une autre d'eau de vie. Le feu, peu à peu, prenait vie entre les mains du Ménestrel. L'un tendait une bouteille, l'autre récupérait une pipe. Le premier posait une question, le second relançait la conversation, accompagnant la course du soleil jusqu'au delà de l'horizon.

" Alors ! Qu'est-ce qui vous amène par ici l'ami ?! " le questionna le Ménestrel.

La Ronce de Diantra opta pour la vérité. Il faut savoir concernant les mensonges, qu'il ne faut point en servir aux gens curieux et observateur, ce qui d'évidence, était le cas de son interlocuteur.

" L'affaire qui me conduit en ce bois est triple... La première, d'ordre pratique, est d'enquêter sur un déserteur de l'armée régulière de Diantra, du nom d'Idrielle Olzon... C'est pour ainsi dire, une affaire de routine, pour le compte de la garde... " dit il en manipulant la pipe du Ménestrel.

" La seconde, est que cette personne s'est associée à deux Chevaliers... Et après un rapide conciliabule, ce petit monde a quitté Diantra en toute hâte... Il faut savoir qu'en Diantra, la petite noblesse et les ordres de Chevalerie sont ... comment dirai je... en froid... Ce qui en fait un de mes centres d'intérêts actuels... " dit il en bourrant la pipe à la manière d'un homme plus qu'habitué à ce genre de choses.

" Mon premier plus mon second entraine un troisième totalement incompréhensible. Et mon instinct de limier me pousse à en savoir plus... " dit il en tirant sur la pipe, pour l'enflammer.

Il tendit la pipe à son compagnon pour qu'il puisse tirer le premier une bouffée.

" A tout Seigneur, tout honneur, je vous en prie... Voilà bien longtemps que je n'ai gouté à du ... Hâga. " conclut il provisoirement.

Dimble prit la pipe entre ses mains, rangeant la sienne dans une de ses poches intérieures. Puis, alors queles herbes se faisaient brûlantes, il y versa quelques cristaux aussi petits que translucides. Le Murnig en profita pour répondre à La Ronce, cette personne qu'il commençait à apprécier par sa grandeur d'esprit:

J'ai longtemps pensée à ce que pourrait dire une pipe si la parole lui était offerte, si l'on tendait un court instant l'oreille. On entendrait sa plainte.

Je suis la pipe d'un auteur;
On voit, à contempler ma mine
D'Abyssinienne ou d'aubépine,
Que mon maître est un grand fumeur.

Quand il est comblé de douleur,
Je fume comme la chaumine
Où se prépare la cuisine
Pour le retour du laboureur.

J'enlace et je berce son âme
Dans le réseau mobile et bleu
Qui monte de ma bouche en feu,

J'ai charmé son coeur
Qui par mon odeur guérit
De ses fatigues sont esprit.

Le saltimbanque se stoppa, souriant au noble et tira la première bouffée de sa concoction. En un éclair, l'effet de ses cristaux lui monta à la tête, levant les yeux au ciel, les étoiles naissantes faisaient une ronde dansante. Les couleurs se mélangeaient et un bien-être l'envahissait. Cette "drogue" était des plus spéciales, elle donnait une vision différente, selon les gens, du paradis. Ce qui vit Dimble ne pouvait se décrire, mais il en avait la larme à l'oeil. Il tendit la pipe à La Ronce avant de dire entre deux rêveries:

N'ayez aucune crainte, je ne suis pas un espion venu vous empoisonner ou contrer votre mission. Je vous offre une nuit au pays des songes et de la tranquillité. Il ne tient qu'à vous d'accepter ou non.

Attendant sa réponse, il afficha un sourire mystérieux qui lui était devenu si coutumier. Pourquoi offrir une telle proposition à un tel homme ? Le saltimbanque n'en savait rien, disons seulement qu'il le sentait. Comme si une petite voix lui avait sifflée dans sa tête l'acte à faire. Rares étaient les personnes qui avaient eux l'occasion de goûter aux drogues du barde.

Monsieur de Vorkosigan s'empara avec maintes précautions de la pipe ciselée, dont le précieux contenu avait la valeur d'une année de travail pour un petit ouvrier ou un des gars du port s'échinant à débarquer les navires. N'ayant jamais perdu la valeur des choses, Miles porta la pipe à ses lèvres après avoir salué le Ménestrel d'un ochement de tête complice.

" Maitre Murnig... Nous voilà... " dit il en inspirant légèrement, avant de ne point être écrasé par l'effet des cristaux dès les premiers instants. D'un geste peut être usité, il déposa la pipe à ses côtés, le temps de se laisser gagner par les premiers effets.

Tout d'abord, ce fût comme si les herbes autour de lui avait décidé de rendre la lumière reçue dans la journée, instaurant une douce lueur dorée sur la scène.

La Ronce de Diantra nota ce changement avec délice, quand, soudainement, dans les cieux, les astres modifièrent leurs courses éternelles. Les Etoiles, rendues folles sur leur toile, basculèrent et chavirèrent à l'unisson. Aux ordres d'un invisible Maestro elles s'orientèrent tantôt vers l'orient, tantôt vers l'occident, en une réplique de ballet féérique.

La Ronce cligna des yeux comiquement quelques fois, avant de sourire légèrement, grisé qu'il était par les effets des cristaux.

Il porta la pipe une seconde fois à ses lèvres lorsqu'un déchirement sonore évoquant le bois qu'on lacère lui arracha une grimace. Il s'en suivi, un tremblement dans le sol, lorsque l'arbre arraché s'écrasa de tout son poids sur la terre qui l'avait vu naître.

Monsieur de Vorkosigan observa la pipe un instant, d'un air interrogateur, comme si cette dernière allait se mettre à lui débiter le discours de la Méthode et lui expliquer les raisons de toute cette agitation. Il cligna des yeux un instant, avant de ranger la pipe en travers de sa ceinture. Il tenta de faire le point lorsqu'il sentit le sol continuer à trembler sous ses doigts encore à plat sur le sol.

Quelquechose de massif se déplaçait.

La Ronce jetta un oeil au Ménestrel. Ce dernier semblait lui aussi à l'écoute des bois.

" Si nous l'avons entendu et ressenti tout deux, c'est que... " dit il d'un ton léger, juste avant de se redresser vivement pour s'emparer de son sabre d'un mouvement précipité, lequel dormait paisiblement dans sa gaine à deux pas de là.

Car s'ils avaient entendu ce son tout deux, et ressenti ces mêmes vibrations, c'est tout simplement qu'elles étaient réelles. D'ailleurs, d'autres sons venaient le certifier. A quelques centaines de pas, l'on se battait, l'on criait, l'on souffrait et l'on mourrait.

D'une main, la Ronce tenait son sabre par le fourreau, au niveau du fort de la lame. De l'autre, il se saisit d'une lanterne. Il nota dans un frémissement que la drogue atténuait son sens du risque et attisait sa curiosité naturelle.

" Un coup d'oeil..? " proposa t il à son compère, tout en soulevant sa lanterne et en s'engageant dans les sous bois. Habitué à se faire discret, voire même à se faire oublier, la Ronce déambulait dans les sous bois d'un pas rapide. De nombreuses herbes tentaient de s'accrocher à ses pieds pour l'empécher de progresser et de nombreuses brindilles s'échinaient à craquer sous ses pas, mais tout ceci n'était rien comparé à l'orchestre de cuivres nains qui le suivait en jouant "La Gnole des Nibelungen" à plein tube, jouant des pistons par ci, violant leurs cordes par là.

" Chut " leur intima la Ronce en soulevant son index tendu devant son nez, avant de faire quelques bonds supplémentaires pour s'embusquer derrière un chêne tutélaire, et observer plus avant la scène se déroulant devant ses yeux.

La main tendue vers le ciel, tentant désespérément d'attraper les lanternes célestes, Dimble avait le coeur léger et heureux. Cette sensation due à sa concoction lui était pourtant familière, mais l'effet restait le même, que ce soit lors de sa première fois ou aujourd'hui face à la nuit.
Il tourna la tête en direction de La Ronce, ce dernier clignait les yeux d'un air dubitatif et donnait l'impression d'avoir vu un ange. Le barde ne pu s'empêcher de rire, reprenant la pipe, il en tira une longue et profonde bouffée, le carnaval redémarra. Il eut l'impression de plonger d'un tremplin défiant la cime des châteaux, mais vers le haut...Il s'élevait dans les airs et volait à toute allure, bravant les étoiles filantes et autres astres lumineux.

Whouhouuuuuuuuuuuu !!!

Battant de ses ailes, ou plutôt de ses bras...Le saltimbanque courait autour de la Ronce en décrivant de parfait cercles. Notre majestueux albatros rasait les océans, fendaient les airs et surplombaient les terres. Il se trouvait bien loin en Miradelphia lorsqu'il tenta un saut pour le moins...audacieux !
Se vautrant dans un buisson, le Murnig resta ainsi, la bouche entrouverte et les yeux vides. Rien ne pouvait le sortir de ce splendide rêve, sauf peut-être ce cri déchirant qui éclata ses tympans.

La terre tremblait, les arbres dansaient à la Diantroise et le feu entamait un quatuor en bémol.

**...**

Tout en s'enlevant une feuille de ses longs cheveux, Dimble garda le silence, observant la pénombre d'où provint les bruits. Pas le chant du feu hein ! Des ombres se dessinaient dans la pénombre...C'est à ce moment que le saltimbanque comprit qu'il valait mieux s'assurer auprès d'une autre personne, aux esprits plus clairs, avant d'aller trop activement à des conclusions.

Il se retourna vers son compagnon de fortune à temps pour croiser son regard.

Si nous l'avons entendu et ressenti tout deux, c'est que...

Nous ne sommes pas seuls.

Le ton qu'il avait pris s'était fait fluide et emprunt d'assurance. Notre homme, qui n'était qu'un oiseau survolant la constellation Éméché quelques secondes auparavant, semblait avoir retrouver la maîtrise complète de ses capacités. Peut-être le saltimbanque nous réservait-il encore bien des secrets sur sa personne.

Pénétrons ensemble dans ce mythique tombeau nain mon ami.

Ou peut-être pas...Il s'élança sur les pas de La Ronce.

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